lundi 30 octobre 2023

CAMERON MC CABE – Coupez ! - Éditions Sonatine 2018

 


L'histoire

Cameron Mc Cabe est monteur de cinéma dans les années 30, pour des studios anglais. Alors qu'il travaille sur le montage d'un film mélodramatique, le producteur vient lui demander de couper toutes les scènes où une jeune starlette Estrella joue. Ne comprenant pas bien la décision du producteur, Mc Cabe va découvrir que la jeune actrice prometteuse est morte. En fait il s'agit d'un suicide. Mais le meurtre de l'acteur principal Jensen vient rebattre les cartes et le teigneux inspecteur de Scotland Yard soupçonne très vite Mc Cabe d'être le criminel. Entre les deux hommes un jeu macabre s'insinue...


Mon avis

Voilà un polar inclassable et totalement atypique, tant par son contenu que par la personnalité de son auteur.

Dans une première partie, Cameron Mc Cabe, écossais qui a vécut aux USA, travaille comme monteur pour des studios de cinéma à Londres, en 1930. Lorsque le producteur du film lui demande de couper toutes les scènes où figure la jeune actrice Estella Lamarre, celui se pose des questions. D'autant que la starlette montante était promise à une belle carrière. L'enquête démontre vite qu'il s'agit d'un suicide, elle aurait été rejetée par l'acteur principal du film, Jensen, qui lui préfère la vedette du film, la Star Maria Ray que Mc Cabe aime aussi.

Mais quand Jensen est assassiné, empoisonné puis tué par un coup de revolver, l'inspecteur de Scotland Yard suspecte assez vite le monteur. Qui de son coté mène aussi une enquête pour comprendre la vérité. Finalement inculpé, et sans avocat, il arrive à se faire acquitter en retournant les preuves peu convaincantes il faut dire de l'accusation. Il en fera un livre qui aurait un certain succès.

Dans un long épilogue, un vieux détective qui n’apparaît que deux ou trois fois dans le récit de Mc Cabe vient brouiller un peu plus les pistes. Si il se livre à une analyse très précise du roman, tout en y apportant ses propres critiques, il laisse entrevoir un autre meurtrier.

Véritable ovni dans le polar, le roman Coupez ! N'est pas de lecture facile, surtout dans l'épilogue. Mais plus incroyable encore, Cameron Mc Cabe n'est pas du tout un auteur mais le pseudonyme d'un certain Ernest Bornemann, qui a écrit d'autres livres toujours sous pseudonyme. Son identité n'a été révélée qu'en lors d'une réédition dans les années 1970.

Paru pour la première fois en 1937, la seconde partie du roman, le fameux épilogue, est de loin la partie la plus intéressante. Il raconte aussi l'auteur qui a dut fuir l’Allemagne face à la montée du nazisme, et une vie qui elle-même est un roman.

Polar qui ouvre la porte aux polars psychologiques, mais aussi à ces polars qui ne sont qu'un prétexte pour dénoncer une injustice, un drame politique ou social, cet ouvrage rédigé d'une main de maître, va en surprendre plus d'un. D'une part parce que le vrai coupable est révélé par les investigations du vieux détective, et encore est-on sûr qu'il est le bon. Car sur la liste des potentiels assassins il sont au moins 5 à avoir eu des raisons de supprimer l'acteur. Ainsi Bornemann, nous propose à notre tour d'être détective, en semant ici ou là des indices. Mais sans en faire non plus un jeu à part entière.

Sur le style, l'auteur dans la première partie a très bien saisi l'ambiance du Londres des années 30, avec son parfum Hollywood, ses clubs de jazz, sa vie nocturne agitée ou tranquille selon les lieux de la capitale britannique. C'est le monde du cinéma Ambiance hitchcockienne, avec sa femme fatale, les quartiers chics où fleurissent les bars de renom, le petit monde du cinéma un peu imbu de lui-même. Tout cela pour démonter dans l’épilogue la société qui se construit, l'avènement du capitalisme, qui laisse de coté les pauvres, le début du conditionnement de la société aux médias de masse, et tout ce que nous connaissons depuis.

En cela l'auteur fait un excellent travail d'anticipation, en renvoyant chaque protagoniste à son rôle presque assigné par la société.

Si vous aimez les polars à l'ancienne comme on dit mais avec un coté totalement ubuesque, ce livre est pour vous.


Extraits :

  • J'entendis les tramways dans King's Cross Street, un drôle de coup de klaxon d'un bus de passage et un camion si lourd qu'il fit trembler les murs. Puis une faible mélopée s'éleva du plateau B. Ils étaient encore en train de faire des raccords pour la scène du night-club de Black and White Blues. Et je percevais les bruits du plateau A, aussi. Robert Seaman tournait Conversation after Midnight.

  • Le point culminant de toute comédie burlesque est le bris d'un objet - le bris de vaisselle est toujours très efficace mais le bris du crâne, ça c'est du solide.


BIOGRAPHIE

Ernst Wilhelm Julius Bornemann dit Ernest Bornemann, parfois écrit Borneman, est un écrivain de roman policier, un scénariste, un anthropologue, un ethnomusicologue, un musicien de jazz, un critique de jazz, un psychanalyste, un sexologue et un militant socialiste allemand.

Il fait des études à l'université de Berlin de 1931 à 1933. Membre du Parti communiste d'Allemagne, il fuit l'Allemagne après l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933. Il obtient l'asile politique en Angleterre. Il apprend l'anglais et poursuit ses études à l'Université de Londres jusqu'en 1935, puis à l'Université de Cambridge pendant deux ans.

Dès 1937, il publie son premier roman policier "Coupez!" (The Face on the Cutting-Room Floor) signé Cameron McCabe. À Londres, il rencontre l'ethnologue et psychanalyste américain Géza Róheim et, sous son influence, s'intéresse à l'anthropologie. Passionné de jazz, il publie en 1940 une encyclopédie "Swing Music. An Encyclopaedia of Jazz".
La même année, il est déporté au Canada dans un camp réservé aux citoyens d'un pays ennemi. Il est libéré et travaille pour la BBC et pour l'Office national du film du Canada. En 1947, il est responsable du département cinématographique de l'UNESCO à Paris.
En 1948, il fait paraître "Tremolo", roman dont le héros est un joueur amateur de clarinette, passionnée de jazz.

En 1960, il travaille en Allemagne de l'Ouest à la création d'une station de télévision nationale. En 1976, il obtient un doctorat pour une étude approfondie de l'origine et l'avenir de patriarcat, "Das Patriarcat".
De 1982 à 1986, il est président de la Deutsche Gesellschaft für Sozialwissenschaftliche Sexualforschung (DGSS). En 1990, il reçoit la Magnus-Hirschfeld-Medaille.
Durant les dernières décennies de sa vie, il vit à Scharten en Haute-Autriche, où il se suicide à l'âge de 80 ans.



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