samedi 2 avril 2022

Gabriel Tallent - My Absolute Darling' - Gallmeister 2017

 

Ce printemps-là est pluvieux et humide dans la région de Mendolito en Californie du Nord. Cela n'empêche pas Turtle, 14 ans de s'y aventurer avec son fusil de chasse et son couteau. C'est son échappatoire à elle, adolescente maigrichonne, mal habillée et surtout élevée par un père érudit et adepte du survivalisme qui considère sa propre fille comme sa chose, la viole, l'élève à la dure, lui apprend le maniement des armes et l'enferme dans son univers.

 Aussi Turtle, mauvaise élève et considérée comme une "paria" à l'école publique n'a aucune amie, elle semble détester d'ailleurs toute compagnie féminine. La mère a disparu dans des circonstances peu élucidées dans le roman et seul son père et son grand père, affectueux mais alcoolique, sont ses seuls référents. 

On dit que le printemps est la saison du renouveau et des amours. Par sa connaissance de la nature si particulière de ce lieu, Turtle se résout à sauver 2 adolescents et va ressentir pour l'un d'eux un sentiment qu'elle découvre : tomber amoureuse du charismatique et amusant Jacob. Elle entrevoit aussi qu'une autre vie est possible. Mais Martin veille et n'a aucune envie de perdre "son amour absolu", cette fille qu'il a idéalisée et qu'il croit aimer, tout en lui infligeant des violences physiques. Entre le père et la fille c'est alors un combat sans retour qui s'engage. 

Avec ce best-seller, et son premier roman, Gabriel Talent (qui avait 30 ans lors de sa parution) nous dresse tout d'abord le portrait d'un pervers narcissique de haut vol, et des relations avec sa victime qui est déchirée entre l'amour qu'elle porte à son père, et la peur de celui-ci qui se transforme en haine. Bien plus fort que n'importe quel article ou livre à ce sujet, la violence et la résistance de Turtle (le nom qu'elle s'est choisi) est aussi dérangeante que vraie. Turtle parle à coups de jurons et d'insultes tout comme son père, elle aussi semble dénouée d'empathie, ce qui ne la victimise pas et d'ailleurs il n'y a pas de pathos dans ce livre.

 Turtle est une combattante, une résistante incroyable à la douleur. Juste une réalité que personne ne veut voir, celle de la violence latente dans certains milieux, plutôt défavorisés. L'école publique sent bien qu'il se passe quelque chose, Jacob aussi mais personne ne vient en aide à la jeune fille. D'ailleurs si le livre est écrit à la 3ème personne du singulier, on suit le point de vue de Turtle, perdue dans ses réflexions, à l'identité mal définie. Son père l'appelle affectueusement ou pas "Craquette" comme craquante et mignon ou comme celle qui peut casser, et l'état civil lui a donné le nom qu'elle déteste de Julia. 

 Autre thème important : celui de la nature sauvage, que l'auteur né à Mendolito connait bien. Une nature qui peut être amie ou ennemie placée sous le signe de l'eau : ici les pluies sont torrentielles, la mer vient se fracasser sur les rochers créant ou engloutissant des îles, les marécages sont légions. Et si l'eau est traditionnellement un élément relié à la femme, la mère si absente, c'est bien cette eau boueuse et déchainée qui sauvera Turtle à la fin de livre. Au départ l'auteur voulaot écrire un livre écologique et la nature est un personnage entier du roman, un nature que l'homme ne peut pas dompter et qui vit à son rythme, obligeant à l"humilité comme le dit l'auteur. 

Finalement en creux, My absolute darling est le portrait de l'Amérique et de ses propres démons :

 - l'importance des armes à feu qui vous rendent virils, et donne un sentiment de puissance, 

- le système éducatif qui, pour les démunis est inadapté, la mentalité de winner qui dans la tête de Martin n'est pas que sa fille ait accès au meilleur lycée mais puisse vivre en autonomie totale, alors que Jacob et ses amis fortunés mais sympathiques vivent dans un luxe qui interroge Turtle mais ne l'éblouit pas tant que cela 

 - les violences faites aux femmes, un sujet tabou aux USA avant la vague me-too. Elevé par 2 femmes, le jeune Gabriel a noté le regard suggestif ou les remarques déplacées faits à ses 2 mamans. Il a poussé cette violence jusqu'aux limites du supportables, s'attaque au tabou de l'inceste (un mot que Turtle ne comprend pas bien au début) comme un écho à notre société perturbée, qui chaque jour ou presque recense les violences faites aux femmes et qui détournede son sens premier le mot Amour. 

 Mais ce livre ne serait rien sans les références distillées aux philosophes Platon (que Tallent adore, parce que dit-il c'est simple à comprendre) et aux Méditations de Marc Aurèle que lit Jacob. Avec cette idée (finalement très américaine) :"rien de ce qui peut nous arriver dans la vie ne peut nous empêcher d'être quelqu'un de bien". Enfin une référence à Herman Melville avec Moby Dick. Martin serait un capitaine Acab devoyé qui veut dompter sa fille. L'écriture de Tallent est dense et intense, descriptive mais jamais lassante. 

En cela il tranche avec toute une génération d'auteurs américains formé au minimalisme (économie des mots et mots justes), on pense à Carson Mc Cullers, John Fante, Hemingway entre autres. 

 Gabriel Tallent naît en 1987 au Nouveau-Mexique et grandit à Mendocino, en Californie du Nord. Il met huit ans à rédiger My Absolute Darling, son premier roman, gagnant sa vie en accumulant les petits boulots. Il manque plusieurs fois d'en abandonner l'écriture, mais sa mère Elizabeth Tallent, écrivain elle aussi, le pousse à continuer. 

Gabriel Tallent vit aujourd’hui avec sa femme à Salt Lake City. Il continue de s'échapper vers Mendolito pour se ressourcer dans cette nature sauvage où il se sent en paix.

 Extraits

Martin : "Le moment viendra où ton âme devra être solide et pleine de conviction, et quelle que soit ton envergure, ta rapidité, tu gagneras seulement si tu sais te battre comme un putain d’ange tombé sur terre, avec un cœur absolu et une putain de conviction totale, sans la moindre hésitation, le moindre doute ni la moindre peur, aucune division qui risque de monter une partie de toi-même contre l’autre. Au final, c’est ce que la vie exige de toi. Pas d’avoir une maîtrise technique mais un côté impitoyable, du courage et une singularité dans tes objectifs. Fais attention." 

 Martin : "Je t'aime trop pour te laisser partir un jour, continue Martin. Tu as commis une erreur. Tu as sans doute oublié qu'on avait déjà essayé? (il sourit, se tait un instant puis fait un geste comme acculé à une extrémité muette du langage).On a déjà essayé et on s'est rendu compte qu'on était rien l'un sans l'autre. On ne peut pas traverser cela à nouveau. C'est impossible, il faut que tu le comprennes". Il fait encore un geste, des morceaux, des objets. C'est là son erreur. De croire à un monde en dehors de lui.

 Il fait un dernier pas vers elle, tombe à genoux, passes les bras autrou d'elle, pose la joue contre son bassin. Turtle lève les bras comme si elle se trouvait dans l'eau froide jusqu'à la taille. Elle pense, Tues-le, tues-le maintenant." (page 423)
 

Anna BAILEY – Une pluie de septembre – Éditions Sonatine 2021


 Whistling Ridge, un petite ville dans une vallée du haut-Colorado est entourée de bois, de maisons délabrées et de sa population particulière. Ici on se réfère à Dieu tel qu'il est vu par le Pasteur, un évangéliste qui interprète les Évangiles de la façon la plus stricte qui soit.
Un soir de septembre, lors d'une fête bien arrosée avec les jeunes de la ville, Abigail Blake, 17 ans disparaît. Fugue ? Accident ? Meurtre ?
Les jours passent et Abigail ne revient pas. La jeune fille vit dans une famille dysfonctionnelle, père alcoolique qui tabasse sa femme et ses deux fils. L’aîné a bien du mal cacher son homosexualité et sa relation avec Rat, le gitan. Seuls Emma, adolescente métissée latino (qui subit sans arrêt des remarques racistes) et Hunter, le fils du riche propriétaire qui fait vivre le village, tente de résoudre l'enquête, le shérif local ne semblant pas particulièrement investi.

Le premier roman d'Anna Bailey a de quoi vous surprendre, par le portrait terrible de cette ville où les préjugés, les ragots et l'empreinte terrible d'une religion qui prône l'homophobie et le racisme font loi. Les femmes sont au service de leurs maris. Les jeunes copient les pères, tout en s 'alcoolisant ou fumant des joints, en espérant secrètement une université assez éloignée pour fuir ce village. Petit à petit on découvre les secrets qui se cachent dans les maisons, la pauvreté et la violence, en absence de toute empathie.
Une écriture sans fioriture, un langage « viril » à l'instar des principes instaurés dans la ville, des protagonistes fascinants, sur fond d'une nature glaciale en hiver, peuplées de forêts donnent toute la richesse de ce polar pas comme les autres. Ici, pas de super héros enquêteur, des individus livrés à eux-même, et des références dévoyées à une religion dépassée font aussi de ce livre un témoignage intéressant sur ce qui peut se passer dans le Middle-West américain.

Anna Bailey est une auteure et journaliste britannique. Elle déménage au Texas puis dans le Colorado, dans une petite communauté religieuse qu’elle quittera bien vite. En 2018, elle retourne au Royaume-Uni et, elle travaille comme journaliste indépendante à Cheltenham. Une pluie de septembre est son premier roman.

Jean Hegland - «Apaiser nos tempêtes » - Éditions Phoebus 2021

 

Anna, photographe de talent, migre de son Idaho natal pour la Californie du Nord. Avec son mari et ses 2 filles, elle a du mal à intégrer cette nouvelle vie.
Cerise vient d'un milieu modeste et accouche à 17 ans d'une fille, puis 17 ans après d'un bébé, qui malheureusement meurt accidentellement dans un incendie. Ivre du chagrin, Cerise quitte tout, s'isole dans les bois, devient SDF, et parcourt difficilement son chemin vers la réinsertion. Pourtant malgré tout, Cerise a un don magique avec les enfants qu'elle amuse et apaise.
Deux femmes, aussi éloignées intellectuellement que socialement dont les destins vont se croiser pour enfin trouver l'apaisement mutuel.

Sous l'écriture fluide et douce de Jean Hegland se cache la vision de l'Amérique des femmes et des femmes pauvres. Amérique parce que le roman est américain, mais il pourrait tout aussi bien avoir lieu chez nous. Paru en 2004 mais seulement traduit et publie en France en 221, l'auteure du best seller « Dans la Forêt » nous décrit la vie de 2 femmes. Anna de la classe moyenne qui jongle entre sa maison éloignée de la ville, les longs trajets en voiture pour conduire ses filles s'interroge à la fois sur son rôle de mère et son cortège de doutes (culpabilité, amour infini, agacement) n'arrive pas à reprendre un emploi et se remettre à la photographie. Cerise, elle, vit la douleur chevillée au corps : la disparition de sa fille aînée au fort caractère et le décès de son petit garçon finissent par la mettre au ban de la société. Une sans-abri est forcément une droguée, une pute ou une alcoolique à qui personne ne tend la main. Les foyers d'hébergement pour femmes sont débordés, et les services sociaux ne font pas d'accompagnement, il faut chercher du travail, serveuse, femme de ménage, ou tout autre sale boulot.

A cette observation quasi documentaire, s'ajoute la pollution, le rôle des hommes, peu présents, le mari d'Anna est bien gentil mais ne cherche pas à la comprendre pas,les pères des enfants de Cerise sont des alcooliques peu fiables.
Un livre touchant, dont le thème premier est la maternité et les questions qu'elle pose, qui fera aussi du bien aux femmes (et aux hommes de bien) parce qu'il nous rappelle l'indispensable sororité et l'obligation de tendre nos mains à ceux qui ont moins que nous.

Jean Hegland est née dans l'Idaho. Elle est enseignant. En 1996 elle publie « Dans la Forêt »qui ne sera édite qu'en 2015 en France, puis « Apaiser nos souffrances ».
Son site : https://jean-hegland.com/.


Les Orageuses par Marcia Brunier aux éditions Cambourakis

 

Lucie, Mia, Léo, Inès et les autres ont toutes été victimes de viol. Sans porter plainte, en culpabilisant ou en refoulant. Alors cette bande de filles se réunit en gang et organise des "vengeances " contre le violeur (dégradation de son appartement, tag, et quelques coups de poings bien sentis), avec une organisation militaire. "Là on ne répare pas, on se rend justice".

A travers le parcours des ces femmes humiliées et traumatisées (tiré de vrais témoignages), ce livre nous engage encore et toujours à nous unir, soeurs de destin et à reprendre en mains nos vie.

Marcia Brunier, journaliste franco-suisse, a écrit ce premier roman en septembre 2021. Féministe, elle écrit pour des magasines et est également documentaristes. Un petit livre sans complaisance, a plus prêt de la réalité du viol.
Les Orageuses par Marcia Brunier aux éditions Cambourakis
 
 

"Starling" de Mélanie Taquet aux éditions Eyrolles.

 


[Girly, féminin et féministe]
Emma, trentenaire, écrivain et bloggeuse est une jeune femme hypersensible qui se remet mal d'un amour non partagé avec son ancien psy. Qui réapparait dans sa vie et la plonge dans des angoisses et des introspections douloureuses. 
Mais Emma a de la ressource. Grâce à ses amis indéfectibles et à un voyage à Prague, elle va trouver en elle l'énergie d'accepter ce qu'elle est et se battre pour ses choix.

Si le résumé semble un peu triste, il n'en est absolument rien de ce livre charmant, très "girly", avec un humour féroce et un petit grain de folie. De Londres à Paris en passant par Prague, on suit l'évolution de notre héroïne dans ce livre joyeux, qui nous fait du bien.

Mélanie Taquet né en 1887 partage sa vie entre son travail d'éducatrice scolaire et sa passion pour l'écriture. Elle a écrit ce roman lors du confinement. Tous ces ouvrages parlent des relations hommes-femmes, avec humour et sensibilité, en cherchant des formes littéraires différentes.
"Starling" de Mélanie Taquet aux éditions Eyrolles.
Starling veut dire étourneau en anglais, mais le livre est bien écrit en français.


"Rendez-vous au Paradis" de Heine Bakkeid aux éditions Equinox

 

L'ancien policier Thorkild Aske, homme dépressif et suicidaire, est chargé par une auteure de renom de retrouver sa fille Olivia. Mais ce qu'il va découvrir au cours de cette enquête n'est pas un parcours de tout repos et va l'obliger à puiser, au delà de sa dépression, la force de se battre jusqu'au bout.


Ecrit avec un certain humour, ce deuxième roman du norvégien Heine Bakkeid s'inscrit dans la tradition du polar nordique, avec ces fjords glacés et son ambiance noire.


L'auteur nous démontre comment la dépendance aux médicaments psychotropes (anti-dépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques) devient une drogue et une obsession pour son héros. Mais je regrette le manque de sobriété à ce sujet qui devient redondant.on découvre assez vite dès la 5ème partie (sur 6) qui est le meurtrier, ce qui est un peu dommage car l'intrigue était bien ficelée.

 Reste que c'est un polar bien sympa, le deuxième de cet auteur fasciné par les paysages du Nord de la Scandinavie.

La félicité du loup - Paolo Cognetti - Editions Stock


 Dans un village de Montagne (Val d'Aoste) se retrouvent tous les hivers les saisonniers.
Ceux qui travaillent pour le seul restaurant "Le festin de Babette".

 Fausto écrivain médiocre y est cuisinier et la jeune Sylvia y est serveuse. Ceux deux-là vont s'aimer le temps d'une saison. Sylvia rêve de toujours plus haut dans la montagne, Fausto lui décide de s'y enraciner
Petit livre fait de 36 petits chapitres de moins de 10 pages, comme autant d'anecdotes sur ce petit village, ce livre charmant nous encourage aux l'amitié est forte, les relations simples. Une ode à la simplicité et à la vie parfois difficile des montagnards.

Un livre plein de tendresse, une philosophie de la vie simple, c'est le livre qui nous fait du bien.


Paolo Cognetti (né en 1978), mathématicien et réalisateur se lance dans l'écriture en 2004. Il adore la montagne, surtout hors saison. Son premier roman "les huit montagnes" a reçu de nombreux prix littéraires dont le Médicis en 2017.