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dimanche 12 mai 2024

Thomas KING – Les Indiens s'amusent – Editions Mémoire d'Encrier - 2024

 

 

L'histoire

Bird et Mimi, couple d'indiens vivant près de Toronto partent en voyage à Prague. Leur mission est de retrouver ce qui est advenu de leur ancêtre Leroy et surtout de sa fameuse bourse à médecine, dite de la Corneille. Un voyage désopilant en Europe, où le couple se chamaille bien plus que d'assumer sa mission.


Mon avis

Bird et Mimi sont un vieux couple d'indiens rattaché à la tribu des Pieds-Noirs. Leurs deux enfants ont un bon job et cela laisse le temps à ces deux héros attachants de voyager en Europe. Avec une mission (mandatée par la mère intrusive de Mimi) : celle de retrouver la trace de leurs ancêtres communs, un certain Leroy qui serait parti pour l'Europe, en emportant avec lui la bourse-médecine sacrée « La Corneille ». Direction Prague, une drôle de ville pour Bird qui trouve les voyages harassants et préfère son home sweet home. De plus, Bird est malade, diabétique et affublé par sa femmes de gentils surnom pour définir sa personnalité : Eugène qui ne se maîtrise pas, les jumeaux Dédé sont des dépressifs, Ira est combative mais Kitty s'attend toujours au pire. Pas facile de vivre avec tant d'entités en soit !

Ce road movie dans la capitale tchèque est aussi hilarant que possible ! Non seulement nous faisons une visite très particulière, impulsée par Mimi, bon appétit, amatrice de grasses matinées et taquine envers son conjoint. Bird qui nous raconte l'histoire est un tantinet hypocondriaque ce qui met sa douce dans tous ces états, alors qu'il est plutôt en bonne forme.

Mais à travers ce voyage, c'est aussi le sort des Amérindiens qui est très subtilement analysés. Combattus, puis parqués dans des réserves (que ce soit au Canada ou aux USA), leur affranchissement a été un long parcours d'obstacles et de défiance vis-à-vis des colons. Et de la colonisation en général, la mémoire indienne qui semble s'effacer face aux nouveaux modes de vie. Le tout est amené avec beaucoup de dérision.

Pourtant ils sont fiers nos deux tourtereaux. Si Bird se rappelle les voyages passés, toujours dans le même but, Mimi ne pense qu'à visiter toute la ville, guide touristique en mains et trouver des restos (souvent des pizzerias, la mondialisation a fait son œuvre). Bird est discret et se remémore par ces nuits d'un été trop chaud ses souvenirs d'enfance, mais l'auteur ne perd jamais son histoire, dans un style sans superflu et surtout très amusant ce qui en fait un régal de lecture. Page turner à souhait, vous allez passer un très bon moment avec ces deux là que vous n'oublierez pas de sitôt.


Extraits

  • A première vue, le système est irréprochable. Les gens donnent des vêtements à un organisme de charité, qui les vend dans ses magasins. Les profits servent à aider des dans le besoin. Si les choses étaient aussi simples, ce serait formidables. Et ça se saurait. Car voilà : les organismes de charité reçoivent plus de vêtements qu’ils n’en peuvent vendre et certains d’entre eux sont invendables de toute façon. Sur les tonnes de fringues que la population compatissante leur envoie, ils ne peuvent en écouler qu’une infime fraction. Les autres ? Envoyées dans les pays en développement : Inde, Kenya, Chili, Tunisie.

  • Les voyages nous permettent d'engranger de nouvelles aventures, de récolter des anecdotes à raconter aux proches et aux amis. Le hic, c'est que tout le monde de fiche des anecdotes de voyage qui ne comportent pas une généreuse part de drame. Il faut que l'adversité se dresse sur le chemin des voyageurs, qu'ils survivent de justesse au désastre. Votre voyage en Turquie s'est passé comme un charme ? L'avion a décollé à l'heure, vous avez dormi dans une chambre ravissante avec vue sur Sainte-Sophie, avez mangé comme des dieux, et pour pas cher, tout le monde parlait couramment l'anglais, et ni les gens du cru, ni la police, ni les autres touristes ne vous ont importunés ou détroussés. Aucun intérêt.

  • Le médecin britannique m'a parlé de mes analyses sanguines et de l'échographie. Je ne l'écoutais pas, je l'avoue. Je pensais à tout ce que je voulais faire du temps qu'il me restait. Face à la crainte d'une mauvaise nouvelle, le sang vous caille dans les veines. Enfin, c'est une image... On n'est pas mort, mais c'est tout comme. Je redoutais que le médecin m'annonce ma fin prochaine, et je trouvais ça tuant.

  • Depuis toujours, je me demande si les médecins, à l'instar des politiciens, croient vraiment les mensonges qu'ils profèrent. Se faire enfoncer un tuyau dans le nez, c'est atrocement douloureux. Ca fait mal quand ça rentre et ça refait mal quand ça ressort.

  • Sous le soleil de plomb, la ville semblait être tout droit sortie d'une forge, puis aplatie sur l'enclume. Le genre de patelin où les gens vivent devant leur frigo grand ouvert, où les chiens fondent sur les trottoirs.

  • J'ai des nouvelles pour vous ! poursuit Oz. Ni bonnes ni mauvaises... Comme vous dites dans votre langue : "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !" C'est pour inciter les gens à rester des imbéciles heureux ?

  • Tu veux constituer un sac-médecine dans un étui en nylon avec une fermeture éclair ?

  • Comble de malheur, nous avons laissé nos romans à l'hôtel. Au Canada, quand nous allons au restaurant, nous emportons toujours des livres pour patienter en attendant les plats. Et voilà que nous pourrions bien être obligés de nous parler.

  • Je ne pense pas que j'aimerais mourir à Prague, mais pourquoi pas? Ce n'est certainement pas plus mal ici qu'ailleurs. La ville a du vécu, un long passé, de la dignité. Ce serait bien mieux que d'agoniser sur un lit de plastique dans un hôpital de Toronto, branché à un moniteur annonçant le décompte des derniers battements cardiaques. Mourir ici, ça aurait de la gueule. Dans un petit hôtel donnant sur la Vltava. À regarder le pont Charles.


Biographie

Né à Sacramento, Californie , le 29/04/1943, Thomas King est un romancier, essayiste et et un animateur de télévision. Il est de descendance cherokee, grecque et allemande.
Il a fait des études de littérature à l'Université de Californie à Chico, et il a obtenu son doctorat en littérature anglaise à l'Université de Utah. Pendant quelques années, il a participé au programme des études autochtones américaines de l'Université de Minnesota.
Il a travaillé comme photojournaliste en Australie avant de s'établir au Canada en 1980. Professeur d'anglais à l'Université de Guelph, il habite à Guelph en Ontario.
Thomas King a écrit des romans, des nouvelles, des livres destinés aux enfants, des essais et des poèmes. Il est le créateur d'une émission de radio appelée The Dead Dog Cafe Comedy Hour, une série sur CBC Radio One.
Pour son œuvre littéraire, Thomas King a reçu le Prix National d'excellence décerné aux Autochtones en 2003 et l'Ordre du Canada en 2004. Il a remporté le prix du Gouverneur général 2014 pour son roman "The Back of the Turtle", traduit en français sous le titre "La Femme tombée du ciel".

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_King_(%C3%A9crivain)

 

 

lundi 5 février 2024

Craig JOHNSON – L'indien blanc – Totem poche 2023

 

 

L'histoire

Le Shérif Walt Longmire quitte son comté d'Absaroka pour accompagner son ami de toujours Henri Standing Bear convié à une exposition à Philadelphie. C'est aussi l'occasion de revoir sa fille adorée Cady. Mais à peine arrivé dans la capitale de la Pennsylvanie qu'un très mauvaise nouvelle l'attend. Cady a été frappée par un inconnu, lésions cérébrales et coma. Ce crime ne sera pas impuni, et toute la fine équipe qui entoure Longmire sera bien sur au rendez-vous .


Mon avis

Nous retrouvons ici avec son humour et ses personnages attachants, un des épisodes du plus célèbre shérif du Wyoming. L'action se délace des hauts plateaux pour la ville de Philadelphie où vit Cady « la plus grande avocate du pays », la fille adorée de Walt Longmire, mais aussi la ville natale de son adjointe préférée Vic dite « la Terreur ».

Ce voyage se promettait d'être sympathique, en compagnie de son ami de toujours Henri Standing Bear (Henri Ours Debout) dit aussi la Nation Cheyenne, et du chien, un molosse de 70 kilos aussi gourmand que dissuasif. Hélas à peine arrivés dans la capitale de la 4ème ville des USA, Longmire apprend que sa fille a été agressée et qu'elle a du être opérée en urgence pour évacuer un hématome sois-dural. Cady est dans le coma, avec 80% de chance de ne jamais récupérer ses capacités. Plongé dans le chagrin, Walt reste abattu mais il y a une urgence : retrouver le ou les personnes qui sont responsables de cela. Il semble que le petit ami de Cady, Devon soit impliqué, mais il est retrouvé mort « suicidé » du haut d'un pont sur la Schuylkill, affluent du fleuve Delaware. Bien que suivi de près par la police du coin, notre Shérif, entre quelques bagarres, et avec l'aide de l'Ours, de Vic la terreur son adjointe et de toute sa famille qui sont tous flics, va démanteler un trafic de drogue et une ou deux têtes importantes mais corrompues de la capitale.

C'est toujours un plaisir de lire un Craig Johnson. Celui-ci ne déroge pas à sa règle d'humour mais aussi son immense humanité : tout l'amour d'un père pour sa fille mais aussi tout l'amour et l'amitié de sa bande, épaulée par Lena, la mère de Vic et ses fils, va y avoir de la baston, quelques points de sutures, du colt.45 à plus gros calibre et un mystère à déchiffrer : qui est donc cet Indien Blanc qui semble vouloir lui aussi venger Cady ?

C'est aussi l'occasion de visiter Phyllie comme la surnomme les américains, une ville bien différente des hauts plateaux des Rocheuses du Wyoming. Et bien évidemment, en digne successeur de Tony Hillermann, on vivra avec plaisir les cérémonies et les visions cheyennes que « La Nation Indienne » prodigue à Cady, Henri Standing Bear étant certain de sa guérison.

Tout en humour et en poésie, l'auteur nous donne encore ici un aperçu de son talent et nous fait voyager dans des émotions subtiles.



Extraits

  • L'aube approchait et le médecin était venu examiner Cady cinq fois avec toujours le même résultat. Les premières lueurs du soleil caressèrent les bâtiments voisins et j'eus l'impression de me trouver dans la tour d'un immense château. Mes yeux devaient être bien fatigués; le temps d'un clignement, quelqu'un d'autre était apparu dans la pièce. J'essayai d'accommoder, mais la tension de la nuit me donnait l'impression qu'on m'avait passé du papier verre indice 600 sur les globes oculaires. Je les fermai et les ouvris à nouveau, mais l'image de l'homme agenouillé près du lit resta floue.
    Une légère panique s'empara de moi et je bougeai sur ma chaise, mais il tendit la main pour m'apaiser. C'est seulement lorsque l'image se fit plus précise et que j'entendis la mélodie complexe du chant cheyenne que je sus que c'était Henry.

  • Je rêvais beaucoup ces derniers temps, et il y avait toujours des indiens dans mes rêves; je ne fus donc pas surpris lorsque je les aperçus du coin de l'oeil. Je sentis le vent, ce vent qu'on ne sent que dans les Hautes plaines et dont la force est juste un point en dessous de celle d'un ouragan. J'étais courbé en avant dans les rafales au bord d'un promontoire près de Cat Creek. J'avais du mal à y voir quelque chose; mes yeux n'étaient plus que des fentes d'où coulaient des larmes. Je tournai un peu la tête et vis un guerrier cheyenne. Il leva les bras en l'air, m'invitant à faire de même. Il portait une chemise de guerre frangée et brodée de perles dont les motifs en bandes blanches et bleues remontaient le long des manches, et je distinguai autour de son cou une petite bourse en cuir peinte en rouge et noir avec le symbole géométrique du vent.
    Le vieil indien sourit à demi, avança son bras vers mon visage et me força à me concentrer sur ce qui se trouvait devant moi. Je jetai un coup d'oeil à l'horizon tandis qu'un éclair aussi violent que les attaques dans le cerveau de Cady traversait le ciel dans une explosion silencieuse chargée d'électricité. Je regardai au fond du canyon et un frisson me parcourut l'échine comme un détonateur; il n'y avait rien en dessous de nous sur une profondeur d'au moins cent mètres.

  • C’était un tipi de taille familiale avec des rangées de peintures indiennes qui couraient sur la grosse toile. Il était planté là, un îlot domestique posé au centre d’un désert industriel. Quand nous approchâmes, je vis que les cordes étaient reliées à des bandes velcro qui avaient été attachées au plancher et qu’il y avait des peaux de bisons et des couvertures qui dépassaient sous l’entrée alors même que le rabat était fermé et attaché. Un totem était dressé, avec un crâne de cerf peint et enroulé dans un tissu brodé de perle dans le style crow. IL y avait des plumes et une bande de cuir frangée accrochées à la perche plantée dans un trou découpé dans le sol. L’endroit était propre, le plancher balayé et les centaines de vitres avaient été nettoyées et réfléchissaient la structure posée au milieu.

  • Nous étions sous couverture. La Nation Cheyenne était resplendissante dans son jean, sa chemise en batiste délavée et ses baskets. Il s’était acheté une casquette à l’effigie des Phillies à la sortie du métro, à Broad, et avait passé son impressionnante queue-de-cheval par-dessus la bande ajustable à l’arrière. Il aurait pu être de Philadelphie ; il aurait fait un très grand Indien de Philadelphie, mais il aurait pu être de Philadelphie. Moi, je me fondais encore mieux. J’avais lassé mon chapeau à l’hôpital sur la tête de Lena Moretti, je m’étais acheté une pimpante casquette et un large blouson en satin rouge auprès du même marchand sur Broad Street.

  • Peut-être sommes-nous comme ces voitures délabrées, ces outils cassés, ces vêtements usés, ces disques rayés et ces livres cornés. Peut-être que la mort n'existe pas, peut-être que la vie nous use à force d'amour, c'est tout.

  • Si vous voulez en savoir plus sur les belles femmes, c'est le diable qu'il faut interroger.

  • Si vous commencez à appeler des Lakotas des Sioux, vous allez avoir de gros ennuis.

  • Penser que tu n'as pas d'ennuis et ne pas en avoir sont deux choses différentes.

  • Est-ce un Colt .45 de service que j'aperçois dans un holster sur vos reins ? Je restais immobile un instant. - Pourquoi ? Il me grossit ?

  • L’État du Wyoming n’avait jamais élu une femme au poste de shérif, et la probabilité qu’il choisisse une Italienne de Philadelphie avec une aussi grande gueule qu’un crocodile des mers salées était relativement mince.

  • Nous convînmes de nous rencontrer le lendemain, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, mais avant tout, à l'heure du petit déjeuner. Ils me dirent de garder le portable de Cady. Je leur demandai si j'avais droit à un insigne en plastique du PPD, mais ils me rappelèrent les restrictions budgétaires.

  • J'ouvris mon couvercle et contemplait le breuvage décidément très noir. - Il est fort on dirait - Expresso grand format double. Je me suis dit que ça vous ferait du bien. Je pris une gorgée et avalai du même coup l'émail de presque toutes mes dents.

  • Walt, il faut que tu reviennes au boulot, tu n'es pas fait pour autre chose...
    Une nouvelle pause. - Tu manques à Ruby, Ferg s'ennuie, Lucian nous fait chier jusqu'à la gauche parce qu'il se croit redevenu shérif, et Dorothy dit qu'elle est prête à venir jusque chez toi pour te botter le cul, mais elle ne sait pas si elle doit apporter du coleslaw.

  • Osgood lança un regard appuyé à Vic et la détailla de son tour du cou en turquoise jusqu'à ses bottes. J'avais une envie irrépressible de le balancer par dessus la balustrade. - Alors vous venez du Wyoming ? Elle finit son cocktail trouble et sortit une olive qui avait été empalée sur une minuscule épée en plastique. - Je viens de la 9ème rue, espèce de sous-merde, et t'avise pas de l'oublier.

  • Je sais que c’est idiot… mais il n’y a pas une seule photo de moi. (Je m’éclaircis la voix, espérant que j’aurais peut être ensuite l’air moins stupide et pathétique). Pas de photos de moi, ni chez elle, ni ici. Il resta silencieux tandis qu’il me regardait patauger dans la culpabilité de mes émotions mal placées comme un animal blessé. Je pensais juste que j’étais assez important dans sa vie pour mériter une ou deux photos. Il tendit lentement un bras par-dessus le bureau et appuya sur la barre d’espacement de l’ordinateur.Je levai les yeux et la vague qui me submergea fut une déferlante d’émotions : ruisselante, profonde et très ancienne. Je restais là tandis que le flux redescendait, mais l’eau salée resta dans mes yeux et me brouilla la vue. Le fond d’écran était une photo géante de moi, la tête contre celle de Cady, et il était évident, étant donné l’angle de la prise de vue, qu’elle avait pris la photo en tenant l’appareil à bout de bras. Nous souriions tous les deux et elle avait le nez collé dans mon oreille.

Biographie

Né à Huntington, West Virginia , le 12/01/1961, Craig Johnson est un écrivain américain, auteur d'une série de romans policiers consacrés aux enquêtes du shérif Walt Longmire. Il obtient un doctorat d'études dramatiques et se balade pas mal à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Outre la série Walt Longmire, il a publié une dizaine de nouvelles isolées et recueils de nouvelles.Longmire a été adaptée à la télévision américaine sous le titre Longmire, avec l'acteur australien Robert Taylor dans le rôle-titre.
Il vit avec son épouse Judy, dans les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.
Craig Johnson est lauréat de nombreux prix littéraires, dont le Tony Hillerman Mystery Short Story Contest pour la nouvelle "Un vieux truc indien", le Prix NouvelObs/BibliObs du Roman noir étranger, 2010 pour "Little bird" ou encore le prix Critiques Libres 2013 dans la catégorie Policier - thriller pour "Le Camp des morts".

jeudi 11 janvier 2024

GRAIG JOHNSON - A vol d'oiseau – Gallmeister 2016 (ou Totem poche)

 

 

L'histoire

Le célèbre shérif Walt Longmire assiste avec son comparse Henry Standing Bull à la chute d'une jeune femme, qui entraîne sa mort. Mais plus surprenant, un petit bébé de 6 mois emmailloté a survécu à la chute. Une enquête en pleine réserve Cheyenne du Montana ou notre shérif doit composer avec la fort jolie mais peu amène chef de la police tribale Lolo Long.


Mon avis

Lire un Craig Johnson, c'est comme déguster un délicieux chocolat ou votre gourmandise préférée. Parce que c'est drôle, sans répit et avec le style inimitable de l'auteur qui publie régulièrement des enquêtes de son héros favori. On retrouve bien évidemment sa tribu : Cady, « la prunelle de ses yeux » qui va se marier et veut célébrer son mariage en territoire indien, Henri Standing Bear l'ami de toujours, surnommé « la nation Cheyenne » et son assistante préférée Vic, dite the killer, la femme qui roule à 300 km/h et tire plus vite que son ombre. Et bien sur Le chien, une énorme boule de poils, un brin alcoolique, et surtout capable d'attaques féroces avec ses 70 kilos poids de forme.

Ici, notre Shérif, même si il est loin de son comté d'Absaroka, connaît tout le monde dans la réserve. Mais il doit composer avec la toute jeune chef de la police tribale, Lolo Long, une jeune femme qui a fait l'armée, arrête illico tout suspect sans autre procédure, et roule dans sa ranger rutilante à une vitesse défiant les lois de la gravité.

Il faudra toute la patience de Longmire pour aider la jeune femme à devenir une bonne policière et mener une enquête qui nous promène des hautes crêtes du Montana aux braconniers de cerfs (ce qui est interdit) et autres rencontres plus ou moins plaisantes.

Comme d'habitude, les coutumes indiennes notamment Cheyennes sont expliquées. Craig Johnson qui, dans sa vie, côtoie les amérindiens de différentes ethnies (Cheyennes, Crows etc) refuse d'employer le terme politiquement correct de « native américan people », en nous expliquant que ce mot fait bien rire les ethnies indiennes qui préféraient un peu moins de correct et un peu plus de moyens pour vivre dans une région difficile où les ressources sont captées par les blancs. Comme toujours Johnson défend toujours les ethnies indiennes, même si un meurtrier peut se trouver parmi eux. Et c'est aussi pour cela qu'on l'aime, sa fidélité sans faille à ses amis qui lui racontent leurs vies sur les différentes réserves indiennes du Montana.

Une enquête menée tambour battant par le duo Longmire et Long, qui se finit par le joli mariage de sa fille, dans le lieu de ses rêves.


Extraits

  • Le diazepam est utilisé pour traiter les spasmes musculaires , les épilepsies et autres effets secondaires de l'addiction à l'alcool . Le baclofen a les mêmes indications , mais plus précisément pour contrôler les spasmes . La tizanidine est un relaxant musculaire , comme le dantroléne . L'oxybutinine est un anticholinergique qu'on utilise pour soulager les difficultés du système urinaire et de la vessie , et la prégabaline est un anticonvulsif . [...] La personne qui prend ces médicaments de façon régulière pour que ce soit gravé dans un bracelet médical , est dans un tel état , qu'elle peut à peine tenir debout , encore moins pousser quelqu'un du haut d'une falaise .[...]. Mais elle pourrait envisager de sauter .

  • Je ne savais pas que vous travailliez le dimanche les gars.
    Il enleva ses lunettes de soleil et nous contemplâmes tous deux le jour splendide. — Ni la pluie ni la neige … — Çà, ce sont les services postaux. (Je réfléchis quelques instants et citai :) «Ni la neige, ni la pluie, ni la chaleur, ni la nuit n'empêchent jamais que chacun d'eux ne fasse, et le plus vite possible, la course qui lui est assignée.» — Ouah, je crois que je n'avais jamais entendu la phrase entière.Je hochai la tête. — Ils l'ont volée à Hérodote, qui parlait des courriers persans à cheval du temps de la guerre entre les Grecs et les Perses, aux environs de 500 avant J.-C. Il secoua la tête incrédule. — Vous êtes sûr que vous êtes shérif ?

  • Elle avait été une beauté à une époque, mais les années et le dur labeur l'avaient éreintée ; Lucian aurait dit, on ne peut pas les faire labourer le vendredi et danser le samedi.

  • Avec un peu de chance , il est vraiment bourré et inconscient , ce qui est préférable à un peu bourré .

  • Ouais, je sais. Personne n'était au courant , surtout pas moi . Pourquoi en informer le putain d'agent responsable de l'enquête ? - Je le jure , mon titre devrait être l'Agent-qui-n'-a-pas-la-moindre-idée-de-ce-qui-se-passe-bordel.

  • Difficile à dire. Henry et moi avons vu une femme tomber du haut d'une falaise, et nous essayons de decouvrir qui a pu faire ça. - Isaac Newton ?

  • La bibliothécaire de l'université est méchante . Je n'aime pas avoir affaire à elle , elle a l'Alzheimer indien . Mm, oui, c'est bien vrai .[...]- Que veux tu dire , Lonny ? - C'est quand on oublie tout sauf les rancunes.

  • Les écoles de la réserve étaient systématiquement classées comme les pires de l'État. Le salaire offert aux professeurs n'était pas ridicule, mais le taux de renouvellement du personnel était épouvantable et l'absentéisme, endémique.

  • Le Jimtown Bar n'a rien d'impressionnant en soi ,[...] .
    Les deux mots d'ordre du lieu , qui étaient brodées à l'arrière de casquettes vendues en souvenir , avaient toujours été TOURNEES ET DEROUILLEES TOUS LES SOIRS, ET SOIREE SPECIALE LE VENDREDI , CANARDE , POIGNARDE , ou VIOLE , au choix .

  • On voit rarement la promesse de l'homme chez un garçon, mais on voit presque toujours la menace de la femme chez la fille. Et parfois, la menace n'est pas anodine.

  • Jusqu'à cette année, la contribution officielle de Lonnie au gouvernement tribal s'était limitée à des siestes pendant le conseil. Un mois auparavant, lorsqu'on avait découvert que le précédent chef était coupable de détournements de fonds au bénéfice d'un compte privé appartenant à sa fille, une réunion d'urgence avait été convoquée. Comme, une fois de plus, Lonnie s'était endormi, il avait été incapable de se défendre et le conseil avait unanimement voté pour qu'il devienne le nouveau chef.

  • On apprend beaucoup de quelqu'un en examinant son bureau , même s'il n' y a rien posé dessus


Biographie

Né Huntington, West Virginia , le 12/01/1961, Craig Johnson est un écrivain américain, auteur d'une série de romans policiers consacrés aux enquêtes du shérif Walt Longmire.
Il obtient un doctorat d'études dramatiques et se balade pas mal à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Par la suite, il obtient un doctorat d'études dramatiques et se balade pas mal à travers les États-Unis. Il devient successivement pêcheur professionnel, chauffeur routier, charpentier et cow-boy. Il enseigne également à l’université et fait un temps partie de la police de New York, avant de se consacrer pleinement à l’écriture.
Outre la série Walt Longmire, il a publié une dizaine de nouvelles isolées et recueils de nouvelles. Longmire a été adaptée à la télévision américaine sous le titre Longmire, avec l'acteur australien Robert Taylor dans le rôle-titre.
Il vit avec son épouse Judy, dans les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.

Craig Johnson est lauréat de nombreux prix littéraires, dont le Tony Hillerman Mystery Short Story Contest pour la nouvelle "Un vieux truc indien", le Prix NouvelObs/BibliObs du Roman noir étranger, 2010 pour "Little bird" ou encore le prix Critiques Libres 2013 dans la catégorie Policier - thriller pour "Le Camp des morts".


dimanche 19 novembre 2023

Stephen GRAHAM-JONES – Un bon indien est un indien mort – rivages noir 2021

 

L'histoire

Ils étaient quatre amis d'enfance, vivant dans la réserve des Blackfeet dans le Dakota du Nord. Un jour, ils ont commis une énorme bêtise non conforme à la coutume : ils ont tués, le dernier jour de la chasse, dans une zone interdite à celle-ci, une jeune femelle caribou qui portait un petit. Le garde-chasse, non indien, n'a pas été très sévère. Dix ans plus tard, alors qu'un de leur camarade de cette chasse maudite est mort, les 3 amis qui ne se sont guère revus depuis, ont des visions ou hallucinations, comme si le fantôme de la femelle caribou réclamait vengeance.


Mon avis

Un très beau livre, dur et fleurtant entre le polar et le fantastique, qui raconte non seulement les aléas du destin, mais aussi la triste situation de ces indiens blackfeet, qui vivent soit dans le Montana, soit dans le Dakota du Nord, dans des réserves. Avec le poids des coutumes et des traditions.

Attribué au général de l'U.S Army Philip Sheridan, l'aphorisme « The only good Indian is a dead Indian » porte en lui-même toute une vision du Natif Américain qui hante à la fois la société Occidentale mais aussi le peuple Amérindien à l'heure actuelle. Souvenir d'un génocide impardonnable et funeste avertissement qui se condense pour devenir le titre du nouveau roman de Graham-Jones après son magistral Galeux qui vient justement d'être réédité en poche par les éditions Pocket.

Véritable succès critique et public Outre-Atlantique, le roman s'ouvre sur un fait divers :
« UN INDIEN TUÉ LORS D'UNE DISPUTE DEVANT UN BAR. » peut-on lire dans le journal. C'est une façon de voir les choses. En vérité, Ricky Boss Ribs n'a pas vraiment trouvé la mort en se disputant avec des Blancs devant un bar. Autre chose rôdait dans les parages. Une chose qui semble impossible et pourtant.
Ricky fait partie d'un groupe de quatre Indiens issus de la même réserve dans le Montana et de la ville de Browning.
Ricky, Lewis, Gabriel, Cassidy, amérindiens, vont faire une partie de chasse illégale en pénétrant sur des terres où ils ne sont pas sensés traquer le caribou. Mais qu'à cela ne tienne, c'est le dernier jour pour eux où la chasse est possible, le dernier jour où un Indien ne doit pas revenir sans caribou. Nous sommes cinq jours avant la dinde et le football, cinq jours avant un Thanksgiving classique. En prenant au piège un troupeau entier, c'est finalement un carnage qui se produit. Un carnage inutile puisque nos quatre chasseurs seront surpris par le garde-chasse qui les contraint à abandonner leurs trophées dans la neige. Parmi les cadavres, celui d'une femelle caribou alors en pleine gestation. La promesse d'un avenir agonisant dans la neige.
Dix an plus tard, Lewis vit avec Peta, une femme blanche et végétarienne qui n'a pas grand chose d'Indienne au contraire de Shaney, une Crow avec qui il travaille et à qui il va finir par confesser cette chasse indigne qui le hante. Petit à petit, des événements étranges surviennent dans la vie de Lewis. Son chien, Harley, meurt étranglé en tentant de sauter au-dessus de la palissade, la vision d'une étrange Femme-à-tête-de-Caribou dans son salon le faut basculer de son échelle, des bruits de sabots étouffés se font entendre dans les escaliers… Que se passe-t-il dans la vie de Lewis ?
Bien décidé à tirer les choses au clair, le Blackfeet essaye de démêler le vrai du faux, le réel du fantastique. Jusqu'à ce qu'il comprenne que la mort de Ricky n'a rien d'une coïncidence et que lui, Cassidy et Gabriel sont en danger…

L'horreur larvée, presque subliminale, va graduellement envahir la page et l'esprit des personnages. Notamment celui de Lewis, archétype de l'Indien moderne qui a quitté sa réserve pour adopter un mode de vie différent mais qui, au fond, ne cesse de s'interroger sur ses origines et son identité.
Bien vite, le scénario se déporte vers Browning et la réserve pour retrouver les autres comparses, Gabriel et Cassidy.
C'est ici que l'horreur, déjà dévoilée, affirmée comme un retour de bâton du destin, se mêle à l'une des thématiques centrales de l’œuvre de l'auteur : qu'est-ce qu'être Indien aujourd'hui ?
Dès lors, l'américain dresse le portrait de Gabriel qui tente de renouer le lien avec sa fille Denorah alors que son mariage n'est plus qu'un lointain souvenir, puis celui de Cassidy qui a fini par retrouver l'amour après une longue traversée du désert avec Jolène, une Crow. Et puis Denorah, justement, la Finals Girl, promise à un avenir brillant et magnifique grâce à son don inné pour le basket.
On y croise également Nathan, un jeune qui pleure encore la mort de son grand-père, et une hutte de sudation pour un rite de purification Indien traditionnel et fortement signifiant. L'auteur, lui même blackfeet explore l'identité, confronte l'abord de la condition Indienne selon la génération à laquelle on s'adresse et finit par montrer qu'il n'existe pas une identité unique mais une pluralité de chemins vers notre ère moderne. C'est aussi le questionnement sur l'éternel opposition entre tradition et modernité, entre l'importance de respecter les anciens et de construire de nouveaux avenirs, de trouver des modèles et dépasser les clichés pour être qui l'on veut vraiment.
Comme dans Galeux, Graham ne parle pas tant de l'injustice vécue par son peuple aux États-Unis que de ce que sont devenus les Natifs à dans l'Amérique d'aujourd'hui. du roman d'horreur, on glisse vers le roman social. Mais ce n'est pas tout.

Car au fond, si ce roman parle de quelque chose, c'est avant tout de famille, d'amitié, d'amour et des liens qui unissent les personnages entre eux. C'est du respect des générations et de ses racines, de la violence qui habite l'Amérique et hante ses peuples.
Au centre de ce roman de chasse, la fameuse Femme-à-tête-de-Caribou, change forme vengeresse qui symbolise la faute, l'injustice et la rédemption tout à la fois et qui appelle, finalement, à s'interroger sur la façon de mettre fin au cercle de la violence et de la rancœur. En combattant, en n'abandonnant jamais, mais aussi en acceptant de reconnaître ses fautes et les façons de faire la paix avec soi-même.
Si l'on osait, un pourrait presque dire que c'est le livre sur la réconciliation avec soi, avec un passé où le sang a coulé de façon aveugle et injuste au mépris des règles et des traditions.
Si l'on osait, on pourrait voir un grand roman d'amour dans ce récit où l'on arrache des têtes et où l'on étripe des caribous.
Et si l'on osait, surtout, on pourrait dire qu'encore une fois, l'auteur nous livre un roman passionnant et dense où l'horreur ne masque jamais l'humanité de ses personnages faillibles et torturés. Roman horrifique singulier et récit social sur la réalité de l'identité Indienne, ce livre surprend par sa façon de déjouer les attentes et par trouver les bons mots pour parler des maux les plus profonds. Une réussite, encore, qui confirme tout le bien que l'on pensait déjà de Graham : un auteur majeur de la littérature américaine contemporaine, définitivement.


Extraits :

  • Le cocon de sacs de couchage et de couvertures de Harley était censé servir à isoler la hutte à sudation que Lewis avait construite derrière la maison, mais tant pis. Peut-être qu’ils serviront quand même. Peut-être que l’année prochaine, enveloppé de chaleur, d’obscurité et de vapeur, il puisera un peu d’eau dans le seau et en versera quelques gouttes pour Harley. En souvenir, et tout ça.
    Vous pouvez le faire pour les chiens comme pour les gens, il en est certain. Et s’il se trompe, est-ce qu’un vieux chef va descendre du ciel pour lui donner une tape sur les doigts ? Lewis arrache une autre bande de masking tape, qu’il colle sur la moquette devant le canapé, puis le décolle et le recolle en essayant de bien suivre la courbe qui va du ventre à l’avant de la patte arrière. Le problème, c’est que ces morceaux de ruban adhésif à force d’être décollés et recollés rebiquent après quelques minutes, comme s’ils refusaient de faire partie de cette silhouette que veut leur imposer Lewis.

  • Pour protéger ton petit, tu donnes des grands coups de sabots. C'est ce que ta mère a fait pour toi, là-haut dans les montagnes, lors de ton premier hiver. Son sabot noir qui jaillissait et venait frapper ces bouches grimaçantes était si rapide, si pur, insaisissable ; il laissait dans son sillage un arc parfait de gouttelettes rouges. Mais les sabots ne suffisent pas toujours. S'il le faut, tu peux l'ordre et déchirer avec tes dents. Et tu peux courir plus lentement que tu en es capable. Si rien de tout cela ne fonctionne, si les balles sont trop épaisses, tes oreilles trop pleines de bruit, ton nez trop plein de sang, s'ils ont déjà pris ton petit, tu peux encore faire une dernière chose.

  • C'est le genre de pensées erronées qu'ont les gens qui passent trop de temps seuls. Ils déballent d'immenses conneries sidérales de leurs papiers de chewing-gum, ils les mâchonnent, ils en font une bulle, qui les emporte dans un endroit encore plus débile.

  • Les caribous sont juste des caribous, c'est aussi simple que ça. Si les animaux revenaient hanter ceux qui les ont tués, les camps des anciens Blackfeet auraient été envahis de fantômes de bisons, au point de ne plus pouvoir aller et venir, sans doute.
    "Oui, mais ils les tuaient à la loyale" entend Lewis...

  • La mort ressemble à ça, n’est-ce pas ? Vous souffrez, vous souffrez, et puis vous ne souffrez plus. À la fin, tout s’apaise. Pas seulement la douleur, le monde aussi.

  • Afin de se blinder contre le genre de conneries que les équipes indiennes doivent subir quand le match est serré, Denorah essaie de s’inoculer toutes les saloperies que scandera la moitié du gymnase.
    "C’est un jour idéal pour mourir.
    Je ne me battrai plus éternellement.
    Un bon Indien est un Indien mort.
    Tuez l’Indien, sauvez l’homme.
    Enterrez la hache de guerre.
    Tous dans les réserves.
    Rentrez chez vous.
    Interdit aux Indiens et aux chiens."
    Sa sœur a entendu tout ça à son époque, elle l’a lu sur des banderoles, illustrées généralement. Tracé au cirage sur les vitres des cars. Le slogan le plus courant était : "Massacrez les Indiens !"

  • Elle s’appelle Denorah. Son père racontait qu’elle aurait dû s’appeler Deborah, car c’était le prénom d’une de ses tantes décédées, mais il n’avait jamais très bien su écrire, et il concluait son explication par ce sourire en coin qui avait sans doute fait des malheurs au lycée, il y avait de ça cent mille bières.

  • C’est ainsi qu’il se retrouve assis par terre, adossé au mur, replongé dans l’univers de ce roman. C’est la série sur cette guerre dont les elfes ne veulent pas, mais ils ne veulent pas non plus qu’on la découvre car elle peut détruire le monde entier. Alors ils la cachent dans une fontaine magique.

  • Je ne sais même pas pourquoi je viens ici », lâche Gabe en frôlant son père pour sortir par la porte à laquelle il s’était pendu une fois, après avoir bu trop de bières.
    Mais ce n’est pas à cause de lui si elle est tordue. Celui qui a fait l’encadrement ne devait pas avoir d’équerre. Ou alors, c’est la faute du gars qui a coulé les fondations. Ou de celui qui a inventé l’idée de « portes ».

  • Lewis nods, even more caught, his hands cupped over his mouth, his breath hot on his palms. Is he really about to tell her ? Does the hot girl from work get to know what his wife doesn't ? But she knew how to finish that elk on the floor, didn't she ? That has to mean something. And Lewis hates himself for saying it, thinking it, but there it is - she's Indian. More important she's asking. "It was the winter before I got married", he says. "Six, no, five days before Thanksgiving, yeah ? It was the saturday before Thanksgiving. We were hunting."


BIOGRAPHIE

Né à Midland, Texas , le 22/01/1972 , Stephen Graham Jones est un écrivain et universitaire. Il est amérindien originaire de la tribu de Pikunis (Blackfeet). Romancier et nouvelliste, ses fictions, qu’elles s’inscrivent dans le genre SF, horreur, fictions criminelles, etc., sont toujours marquées par une recherche littéraire élaborée. Il s’apparente au courant littéraire de la Renaissance amérindienne.
Il est lauréat de nombreux prix dont le Jesse H. Jones de l’Institut des Lettres du Texas pour la meilleure œuvre de fiction, et d’une bourse littéraire du fonds de dotation américain pour les arts. Il a obtenu également le prix Bram Stoker de la meilleure nouvelle longue 2017 pour "Mapping the Interior".
"The Last Final Girl" (2012) a été sélectionné parmi les meilleurs romans d’horreur selon le site Bloody Disgusting, en 2012. En 2016, il a publié "Galeux" ("Mongrels"), nominé pour le prix Bram Stoker du meilleur roman.
Jones est titulaire d'un BA d'anglais et de philosophie de l'Université Texas Tech (1994), d'un MA d'anglais de l'Université de North Texas (1996), et d'un doctorat (PhD) de l'Université d'État de Floride (1998). Il est professeur d'anglais à l’Université de Colorado à Boulder.

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_Graham_Jones

son site ici : https://www.simonandschuster.com/authors/Stephen-Graham-Jones/151691780



vendredi 14 avril 2023

LOUISE ERDRICH – LaRose – Livre de poche 2018

 

L'histoire

Dans le Dakota du Nord, Landreaux, un amérindien, tue accidentellement le fils de son meilleur ami qui est aussi son neveu. Il s'agit d'un stupide accident de chasse, mais pour les deux familles le chagrin est immense. En se référant à une vieille tradition ojibwé, Landreaux offre alors son dernier fils, qui avait l'âge de l'enfant tué, le jeune LaRose, 5 ans, à la famille du petit garçon décédé. Landreaux élève déjà 4 enfants, et la famille de Peter et Nola n'a qu'une jeune ado, Maggie et Lola ne peut avoir d'autres enfants. Avec toutes les conséquences que cela implique, mais c'est sans oublier les pouvoirs ancestraux des ojibwés que porte en lui le petit LaRose.


Mon avis

Ah la famille ! Son univers attachant mais aussi impitoyable, d'autant plus que nous nous trouvons dans un « nulle part » du coté des Rocheuses dans le Dakota du Nord. Dans une petite ville, vit une communauté de blancs et d'amérindiens qui sont cultivateurs ou travaillent ici ou là. On n'est ni très riche ni très pauvre mais ce n'est pas le propos de l'autrice.

Il s'agit ici de la déconstruction/construction des liens de famille au sens élargi du thème. D'un coté nous avons la famille de Landreaux, un homme tranquille, malgré une jeunesse mouvementée que serait expliquée dans un chapitre du roman. Emmaline, sa femme, est la directrice de l'école primaire, et sa sœur de Lola, la femme de Peter. Autant Emmaline semble équilibrée, sure d'elle, impeccable, autant Lola est une femme angoissée qui a des pensées suicidaires. Elle commence par en vouloir à mort à son beau-frère puis adopte le petit LaRose qui devient comme son fils.Mais la situation s'inverse. Petit à petit, soutenue par Maggie, une petite peste qui va aussi s'assagir au coté de LaRose, puis par son mari, Lola va reprendre goût à la vie, sans pour autant arriver à se réconcilier avec sa sœur. Mais Emmaline vit de plus en plus mal la situation, elle a perdu son fils et s'éloigne de son mari. Surtout elle apprend que le charismatique prêtre de la paroisse, Travis, a toujours été amoureux d'elle, un homme avec lequel elle peut parler en totale liberté.Finalement, d'un commun accord les 2 familles décident de se partager l'enfant, qui va vivre tantôt chez Maggie, sa grande amie et complice, tantôt dans son foyer, entouré par l'amitié bienveillante des sœurs Neige l’aînée et Josette la cadette qui passent leur temps à se chamailler ou faire front commun. D'ailleurs elles adoptent aussi Maggie et c'est par la volonté de ses enfants joyeux que finalement la petite communauté arrive à se ressouder.

Mais le plus intéressant n'est pas à chercher dans cette histoire familiale mais plus dans les mythes et légendes ojibwés qui ont fondé les LaRose. La première LaRose, fille abandonnée par une mère alcoolique, est recueillie par un marchand ambulant et son jeune assistant. La jeune fille est déjà très belle et l'assistant pense qu'elle peut tomber dans les griffes du ca ravanier, un homme malhonnête, impliqué dans des histoires qui font craindre pour la vie de tous. Par une sorte de poison, la première LaRose tue le marchand dont la tête se met à enfler de plus en plus et les poursuit partout. Alors LaRose et son compagnon arrivent à voler jusqu'au Dakota du Nord où ils s'installent dans une cabane. Puis leur fille la deuxième LaRose hérite des pouvoirs de sa mère. Elle connaît le secret des plantes, mais elle sait aussi « sortir de son corps » pour survoler le monde. La tradition se perpétue mais ni Emmaline, élevée dans un monde devenu moderne, occidentalisé, ne croit guerre en ces légendes et Nola qui aurait pu avoir le don s'enfonce dans la rancœur, puis la mélancolie et la dépression. En fait de tout ce petit monde c'est le petit LaRose, le premier garçon qui a ce pouvoir. Celui de voir ce que l'on ne voit pas, celui de pouvoir survoler son petit monde, et de tenter d’apaiser les âmes en peine, comme c'est son destin. Il participe en secret à des réunions d'anciens qui l'initient et jamais il n'oublie Dusty, son ami, le petit garçon mort, avec lequel il discute. Il écoute poliment les légendes assez horribles des vieilles femmes de la tribu qui vivent toutes dans une maison pour personnes âgées, mais en sachant que ce ne sont que des inventions destinées à l'éducation des enfants.

Le roman structuré en 5 parties fait des aller-retours dans le passé, celui qui fonde la légende des LaRose et celui de la jeunesse tumultueuse de Landreaux, son amour fou pour Emmaline, la prise de drogues et la folie « beatnik ». Mais surtout, il y a l'humour des enfants, la joyeuse bande entraînée par Josette, qui prend son aile Maggie (qui n'avait pas d'amis auparavant et avait une réputation de fille méchante), tous réussissent à être scolarisé dans le même lycée public, on se passe des vêtements, on se maquille et on fait des produits de beauté fantaisistes. Les filles sont les reines du volley-ball du comté, soutenues comme il se doit par les parents, les frères et bien sur LaRose qui lui apprend le karaté.

Le plus de ce roman restera la légende et la vie de la première LaRose, morte de la tuberculose et dont le corps a servi à la médecine pour étudier la maladie. Les femmes de la famille se battent pour récupérer les ossements afin d'enterrer dans les coutumes leur ancêtre qui communique encore avec la grand-mère. Mais si nous passons d'émotions en émotions, l'humour des enfants, la tristesse de Nola, les trahisons d'un personnage rancunier, on pourrait dire que l'autrice a fait des petits romans dans son roman. Il y a comme un manque de liaison et aussi un passage entre le présent et l'imparfait (fait pour renforcer une action) qui me gêne un peu, parce que je trouve que son emploi est sans apport. Mais Louise Erdrich termine là une trilogie où elle explore le passé amérindien de sa famille, son poids actuel qui cède aux évangélisations, et à la modernité de la société de consommation, et aux addictions : alcool et surtout médicaments que l'on fauche sur les personnes âgées, ou à l'hôpital, et dont on se gave pour oublier le quotidien pas facile où l'on travaille dur sans jamais atteindre l'opulence.


Extraits :

  • La douleur, éparpillée partout, monte en flamboyant des puits profonds que sont les poitrines de son peuple. A l’Ouest les cœurs des morts battent encore, ils brûlent et jettent de douces lueurs vertes dans leurs cercueils. Ils font jaillir de la terre une lumière pâle. Et au sud il y a les bisons que la tribu a achetés dans un but touristique. Un rassemblement sombre. Leurs cœurs eux aussi embrasés par l’horrible message de leur extinction. Leur assemblée fantomatique, désormais. Comme nous, un symbole de résistance, songe Romeo. Comme nous, ils déambulent et tournent en rond dans un petit enclos d’herbe, et engraissent. Comme nous, cœurs visibles pareils à des lampes dans la poussière. A l’est aussi, l’aube sacrée de la terre entière, chaque matin de chaque jour, la promesse et l’accablement.

  • Avant de mourir, la première LaRose enseigna à sa fille comment trouver les esprits protecteurs dans chaque endroit qu’elles parcouraient à pied, comment guérir les malades avec des chants, des plantes, quels lichens manger en cas de faim dévorante, comment poser des pièges, attraper des poissons au filet, allumer un feu à l’aide de brindilles et de copeaux de bouleau. comment coudre, comment faire bouillir les aliments en se servant de pierres chaudes, comment tresser des nattes de roseaux et fabriquer des récipients en écorce de bouleau. Elle lui enseigna comment empoisonner le poisson au moyen de certaines plantes, comment fabriquer un arc en flèches, comment tirer au fusil, s’aider du vent lorsqu’elle chassait, comment fabriquer un bâton pour creuser, déterrer des racines, sculpter une flûte, en jouer, broder de perles un sac à bandoulière. Elle lui enseigna comment savoir d’après les cris des oiseaux quel animal venait d’entrer dans les bois, comment savoir d’après les mêmes cris des oiseaux d’où arrivait arrivait le mauvais temps et de quel genre de mauvais temps il s’agissait, comment savoir toujours d’après les cris des oiseaux si vous alliez mourir ou si un ennemi était sur vos traces. Elle lui apprit comment empêcher un nouveau-né de pleurer, comment amuser un enfant plus âgé, comment nourrir les enfants de tous âges, comment attraper un aigle pour lui arracher une plume, faire choir une perdrix d’un arbre. Comment tailler un fourneau de pipe, brûler le cœur d’une branche de sumac pour confectionner le tuyau, comment confectionner du tabac, du pemmican, comment récolter le riz sauvage, danser, le vanner, le faire sécher et le stocker, et fabriquer du tabac pour sa pipe. Comment percer les troncs d’arbre, tailler des chalumeaux pour collecter l’eau d’érable, comment fabriquer du sirop, du sucre, comment faire tremper une peau, la racler, comment la graisser et la préparer en utilisant la cervelle de l’animal, comment la rendre souple et satinée, comment la fumer, quels ingrédients utiliser. Elle lui enseigna comment fabriquer des moufles, des jambières, des makazinan, une robe, un tambour, un manteau, un sac avec l’estomac d’un élan, d’un caribou, d’un bison des bois. Elle lui enseigna comment laisser son corps derrière elle lorsqu’elle était à moitié éveille, ou bien endormie, et voler de-ci de-là pour chercher à savoir ce qui se passait sur la terre. Elle lui enseigna comment rêver, comment sortir d’un rêve, transformer le rêve, ou demeurer à l’intérieur pour avoir la vie sauve.

  • Les Blancs, en vertu de la loi de la conquête, en vertu du bien fondé de la civilisation, sont les Maîtres du continent américain, et la meilleure façon d’assurer la sécurité des villages situés sur la frontière passe par l’anéantissement des quelques Indiens restants. Et pourquoi pas? Leur gloire s’est enfuie, leur esprit est brisé, leur virilité abolie, mieux vaut qu’ils meurent plutôt que de vivre en pauvres hères qu’ils sont.

  • Nous vieillirons ensemble. Tu m’aimeras encore lorsque je serai toute ratatinée ? Je t’aimerai encore mieux. Tu seras plus sucrée. Comme un raisin sec. Ou un pruneau. Nous mangerons des pruneaux ensemble.

  • Nola regarda LaRose occupé à inspecter le contenu de son assiette. Il était comme ce moine en robe brune François. Les animaux venaient se coucher à ses pieds. Ils étaient attirés vers lui, sachant qu'ils seraient sauvés.

  • Comment expliquer ce coup de fusil? Il aurait voulu cesser d'exister pour recommencer à tirer, ou à ne pas tirer. Mais la plus difficile, la meilleure, la seule chose à faire, c'était de rester en vie. De vivre avec les conséquences, au sein de sa famille. D'assumer la honte, même s'il étouffait sous son poids nauséabond.

  • Les dents serrées de Maggie refoulèrent ses paroles. Elle ne dit pas qu'elle était désolée, mais elle l'était. Désolée de ne pas être capable de faire ce qu'il fallait. Désolée de ne pas être capable de faire ce que sa mère avait besoin qu'on fasse. Désolée de ne pas être capable de la rafistoler. Désolée, parfois, de l'avoir sauvée. Désolée désolée désolée d'avoir cette pensée. Désolée d'être méchante. Désolée de ne pas être reconnaissante à tout instant que sa mère soit en vie. Désolée que LaRose soit le chouchou de sa mère, même s'il était aussi le sien. Désolée de penser à quel point elle était désolée et de perdre son temps à se sentir indéfiniment désolée. Avant ce qui s'était passé avec sa mère, Maggie n'avait jamais été désolée. Et elle avait tellement envie de redevenir comme ça.

  • En anglais, il existait un mot pour chaque objet. En ojibwé, il existait un mot pour chaque action. L'anglais possédait davantage de nuances pour évoquer l'émotion intime, mais l'ojibwé était plus subtil pour évoquer les liens familiaux.

  • Mais tu as horreur du sport.
    Plus maintenant. J'aime bien le volley-ball.
    Ce n'est pas franchement un sport. Parfois, les adultes ne pigeaient rien. Dans leur souvenir, le volley n'était qu'un passe-temps relax après le barbecue dans le jardin, ou une discipline obligatoire en cours de gym. Ils ne se doutaient pas que c'était devenu un sport cool et brutal, dont les filles s'étaient emparées.

  • Les institutrices de la mission considéraient qu'apprendre aux femmes l'art de bien tenir une maison et de discipliner les enfants était fondamental pour éradiquer la sauvagerie. Il convenait d'enfoncer un coin entre une mère indienne et sa fille. De nouvelles façons de faire élimineraient tout enseignement primitif. Mais elles n'avaient pas compris le pouvoir du soleil sur la gorge d'une femme.

  • Mrs Peace avait été une jolie femme à la mine triste et à la longue chevelure brune et soyeuse. Elle avait à présent une longue chevelure blanche et soyeuse, et elle était toujours jolie, mais elle avait désormais la mine heureuse. Elle ne se coupait pas les cheveux et ne les frisait pas non plus comme la plupart de ses amies, elle les portait tressés en une natte mince et parfois en chignon. Elle mettait chaque jour une paire différente de boucles d’oreilles en perles, dont elle composait elle-même les motifs – ce jour-là, bleu ciel à cœur orange. Elle avait pris goût à ce passe-temps, ainsi qu’aux cigarillos, lorsqu’elle avait quitté l’enseignement et qu’elle était revenue habiter sur la réserve. Elle ne fumait plus que rarement. Elle disait que le travail des perles l’avait aidée à arrêter. Sa loupe sur pied était bien calée sur la table, car elle avait une mauvaise vue. Lorsqu’elle levait les yeux vers Landreaux, ses épais verres de lunettes lui donnaient un air un peu perplexe et surnaturel qui ajoutait à son aura.

  • Le lendemain, elle vit un ours occupé à déterrer une sorte de racine à côté d'un marécage. Une autre fois, un renard bondit, monta en arc de cercle haut dans l'herbe et s'en fut en trottinant, une souris dans la gueule. Des cerfs allaient au pas, tous les sens aiguisés, s'arrêtant pour remuer les oreilles et flairer les senteurs avant de s'aventurer à découvert. Elle regarda la terre voler derrière un blaireau qui creusait un terrier. Des souris à pattes blanches aux yeux adorables, des hirondelles bleues fendant l'air, des faucons lancés dans un vol libre mystique, des corbeaux cabriolant sur des courant aériens aussi solides que d'invisibles poutres d'équilibre. Elle commença à se sentir davantage chez elle dehors que dedans.

  • Elle était archaïque et avait surgi de la terre en ébullition. Elle avait sommeillé, mené une vie latente dans la poussière, s'était élevée en fin brouillard. La tuberculose s'était élancée en une vague impétueuse pour s'unir à la chaleur de la vie. Elle était présente dans chacun des nouveaux mondes et dans tous les anciens. D'abord elle aima les animaux, puis aussi les personnes. Parfois elle se posait dans une prison de tissus humains séparée par un mur des frondes nourricières du corps. Parfois elle s'élançait, filait sans entraves, creusait des galeries dans les os ou métamorphosait les poumons en dentelle raffinée. Parfois elle allait n'importe où. Parfois elle n'arrivait à rien. Parfois elle élisait domicile dans une famille, ou bien démarrait ses voyages sans répit dans une école où les enfants dormaient côte à côte.


Biographie

Karen Louise Erdrich, née le 7 juin 1954 à Little Falls dans le Minnesota, écrivaine américaine, auteure de romans, de poésies et de littérature d'enfance et de jeunesse.
Elle est une des figures les plus emblématiques de la jeune littérature indienne et appartient au mouvement de la Renaissance amérindienne.
Le premier livre qu'elle publie est un recueil de poèmes intitulé Jacklight.
L'action de ses romans se déroule principalement dans une réserve du Dakota du Nord entre 1912 et l'époque présente. Ils relèvent en partie du courant réalisme magique, avec une figure de trickster (Fripon), et parfois du roman picaresque.
Écrivaine de talent, elle a reçu de nombreux prix et distinctions au cours de sa carrière. Elle obtient plusieurs prix pour son roman Love Medecine (L'Amour sorcier), dont le prix du Meilleur roman décerné par le Los Angeles Times, le National Book Critics Circle Award et l'American Book Awards. En 2012, son roman The Round House (Dans le silence du vent) obtient le prestigieux National Book Award aux États-Unis.
Elle est la propriétaire d'une petite librairie indépendante dans le Minnesota.

En savoir plus :

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Sur les ojibwés


Sur le Dakota du Nord


Ojibwés dans le Dakota du Nord


Les réserves indiennes dans le Dakota du Nord

mardi 21 mars 2023

KATHERENA VERMETTE – Les femmes du North End – Albin Michel 2022

 

L'histoire

Quand Stella aperçoit l'agression d'une jeune fille, dans un terrain abandonné derrière sa maison, elle ne reconnaît pas sa nièce Emily, 13 ans. Et la police qui met 4 h à venir ne la croit pas, la jeune fille s'étant enfuie.

C'est ainsi que commence le roman choral de Katherena Vermette qui va donner tour à tour la parole à 9 femmes et un homme, tous amérindiens, qui vivent dans le quartier défavorisé de Nord- Est de Winnipeg (Canada). Et tous les secrets, la lutte constante de ces femmes pour assumer leur place dans la société.


Mon avis

Une jolie trouvaille des excellentes publications de la filiale « Terres d'Amérique » d'Albin Michel.

Katherena Vermette connaît son sujet elle est née à Winnipeg dans ce fameux quartier du North End. Elle va nous raconter à travers la voie des 9 femmes et d'un homme la vie difficile dans un quartier gangrené par les gangs, la drogue et l'alcool. Tour à tour chaque femme s'exprime, souvent de la même famille, les Traverse. Il y a l'arrière grand-mère, la sage Kookom qui comprend bien des choses sans le dire et est toujours là pour apaiser. Puis ces 2 filles Cheryl, femme vieillissante qui a tendance à boire et aussi prendre les choses en mains et Rain, droguée, retrouvée morte probablement tabassée par son petit ami de l'époque. A la génération suivant nous retrouvons les petits-enfants : Stella, fille de Rain, élevée par sa grand-mère qui a épousé un blanc, un homme gentil et protecteur mais qui ne la comprend pas. Puis les cousines Lou, mère de deux garçons qui attend le retour de son compagnon Gabe tout en sachant qu'il ne reviendra pas, et qui elle aussi veut se présenter comme une femme forte. Elle est assistante sociale, voit défiler des gamines perdues tous les jours, sans solutions satisfaisantes. Sa sœur Paulina, la mère d'Emily, est une femme timide qui vit avec un homme gentil et rassurant dont pourtant elle se méfie. Véritable mère-poule, elle ignore tout de l'histoire d'Emily, la jeune fille agressée.

Puis nous avons les paroles de Zegwan, meilleure amie d'Emily, qui elle aussi a été agressée, et a perdu de vue Emily. Elle se montre très réticente à dire la vérité à la police pour ne pas révéler le secret d'Emily (une histoire d'amour adolescente). Et puis Phoenix, la loubarde, fille d'une femme droguée, qui est placée de foyer en foyers d'accueil. Elle s'enfuit du dernier et trouve refuge chez son oncle, un dealer membre d'un clan.

Enfin Timmy, le policier « méti » (peuple autochtone reconnu parmi les 3 peuples de la région de Manitoba, méprisé par son chef, un vieux flic blanc et flemmard, mais qui à force de ténacité va résoudre l'enquête.

En fait, ce n'est pas l'enquête en elle-même qui nous passionne, mais plutôt les récits et les vies difficile des ces femmes, qui n'arrivent pas à guérir de leurs blessures intérieures : la méfiance des hommes, souvent violents, le manque de reconnaissance sociale, emprise des drogues, pauvreté. Mais c'est aussi l'amour immense qui soude ces femmes, toutes reliées par des liens familiaux ou amicaux, à travers les époques. Certaines s'expriment à la première personne du singulier, d'autres à la 3ème personne. Et puis il y a la voix poétique de Rain, trop vite disparue qui lie le roman d'un amour inconditionnel, tout comme celui de Kookom (grand-mère en Cree).

La justesse des personnages, l'écriture structurée, les émotions diverses (violence, douleur, remords, colère) n'en font pas un livre à charge contre les conflits ethniques mais ouvre sur la voie de la Beauté, de l'amour et sur la force de ses femmes qui malgré tout trouvent la force de ne plus subir mais de s'émanciper, dans ce Canada sous la neige d'un univers glacial et fantomatique. Un premier livre très réussi pour cette jeune écrivaine en devenir, très « page turner » comme on dit.


Extraits

  • Pendant que Stella s'affaire à ranger, Kookoo, assise dans son fauteuil, lui raconte les derniers ragots. Ce qui s'est passé dans le quartier depuis qu'elle est partie. Qui s'est enfui avec qui, la série de cambriolages, les vitres brisées, et les gangs qui sont si dangereux. "Tu n'as jamais eu envie de déménager, Kookoo ? demande Stella au bout d'un moment. De partir t'installer ailleurs ? - Partir m'installer où? C'est chez moi ici. C'est là que j'ai grandi." Elle pointe le menton en direction de la rivière. "Tu as grandi là." Elle le pointe dans l'autre direction. "J'ai toujours vécu ici. - Je sais, mais ce n'est pas un quartier sûr, Kookoo . On devrait peut-être aller vivre ailleurs." Elle dit "on" au cas où ça pourrait convaincre sa grand-mère. Si Stella déménageait en premier, elle la rejoindrait peut-être volontiers. "Sûr ou pas, un quartier est un quartier." Stella secoue la tête. "C'est faux. Il y a plein de trucs qui n'arrivent pas dans les quartiers sûrs." Kookoo rit sans méchanceté. "C'est juste différent là-bas, ma Stella. C'est juste différent, ou alors c'est bien camouflé. Ça a l'air différent mais il se passe des choses épouvantables partout. - Ma Kookoom." l'air sérieux, Stella regarde sa grand-mère droit dans les yeux. "Les filles ne se font pas agresser dans les quartiers sûrs." Sa grand-mère la fixe malgré sa quasi- cécité." Ma Stella, les filles se font agresser partout."

  • Phoenix conserve en elle toutes les histoires dont elle se souvient. Elle avait l'habitude de les considérer comme de bons secrets qu'elle seule détenait. Quand elle était petite, elle croyait que si elle en avait plus de bons que de mauvais, alors tout irait bien. Maintenant qu'elle a grandi, elle sait que ce sont des conneries, mais elle continue à chérir les bons secrets.

  • Elle a vécu une vie entière depuis la mort de sa mère. Elle a obtenu son diplôme de fin d'études secondaires, elle est allée à l'université, elle a voyagé, occupé des postes intéressants, épousé un type bien, planifié ses grossesses - toutes ces choses dont elle n'aurait jamais pensé être capable. Elle est devenue le genre de femme qu'elle n'avait jamais rencontré avant. Et pourtant, la voilà, la même enfant sur le même canapé, avec les mêmes visages qui la regardent depuis le mur. Petite, frigorifiée, apeurée, seule, elle se retrouve dans le périmètre de quelques pâtés de maisons où elle a passé la plus grande partie de son existence.

  • Dans une demi-heure, elle sera rentrée dans son appartement et pourra travailler jusque tard dans la nuit. Mais d’abord, il lui faut profiter d’être là, bien au chaud, entourée de ses filles. Ce sont les moments qu’elle préfère, ceux qui lui font toujours du bien, quoi qu’il arrive.

  • Quand je t’ai entendue, encore pénétrée de tant de souffrance et de tristesse, je n’ai voulu qu’une chose, être à tes côtés. J’avais encore besoin que tu aies besoin de moi. Je suis le souffle léger et le vent autour de toi. Je suis la certitude que tu n’es jamais vraiment seule. Tu es tout ce qui fait ma force et rien de ce qui fait ma faiblesse. Tu es le rêve de ma vie. Voilà ce que j’ai à t’offrir.

  • Je suis différent, je suis un sang-mêlé, Je le serai toujours, la moitié du sang de l'un et la moitié de l'autre. Différent des deux. Les Européens ont commencé à partir discrètement, tel un homme qui, dans le noir, quitte sur la pointe des pieds la chambre d’une femme endormie.

  • Le fait est que lorsque ma sœur est apparue, vêtue d’une vieille chemise et d’un pantalon de jogging, avec un énorme saladier à la main, Pete l’a regardée comme s’il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Son visage s’est littéralement illuminé.

  • Mais pour elle, la cinquantaine ressemble exactement à la quarantaine- sauf que tout lui fait plus mal.

  • Elle est aussi impitoyable que je suis hésitante. Elle a des couilles alors que je n’éprouve que des sentiments de fille, gris et compliqués, pour tout.

  • Les deux amies attrapent leurs manteaux et prennent la direction du bar. Bras dessus, bras dessous, elles glissent sur la neige et rient trop fort, la bouche ouverte, car personne ne s’intéresse à ce que font les femmes de leur âge.


Biographie

Née  en 1977 à Winnipeg (Province du Manitoba – Canada) à Belfast, L’auteure d’origine autochtone Katherena Vermette a grandi à Winnipeg, au coeur du territoire de la nation Métis visé par le traité no 1. Elle signait en 2012 le recueil de poésie North End Love Songs, lauréat d’un Prix du Gouverneur général. Ligne brisée, dont la version originale anglaise The Break a été finaliste au Prix du Gouverneur général et au Rogers Writers’ Trust Fiction Prize, en plus d’être récipiendaire du Amazon First Novel Award, est son premier roman.

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