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vendredi 14 juin 2024

Madeleine BENJAMIN – Les enfants du Blizzard – Albin Michel 2023 -

 

 

L'histoire

Les deux sœurs Gerda et Raina, 16 et 17 ans sont employées comme institutrices avec comme mission d'apprendre l'anglais à la vague de migrants venus de Suède, Norvège, Allemagne, attirés par les annonces du gouvernement américain. Nous en en 1888, et ce que les USA nomment le Dakota où vit aussi une réserve Cheyenne. Mais sur ces terres, gelées en hiver et chaudes en été, difficile de cultiver ou de faire de l'élevage. Surtout que le temps est capricieux. Le 12 janvier 1888 la matinée est quasi estivale, mais un blizzard et un ouragan terribles s’abattent sur les écoles où enseignent les jeunes filles. Comment protéger ces enfants, peu vêtus du froid glacial qui s' engouffre partout ?



Mon avis

Madeleine Benjamin romance un sujet historique dont même les américains ne se souviennent plus. Le terrible blizzard de l'hiver 1888 qui a fait officiellement 260 morts chez les enfants, bien plus, car ne sont pas comptés les enfants amérindiens ou pas déclarés par leurs familles.

En 1887, le gouvernement des États-Unis avait lancé une grande campagne dans les pays d'Europe du Nord pour y faire venir des colons. Les grandes plaines de l'ouest, du Nebraska et du Dakota restaient peu peuplées, et les amérindiens parqués dans des réserves surveillées par l'Armée. Alors ils sont venus les colons auxquels on donnait des hectares de terre, parce que chez eux, l'emploi se faisait rare, les paysans ne gagnaient pas grand chose. C'est ainsi que les deux sœurs Olsen, filles d'intellectuels poussés par le changement et parlant anglais sont recrutées dans des écoles à une classe. Des bâtiments mal conçus avec des enfants de 5 à 15 ans issus des familles de colons.

Mais voilà que ce terrible blizzard arrive, alors que le matin même le temps était doux et que les enfants n'avaient pas leurs lourdes pelisses. Pour Raina, consciente que le petit bois de chauffage pour l'unique poêle ne suffira pas, décide de sauver tous les enfants, à commencer par Annette, une petite fille placée dans une famille où elle n'est pas la bienvenue et à qui la jalouse et stupide propriétaire n'a pas un mot aimable. Elle n'ignore pas non plus que son mari Gunner est intéressé par la jolie et fraîche Raina, une jeune fille prudente qui ne croit pas aux belles promesses.

La première partie du roman est formidablement étouffante , on souffre , on a froid , on espère , on prie mais on ne peut pas se sortir de ce marasme glacial .
Par la suite , viendra le temps de ..., vous savez , ce temps désespéré qui succède à toute catastrophe. Tellement bien relaté avec , il faut bien le dire, même si l'autrice grossit un peu les traits pour mieux faire passer le message, mais sans jamais tomber dans le misérabilisme et la mièvrerie. Deux sœurs, deux choix différents,
Derrière ce qu'on pourrait considérer comme un grave accident climatique se cachent bien des aspects de cette immigration. Les fausses promesses relayées par la presse pour " attirer " les volontaires, leur installation dans des plaines " désertiques " à la terre incultivable, la misère des colons, le retour au pays de la plupart , le racisme , le " système " éducatif qui n'en est pas un. Et puis il y a les profiteurs, les journalistes corrompus pour enjoliver la réalité, la compagnie de chemin de fer qui peut s'étendre, avec des tarifs élevés et des guerres internes entre les mairies, car là où le train passe, c'est une activité économique qui s'installe aussi.
Bien écrit, fluide, les chapitres alternent entre les récits et les choix des deux sœurs que désormais tout oppose. Avec une fin « ouverte » où l'on espère que Raina qui passe des diplômes universitaires mais reste hélas seule effectivement trouvera son bonheur.

Une lecture d'autant plus salutaires qu'en cette année 2024, les ouragans se sont déchaînés dans le middle-west américain, tout comme les chutes de neige, les inondations, des blessés et les morts. Pour l'écrire, l'autrice a fait des recherches pendant 1 an, en consultant les archives de presse, en regroupant des témoignages des enfants des survivants, dont certains sont devenus des personnages de ce livre.



Extraits

  •  Raina avait grandi, ce matin-là. Elle avait grandi, était sortie de l'enfance, des incertitudes, des idées fantasques, de ce romantisme idiot. Elle sentait qu'elle se tenait plus droite, que ses muscles s'étaient endurcis, qu'elle avait un goût amer dans la bouche. La vie dans toute sa beauté et sa tragédie c'était à cela qu'elle venait de goûter. Elle connaîtrait peut-être un jour l'amour à nouveau, la douceur, l'espoir, le bonheur. Mais elle ne connaîtrait plus jamais un monde où maman et papa avaient le pouvoir de tout arranger.  doit feindre ses orgasmes !

  • Anette est perdue dans la plaine en voulant partir vers la ferme où elle vit.
    « Elle resta un moment le bras en l'air, prête à frapper. Elle aurait aimé avoir quelque chose, quelqu'un à bourrer de coups. Elle hurla à pleins poumons, un long cri perçant qui se termina en geignement enroué. Elle haleta, c'était trop dur de respirer dans ce froid polaire, et pourtant de nouveau elle laissa libre cours à sa rage, une rage qui vint se heurter contre celle du ciel, sans le moindre effet. Elle était trop petite, trop insignifiante. Personne ne l'entendait. Personne ne s'en souciait. Tombant à genoux, elle pleura à gros sanglots. Et trembla, se consuma de colère, se ratatina de peur, et elle sut qu'elle allait mourir là et que personne ne s'en inquiétait.Prendrait-on la peine d'avertir sa mère ? Viendrait-elle chercher son corps ?  »

  • Là-bas, ils ne manquaient de rien ; il y avait toujours à manger sur la table, et les habits passaient de cousin en cousin. Ils n’étaient pas riches, c’est sûr – pas riches des choses qui ont de la valeur pour les hommes. Mais Raina savait que sa mère était plus heureuse, car elle était riche des choses qui ont de la valeur pour les femmes : la compassion, la conversation, la proximité. Malheureusement, une femme mariée ne choisissait pas. Son avenir était celui de son mari.

  • il est mort si petit, si vite, qu’il m’arrive d’oublier. Evidemment, je n’oublierai jamais complètement, mais les journées sont bien chargées, et je vous ai toutes les deux alors il m’arrive de ne pas penser à lui pendant quelques heures. Peter, c’est comme ça qu’on l’avait baptisé. Je ne reverrai jamais sa tombe et j’en ai pleuré, c’est vrai, quand on est partis.

  • Raina veut guider les enfants vers un refuge .« Elle marcha, et derrière cela suivit. Encore un pas, encore un. Quelqu'un tomba au milieu, il y eut des cris confus, puis il ou elle se releva tant bien que mal et la chaîne humaine reprit sa progression, en avant, en avant, toujours en avant. Pour combien de temps ? Combien de temps encore allait-il le supporter ? »

  • Il refusait que ses enfants soient instruits par pitié. Non, merci. Ils méritaient d’apprendre avec quelqu’un qui leur ressemblait et qui pensait comme eux. Ils méritaient d’être traités comme des êtres humains, pas comme de simples barreaux sur l’échelle du paradis. 

  • Mais ceux qui avaient vécu le blizzard ne l'oublieraient jamais. Ils transmettraient leurs histoires de génération en génération, sans les embellir, car ce n'était pas nécessaire. Et ce n'était pas leur genre. La vie continuait. Pour autant, bien des existences avaient irrémédiablement changé. Certaines, en mieux. La majorité, en pire.

  • Mais là c'était différent, et Anette n'arrivait pas à saisir en quoi ; elle savait juste que le nuage gigantesque qui cachait le soleil et secouait la petite école à en faire vibrer les vitres et les murs en planches semblait avoir recouvert son cœur aussi. Il lui donnait envie de hurler de terreur.

  • Aussi loin que l'œil pouvait voir, il n'y avait que ceci : un tapis mouvant de nuances de blanc aussi pures que la robe d'un ange; un soleil jaune cireux qui diffusait une méchante lumière crue et transformait la neige en dangereux tessons de verre visant pile les yeux.


Biographie

Néé Indianapolis, le 24/11/1962, Mélanie Benjamin est le nom de plume de l'écrivaine américaine Mélanie Hauser (née Miller).
Elle publie "Confessions of Super Mom" puis "Super Mom sauve le monde".
Son troisième roman, "Alice I Have Been", a été inspiré par la vie d'Alice Liddell Hargreaves.
"L'Autobiographie de Mme Tom Thumb" se concentre sur la vie de Lavinia Warren Bump. "Les Cygnes de la Cinquième Avenue", publié aux éditions Albin Michel, a été un best-seller international.

Son instagram : https://www.instagram.com/madeleine.benjamin.9803/


mardi 11 juin 2024

Agnès LEDIG – Se le dire enfin – J'ai lu – 2021 -

 

 

L'histoire

Édouard, 50 ans, décide d'abandonner sa femme, sur un coup de tête, en portant la valise d'une vieille dame anglaise. Cela faisait longtemps que son couple battait de l'aile. Il arrive au gîte du « Doux Chemin », perdu dans la forêt de Brocéliande. Accueilli chaleureusement par Gaëlle, la maîtresse des lions, il va rencontrer son fils muet Gauvain et une étrange et très belle jeune fille Adèle. Dans sa poche la lettre de son grand amour qui n'habite pas loin.


Mon avis

On retrouve dans ce roman, les thèmes chers à Agnès Ledig : la connexion avec la nature et la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette fois-ci c'est la forêt de Brocéliande, haut lieu druidique avec ses arbres magnifiques, ses légendes, ses méandres qui sert de décor.

Les personnages sont tous un peu fracassés par la vue. Gaëlle qui vit seule depuis la mort de son mari et doit s'occuper de Gauvain, enfant mutique et hypersensible. L'étrange Adèle qui est une cavalière hors-pair et qui cache aussi un lourd secret. Susan, l'écrivaine un peu trop fureteuse, qui espionne en douce les activités des membres. Puis il y a Raymond, le voisin bourru mais sympathique, qui parle une sorte de patois hilarant. Enfin Platon, le chat philosophe observe son petit monde en distribuant coups de griffes ou affections selon.

Édouard fait le point sur sa vie. Il n'aime plus sa femme, trop superficielle, trop dans l'apparence, et espère renouer avec celle qu'il a toujours aimé qui vit dans la région justement.

La paix de la nature, la mer déchaînée, les petites bruines de cet été finissant et l'heure des grands choix et des révélations.

Agnès Ledig sait dire en douceur les malheurs et sa poésie n'est plus à démontrer. Mais, c'est son deuxième livre, et j'aurais aimé qu'elle change de sujet. J'aurais aussi aimé plus de place à la magie de Brocéliande, aux légendes et un peu moins d'introspection de la part d’Édouard, qui hésite encore. 465 pages c'est un peu trop pour révéler ce que l'on a compris dès les premières pages. Et les personnages sont un peu trop clichés pour moi. On est loin de la puissance d'écriture d'une Tiffany Mc Daniel, bref ce livre ne laissera pas des souvenirs mémorables.

Mais c'est bien écrit, c'est page turner si on ne connaît pas.



Extraits

  • Platon s’approcha de l’arbre à pas de loup, grimpa le long du tronc couvert d’une mousse épaisse, ses griffes largement déployées pour atteindre l’écorce et s’y agripper. Deux énormes branches jumelles – qui, à deux mètres du sol, partaient à l’opposé l’une de l’autre – offraient à son corps gracile une zone plane et confortable. Il s’allongea et ferma les yeux. Le chat pouvait rester ainsi des heures sans bouger. À l’affût du moindre bruit, en sécurité, perché là-haut au bord d’une clairière calme.
    Le temps s’écoulait, rythmé par l’agitation alentour et les nombreux chants d’oiseaux.
    Le bruissement des feuilles répondait au murmure imperceptible des graminées qui dansaient dans le vent. L’animal, enveloppé de verdure, se laissait bercer par le concert que la nature lui jouait, riche de milliers de solistes. Platon ne céderait jamais sa place car il sentait qu’elle était sienne. Rien ne pouvait s’opposer à cette douce vérité. Après sa sieste, il pandicula avec soin puis s’éloigna comme il était venu, vers sa maison de Doux Chemin, intrigué par cette sensation éprouvée durant son sommeil. Il se retourna juste avant de bifurquer vers le sentier qui menait au hameau, pour regarder le tilleul une dernière fois. Rien ne serait plus comme avant.

  • Que veux-tu ? Avec qui ? Pourquoi ? Comment ? Pose-toi ces questions mille fois et agis. Tu as plus de printemps derrière toi que devant. Il est temps. Le passé est révolu. Le présent est ici. Tu y joues un rôle, ton rôle. L'avenir s'imposera. Attends.
    La liberté est l'oxygène de certains amours. Elle en a besoin, toi aussi, tu le sais. Tu respires mieux depuis que tu es ici; Et il n'y est pas question de feuilles ou de béton. Tu es un affranchi. Un affranchi du couple. L'idée te convient, elle convient à Elise. Certains canapés ont des messages subliminaux à délivrer.
    Rien n'empêche de s'aimer. Surtout pas cette liberté-là. Vivre seul à deux donne envie de partager plus fort les moments plus rares. Tu as l'âge où tout bouge, tout se remet en question, tu as lâché quelques certitudes, compris quelques règles simples, imaginé assez de scénarios pour savoir celui qui te convient. réfléchis et à la fois arrête de réfléchir. Vis.

  • Lui revint la description que Gaëlle avait fait de son fils, et qui le replongea au creux de sa propre enfance. L’hypersensibilité dont il avait souffert, sur laquelle il n’avait jamais posé de mots. Il avait dû appartenir à cette catégorie d’enfants différents qu‘on appelait aujourd’hui précoces, ou dys-quelque chose. Quarante ans plus tôt, ce genre de dépistage n‘était pas monnaie courante. Le comportement de cet adolescent le renvoyait à sa propre réalité – il en fut consolé. Sa différence, ressentie depuis toujours, ne lui apparaissait plus comme une faiblesse mais comme un fait dont il s’était accommodé.

  • Elise.
    Il y pensait le matin, le soir, dans tous les moments où de belles choses se présentaient à lui et qu'il avait envie de partager. Elle était l'incarnation du beau dans ce monde plutôt laid.
    Elle était une nuit de pleine lune quand on a peur du noir.
    Elle était le rayon de soleil sur le feuilles d'automne.
    Elle était la première fleur du printemps.
    Elle était la campagne enneigée à l'aube.

  • S'il y a bien deux choses sur lesquelles l'homme n'a aucune prise, c'est le temps qu'il fait et le temps qui passe.

  • Puis il demanda au vieil homme s’il connaissait bien la forêt, sa légende, s’il croyait à la magie qu’on lui prêtait. — C’est en nous qu’est la magie, les arbres sont juste un moyen de nous la montrer. Pour d’autres ce sera la mer ou la montagne.

  • Et si je fais le mauvais choix ?
    -Et si tu fais le bon? Personne n'a dit que la vie était facile. Traversons la en de grandes enjambées heureuses plutôt qu'en rampant.

  • Quand elle alluma le ventilateur au centre de la roue, le mécanisme s'enclencha et délivra ses premières bulles. Elle éclata de rire. De ce rire enfantin qu'elle n'avait pas perdu. Qui avait fait fondre Edouard à quinze ans. Qui le faisait fondre à cinquante. Ce rire, aussi petit et innocent soit-il, désintégrait toutes les peines, toutes les peurs. Il s'installait au premier plan, cachant derrière lui toute la misère du monde.

  • Le miroir aux fées, ou lac de Morgane. Encaissé et entouré de végétation, le lieu et protégé du vent, d'où la surface immobile, comme un miroir. Le Val sans retour est un des lieux les plus symbolique de la forêt. Élève de Merlin, la fée Morgane, après avoir trouvé son amoureux Guyomard dans les bras d'une autre, jeta une malédiction sur les amants infidèles en les enfermant dans ce Val. Lancelot du Lac réussi un jour à les libérer. La réputation sulfureuse de Morgane a fait scandale quand l'abbé Gillard l'a fait apparaître sur le chemin de croix de l'église du Graal. je te montrerai quand nous la visiterons. Gaëlle resta silencieuse un long moment lui pensait aux avances d'Adèle. La ressemblance est troublante avec la fée. Belle, élancée aux atouts certains, aux cheveux longs noirs, libre et provocante. Un peu magicienne.

  • Cette liberté immense et trop soudaine lui donna le vertige. Un angoissant vertige. Tous ses repères voltigeaient, ce q'il avait construit s'effritait. Il se sentait disparaître à l'intérieur de lui-même, n'être qu'un éboulement, un puits naturel qui se forme, sans pouvoir s'accrocher aux parois trop friables. Il allait mourir sous ses propres gravats.

  • Au moyen age une ancolie sur un tableau voulait dire que celui-ci recelait un message caché. C'était aussi la signature de Léonard de Vinci, dont le célèbre dessin de l'Homme de Vitruve illustre les proportions du corps humain, dans lesquelles on retrouve le nombre d'or.

  • Éprouvant le besoin de le toucher, il s'approcha du tilleul. Une sorte de fluide invisible l'envahit, l'aidant à apprivoiser le vertige du vide.
    Ne te sens pas coupable. On a parfois besoin de se retrouver seul pour faire le point. Tu as aimé ta femme. Peut-être pas aussi fort qu'il est possible, mais tu l'as aimée. Puis tu l'aimes moins. Différemment. Tu as de l'affection. Une simple affection. même le désir s'en est allé. Alors pourquoi tu restes ?
    Par confort ? Par habitude ? La peur de décevoir ? Ou celle, plus insidieuse, de faire mal ? Tu réfléchis beaucoup, alors que tu as déjà toutes les réponses.
    Cherche bien. Cherche en toi. Tu sais. Pieds nus dans l'herbe mouillée, il pensait à Elise. Tout sonnait juste au fond de lui. Oui. Tout sonnait juste. 

     

Biographie

Agnès Ledig est une romancière française née à Strasbourg en 1972.
Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.
Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

son site : https://www.agnesledig.fr/biographie


jeudi 6 juin 2024

Jens LILJESTRAND – Et la forêt brûlera sous nos pas – J'ai Lu 2023

 

 

L'histoire

Didrik, sa femme Carola et leurs 3 enfants dont un petit bébé de 3 mois passent leurs vacances d'été au nord du Lac Siljan dans le comté de Dalécarlie au centre ouest de la Suède. Lorsque des incendies éclatent un peu plus au Nord, dans le Jamtland et le feu se propage à toute vitesse. Se rendant compte du danger, Didrick est sidéré de voir que sa luxueuse berline tout électrique est à court de batterie, et on leur conseille de se rendre dans une ville à 11 kilomètres de là, puis dans un camps de réfugiés climatiques à Ratviik, où des familles s'entassent déjà, avec le peu de bien qu'ils ont peu récupérer. Touristes mais aussi habitants évacués, il faut prendre un train pour Stockholm. Mais le fils cadet est introuvable tout comme sa sœur adolescente. La mère Carola, dont l'entente avec son mari n'est pas au beau fixe, décide de partir et laisse son mari partir avec le bébé. Mais à Stockholm c'est un climat de guerre civile. Les militants écologistes sont en rage contre le gouvernement qui n'arrive pas plus à gérer ces feux qu'à apporter des secours. Les magasins sont pillés, le renfort de la police et des barrages pour empêcher de rentrer dans la capitale sont installés. Bienvenue en enfer. C'est la première des 4 histoires comptées dans ce livre.


Mon avis

Jens Liljestrand est un documentariste spécialisé dans l'écologie. Ce premier roman, traduit en 22 langues est toujours un best-seller en Suède, mais aussi dans les pays nordiques.

Ici, il nous livres 4 histoires, racontées par quatre protagonistes qui vivent chacun la situation des ces feux monstres selon leur ressenti.

Didrik, ce père de famille, consultant réputé en questions environnementales n'est en fait qu'un homme qui prêche de belles paroles, se-complait dans le statut de « réfugié climatique » alors qu'il n'a fait que des boulettes. Assez riche pour se payer de belles vacances, car la famille devait partir en Thaïlande, n'hésitant pas à dévorer une cote de bœuf bien saignante, dès son arrivée à Stockholm, il se réfugie chez sa maîtresse, Mélissa, à qui il a fait les promesses classiques du type qui n'a pas envie de quitter sa femme et son confort. Mélissa, influenceuse, souvent sans le sou, vit pour l'été dans un bel appartement qui est prêté par des riches propriétaires en vacances. Elle essaye de lire un livre, et pour elle, les questions de réchauffement climatiques existent, mais elle part du principe qu'il faut profiter un maximum de la vie et de ses plaisirs. Un peu raciste sur les bords, auto-centrée, elle finit par mettre dehors son ex-amant dont elle ne supporte plus les mensonges. Malgré les supplications de celui-ci. Elle garde toute fois Becka, qui grandit, ne voulant pas faire vivre l'enfer à ce bébé, qu'elle remettra plus tard à sa mère Carolina.

André, fils d'une ancienne star du tennis prend à son tour la parole. C'est le fils de l'homme qui a loué son appartement à Mélissa. Mal dans sa peau, mais admirant son père qui pourtant le traite de loser, il profite pourtant de la fortune immense que son père gaspille, sans se préoccuper une seconde de ce qui se passe, hors de sa maison de vacances dans l'île de Sandham, privilégiée par un climat agréable.

Enfin Vilga, l'adolescente de 16 ans, l'aînée de la famille de Didrik, fait elle un autre choix. Retrouver son petit frère, que le père a littéralement jeté dans une voiture d'inconnus et reste introuvable. Pour cela, elle fait preuve d'une grande intelligence, aide aux camps de réfugiés et est finalement la seule personne sympathique de ce gros pavé de 700 pages.

Bien évidemment, tout y passe : la surconsommation, L'auteur condamne fermement la société de consommation, et surtout les plus riches d'une absolue irresponsabilité. Quoiqu'il arrive, ils restent centrés sur leurs modes de vie, convaincus qu'ils auront toujours les ressources pour se tirer d'affaire contrairement aux plus démunis qui n'ont aucune chance de survivre aux pénuries.
Sceptiques, résignés, indifférents ou indignés : lorsqu'ils sont confrontés à une situation de crise, les personnages réagissent tous de la même manière, sauver leur peau avant tout.

Mais 700 pages, avec un interminable chapitre sur la famille d'André, c'est trop. On sature un peu. D'autant que l'on connaît déjà les problèmes liés au réchauffement climatique, mais héla, individuellement comment réagirions-nous face à une catastrophe (on pense aux inondations qui ont frappé cet hiver/printemps en France), aux feux de 2022 dans les landes, où la terre est toujours chaude en sous-sol. Mais nous n'avons pas encore vécu une forme d'apocalypse où la société se divise, et se meut en une double guérilla. Les écologistes furieux manifestent, tandis que les pillards en profitent ce qui rend Stockholm invivable. Et dans tout le pays où malgré l'aide de la Norvège, ces méga-feux n'arrivent pas être circoncis.

Le mérite de l'auteur est de nous démontrer que nous n'avons pas tous la même solidarité, le même désir quand le vrai danger est là.

Mais une écriture plus resserrée, moins de détails répétés sur les états d'âme des principaux protagonistes aurait à mon avis été bien plus percutant. On fini noyé sous une masse d'informations, alors que nous ne sommes plus de bébés et que la plupart d'entre nous sont quand même au courant du réchauffement climatique et de ces conséquences, si bien démontrées dans ce livre. Que ferions-nous personnellement dans une telle situation entre guérilla civile et incendies monstrueux ? Pour ma part, j'ai constaté l'entraide des populations lors des inondations en France, et je crois que tout ce qu'anticipe notre auteur pourra être évité si nous nous donnions les vrais moyens de vivre plus simplement . N'oublions pas que seuls les dirigeants, les politiques peuvent vraiment orienter au mieux les choix car non, on n'a pas de planète B. Mais cela c'est un autre combat, très peu évoqué dans le livre, alors qu'il me semble crucial.



Extraits

  • Je sors sur le ponton. Le petit bocal en verre se trouve là, juste à côté de l’échelle. Le thermomètre flotte comme d’habitude à la surface de l’eau, attaché à l’un des poteaux par un petit fil en nylon, j’ai une soudaine envie d’y jeter un coup d’œil. Vingt-neuf degrés. Je ne vois pas le dauphin, le vent a dû l’emporter. Je regarde l’orée du bois. La fumée est passée de gris foncé à noire comme la poix. Entre les cimes des arbres, j’entrevois des flammes. Le ciel est une bouillie de suie et de cendres traversé de traînées écarlates, il tremble dans la chaleur, malgré le vent j’entends les craquements des arbres et des buissons. Je fais volte-face et je me dirige vers le petit vieux.
    — Allez, venez ! Nous pouvons nous serrer dans la voiture, vous ne pouvez pas rester, vous le comprenez bien !
    La société ne doit pas gaspiller du temps et des ressources inutilement, juste parce que vous…
    Il demeure immobile. J’avance d’un pas vers le banc, je tends une main. Le vieux corps se fige, un mouvement imperceptible sous les vêtements, des tendons, du cartilage qui se tendent. L’idée de le hisser du banc, le guider, le porter, le transbahuter jusqu’à la maison puis à la voiture où se trouve déjà une famille de trois enfants avec tout son paquetage me fatigue d’avance.

  • La civilisation court à sa perte et à terme aussi toute l'espèce, la plupart des gens pensent sans doute que l'être humain existera sur cette plante dans cent ans, trois à cinq cents ans c'est aussi possible de se l'imaginer, sous une forme quelconque, au moins dans certaines régions, mais dans mille ans ? Dix mille ans ? C'est ridicule, pourquoi existerions-nous encore ? Elle sourit de ses dents d'une blancheur éclatante. Et dans cela réside une certaine liberté. Une consolation. Il n'y a pas de problèmes environnementaux, il n'y a pas de crise climatique, il n'y a pas de fin du monde. Ce qu'il y a, ou y avait, c'est une espèce de mammifères qui s'est multipliée ah point de briser tous les écosystèmes dont elle dépendait, ce qui l'a menée au suicide collectif et c'est dommage, bien sûr, si on a le malheur d'appartenir à cette espèce, mais dans une perspective cosmique ou évolutive, c'est tout à fait insignifiant. Ça n'a pas la moindre importance. Elle balaie le public du regard. Certains prennent des notes, mais le majorité d'entre nous l'écoutons sans broncher. Alors qu'est-ce qui importe ?

  • La nature ne négocie pas. On ne peut ni la convaincre, ni l'apaiser, ni la menacer. Nous sommes une catastrophe naturelle qui s'étend depuis dix milles ans, nous sommes la sixième extinction de masse, nous sommes un super-prédateur, une bactérie meurtrière, une espèce invasive, mais pour la nature nous sommes qu'une ride sur la surface. (...) Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou d'"endommager la nature" c'est un mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Désolé pour le bruit, mais je suis en train de ranger la voiture, nous devons nous dépêcher de partir.. Les informations, enfin ça dépend de ce que vous entendez par là. Bien sûr qu on a reçu des informations indiquant quil fallait partir etc., mais dans une perspective à long terme, cette canicule extrême est causée par une crise climatique que toutes les autorités du monde occidental connaissent depuis des décennies sans avoir agi, et là je pense qu on aurait pu mieux nous INFORMER, je veux dire, pas maintenant, mais il y a dix, vingt ou trente ans, on aurait au moins pu nous INFORMER que l'Etat n'avait pas l'intention de remplir sa mission la plus importante, à savoir protéger la population mondiale d'une série de catastrophes très prévisibles.

  • Nous devons leur apprendre que le pire n’est pas ce que la nature va nous faire. Mais ce que nous nous ferons les uns les autres.

  • L'insolence, l'égoïsme, l'absence totale de reconnaissance qui semblent couler dans ses veines, tout cela se pose comme une pellicule sale, grasse, sur le bonheur qui à l'époque m'emplissait chaque fois que je plongeais dans ses yeux bleu clair.

  • Lorsque nous disons que nous sommes en train de "détruire la planète" ou "d'endommager la nature", cer c'est mensonge égocentrique. Nous ne détruisons pas la planète. Nous ne détruisons que nos possibilités d'y vivre.

  • Pourtant, la chaleur c'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu. Et avec lui l'anéantissement.

  • Une époque où les journaux usaient encore de titres comme LE SUPER ÉTÉ CONTINUE! 0u LA CHALEUR MÉDITERRANÉENNE EST DE RETOUR! comme si la canicule était un phénomène dont il fallait se réjouir, les plages, la baignade, les terrasses, les soirées à transpirer dans les festivals de musique, les enfants euphoriques qui jouent dans le jet de l'arroseur de jardin, une époque où la Méditerranée était synonymne de cocktails et de traces de bronzage. Pourtant, la chaleur C'est la mort, me dis-je, assis sur le quad, à regarder les flammes danser dans les cimes des arbres autour de moi. C'est mourir, faner, Flétrir, se désintégrer, devenir cendre. La chaleur fait de nous des êtres indolents, paresseux, passifs, indifférents. Puis vient le feu et avec lui l'anéantissement.

  • Devenir mère c'est se briser, une plaie qui ne cesse jamais de saigner, s'ouvre à plusieurs reprises. Il y a des mots spéciaux que seule une mère peut prononcer, des larmes qui n'appartiennent qu'à elle.

  • C'est tout ce bordel aussi, dis-je avec un geste vers la situation chaotique sur le quai. La vie s'écoule et ce serait différent si l'on pouvait se projeter dans un avenir radieux, se dire que toi et moi on pourrait profiter d'une vie un peu luxueuse après cinquante, soixante ans, mais ça ne se passera pas comme ça, hein ? La vie c'est ça maintenant et ça va aller de mal en pis. Tout. On ne peut qu'espérer mourir avant que ça ne devienne totalement insupportable. Mais la chaleur, l'eau, la nourriture. Qu'on réussisse à faire fonctionner la société quelques années de plus, avant que la prochaine pandémie ne referme tout. Qu'on ne soit pas obligés de manger des insectes. Que les racistes et les fous ne conquièrent pas encore plus de régions du monde. Qu'il y ait du café à boire dans notre maison de retraite.


Biographie

Jens Liljestrand , né le 18 décembre 1974 à Västervik , est un auteur , critique littéraire et journaliste suédois .
Il fait ses débuts en tant qu'écrivain en 2003 avec le livre de reportage Made in Pride . En 2004, il publie un autre livre reportage, Nous sommes des scouts suédois , portrait d'enfants de la classe moyenne et des différentes ambitions qui les nourrissent. Ses débuts dans la fiction ont eu lieu en 2008 avec le recueil de nouvelles Paris – Dakar . Il a été suivi en 2011 par Adonis , construit autour des membres d'un groupe de chant de Lund .
"Et la forêt brûlera sous nos pas", son deuxième roman, le premier traduit en France, est un livre ouvertement militant. Il cherche à mettre la littérature au service d’une cause, celle qui, aux yeux de l’auteur, devrait ­désormais prévaloir sur toutes les autres : Le réchauffement climatique.

Jens Liljestrand a reçu le prix de littérature Tidningen Vi 2008 ; selon la motivation "pour ses histoires déchirantes et surprenantes, où il dépeint le délire de l'homme suédois contemporain avec une précision linguistique sans faille et un humour cruel".

mardi 4 juin 2024

Agnès LEDIG – Un abri de fortune – Livre de poche 2024 -

 

L'histoire

Ils sont trois (une adolescente, un jeune homme et une femme de 45 ans) a été accueillis en stage de réinsertion/pause aux Censes Perdues, une ferme écologique dans un vallon perdu des Vosges. Ils vont devoir aider le sympathique couple de fermiers qui leur offre l'hébergement et la nourriture en échange de petits travaux (jardinage, monter une clôture, cuisiner). Une ambiance idyllique pour chasser les démons intérieurs qui les entravent et un hymne au ressourcement dans la pleine nature.




Mon avis

Voilà un livre charmant, très facile à lire où même les situations les plus difficiles sont traitées par la douceur.

Karine, la plus âgée, est une femme séduisante, mais en dépression, suite à une liaison avec un pervers narcissique, et une dévalorisation de soi. Rémy, un jeune homme qui est en liberté conditionnelle après 4 ans de prison et un grand gaillard protecteur. Il a tué le compagnon de sa petite sœur, elle même décédée sous les coups du dit compagnon et reste rongé par la culpabilité. Enfin Clémence, à peine majeure est anorexique et a passé de longs mois en hôpital spécialisée. Son père, un homme violent a tué sa mère sous ses yeux. Un drame qui la fait se réfugier dans la privation de nourriture pour ne surtout pas devenir une femme autrement dit pour elle, une proie.

Et puis il y a le couple d'hôtes, charismatiques, qui ont choisi de retaper une vieille ferme et qui rêvent de vivre en autonomie. Sans parler de Jean, le seul qui parle à la première personne, toujours assis sur un banc pas loin de la ferme, un vieil homme rongé par la maladie qui observe ce petit monde, et discute poliment avec les nouveaux arrivés, dont il a tout de suite cerné les problèmes. Très vite, les règles sont établies, et les nouveaux arrivant sont mis au travail, progressivement. Bientôt des chèvres vont arriver, pour faire des fromages, et il faut bâtir leur grand enclos. Lors de ce travail difficile, Karine ancienne professeures d'histoire découvre un escalier étroit, caché dans la végétation luxuriante, et puis les tombes de 3 bébés. La gendarmerie est prévenue, un technicien de la police scientifique est présents. Les petits squelettes sont datés de 50 ans. Pas un cas très passionnant pour les institutions mais têtue Karine mène son enquête, aidée par Rémy qui gagne en force et Clémence qui gagne en assurance.

Ici les féminicides et les violences faites aux femmes sont le fil du livre, mais sans aucun pathos. D'ailleurs les explications du pourquoi ces 3 inconnus sont envoyés là ne sont divulguée qu'à petites touches, le lecteur lui aura compris depuis longtemps. Mais c'est la nature luxuriante, malgré la sécheresse, qui apaise les âmes. Belle démonstration de ce que l'immersion dans une ferme loin de tout peut être une excellente thérapie.

Si ce livre n'est pas le chef d’œuvre du siècle, il a le mérite de nous rendre heureux, l'écriture simple et apaisante de l'autrice, ainsi que des petits suspens, nous offre une bien jolie pause, dans nos vies sur-actives. Sans oublier l'histoire des Vosges, pendant la deuxième guerre mondiale, entre collabos et résistants où l'on peut encore trouver des bombes ou des mines. Ici on réinvente sa vie, on se découvre des passions, on se laisse bercer par le chant des oiseaux ou du coq malicieux qui braille à toute heure. Car la romancière n'oublie pas des petits traits d'humour. Bref si vous voulez faire une jolie pause, ce livre est pour vous ! Et nous incite à faire des pauses dans des forêts, des jolis paysages, loin des smarphones, ordinateurs et télévision !!


Extraits

  • Elle interrogeait son coeur, il répondait avec sa tête. Elle l'a fait remonter plus loin, quand il était petit, adolescent, toutes les situations où le couteau était là et tournait inlassablement. Ils ont décortiqué ses écorchures d'enfance qui s'étaient métamorphosées en rage enkystée. Les cicatrices invisibles qui tiraillent en profondeur. Les béquilles qu'il a trouvées pour mettre un couvercle sur sa rancoeur. Elle lui a fait revivre le jour où tout s'est déchiré d'avoir tellement gardé, encaissé, ruminé. La cuve pleine de fiel et de déception qui déborde de cette crasse des autres qu'on a trop acceptée.
    Il se souvient avoir beaucoup pleuré. Elle a été la première à lui avoir parlé de sensibilité. Au fil des séances, elle lui a appris à se comprendre et à se protéger.
    Il a fait de grands progrès. Maintenant, il se maîtrise, apprend à lâcher prise. A accepter. OK, je n'y peux rien, je passe mon chemin.

  • Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant.
    - C'est pour ça qu'ils sont malheureux s'ils sont seuls ?
    - Absolument.
    Un peu comme les humains, pense Rémy. Cette peur de la solitude pousse parfois à de mauvais choix. Comme sa soeur.
    Adrien a réfléchi un moment avant de poursuivre.
    - Nous, nous avons tendance à conscientiser tout ce qui nous anime, le cheval va te proposer de vivre et de le ressentir. Il réactive le coeur et le corps là où le cerveau prend trop de place. Il te ressent comme si tu étais un autre cheval. Si tu mets un couvercle sur tes émotions, il montrera des signes de stress, et dès que tu acceptes ce qui te traverse, il se détend. Une sorte de contagion émotionnelle. Un miroir grossissant. Tu ne peux pas mentir à un cheval en cachant tes émotions. C'est un animal subtil, d'un sensibilité sensorielle remarquable. Il nous perçoit très finement. Son statut de proie lui fait privilégier la relation aux autres, instinct grégaire.

  • Autour de lui, les cimes des grands arbres oscillent avec le vent, les feuilles bruissent, les insectes volent en tous sens dans une étrange danse, le bois mort repose et nourrit les vivants. Et lui, assis là, immobile, à se demander pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi là, pourquoi cet éternel recommencement, quand le soleil se lève ?

  • Il rêve de l’odeur d’une pluie d’orage sur un sol brûlant, d’un lever de soleil sur une colline endormie, de toucher un arbre, qu’il ait cent ans ou deux seulement, de s’égratigner contre l’écorce, de regarder les feuilles tomber puis d’autres repousser au printemps suivant. Il rêve de tout ce qui raconte les recommencements. Les cerisiers en fleur qui annoncent le printemps, les agneaux dans les champs qui tapent dans les pis de leur mère pour grandir goulûment, les colchiques à l’automne qui font oublier l’été brûlant, les rentrées littéraires, le réveillon de Noël.

  • Il confie aux fleurs et aux feuilles immenses ses funestes pensées et sa colère. Les plantes n'ont qu'à onduler dans le vent pour les dissiper. Ce jardin est un filtre qui transforme le noir en couleur. Il vous happe, vous donne envie de danser dans les allées, vous bouscule, vous perd et vous retrouve, vous envoie dans la mousse et le long des ruisseaux, vous caresse la peau, vous prend par la main, vous ouvre les yeux sur le merveilleux et vous relâche à la sortie, lavé de vos émotions les plus tristes.

  • Enfouir des graines dans le sol, c'est un acte d espoir. On plante le récit d un désir possible.

  • Elle se sent vide de savoir. Certes, elle a étudié l’histoire, mais tant d’autres compétences s’offrent à elle comme à chaque être humain qui peuple cette terre et ne discerne du monde qu’une partie infime et ridicule. Elle en a le vertige.

  • Dans ce jardin, elle retrouve un sentiment de sécurité. Les plantes lui veulent du bien. Elle peut même ressentir leur gratitude d'avoir été arrosées, ou délivrées d'une herbe étouffante. En en prenant soin, elle se libère elle-même du processus envahissant du passé.

  • Ils aiment l'idée de cette clairière au milieu du vivant, qui traverse le temps. Les feuilles d'automne y tomberont, l'herbe de printemps y poussera. Des animaux sauvages viendront frôler les stèles, des insectes les escalader ont, le vent les caressé ra. Et elles seront toujours là, comme les absents dans le cœur de ceux qui restent.

  • Le vert, une couleur qui ne demande pas d’ajustement de l’œil, qui diminue physiologiquement l’excitation neuronale et les angoisses du passé.

  • Elle n'a pas seulement savouré un œuf frais, elle a aussi mangé un peu de gentillesse qui flotte au dessus de ce lieu, de la fantaisie qui pousse un peu partout, des nuages calmes qui passent sans se poser de questions et de l'insouciance des poules de M. Seguin qui se fichent des buses tournoyant plus haut dans le ciel.

  • A l'aube du premier jour en compagnie de cette nouvelle communauté, Adrien déambule dans la hêtraie avec son chien. Il aime ce moment où le soleil n'a pas encore dépassé la montagne. Où les nuages se colorent de rouge pour l'annoncer. Où les bancs de brume dans les coins froids des champs s'attardent à l'abri du vent avant de se dissiper. Où chante l'écho du premier train qui progresse dans la vallée en contrebas. Où il se sent plus proche des arbres que des humains. Il aime l'odeur d'humus des matins de printemps, le chant du pic épeiche dans la canopée, ses pas dans les feuilles de l'automne précédent.

  • Qui pensait qu'on en serait à ce point aujourd'hui en terme de sécheresse, de feu de forêt, d'inondation ? Tout s'accélère. Ici, nous voyons souffrir les arbres, les plantes, le sol, les rivières, au quotidien. Nous constatons la dégradation précipitée des conditions météo. Il faudra revenir à des métiers basiques, et à l'objectif simple de se lever le matin pour travailler à se nourrir, et se coucher le soir avec la gratitude d'avoir l'estomac satisfait.

  • Regarde là-haut, toutes les étoiles. Quand j'étais petite, mon père me disait qu'elles étaient là pour absorber nos soucis. Il y en a des milliards dans l'univers, alors on a le droit d'avoir chacun la nôtre pour veiller sur nous et aspirer nos peines. Il suffit de choisir la tienne et de lui faire confiance.



Biographie

Agnès Ledig est une romancière française, Après une expérience en agronomie, elle décide d’intégrer l’école de sages-femmes de Strasbourg. Spécialisée en prévention, contraception et accompagnement émotionnel des femmes, elle obtient son diplôme et devient sage-femme libérale. Elle est sage-femme libérale en Alsace jusqu'en 2015. Elle est l'épouse d'un agriculteur normand et mère de trois enfants.

Agnès Ledig commence à écrire en 2005, pendant la maladie de son fils Nathanaël, souffrant d'une leucémie. Pour répondre aux questions que posaient tous ceux qui se préoccupaient de Nathanaël, elle tenait un bulletin hebdomadaire. Un professeur de médecine qui suivait l'enfant lui a révélé son don de transmission et l'a encouragée à écrire. Quand Nathanaël est parti, elle ne s'est plus jamais arrêtée.

"Marie d’en haut" (2011), son premier ouvrage, a remporte le prix "coup de cœur des lectrices" du roman Femme Actuelle 2011.
En moins de cinq ans, Agnès Ledig s'est imposée comme l'une des romancières françaises les plus aimées du grand public. Ses trois best-sellers, "Juste avant le bonheur" (2013), prix Maison de la Presse 2013, "Pars avec lui" (2014) et "On regrettera plus tard" (2016) sont aujourd'hui traduits en 12 langues.
En 2016, elle publie son premier album jeunesse, "Le Petit Arbre qui voulait devenir un nuage", illustré par Frédéric Pillot, qui illustrera également son deuxième album, "Le cimetière des mots doux" (2019). En 2020, elle publie son septième roman "Se le dire enfin", suivi de "La toute petite reine" (2021).

voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Agn%C3%A8s_Ledig

Son site : https://www.agnesledig.fr/biographie



lundi 27 mai 2024

Patricia MELO – Celles qu'on tue – Editions Buchet-Castel - 2023

 

 

L'histoire

La narratrice est une jeune avocate envoyée de Sao-Paulo dans la province de l'Acre, une région au nord-ouest du Brésil, à la frontière entre le Pérou et la Bolivie. Elle doit y recenser les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides qui restent impunis ou peu punis, les Blancs, jugés comme la caste dominante ne se gênant pas pour violer, tuer, ou torturer des jeunes indigènes. Il peut aussi d'agir de maris violents, élevés dans le culte du mâle, souvent alcoolisés.

La région défrichée pour la culture du caoutchouc est aussi aux mains de cartels qui continuent (encouragés sous l'ère de Boslonaro) à défricher la forêt pour y faire de l'agriculture et de l'élevage.

Choquée par ces procès express, menacée par un petit ami qui a tout du pervers narcissique, la jeune femme va pourtant apprendre à aimer cette région dont la végétation luxuriante et qui est adoptées les tribus indigènes, notamment des femmes.



Mon avis

Voilà un grand livre et le dernier roman de Patricia Mélo qui est réputée pour être une auteure majeure de son temps.

Elle crée une héroïne, avocate à Sao Paulo, une femme courageuse qui est envoyée dans la région reculée de l'Acre. Elle doit y recenser les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides. Elle même a été élevée par sa grand-mère, sa mère ayant été tuée par son père lorsqu’elle avait 4 ans et ce souvenir est totalement occulté de sa mémoire.

De plus son petit ami, qu'elle n'envisage pas comme compagnon de vie, lui retourne une gifle, puis la harcèle de mails où il s'excuse, puis menace, puis s'excuse, comportement typique du pervers narcissique. Mais pas seulement. Le machisme est de mise (le roman a été écrit sous la présidence de Bolsonaro), et le statut de la femme est remis en question. Celle-ci est une propriété, un objet bon à satisfaire les désirs de son mari (fiancé, concubin), d'élever les enfants et de tenir sa maison.

La société est également classée en castes : en haut les blancs, ceux qui détiennent l'argent et le pouvoir, puis les noirs, et tout à la fin les peuples premiers, les indigènes dont on aimerait bien se débarrasser puisqu'ils ont des terres intéressantes pour la culture.

Mais c'est sans compter sur la volonté tenace d'un groupe de femmes indigènes, de l'avocate des femmes et d'une journaliste. Ici les procès pour féminicides sont vite expédiés. Les jurés sont achetés par ceux qui ont commis des crimes horribles ou sont condamné à un peu de prison qui se transforme en sursis. Il y a toujours des circonstances atténuantes..

Ce roman est structuré en chapitre, avec en exergue, une liste non exhaustive des crimes et des femmes tuées. Certaines familles ne portent même pas plainte, sachant que la justice ne va pas les écouter, puis les séances avec des indigènes où elle s'initie à l'ayahuasca, décoction de plantes hallucinogènes, utilisée par les chamanes. De ses rêves éveillés, elle atteint un autre degré de conscience et renoue avec sa mère si absente. Mais elle porte en elle une rage contre ces hommes qui se croient tout permis, et rêve même de les tuer.

Avec ce livre, Patrica Mélo nous offre un grand roman, issus de témoignages. On sait qu'au Brésil et dans beaucoup de pays de l'Amérique latine, une femme est tuée tous les 6 heures.

Elle dénonce une justice corrompue, une culture machiste et patriarcale, dans un style fluide, mais sans concessions. Traversé heureusement par des moments d'humour et surtout l'amitié sororale de ces femmes en lutte. Et des moments de poésie dans la nature, en compagnie des femmes indigènes qui l'on adoptée.

Pourtant en 2006, le Brésil avait adopté la loi Maria da Penha contre les violences domestiques et familiales, considérée comme l'une des meilleurs au monde, mais elle reste impuissante, et n'est utile qu'à la femme blanche de la ville. Publié en 2019, le livre fait aussi référence à la politique génocidaire de Bolsonaro au pouvoir qui a causé de grands dégâts écologiques et humains en Amazonie, ajoutés à ceux déjà causés.

Une lecture universelle, car on peut penser à d'autres féminicides (en Iran par exemple), d'une clarté limpide et qui flotte un peu avec la magie des traditions indigènes, que personne ne pourra jamais éradiquer. Le roman pose aussi la question de la justice dans les états reculés, et le combat d'une poignée de résistantes (dont certaines sont assassinées comme la journaliste qui publie une photo où l'on voit l'avocat de 3 jeunes ayant violé, torturé puis tué une jeune fille de 14 ans) en train de discuter avec des jurés ce qui est totalement interdit dans le droit brésiliens.


Extraits

  • Voilà la conclusion à laquelle je suis arrivée au cours de ma deuxième semaine au tribunal : nous, les femmes, nous tombons comme des mouches. Vous, les hommes, vous prenez une cuite et vous nous tuez. Vous voulez baiser et vous nous tuez. Vous êtes furax et vous nous tuez. Vous voulez vous amuser et vous nous tuez. Vous découvrez nos amants et vous nous tuez. Vous vous faites larguer et vous nous tuez. Vous vous trouvez une maîtresse et vous nous tuez. Vous vous sentez humiliés et vous nous tuez. Vous rentrez fatigués du travail et vous nous tuez.

  • Je l’ai vu. Dans la salle d’audience, Milton & Rondiney & Edson & Nildo & Ricardo & Ítalo & Rodrigo & Fares & Brayan, tous avaient dit la même chose. Problèmes sexuels. Problème avec la boisson. Adultère. Certains venaient au tribunal en compagnie de leurs psychiatres, invoquant l’aliénation mentale. Je ne me souviens de rien, prétendaient-ils. Ayez pitié de nous, argumentaient-ils : nous sommes épileptiques. Nous sommes bipolaires au degré maximal. Nous sommes schizophrènes. Mais la vérité, c’est que la plupart sont totalement normaux et sains d’esprit, de la même façon qu’ils sont totalement assassins. Enfants, misère, chômage, alcoolisme, rien de tout ça n’est le véritable problème. La raison est tout autre : ils tuent des femmes parce qu’ils aiment tuer des femmes. Comme on aime aller à la pêche ou jouer au football.

  • Au XXème siècle. Les types venaient ici, depuis le Nordeste, pour fuir la sécheresse, pour travailler dans les exploitations d'hévéas, et ils venaient seules. Sans femme. Ils tuaient les indigènes malavisés. Les femmes étaient un produit de luxe ici. Alors on les volait. À leur père, leur mari, leur village. Et on les vendait. On achetait une femme pour le prix de cinq cents kilos de caoutchouc. Quand j'ai su ça je me suis dit : putain, moi, putain, moi, avec mon caractère pas gentillet pour un sou, avec mon sang chaud, moi, qui vit de mon argent, qui ne courbe l'échine devant rien, moi, avec ma langue bien pendue, célibataire, sans enfants, avec mon cœur plein de haine à déverser, je vais maintenant travailler dans cet endroit où hier encore on chassait les femmes dans la forêt au lasso ? Où les femmes étaient vendues, commandées, volées ? Ça sent mauvais pour l'Acre, je me suis dit, m'a-t-elle raconté en lâchant un éclat de rire sonore, presque scandaleux J'aime bien être le cailloux dans la chaussure de ces gens-là.

  • Je vais devoir faire attention avec toi, avait-il répondu. Une femme intelligente, c’est la merde. Ce qu’il me disait en réalité, à ce moment-là, c’était qu’en général les femmes sont bêtes. Mais bien entendu, étant sous le charme et intoxiquée par mes propres hormones, je ne m’en étais pas rendu compte. Pire : j’avais inversé les signaux, transformé le négatif en positif.

  • Peut-être bien qu'un jour, dans le futur, je ne me souviendrais plus de l'odeur lourde, dense, de la terre réchauffée par le soleil après une pluie torentielle dans la sylve. Mais je n'oublierais jamais à quel point le concept de solidarité de ce peuple m'a surprise, un concept qui peut ne pas entrer dans la logique du envahit-tue-pille-vole-et-vend qui marque tout pays colonisé, mais qui, dans la pulsation de la vie de la forêt, dans le déploiment ininterrompu des cycles de naissance, de floraison, de décomposition et de retour à la poussière de la nature, se révèle structurel pour l'idée de survie humaine.

  • Le dentiste assassin s'était blessé le bras droit avec le couteau qui lui avait servi à tuer sa femme. Avant de se présenter à la justice avec son avocat hors de prix, son état s'était compliqué, et il avait perdu son bras. Le jury a trouvé que cela était déjà, en soi, une punition suffisante. Un dentiste sans bras droit est comme un chanteur sans voix. Un narrateur sans langue. Un joueur de foot sans pied. Le pauvre. Alors, le dentiste homicide est sorti du procès par la grande porte du tribunal, tout sourire, sa nouvelle petite amie accrochée à son bras bionique.

  • Tuer des femmes est la soupape de sécurité de la mono-haine des protomachos. Bien sûr que je parle d'une façon générale. Une partie des protomachos déverse sa fange sur les homosexuels, les immigrés, les transgenres, les noirs, les pauvres mais la majorité, la grande majorité, concentre toute sa haine sur les femmes.

  • Carla travaillait depuis près de quatre ans dans l'Acre, elle avait une compréhension de cette réalité qui m'échappait totalement. Ce qu'elle me disait là, c'était que nos institutions ne sont pas préparées pour s'occuper des peuples indigènes.

  • Takuna était une déesse solitaire qui vivait dans une grotte du soleil, à côté d’un pied de cuiatá, un arbre sacré dont les graines lui assuraient santé et beauté. Mais Takuna avait beau être forte et en forme, elle n’était pas heureuse. Elle ne pouvait pas jouer, ni parler, ni danser, parce qu’il n’y avait personne d’autre dans le trou du soleil. Alors Takuna a décliné peu à peu jusqu’à ce que le soleil ait une idée.

  • Une des tâches les plus importantes du nouvel ordre planétaire sera de s'occuper du traumatisme des animaux qui on souffert de la cruauté humaine. Tu n'imagines pas à quel point la faune est furax contre nous. Je ne parle pas seulement des boeufs, des vaches et des poules, qui vivent et meurent de la façon la plus cruelle qui soit. Les abeilles sont furieuses, et les baleines, punaise, t'imagines pas à quel point les baleines sont révoltées de devoir avaler des tonnes de sacs plastiques ;...presque toutes les espèces animales nous détestent profondément, parce que nous avons généré un massacre d'animaux sans pareil dans l'histoire du monde. En matière d'éradication, nous sommes plus puissants que les incendies, les inondations, les cyclones et les tremblements de terre. Rien n'égale le pouvoir humain quand il s'agit d'éradiquer la vie animale.

  • Des gens racontent que les gosses étaient jetés en l'air et rattrapés par le ventre, embrochés sur la pointe de la lance. Je n'en doute pas. Ces colonels des berges, dont les villes portent aujourd'hui leurs noms, sont tous des assassins..Ces gens là n'ont jamais respecté la démarcation des terres indigènes.

  • Nous avions brûlé tout ce qui leur appartenait : les vêtements ensanglantés. Les souvenirs. Les chaussures. Les ceintures. Les envies. Les chapeaux. Les portefeuilles. Les cheveux. Les idées. Les papiers. Pour qu'ils ne nous tirent pas vers la terre des morts. Ou qu'ils ne soient pas tentés de rester parmi nous, comme des ombres.

  • Mais je n'oublierai jamais à quel point le concept de solidarité de ce peuple m'a surprise, un concept qui peut ne pas entrer dans la logique du envahit-tue-pille-vole-et-vend qui marque tout pays colonisé, mais qui, dans la pulsation de la vie de la forêt, dans le déploiement ininterrompu des cycles de naissance, de floraison, de décomposition et de retour à la poussière de la nature, se révèle structurel pour l'idée de survie humaine.

  • Tout à coup, j’ai entendu résonner en moi la voix de Zapira, anô gueda iu ra rauê gueda, et je voyais les pieds nus des indigènes, sur la terre battue, des pieds enfilés dans des tennis, tongs, vieilles baskets, sandales de plastique, chaussures usées jusqu’à la corde, et mes pieds, tous marquant le rythme, terô, terô, terô, auê, les mains de Zapira tressant des lanières de babaçu, et le vent dans les cocotiers, et la Femme aux Pierres Vertes, la promenade dans la sylve, le courbaril géant de plus de trente mètres de hauteur, moi à côté de cet arbre colossal (je suis minuscule sur la photo prise par Marcos), et le symbole de la clé sur ma pierre verte, le bain dans le lac au clair de lune, les guerrières chevelues, mes pensées semblaient être des singes sauvages, sautant de branche en branche, des petites paillotes du village à ma table de travail, pleine d’assassins, de violeurs, d’agresseurs, d’abuseurs, des odeurs de la sylve à la gifle d’Amir sur mon visage, puis à la végétation poussant librement partout, et aux aras, tinamous, toucans, harpies féroces, hoccos, agamis, et au goût du cipó, mes pieds dans l’eau fraîche.

  • Rien de plus facile que d'apprendre à détester les femmes. Les professeurs ne manquent pas. Il y a le père. L’État. Le système judiciaire Le marché. La culture. La propagande. Mais ce qui l'enseigne le mieux, d'après Bia, ma collègue du cabinet, c'est la pornographie. 

      

Biographie

Née à Rio de Janeiro , le 02/10/1962, Patrícia Melo est une écrivaine brésilienne, auteure de romans policiers.
Elle a d’abord travaillé comme scénariste pour la télévision. À partir de 1993, elle signe des épisodes du feuilleton "A Banquira do povo" et de quelques adaptations pour des téléfilms, notamment de "Élémentaire, ma chère Sarah" ("O Xango de Baker Street") de Jô Soares.
En 1994, elle se lance dans le roman policier avec "Acqua Toffana". Depuis, elle explore l’univers violent des quartiers pauvres dans "O Matador : le tueur" ("Ô Matador", 1995) puis dans "Enfer" ("Inferno", 2000), qui raconte, de façon très réaliste, l'ascension et la chute d'un caïd de la drogue dans une favela de Rio de Janeiro. Le roman est récompensé par le prix Jabuti 2021, l'un des prix littéraires brésiliens les plus prestigieux.
En 2010, elle signe "Le voleur de cadavres" ("Ladrão de Cadáveres"), roman noir qui se déroule dans la chaleur torride du Brésil. Un livre fort qui interroge la mince frontière qui sépare le bien et le mal.
Son roman, "Celles qu’on tue" ("Mulheres empilhadas", 2019) nous embarque entre réalité et cauchemar, dans une enquête où la violence prime sur la loi.
Patrícia Melo a quitté São Paulo pour la Suisse, où elle vit avec son mari, le chef d'orchestre John Neschling (1947), qu'elle a épousé en 2012.

mardi 21 mai 2024

Pierre CHAVAGNE – La femme paradis – Editions Le Mot et le Reste – 2023 -

 

 

L'histoire

Depuis 6 ans, une femme quasi amnésique vit dans une grotte cachée par la forêt sur un causse dans le sud du pays. Elle passe ses journées à pécher dans la rivière en contrebas, poser des pièges, cultiver un petit jardin. Elle ne possède pas grand chose, quelques objets de sa fuite (ce dont elle se rappelle difficilement), un couteau aiguisé et une carabine avec peu de munitions. Sa plus grande peur : qu'un intrus découvre son refuge qu'elle garde comme une lionne. Elle connaît par cœur son territoire et décide qu'il est inviolable. Quand une détonation se fait entendre dans la vallée, elle part en chasse. Peu à peu des souvenirs remontent.


Mon avis

Étonnant petit livre de 144 pages, qui fait une belle place au « nature writing ». Cette catégorie littéraire, popularisée notamment par les éditions Gallmeister met la nature ou un de ses éléments (une forêt, une rivière, un lac, une montagne mais aussi des conditions climatiques : sécheresse, gel et) au centre de l’histoire pour en faire aussi un personnage principal. Cette littérature a toujours existé mais sans qualificatifs. On peut citer Jim Harrison comme le plus connu des auteurs de nature writing par exemple). Ce genre littéraire prend de l'ampleur, avec la prise de conscience du réchauffement climatique.

Voilà donc une femme, totalement seule depuis 6 ans, qui a perdu la mémoire de son passé, où il ne reste que des brides. Elle sait que son mari est mort, et que le monde était en proie à des violences urbaines, des pannes d'électricité mais cela ne la touche pas. Elle a décidé de s'isoler de l'humain qu'elle finit par détester pour vivre sa vie presque monacale dans ce lieu qu'elle a trouvé par hasard. Une grotte a demi-cachée, dans la forêt, qui est sa résidence principale, bien gardée mais aussi tout un pan de ce paysage, avec sa rivière qui coule en bas, des rochers, la broussaille est son territoire qu'elle défendra coûte que coûte. Elle s'astreint à une discipline de fer, son temps étant occupé à assurer sa nourriture : chasse avec d'anciens pièges laissés par les braconniers, pêche, elle cultive même un petit jardin où poussent des pommes de terre, des poireaux sauvages, de la bardane et autres plantes. De plus elle a des cachettes un peu partout sur le plateau. Elle s'astreint tout les jours aux mêmes rituels, et écrit un journal dans un précieux carnet et un tout aussi précieux stylo.

Mais un jour, elle entend une détonation dans la vallée. Une autre présence humaine donc et cela lui est intolérable. Elle va pister l'intrus puis le tuer (il avait essayé de la tuer aussi avant), et le jette dans la rivière. Sans remords ni regrets, elle récupère les quelques objets qu'avait l'homme. En hiver sur le sol gelé, un autre randonneur importun se fait aussi tuer et elle récupère un sac contenant une liseuse, et un panneau solaire. La lecture, qui lui a tant manqué, devient alors sa principale activité, mais elle se reprend très vite. Elle sent qu'un autre individu est là. Encore une traque à venir. Mais petit à petit ses souvenirs de sa vie d'avant remontent, jusqu'à retrouver la totale mémoire des événements qui l'ont conduite là.

On ne saura jamais son nom.

Étrange roman où la vie en société est devenue infernale (violences urbaines etc) mais où des communautés d'entraide s'organisent. Il me fait un peu penser au livre de Marlen Hopshaufer « le mur invisible » autre dystopie mais qui s'arrête quand la narratrice n'a plus de papier et d'encre pour terminer son récit.

Ce livre mélange subtilement la beauté de la nature à la violence de cette femme qui a choisi volontairement cette vie d'ermite qui n'en n'est pas une. Car il lui faudra aussi un long cheminement intérieur pour comprendre qu'on ne peut pas vivre seule et que l'amour d'un être cher ou d'amis est nécessaire à l'épanouissement. Et que la loi de la jungle où il faut toujours être le plus fort, contre les animaux prédateurs, contre les éléments est épuisant.

C'est aussi le rejet d'un consumérisme aveugle, et du travail subi. La nature aussi belle que dangereuse est un endroit à préserver. D'ailleurs la femme ne prélève que ce dont elle a besoin pour manger. Son cœur s'est endurci. Elle se souvient que son mari est mort. La seule chose qui lui importe est donc « son territoire »,exactement comme les animaux marquent le leur.

Dans une écriture limpide, au mot juste, se côtoient les deux cotés de l'âme humaine : la sauvage et violente enfouie en nous par la bienséance, l’éducation, le désir de bien faire et notre part lumineuse, capable de se réjouir des premiers rayons du soleil ou du chant d'un oiseau, capable d'empathie.

Ce petit livre est dérangeant dans son atmosphère où les angoisses de cette femme (la peur de retrouver un contact humain) l'amène à oublier tout sens moral, jusqu'à la prise de conscience finale. Un livre qui dans la multitude des thèmes effleurés nous renvoie à la question fondamentale : que sauver quand tout s'écroule ?

Voilà un livre qui vous happe, et qui vous scotche, car jamais vous ne lirez une histoire aussi simple et originale, qui oscille entre la beauté de ce coin perdu et l’ambiguïté de cette femme pour laquelle survivre est le seul but.


Extraits

  • Son œil fixe la frontière. À l’ouest, une colline nue et ronde, tachée de genêts ; à l’est, une forêt de pins noirs au garde- à-vous ; entre les deux, s’étirant du nord au sud, un plateau karstique, une étendue rase, sans arbre ni buisson, aux herbes trop courtes pour onduler dans le vent. Tout y est figé. Seules les ombres changeantes des plus gros rochers posés là insufflent la vie. Un sol lunaire sur lequel prospéraient moutons et chèvres quand il y avait encore des bergers. Aucune trace de chemin ni de construction. Les poteaux des clôtures ont été repris et brûlés. Un ruisseau dégoutte de la colline et serpente en pente faible entre les blocs de granit. Le débit est ténu. Elle n’entend rien.

  • La peau de la truite grésille sur le feu. Les odeurs de thym et de romarin embaument. Pour l’occasion, elle épluche une pomme de terre et un poireau sauvage. Elle songe à Belle du seigneur. La patience est mère de toutes les vertus : cinq jours pour qu’une truite pénètre dans le piège ; cinq nuits de lecture pour parvenir à bout des 853 pages. Elle irradie d’une joie simple et directe qui ne s’encombre d’aucun but ni d’aucune route. La journée a été merveilleuse. Dehors, les rayons déclinants participent à son bonheur. Elle rend grâce. Elle est riche de nouvelles émotions et s’apprête à déguster un poisson grillé.

  • Mes souvenirs sont des crépuscules ; aucune de mes histoires n’a de commencement.
    Son œil fixe la frontière. À l’ouest, une colline nue et ronde, tachée de genêts ; à l’est, une forêt de pins noirs au garde- à-vous ; entre les deux, s’étirant du nord au sud, un plateau karstique, une étendue rase, sans arbre ni buisson, aux herbes trop courtes pour onduler dans le vent. Tout y est figé. Seules les ombres changeantes des plus gros rochers posés là insufflent la vie. Un sol lunaire sur lequel prospéraient moutons et chèvres quand il y avait encore des bergers. Aucune trace de chemin ni de construction. Les poteaux des clôtures ont été repris et brûlés. Un ruisseau dégoutte de la colline et serpente en pente faible entre les blocs de granit. Le débit est ténu. Elle n’entend rien. Allongée sur le ventre, immobile, l’humidité du sol infuse sa chemise à hauteur de poitrine, l’air glacé lui griffe les joues, un vautour fauve plane en cercle à son zénith, elle ne bouge pas. Elle attend.
    Hier, dans cette zone, aux confins de son territoire, il y a eu une détonation.
    Elle balaye le causse d’un regard alangui. Elle ignore ce qu’elle cherche alors elle ne s’attarde sur rien. Ses pupilles dilatées flottent dans le paysage, elles s’habituent aux dégradés de vert, de gris, de noir, aux variations de lumière, découvrent des formes, fouillent les ombres. Les rondeurs de la colline dessinent le buste d’une femme généreuse, soulignent son front, son nez, son épaule, son sein lourd jusqu’à l’auréole vert empire de son sexe clair que délimite un tapis de myrtilles sauvages. À la lisière de la forêt, l’œil se fatigue. La vision se brouille comme à travers un grillage. Que distinguer à trois cents mètres dans un enchevêtrement de troncs ? Alors, elle recherche l’indice d’une présence dans l’agitation des branches basses. La nature est harmonie, elle quête la dissonance : la présence humaine.
    Les va-et-vient la bercent. Elle s’engourdit. Une ombre apparaît à sa gauche. Sursaut. Un chien surgit sur la hauteur et dévale les hanches de la déesse endormie. Accélération du cœur. Il est rejoint par un, deux, trois, puis quatre autres bêtes : ce sont des loups. Ils se dirigent vers la forêt. Dans sa position, contre le vent et dos au soleil, elle ne risque rien. La meute s’arrête au ruisseau pour se désaltérer. Elle se hisse sur les coudes pour mieux les observer. Le loup le plus massif pointe son museau dans sa direction. Elle se raidit. Il reste dans cette position un temps infini. Masque de poils blanc, yeux jaunes. Il l’a devinée. Elle bloque sa respiration et étouffe l’épouvante des contes de l’enfance. Il aboie. Les autres loups se tendent vers elle. Il aboie une seconde fois et la meute repart d’où elle est venue. Le corps de la femme s’affale comme une voile morte.

  • En ville, mon esprit était comme une luciole enfermée dans un poing, ma présence au monde avait la vitalité du mannequin de plastique dans la vitrine d’un grand magasin – proportions idéales dans des tissus fleuris, coquette, invisible, je décorais.
    En forêt, tous les animaux savent qui je suis. Ils me craignent, me fuient, aucun n’est insensible et, peut-être, l’un d’eux me dévorera. Ce sera sans méchanceté. Ma lumière finira dans l’estomac d’un sanglier, d’un lynx ou d’un loup, alors j’appartiendrai entière à la vie sauvage. Tout vaut mieux que l’indifférence. Desserrer l’étreinte, s’évader et vivre tel un phare dans l’obscurité du monde.

  • Je demande pardon à Pierre et pardon à Nora. À force de solitude, je me suis entêtée à les oublier. Tout s’éclaire maintenant. J'étais femme et j'étais mère. J'étais moi et j'étais eux. La survie est inutile si on oublie cela. L'homme vaut plus que la somme de ses cellules. Les liens qu’il tisse avec ses semblables et avec son environnement sont plus importants que lui-même. Il vit au-delà des limites de son corps. Il refuse les frontières. Il est le baiser. Il est le souvenir qu’il sème dans l’éternité. Il est le seul être de la création à s’émouvoir d’un coucher de soleil. La biologie ne comprend rien à la poésie. L'amour existe les hommes finiront par l'entendre. Je l'ai compris trop tard. L'amour existe, sinon nous ne servons à rien.

  • Les rondeurs de la colline dessinent le buste d’une femme généreuse, soulignent son front, son nez, son épaule, son sein lourd jusqu’à l’auréole vert empire de son sexe clair que délimite un tapis de myrtilles sauvages.

  • L'intuition n'est pas un sixième sens, c'est la synthèse de tous les sens, l'évidence du corps qui se connecte au monde.

  • Au début, je pleurais pour un rien. J'ai trouvé ma consolation à l'orée d'une clairière. Quand je suis trop pleine de chagrin, je me décharge au creux d'un vieux châtaignier occupé à mourir. Il est ma chapelle. Je me glisse en son sein et l'arbre emploie ses racines à enfouir ma tristesse. Je l'ai baptisé théâtralement : « L'arbre de toutes les peines ».

  • L'homme invente pour se consoler de n'avoir rien créé. Il étiquette pour ne pas se perdre dans ce monde indéfini, il baptise pour laisser une trace, pour exister, pour ne pas mourir tout à fait.

  • La nature est un enseignement continu, une classe debout et remuante où l'essentiel se partage dans les infinies variations de lumière, de pression, ou d'humidité. La roche palpite, la sève circule sous l'écorce, la mousse aspire l'eau, les champignons jaillissent au ralenti après la pluie. Tout vibre: le silence, la vie, la mort et le bonheur dans une égale énergie.

  • Il y a plusieurs durées dans une vie. La régularité du temps qui s'écoule est une invention de l'homme. Au grand dam des horlogers, le temps est malléable et subjectif; les périodes d'ennui diffèrent de celles du jeu. L'enfant l'a compris, son temps s'étire interminable comme un élastique qui ne casserait jamais. Il veut s'échapper du temps, aspire à la nature, à l'épuisement de la course en forêt. À l'inverse, entraîné dans la vie moderne, l'adulte comprend que la minute présente ne lui appartient plus. Les secondes fileront jusqu'à sa mort sans qu'il n'y puisse rien. Et avec l'âge, le mécanisme accélère.

  • Nous ne sommes que cela. Des machines chimiques à produire des molécules. Des endorphines et de la sérotonine, plus ou moins dosées définissent notre personnalité, nos vices et nos vertus, nos joies et nos peines. Le libre arbitre est une plaisanterie comme les sentiments sont une Illusion. Une seule question importe: où se loge l'amour dans cette fragile biologie?

  • J'écris dans l'urgence. Peut-être que demain, il sera trop tard. J'ai repoussé plusieurs fois les assauts. Il faut le crier : les hommes sont nuisibles. La confiance est rompue. Je le raconterai plus tard. La mémoire est une toile d'araignée fragile qui se déchire si on la brusque.

  • Je prélève ma part, ni plus ni moins. Je tue pour vivre, pour ma sécurité et ma nourriture. Dans la société, c'est la même tuerie sauf qu'ici, je ne délègue pas mes besognes au boucher et au militaire. Dans la forêt je m'expose, je me salis.

  • La survie dans le monde sauvage répond à une succession de choix, c’est une balance qui pèse le bénéfice d’une action et son risque inhérent.

  • J'ai construit ma maison haut perchée, comme un château cathare, barricadée dans un cercle dont le rayon avoisine les trois heures de marche. Mon territoire s'étend sur un peu plus de deux cents quatre-vingts hectares, comme celui d'un aigle royal. J'en fais le tour en une journée ― dix-neuf kilomètres si les mathématiques disent vrai. J'ai de l'eau, du bois, des herbes, des baies, du poisson, des écrevisses, des petits animaux que je piège, du silence et de la solitude. Tout cela est suffisant quand on l'a choisi.


Biographie

Pierre Chavagné, né en 1975 en banlieue parisienne, vit et travaille dans le Sud de la France. Auteur Academy est son premier roman.

Voir ici : https://www.youtube.com/watch?v=yGB3vnISRYk




jeudi 8 février 2024

Ron RASH – Le chant de la Tamassee – Seuil 2016 ou Points poche.

 

 

L'histoire

Une jeune fille de 12 ans, fille d'un important promoteur de Chicago se noie dans la Tamassee, rivière classée sauvage par le Congrès Américain, qui s'écoule entre la Géorgie et la Caroline du Sud. Maggie, photographe de presse qui travaille pour un journal local de Columbia (la Capitale de l’État) est envoyée sur place en compagnie d'un journaliste qui a frôle le prix Pullitzer. La jeune femme connaît bien cette région pour y être née, mais elle n'y a pas remis les pieds depuis 15 ans. Sur place, le débat oppose les militants écologistes au père de la jeune noyée qui veut faire élever un barrage temporaire pour récupérer le corps de sa fille cachée sur rocher. Mais la loi interdit toute intervention humaine sur cette rivière impétueuse...


Mon avis

Lire Ron Rash c'est toujours un bonheur. Même si ses romans se situent toujours en Caroline du Nord et Sud, les émotions sont toujours fortes entre violence et amour.

Ici il nous propose un dilemme : faut-il instaurer un barrage provisoire pour récupérer le corps d'une petite fille qui s'est noyée, prise dans un ressaut hydraulique, autrement dit un tourbillon de courants contraires dans la Tamassee, cette rivière tumultueuse que la loi a classé comme « sauvage », ce qui interdit toute intervention humaine ? Le débat oppose les écologistes et le père de famille dévasté mais aussi méprisant pour ces « bouseux » d'une région rurale bordée par la fin des montagnes Appalaches.

Il y a l'argument humain, où une famille peut enterrer son enfant, et les arguments écologistes : si on commence à installer ne serait-ce qu'une barrage temporaire, alors on ouvre une brèche. Les prometteurs du coin profiteraient de ce précédent pour construire des locations de vacances et faire perdre au comté sa nature exceptionnelle.

En parallèle, Maggie, la narratrice, revoit sa famille, alors qu'elle était partie depuis 15 ans. Elle est brouillée avec son père, atteint d'un cancer. Elle lui reproche son alcoolisme et une absence injustifiée pendant laquelle son petit frère s'est ébouillanté en voulant saisir une marmite bouillante de haricots. Ben a du subir des nombreuses greffes au visage et au main, mais d'un tempérament calme, il a pardonné à son père. Maggie est impitoyable et têtue. Autre dilemme pour elle, pardonner enfin à son père ou rester figée sur ses positions. Même si le père, ravagé par le cancer, reconnaît ses torts, c'est encore trop facile pour cette jeune femme qui est pourtant capable d'empathie.

Bien évidemment, Ron Rash donnera la solution aux doubles questions que lui même pose. A la violence des propos des deux parties sur le sort de la Tamassee et celle entre Maggie et son père, s'oppose la magnifique rivière et les souvenirs magiques que Maggie garde de son enfance traumatique.

La presse a parlé d'un polar écologique. Il n'en est rien à mes yeux, il s'agit d'un roman qui nous parle d'une région ou la nature est aussi magnifique que terrifiante, des ruraux qui vivent du commerce du bois et de la petite agriculture familiale. Avec un sens de l'observation des comportements humains rare et des envolées poétiques qu'on a presque envie de s’asseoir dans une petite crique de la rivière, entourée des sommets juste pour le plaisir. Ce roman, le deuxième de l'auteur, définit déjà un style et on est subjugué par la poésie, le mot juste, sans fioritures, résonne encore plus aujourd'hui où la biodiversité est menacée. Ron Rash garde toujours une belle humanité en lui, avec un amour infini pour son pays natal. Liser au moins un de ses livres, vous ferez un merveilleux voyage et aussi une introspection qui ici relève non plus de la loi mais du « juste ».

Nota : ne cherchez pas la Tamassee, cette rivière n'existe pas, mais l'auteur s'est inspiré de la bien réelles Chattogaa dans le comté d'Occonee où se déroule l'action. La Caroline du Sud comme du nord est un métissage de colons (irlandais), de cheyennes et d'autres tribus indiennes.


Extraits

  • Et pourtant nos cœurs n’étaient toujours pas vides. C’était comme si nous avions mal calculé tout ce que nous pouvions nous dire et qu’il nous restait encore assez de rancœur pour protéger ce qui se trouvait au plus profond, ce qui ne pouvait s’exprimer que par des paroles de réconciliation et de pardon – des paroles pour reconnaître que nous étions liés par le sang et la famille, et même malgré notre volonté qu’il en soit autrement, par l’amour. Des paroles si effrayantes que nus fermions hermétiquement la bouche, n’osions pas une seule syllabe de ce langage-là. Parce que nous comprenions tous deux que, une fois que l’on ouvre la bouche pour prononcer ces mots-là, on ouvre aussi son cœur. On l’ouvre aussi grand qu’une porte de grange, on démonte les gonds, et du coup n’importe quoi peut en sortir ou y entrer. Y-a-t-il quoi que ce soit de plus effrayant ?

  • " Dégaine ton appareil, a-t-il dit d'un ton sérieux. Tu vas avoir sous peu l'occasion de prendre une vraiment bonne photo."
    J'ai sorti le Nikon de son étui alors qu'Herb Kowalsky s'avançait dans les hauts-fonds et grimpait sur la pierre plate sous laquelle gisait sa fille. Il a regardé dans l'eau, seul à présent - ni sauveteurs, ni écologistes, ni badauds.
    En photo il n'y a pas de mémoire. l'image impressionne la pellicule ou n'existe pas. J'ai approché le Nikon de mon oeil droit pour faire naître cet instant dans la vie de Herb Kowalsky. A ce moment là, la partie de moi qui pointait l'objectif se contrefichait de Herb Kowalsky, de sa fille, de la rivière ou de la loi fédérale. J'ai appuyé sur le déclencheur, sans arrêt jusqu'à ce que je n'ai plus de pellicule, et puis j'ai collé un autre rouleau dans l'appareil. Ce n'est qu'une histoire de lumière, d'angle et de grain, me suis-je dit. ce que font ces photos pour moi ou qui que ce soi d'autre n'est pas un but. Je ne suis qu'une observatrice de ce qui est déjà là.

  • Après la mort, tout dans une maison semble vaguement transformé – la couleur d’un vase, la longueur d’un lit, le poids d’un verre sorti d’un placard. Peu importe le nombre de stores qu’on relève et de lampes qu’on allume, la lumière est plus pâle. Les ombres qui, comme des toiles d’araignées, tapissent les encoignures prennent de l’ampleur et s’épaississent. Les pendules sont un peu plus bruyantes, le silence qui sépare les secondes est plus long. La maison elle-même paraît être de guingois, comme si les fondations avaient été étalonnées en fonction du poids et des déplacements du défunt.

  • Wolf Cliff est un lieu où la nature s'est donné un mal fou pour que les humains se sentent insignifiants. La falaise elle-même, c'est soixante mètre de granite qui dominent la gorge. Une fissure balafre sa face grise tel un fragment d'éclair noir incrusté là. La rivière se resserre et devient plus profonde. Même l'eau qui paraît calme y est rapide et dangereuse. Au milieu de la rivière, cinquante mètres au-dessus de la chute, un hêtre aussi gros qu'un poteau téléphonique repose comme un ponceau en équilibre sur deux rochers de la hauteur d'une meule de foin. Une crue de printemps l'avait déposé là douze ans auparavant.

  • J'ai écouté le temps égrener son tic-tac comme des sabots frappent la chaussée. Mais on ne peut pas serrer la bride au temps. Il avance sans jamais s'arrêter, nous emportant avec lui quel que soit notre désir qu'il en soit autrement.

  • C’est agréable de savoir qu’il existe dans le monde quelque chose qui n’est pas dénaturé. Quelque chose qu’on ne peut ni acheter ni couper en morceaux pour que quelqu’un en tire de l’argent.

  • Tu es une vagabonde, m'avait dit tante Margaret.C'est la façon que tu as de regarder les montagnes tu veux savoir ce qu'il y a derrière. Et tant que tu ne le sauras pas, tu ne seras jamais franchement satisfaite." J'avais huit ans et nous étions en train de cueillir des mûres sur le versant est de Sassafras Mountain.

  • Nous n'avions rien ajouté. Tout ce avec quoi nous pouvions nous blesser, nous l'avions dit. Nous étions donc restés plantés là en silence, papa et moi, comme des boxeurs qui ont asséné leurs meilleurs coups et constatent que leur adversaire est toujours debout.

  • Un ciel d'octobre s'élargit au-dessus de ma tête sans une volute de nuage gris ou blanc, rien que du bleu lissé comme un jeté de lit tendu sous un cadre.

  • Sous l’éclairage rouge d’une chambre noire, tout est gris. Vos mains sont sans vie. Le bain d’arrêt vous emplit les narines et le ventre comme du formol. C’est peut-être normal, au fond, car ce que fait un photographe, c’est embaumer quelque chose ou quelqu’un dans une éternité encadrée et figée.

  • Le brouillard s’était finalement dissipé et le soleil avait percé. Nous étions à ce moment-là sur une partie de la rivière où des bosquets de peupliers bordaient les deux rives. Tandis que les dernières taches de brouillard s’évaporaient, les feuilles jaunes des peupliers sur lesquelles tapait le soleil s’étaient illuminées telles des mèches de lampe qu’on allume. L’air était électrique et vivant, comme lorsque des éclairs trouent le ciel avant la pluie. Nous étions sur des eaux lentes mais le pouls de la rivière avait paru s’accélérer. Tout, y compris Luke et moi, miroitait dans une lumière dorée. Pour la première fois de ma vie, j’avais vu la rivière comme il me semblait qu’il la voyait.

  • C'est peut être ce qui arrive quand les gens grandissent quelque part où les montagnes les encerclent, retiennent tout replié vers l’intérieur, créent une zone tampon en eux et le reste du monde.Combien de temps faut il pour que ce paysage se trouve intériorisé, se transmette de génération en génération, tout comme le groupe sanguin ou la couleur des yeux ?

  • Le week-end précédent mon retour à Clemson, Luke m'avait proposé de faire une descente en canoë. Il connaissait tous les courants, tous les fonds, tous les troncs immergés et les rochers. Il savait comment entrer dans chaque pertuis. Les rats d'eau m'avaient raconté qu'il lui arrivait parfois de sortir la nuit, et j'avais pensé qu'ils parlaient des nuits claires, constellées d'étoiles, en lune montante. Mais alors que nous descendions le courant, en ce dernier dimanche d'août, je m'étais rendu compte qu'il n'avait pas besoin de lumière. Il pouvait naviguer sur la rivière sans y voir.

  • Autrefois, j'étais assez présomptueux pour croire que je pourrais sauver le monde, mais ça y est, j'ai compris. Le mieux qu'on puisse faire, c'est trouver une bonne cause, une seule, si infime soit-elle, et y consacrer toute son énergie.

  • C’était comme pénétrer dans l’éternité, avait-il repris tandis que nous remontions vers Bear Sluice. C’était ce que croyaient les Celtes - que l’eau était un passage vers l’autre monde. Ils avaient peut-être raison.


Biographie

Né Chester, Caroline du Sud , le 25/09/1953, Ron Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans policiers.
Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de littérature anglaise.
Il est titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles.

Sa carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998. Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Il publie "Un pied au paradis" ("One Foot in Eden"), son premier roman policier, en 2002. "Le chant de la Tamassee" ("Saints at the River", 2004) est son deuxième roman. Suivront "Le monde à l'endroit" ("The World Made Straight", 2006), ou encore "Une terre d'ombre" ("The Cove", 2012) qui obtient le Grand prix de littérature policière 2014. Son roman "Serena", sorti en 2008, a été transposé au cinéma par Sasanne Bier en 2014, avec dans les rôles titres Bradley Cooper et Jennifer Lawrence, puis en bande dessinée par Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.

Ron Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.