samedi 3 décembre 2022

YOKO OGAWA – La formule préférée du professeur - Babel poche 2018

 

L'histoire

La narratrice est embauchée par un éminent professeur de mathématique qui a malheureusement perdu la mémoire. Celle ci ne fonctionne que 80 minutes par jour. A force d'attention et de gentillesse, des liens affectueux se tissent entre cette femme, son fils et le mathématicien qui lorsqu'il s'agit de calculs savants n'a jamais perdu la forme.



Mon avis

plein d'humour et de délicatesse, ce petit roman nous offre un conte merveilleux à travers les chiffres (vous comprendrez sans aucun problème et cela sera même pour vous l'occasion d'apprendre ou de réviser quelques notions de base).

Racontée avec la subtilité que l'on connaît aux grandes écrivaines nippones, vous rentrerez dans un univers poétique, car oui, les chiffres cela peut être magique et totalement original.

La douce relation qui se noue entre l'aide-ménagère (la narratrice), son fils de 10 ans, écolier un peu récalcitrant, mais passionné de base-ball, nous montre tous les possibles de la filiation et d'une famille recomposée. De plus plein de petits exercices bien expliqués pourraient bien vous faire passer pour un génie des maths !

C'est drôle, c'est tendre, c'est instructif. Une ode aussi à la solitude, la vieillesse et le handicap, ici formidablement accompagnée par la gentillesse d'une maman et de son fils. Et aussi une autre façon d'aborder les maths, matière souvent complexe qui rebute. Parce que nous n'avons pas un charmant professeur et la ténacité d'une jeune femme au cœur immense.

A offrir aux adolescents ou à s'offrir.


Extraits :

  • Les nombres existaient déjà avant l'apparition de l'homme, que dis-je, avant celle du monde. [...]- Aah, vraiment ? Je pensais que c'étaient les hommes qui avaient découvert les chiffres. - Non, c'est faux. Si c'étaient eux personne ne ferait autant d'efforts et on n'aurait pas besoin des mathématiciens. Personne n'a été témoin de leur processus d'apparition. Quand on les a remarqués, ils étaient déjà là.

  • On peut exprimer les nombres parfaits comme la somme d'une suite de nombres naturels.6=1+2+3 – 28=1+2+3+4+5+6+7 – 496=1+2+3+4+5+6+7+8+9+10+11+12+13+14+15+16+17+18+19+20+21+22+23+24+25+26+27+28+29+30+31. Il tendait son bras au maximum pour écrire la longue addition. La ligne s'étirait, simple et conforme aux règles. Il n'y avait aucun gaspillage, elle débordait d'un tension aiguisée et pure qui engourdissait. Les formules obscures de la conjecture d'Artin et l'addition qui suivait les diviseurs de 28, le tout fondu ensemble nous encerclait. Chaque chiffre formait un des points qui, reliés l'un à l'autre, constituaient la délicate dentelle qui nous entourait. Je n'osais pas bouger, de peur qu'un mouvement d'inattention de mes pieds n'effaçât un seul de ces chiffres.
    On aurait dit alors, que le secret de l'univers se révélait à nos yeux. Le carnet de Dieu était ouvert à nos pieds.

  • Une autre merveille de l’enseignement du professeur était l’utilisation généreuse qu’il faisait de l’expression ne pas savoir. Ne pas savoir n’était pas honteux car cela permettait d’aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. Et pour lui, enseigner la réalité qu’il y avait là des possibilités intactes était presque aussi important que d’enseigner des théorèmes déjà démontrés.

  • Si l’on additionnait 1 à e élevé à la puissance du produit de pi et i, cela faisait 0. J’ai regardé à nouveau la note du professeur. Un nombre qui jusqu’au bout reste périodique et un chiffre vague qui ne montrait jamais sa nature véritable arrivaient à un point après une trajectoire concise.

  • Comme les nombres sont infinis, ils doivent donner naissance à autant de nombres premiers qu'on veut...- C'est vrai... Mais avec les grands nombres... Il arrive qu'on se perde dans une zone désertique... On a beau avancer, on n'aperçoit pas l'ombre d'un nombre premier. C'est une mer de sable à perte de vue...On croit apercevoir un nombre premier, on se précipite mais ce n'était qu'un mirage...Jusqu'à ce qu'on aperçoive, au delà de l'horizon, remplie d'eau pure, l'oasis des nombres premiers.

  • Nous avions échangé la promesse, Root et moi que, même si le professeur nous posait plusieurs fois la même question, même si nous étions obligés de lui fournir plusieurs fois la même réponse, nous ne lui montrerions jamais notre lassitude.

  • Elle était combative, et détestait plus que tout que l'on me considère, moi sa fille, comme issue d'une famille pauvre où il n'y avait pas de père. Même si nous étions vraiment pauvres, elle faisait de son mieux pour que nous puissions être riches d'apparence et de cœur.

  • Quelle était la pureté de cette résolution à laquelle j'étais enfin parvenue après le chaos où je m'étais égaré? C'est comme si j'avais extrait un éclat de diamant au fond d'une caverne sur une lande déserte. Et personne ne pouvait nier l'existence de ce cristal, ni l'abîmer. Je m'adressais des louanges, riant discrètement, en proportion inverse des félicitations que le professeur ne m'avait pas adressées.

  • Les recherches sur les ellipses ont donné les orbites des planètes, la géométrie non euclidienne a produit les formes de l’univers selon Einstein. Les nombres premiers ont même participé à la guerre en servant de base aux codes secrets. C’est laid. Mais ce n’est pas le but des mathématiques. Le but des mathématiques est uniquement de faire apparaître la vérité.

  • Mais cette fois-ci, ses larmes étaient différentes de celles que j'avais connues jusqu'alors.J'avais beau tendre la main, elles coulaient dans un endroit où je ne pouvais pas les essuyer.

  • Le professeur resta seul , immobile au milieu du bac à sable . Incapable de lui venir en aide , je me contentai de regarder son dos . Les pétales des cerisiers tombaient en voltigeant , qui ajoutèrent de nouveaux motifs aux secrets de l'univers.

  • Dieu existe. Parce qu'il n'y a pas de contradiction dans les mathématiques. Et le diable existe également. Parce qu'on ne peut pas le démontrer.



Bibliographie

Née en 1963 a Okayma, Yōko Ogawa est une écrivaine japonaise.
Diplômée de la prestigieuse Université Waseda, elle est auteure de nombreux romans - courts jusqu'en 1996 - ainsi que de nouvelles et d'essais.
Elle a remporté le prestigieux Prix Akutagawa pour "La Grossesse" en 1991, et également le Prix Tanizaki 2006 pour "La Marche de Mina", le Prix Kyōka Izumi 2004, le Prix Yomiuri 2004 pour "La Formule préférée du professeur", et le Prix Kaien 1988 pour son premier court roman, "La désagrégation du papillon" ("Agehachō ga kowareru toki").

Ses romans sont caractérisés par une obsession du classement, de la volonté de garder la trace des souvenirs ou du passé ("L'Annulaire", 1994 ; "Le Musée du Silence", 2000 ; "Cristallisation Secrète", 1994), cette volonté conjuguée à l'analyse minutieuse de la narratrice (ou, moins fréquemment, du narrateur) de ses propres sentiments et motivations (qui viennent souvent de très loin) débouchant fréquemment sur des déviations et des perversions hors du commun, le tout écrit avec des mots simples qui accentuent la force du récit.D'autres thèmes sont abordés par l'auteure dans ses livres, comme la nostalgie, le deuil ou l'abandon, la folie ordinaire qui prend ses personnages pendant un instant.
Au Japon, "La Formule préférée du professeur" ("Hakase no aishita sūshiki") a été récompensé du Prix Yomiuri 2003 et y est également sorti en film (2005), en bande dessinée (2006) et en CD audio (2006).
Yōko Ogawa vit à Ashiya, Hyōgo, avec son mari et son fils.

Voir également :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur les mathématiques

mercredi 30 novembre 2022

BEATA UMUBYEYI MAIRESSE – Consolée – Éditions Autrement (Flammarion) - 2022

 

L'histoire 

Ramata, sénégalaise, change de métier et devient arthérapeuthe. Elle effectue un stage de validation dans un Epahd. Elle y rencontre une vieille dame, Astrida, une femme métisse, souffrant de la maladie d'Alzheimer, qui parle peu mais dans une langue incompréhensible. Avec l'aide de la psychologue, Ramata va chercher a comprendre le passé de cette dame discrète et gentille.


Mon avis 

Il y a des romans qui vous touchent particulièrement. Par leur écriture, leur histoire. Celui-ci sera mon coup de cœur du mois à coup sur. D'une part parce que j'ai une belle-sœur rwandaise, et de l'autre parce que ce roman nous interroge sur notre rapport à la couleur de peau.

Ramata est noire, sénégalaise venue en France lors d'un regroupement familial où son père a trouvé du travail. Sa couleur de peau, elle ne peut pas l'effacer, même si le Sénégal lui semble abstrait. Il y a le regard d'autrui. Condescendant, ouvertement inamical pour ne pas dire hostile et raciste. Il y a les faux racistes (« non mais moi je suis pas fasciste voyons j'ai un ami arabe »), les mépris dans le travail et dans la vie quotidienne. Ramata affiche son fort caractère, sa dignité et ses compétences, tout en observant les réactions de son entourage dans l'Epahd. Ce ne sont pas les résidents, souvent perdus dans leurs mondes ou bien contents de trouver une oreille attentive, mais les instances dirigeantes qui se demandent encore comment cette femme peut être plus diplômée qu'eux.

Et puis il y a la touchante et merveilleuse Astrida, cette vieille dame dont la mémoire s'enfuit et la ramène dans son enfance. A l'Epad on ne sait pas grand chose d'elle, mais la voilà qui parle dans une langue inconnue et chantante. Ramata finit par retracer l'histoire de cette femme métisse, ôtée de sa famille pour être placée dans un pensionnat catholique où on lui inculque le bon catholicisme, écrire, lire, compter en français.

L'écriture a la fois drôle et poétique, étayée de mots en kinyarwanda, la résonance chantante comme les oiseaux qui ont peuplé l'enfance de la jeune Astrida.

Au-delà des mots, ce livre nous donne à réfléchir à notre rapport avec celui qui est différent de nous. Et relate aussi une histoire vraie : celle des efants métis sous la colonisation belge au Rwanda.


Extraits :

  • Au moment où leurs silhouettes atteignent le sommet de la colline, une araignée entreprend de tisser une toile qui scintillera bientôt sous la lune, entre les branches les plus basses du ficus centenaire.

  • Laisse les Blancs se battre entre eux, nous serons toujours des intrus à leurs yeux. Aujourd'hui le frère riche écrase le frère pauvre mais sache que si demain un étranger rentre dans la danse, les anciens ennemis sauront s'unir contre lui. Le colon a su semer la zizanie entre nous pendant des siècles, exploitant avec succès les vieilles velléités entre les Peuls, les Wolofs et les Sérères mais jamais il ne laissera un Noir participer à ses propres disputes familiales.

  • La rosée. C'est l'élégance de l'amant qui part sans bruit, effleurant d'une caresse le front de l'endormie, ce que l'ombre laisse au jour naissant. Une promesse de retour.

  • Et la beauté ?
    Consolée rouvre les yeux, pupilles rétractées, cils immobiles.
    Elle égrène les visions comme d’autres des perles de prière et le vieux traduit dans sa tête alourdie par la sagesse des ans :
    La brume du matin. - Des voiles blancs qui flottent encore au-delà de la haie, s’accrochant parfois aux branches des arbres les plus hauts. C’est un drap si léger qu’elle s’imagine pouvoir le déchiqueter d’un souffle.
    Les fleurs près de la porte. - Il y en a de trois sortes mais un seul mot pour les désigner.Les rouges à jupe froufrou au duvet soyeux, les jaunes regorgeant d’un pistil farineux, tiges si frêles que la moindre brise les fait ployer, les blanches etmauves aux pétales irréguliers, dents-ivoire cariées sans raison à moins qu’elles n’émettent spontanément un sucre incolore, ce qui expliquerait le ballet incessant des abeilles sur leurs têtes.
    Les fleurs sont à cet âge-là une source permanente d’éblouissement. Éclosion de sourires.

  • Comment est-ce possible de parler aveuglément une langue sans la questionner, sans la libérer des démons du passé ?
    Comment est-ce possible que le mot "colonial" soit toujours autant prisé dans notre pays, qu'une entreprise vende des meubles sous le sigle de "Maison Coloniale", qu'il existe une marque de thés qui s'appelle "Compagnie Coloniale" ?
    Je lui raconte la fois où sa tante Maguette m'en avait acheté à l'aéroport et me l'avait offerte en riant ; Vous vivez encore dans une certaine nostalgue ici on dirait !" Avant de préciser : "J'ai hésité entre une thé noir et un thé blanc..." ménageant son suspense pendant que je déballais la boîte... Elle avait choisi un thé vert. Tu sais ce qu'elle m'avait expliqué : "C'est le thé de l'avenir, chérie, Mars et les Martiens vont bientôt venir vous couvrir des bienfaits de leur civilisation, dèh !

  • Ce que l'exil a fait d'eux. Le médecin devenu aide-soignant, le mathématicien conduisant un taxi, le mécanicien faisant la plonge, et la silence devenait la loi. Sauf au bar-pays où on buvait sa chiche paye le samedi en refaisant la révolution pour une capitale où on ne retournerait sans doute jamais même si on se l'était promis, à la retraite on irait. En attendant ici profil bas les enfants iront à l'école de "Lafrance", on les voyait peu, le travail pour les gens comme eux c'était trop tôt ou trop tard, et à force de labeur, envoyer aussi de l'argent au pays, le temps passait, les enfants avaient grandi, le corps était fourbu, les rêves enterrés. Pour la nouvelle génération, ça n'était plus le contremaître, mais le flic, qui faisit trembler, et souvent au bout se trouvait la prison. une honte qui n'avait pas de nom.

  • Nos adaptations d’émigrants.
    Ces longs mois d’observation quand tu apprends la langue et que tu tentes tant bien que mal de distinguer les tons, les accents, les variations pour ensuite dans le silence de la nuit ranger tout cela de façon cohérente, mais que tu réalises qu’ici ce n’est pas la même cohérence, que les règles ont changé en même temps que le sens des onomatopées
    Tu t’accroches à ces « mon » ces « ma » qui peuvent avancer seuls, faire sens dans une individualité que tu n’as jamais connue là-bas.
    Là d’où tu viens.
    Là-bas les lettres vivaient en communauté, on faisait chalouper les consonnes ensemble sans que cela ne torde la bouche, les « mb » « ng » « nd » et « nk » entraînant des rythmes collés-serrés.
    Ici la langue les sépare par des apostrophes trébuchantes on dit « haine - diaye » « aime - bapé » comme si parler devait nécessairement relever d’une déclaration sentimentale.
    Ici on ne chaloupe pas, on danse des rocks cassés en performant des chorégraphies mécaniques, un Robert et un Grevisse sous chaque pied


Bibliographie

Née en 1979 au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse est une écrivaine franco-rwandaise. Elle est née et a grandit à Butare, au sud du Rwanda. Fille unique, férue de lecture dès son plus jeune âge, elle fréquente l’école belge. Lors du génocide des Tutsi, elle échappe à la mort. En passant par le Burundi voisin, Beata arrive en France le 5 juillet 1994.
Beata est inscrite en classe de seconde au lycée Sainte-Marie de Beaucamps-Ligny, près de Lille. Puis, elle poursuit ses études : hypokhâgne au lycée Faidherbe, à Lille, Sciences-Po Lille et un DESS en développement et coopération internationale à la Sorbonne.
Coordinatrice de projet pour MSF, chargée de programmes au Samusocial International, assistante à la recherche à l'Université d'Ottawa, chargée de mission AIDES, elle anime des rencontres littéraires à Bordeaux où elle vit.

"Lézardes" (2017) a obtenu le prix de l'Estuaire 2017 et le Prix des Lycéens de Decize 2018."Après le progrès" (2019) est son premier recueil de poésie et "Tous tes enfants dispersés" (2019) - son premier roman. Ce dernier se voit décerné le prix Ethiophile 2020.
Le 3 décembre 2021, Béata a reçu à Bruxelles, à la Maison de la Francité, le Prix Littéraire Richelieu de la Francophonie, des mains de Micky Piron, présidente internationale du club Richelieu International Europe, en présence notamment de représentants de l'OIF, de l'AMOPA, et d'Yves Namur, secrétaire perpétuel de l'Académie Royale de Langue et le Littérature Françaises de Belgique.
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Femmes rwandaises métisses aujourd'hui

Pensionnat catholique de Save

Pensionnat Catholique à Save

Cathédrale de Save, Rwanda

samedi 26 novembre 2022

JOEL DICKER – La vérité sur l'affaire Harry Quebert – Éditions De Fallois - 2012

 



L'histoire 

Marcus Goldman, jeune écrivain qui vient de rencontrer un immense succès est en panne d'inspiration, alors que son éditeur le presse de sortir un nouveau roman. A même moment, son professeur et ami de toujours, Harry Quebert est placé en garde à vue pour le meurtre d'une jeune fille de 15 ans Nola, qui fit son grand amour 30 ans plus tôt. Persuadé de l'innocence de son mentor, Marcus va mener l'enquête.



Mon avis 

Pour ce deuxième roman, Joël Dicker a fait très fort. Écrire un livre dans le livre, un vrai bon suspense, bien ficelé et agréable à lire.

Bon c'est un polar et ce n'est pas le livre le plus merveilleux du monde, mais au moins d'est addictif. Le roman est très bien structuré, nous naviguons entre 3 époques. L'année 1975 voit naître une passion interdite entre l'émérite professeur Harry Quebert qui vient d’emménager dans le New-Hampshire, dans une belle villa tranquille pour écrire. Il y rencontre Nola, une fascinante jeune fille de 15 ans, alors qu'il en a 34. Cet amour interdit par la loi sur la protection des mineurs ne peut se vivre au grand jour. Mais il inspire à Quebert le roman qui fera de lui un très grand écrivain. Mais Nola a disparu mystérieusement et les enquêtes de la police ne donnent rien.

En 2003, Harry rencontre le jeune Marcus, assez imbu de lui-même même si il cède à la facilité. Le jeune homme veut devenir écrivain, à succès si possible, mais il est un peu paresseux, mène une vie sans discipline même si il réussit brillamment dans une université de seconde zone. Pris en charge par Quebert, l'étudiant apprend la rigueur, la boxe, une bonne hygiène de vie et finit par publier un best-seller dont il profite joyeusement.

En 2008, Marcus a perdu l'inspiration et son éditeur s'impatiente de plus en plus. C'est alors qu'éclate l'affaire de Nola, dont le cadavre est retrouvé dans le jardin de Quebert. Persuadé de l'innocence de son ami, Marcus va tout faire pour rechercher la vérité dans la petite ville d'Aurora (fictive) où vit son ami.

Dicker a l'art et la manière de procéder en se mettant peut-être aussi un peu en scène lui-même. En grand connaisseur de l'Amérique et de la région de la « Nouvelle Angleterre », où il a vécut, il en profite pour tacler la société américaine d'une petite ville où tout se sait et tout se tait.

Le monde de l'édition en prend aussi pour son grade. Comment on fabrique un best-seller en coulisse, les campagnes de promotions prévues à l'avance, les petits arrangements avec la vérité. Mais c'est surtout la vie d'une petite communauté qui est démontée. Avec tous les travers, peut-être un peu caricaturaux, des petits gens. La mère qui veut marier sa fille a un bon parti, le racisme latent (nous sommes en 2008, l'année où le premier président noir Obama sera élu), les jalousies, les mensonges pour se faire bien voir. Et aussi une interrogation sur comment écrire un best-seller, exercice particulièrement réussi pour Dicker dont les livres sont toujours des succès littéraires. Mais on peut regretter une écriture trop classique et linéaire, et surtout des clichés et des réflexions qui ne sont pas assez étayées. 

En en 1968, le grand prix de l'Académie Française était revenu Belle du Seigneur. En 2012 l'académie récompense un polar bien fait certes. Mais nous ne sommes pas chez Chandler, James Ellroy, Hammet ou les grands noms des polars (un genre que j'apprécie certes mais quand il y a derrière un vrai fond).

C'est vrai que depuis Dicker s'est amélioré mais en restant toujours un peu sur la même trame, souvent une affaire dans l'affaire ou un polar à tiroirs. Pour résumer, c'est page turner, mais ce n'est pas de la haute littérature non plus. 



Extraits :

  • Vous essayez de me parler d'amour, Marcus, mais l'amour c'est compliqué. L'amour, c'est très compliqué. C'est à la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le découvrirez un jour. L'amour, ça peut faire très mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car l'amour, c'est aussi très beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous éblouit et ça fait mal aux yeux. C'est pour ça que, souvent, on pleure après.

  • Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après en avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se sentir envahi d’un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu’à tout ce qu’il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer.

  • Le seul à savoir si Dieu existe ou n'existe pas, c'est Dieu lui-même.

  • Être avec Nola, c'était vivre vraiment. Je ne saurais pas vous le dire autrement. Chaque seconde passée avec elle était une seconde de vie vécue pleinement. Voilà ce que signifie l'amour, je crois.

  • Je vous déteste, l'écrivain, tenez-vous-le pour dit. Ma femme a lu votre bouquin : elle vous trouve beau et intelligent. Votre tête, à l'arrière de votre livre, a trôné sur sa table de nuit pendant des semaines. Vous avez habité dans notre chambre à coucher ! Vous avez dormi avec nous ! Vous avez dîné avec nous ! Vous êtes parti en vacances avec nous ! Vous avez pris des bains avec ma femme ! Vous avez fait glousser toutes ses amies ! Vous avez pourri ma vie !

  • Vous savez ce qu'est un éditeur ? C'est un écrivain raté dont le papa avait suffisamment de fric pour qu'il puisse s'approprier le talent des autres.

  • Et je m'étais dit qu'une étoile filante, c'était une étoile qui pouvait être belle mais qui avait peur de briller et s'enfuyait le plus loin possible. Un peu comme moi.

  • Après les hommes, il y aura d'autres hommes. Après les livres, il y a d'autres livres. Après la gloire, il y a d'autres gloires. Après l'argent, il y a encore de l'argent. Mais après l'amour, Marcus, après l'amour, il n'y a plus que le sel des larmes.

  • Les livres sont devenus un produit interchangeable : les gens veulent un bouquin qui leur plaît, qui les détend, qui les divertit. Et si c'est pas toi qui le leur donnes, ce sera ton voisin, et toi tu seras bon pour la poubelle.

  • Cette année 1998 fut également celle de l'affaire Lewinsky. 1998, année de pipe présidentielle, au cours de laquelle l'Amérique découvrit avec horreur l'infiltration de la gâterie dans les plus hautes sphères du pays, et qui vit notre respectable Président Clinton contraint à une séance de contrition devant toute la nation pour s'être fait lécher les parties spéciales par une stagiaire dévouée.

  • Sur mon compte Facebook, je passai en revue la liste de mes milliers d'amis virtuels; il n'y en avait pas un que je puisse appeler pour aller boire une bière.

  • Couper des arbres pour imprimer des torchons pareils, c'est criminel. Il n'y a proportionnellement pas assez de forêts pour le nombre de mauvais écrivains qui peuplent ce pays.

  • Blocage mental, Marcus, voilà ce que c'est ! Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance: c'est la panique du génie, celle là même qui rend votre petite queue toute molle lorsque vous vous apprêtez à jouer à la brouette avec une de vos admiratrices et que vous ne pensez qu'à lui procurer un orgasme tel qu'il sera mesurable sur l'échelle de Richter.

  • C’est la beauté du droit en Amérique : lorsqu’il n’y a pas de loi, vous l’inventez. Et si on ose vous chercher des poux, vous allez jusqu’à la Cour Suprême qui vous donne raison et publie un arrêt à votre nom : Goldman contre Etat du New Hampshire.

  • Je compris que pour être formidable, il suffisait de biaiser les rapports aux autres ; tout n'était, finalement, qu'une question de faux-semblant

  • Le jour tombait et la nuit promettait d'être douce et belle; le genre de soirée d'été qu'il fallait magnifier avec des amis, en mettant des énormes steaks sur le grill tout en sirotant de la bière. Je n'avais pas les amis, mais je pensais avoir les steaks et la bière.

  • Et j'ai réalisé à cet instant, à cause de cette fille de quinze ans, que je n'avais certainement jamais connu l'amour. Que beaucoup de gens n'avaient certainement jamais connu l'amour. Qu'ils se contentaient au fond de bons sentiments, qu'ils se terraient dans le confort d'une vie minable et qu'ils passaient à côté de sensations merveilleuses, qui sont probablement les seules à justifier l'existence.


Bibliographie

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la série adaptée par Netflix



vendredi 25 novembre 2022

Emily DICKINSON – la poète recluse

 


Extraits d’œuvres

  • L'espoir est une étrange chose à plume qui se pense dans notre âme, hante des chansons sans paroles, et ne s'arrête jamais.

  • Pour être hanté, nul besoin de chambre, nul besoin de maison, le cerveau regorge de corridors plus tortueux les uns que les autres.

  • Pour faire une prairie

  • il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles. Pour faire une prairie il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles.

  • Parfois avec le Cœur
    Peu souvent avec l'âme
    Plus rarement avec force
    Peu - aiment vraiment
    Sometimes with the Heart
    Seldom with the soul
    Scarcer once with the might
    Few - love at all

  • On ne sait jamais qu'on part - quand on part - On plaisante, on ferme la porte
    Le destin qui suit derrière nous la verrouille - Et jamais plus on n'aborde.
    We never know we go - when we are going -We jest and shut the door - Fate following behind us bolts it- And we accost no more.

  • Ce monde n'est pas Conclusion
    Un ordre existe au-delà -
    Invisible, comme la musique -
    Mais réel, comme le Son -
    Il attire, et il égare -

  • L'Espoir est la chose emplumée-
    Qui perche dans l'âme-
    Et chante la mélodie sans les paroles-
    Et ne s'arrête-jamais-
    C'est dans la tempête- que son chant est- le plus suave-
    Et bien mauvais serait l'orage-
    Qui pourrait intimider le petit oiseau
    Qui a réchauffé tant de gens-
    Je l'ai entendu dans les contrées les plus glaciales-
    Et sur les mers les plus insolites-
    Pourtant- jamais- même dans la pire extrémité,
    Il ne m'a demandé- une miette.

  • Je me cache dans ma fleur
    Pour, me fanant dans ton Urne,
    T’inspirer à ton insu - un sentiment
    De quasi-solitude. Se charger à l'extrême comme le tonnerre
    Et puis , alors que toute chose - Se terre , éclater grandiose - Voilà ce que serait la poésie.

**********************


  • Ma barque s'est-elle brisée en mer,
    Crie-t-elle sa peur sous le vent, 
    Ou docile a-t-elle hissé sa voile,
    Pour des iles enchantées ;

    À quel mystique mouillage
    Est-elle aujourd'hui retenue, -
    Ça c'est affaire de regard
    Là-bas au loin sur la baie. (traduction de René Char)


    Whether my bark went down at sea -
    Whether she met with gales -
    Whether to isles enchanted
    She bent her docile sails -

    By what mystic mooring
    She is held today -
    This is the errand of the eye
    Out upon the Bay.


****************************************

Un oiseau
Un oiseau passe sur le sentier...
Ses yeux ressemblaient, pensai-je, à des perles qui ont peur
Il remua sa tête de velours
Comme un être en danger, avec précaution.
Je lui offris une miette:
Il déplia ses ailes
Et s'en alla chez lui, voguant plus doucement
Que des rames qui fendent l'océan...

Sur le cours fantasque du Temps
Sans une rame
Nous sommes contraints de voguer
Notre Port un secret
Notre sort une Bourrasque
Quel capitaine voudrait
Courir le risque
Quel boucanier naviguer
Sans garantie contre le Vent
Ou horaire de la Marée
(" Car l'adieu, c'est la nuit")


J’aime un regard d’Agonie…
J’aime un regard d’Agonie,
Car je sais qu’il est vrai –
On ne singe pas la Convulsion,
On ne feint pas, des Affres –
L’œil se fige d’un coup – et c’est la Mort –
Impossible de simuler
Les Perles sur le Front
Par la fruste Angoisse enfilées.

ls sont tombés comme des Flocons -
Ils sont tombés comme des Étoiles -
Comme les Pétales d'une Rose
Quand soudain au beau milieu de Juin
Passe un vent - pourvu de doigts -


Ce n'était pas la mort, car j'étais debout,
Et tous les morts sont couchés.
Ce n'était pas la nuit, car les carillons
Déchaînaient leur voix pour midi.

Ce n'était pas le gel, car sur ma peau
Des siroccos semblaient serpenter;
Ni le feu - car mes pieds de marbre
Auraient glacé un sanctuaire.

Il y avait de tout cela, pourtant:
Les formes que j'ai vues
Alignées pour les funérailles
Me rappelaient la mienne,

Comme si l'on avait raboté ma vie
Pour l'insérer dans un chassis -
J'avais perdu la clef du souffle -
C'était un peu comme à minuit,

Quand tout ce qui battait s'est tu,
Quand bée le vide alentour,
Quand le gel sinistre, aux matins d'octobre,
Abolit les pulsations du sol.

C'était avant tout un chaos - infini - glacé -
Sans une chance - sans un espar -
Sans le signe d'une terre,
Pour justifier le désespoir.


La Nuit est mon Jour préféré - j'aime tant le silence - et je ne parle pas d'une simple trêve (cessation) du Bruit - mais de ceux qui parlent de rien à longueur de journée et prennent cela pour de l'allégresse...

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Biographie

Née le 10/12/1830 dans le Massachusetts et décédée le le 15/05/1886, Emily Elizabeth Dickinson est une poétesse américaine.
Considérée aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes américains, Emily Elizabeth Dickinson n’eut pas droit à la reconnaissance littéraire de son vivant. Presque absente de la scène littéraire, elle fut également peu présente dans le théâtre de la vie.

Son champ d’expérience fut limité, puisqu’elle ne s’éloigna d’Amherst que pour passer une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley ou lors de rares séjours, à Washington ou à Boston.
Il semble donc qu’elle n’ait guère quitté le cercle de cette petite communauté puritaine de Nouvelle-Angleterre, ni franchi le seuil de la maison familiale où elle disait tant se plaire – entre son père juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère plus effacée ; entre sa sœur Lavinia, qui ne partit jamais non plus et son frère Austin, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse. Le choix d’un certain retrait du monde livre un signe essentiel : la mise à distance, l’ironie.

Mais, à certains égards, ce retrait fut peut-être moins absolu qu’il n’y paraît : tout en se dérobant au monde, au mariage, elle adressa des lettres passionnées à divers correspondants masculins. La fin de sa vie fut marquée par des deuils répétés (son père en 1874, sa mère en 1882, son neveu Gilbert, mort à l’âge de huit ans en 1883, le juge Otis P. Lord (qu'elle devait épouser) en 1884).

Secrète et expansive, grave et moqueuse, discrète mais audacieusement libre, sa personnalité est aussi complexe que l’espace réel de son expérience fut restreint.
Depuis l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort à cinquante-six ans, Emily Dickinson a écrit 1775 poèmes. Elle est enterrée dans un cercueil blanc dans le carré familial à l’ouest du Cimetière sur Triangle Street. Au cours de la cérémonie funéraire, Higginson lit « No Coward Soul Is Mine » (Mon âme n’est pas lâche), le poème d’Emily Brontë que préférait Emily Dickinson.

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Une petite play-list

Poèmes en lignes


Quelques photos

-  https://fr.wikipedia.org/wiki/Amherst_(Massachusetts)

- https://www.amherstdowntown.com/ 

Amherst Main Stret

Amherts Church

Tombeau d'Emily Diclinson

Maison d'Emily devenue son musée

Maison d'Emily

Maison d'Emily dans les années 1900