L'histoire
Dès son enfance, Cléo rêve de devenir célèbre. Fille d'un couple franco-américains d’intellectuels, la jeune fille se veut irréprochable. Meilleure élève, discrète, elle n'en nourrit pas moins des ambitions très haute. Douée en musique, elle joue du piano, fait de la guitare et chante, son rêve est d'être une chanteuse à succès telle une Lady Gaga, une Beyoncé. Elle part finir ses études à New-York, tout en trouvant un petit boulot de vendeuse en librairie. Mais elle délaisse ses études pour composer ses chansons. Qu'elle poste sur les plate-formes internet, en boostant sa visibilité. Et voilà qu'un jour, elle est repérée par un gros label, qui voit en cette jolie fille une belle opportunité. Relookée, habillée, un peu de chirurgie esthétique, une assistante personnelle de la maison de disques, elle est coachée et sort enfin son premier album. Qui fait un triomphe. Elle rafle les récompenses, enchaîne les tournées mondiales. Puis un deuxième EP lui assure une gloire définitive, elle fait partie du sérail. Mais à quel prix ? Entre son exigence folle, les sollicitations, les interviews, les petits coups bas qu'elle inflige à des rivales, Cléo comprend que le succès à un prix, et que la chute risque aussi d'être difficile.
Mon avis
Pour son deuxième roman, Maud Ventura s'intéresse au star-système et notamment dans la milieu de la chanson. Elle crée une héroïne à la fois fragile et indomptable. Car ce n'est pas la modestie intérieure qui habite cette Cléo, elle veut être le centre du monde partout et y parvient à force de volonté, mais aussi par le formatage de sa maison de disques, une grande major. Toujours en promotion, en grande tournée mondiale, cette jeune femme qui écrit elle-même ses chansons voit sa vie totalement chamboulée. Car la célébrité a un prix. Celui d'êtres toujours impeccable (elle ne boit pas, elle suit un régime, 17 personnes sont à son service, de sa maquilleuse à sa coiffeuse, les meilleurs ingénieurs du son sont mis à contribution. Mais Cléo n'est jamais satisfaite. Les amis d'autrefois ne l'intéressent plus, ils sont médiocres. Même avec sa mère une femme gentille qui ne comprend pas toujours sa fille mais la soutient, les rapports sont distants, faute de temps. Les sollicitations par contre sont omni présentes. Elle a des « tas d'amis » ou de « famille éloignée » qui ne sont là que pour lui demander une faveur, lui soutirer de l'argent. Au début elle est aimable mais quand ses mails sont saturés tout comme ces textos, elle ne répond plus et change 4 fois de portable dans l'année.
Et puis ses tournées l'épuisent et elle n'a pas envie de n'être qu'un phénomène de mode passagère. Elle doit écrire des chansons. Elle n'hésite pas à se fracturer elle -même la cheville pour avoir 3 mois de repos, et écrire un autre album qui serait aussi un succès. Elle n'a pas le temps d'avoir des relations amoureuses sérieuses, une liaison avec un journaliste de seconde zone qui la déçoit, trop médiocre, mais surtout elle vise un chanteur plus âgé toujours en place dont elle cherche à comprendre sa longévité dans un milieu qui ne fait pas de cadeaux. Surtout à ce qu'elle estime être un faux pas, elle se scarifie et si elle est entourée par des professionnels elle est totalement seule. Mais voilà, un faux pas – elle n'est pas avare de petites vacheries pour des possibles concurrentes -, et une erreur de jugement vont accélérer de façon totalement inattendue sa chute.
Avec une précision chirurgicale, l'autrice décortique la célébrité, ses vices et ses vertus. Certes, elle fait de son héroïne un parfait cliché de la jeune star, mais elle pointe aussi les doutes, l'ironie de certaines situations. Un personnage fait d'ambitions, de caprices (certes refoulés), obsédée par la perfection, qui raconte son histoire avec des mots cash et sans filtre.
Mais à force de pousser le bouchon un peu trop, de ne pas resserrer son roman, on finit par ne plus y croire une seconde. Trop prévisible cette Cléo. Je n'imagine nullement des stars affirmées comme Lady Gaga ou Beyoncé, certes perfectionnistes, se soumettre à tous les désirs d'une maison de disques. Certes, elle sont entourées, traquées par des paparazzis, mais elles ont sûrement des garde-fous et n'ont plus rien à prouver. On aime ou pas leurs musiques, elles sont incontournables et leurs carrières sont lancées. Elles deviennent leurs propres productrices, s'engagent publiquement dans des œuvres caritatives et savent gérer leur argent, s'assurer de coopérations avec d'autres artistes et écrivent leurs chansons. Cela dure depuis 20 ans et même si elles sont excentriques, elles assument pleinement leur destin.
Extraits
J’ai un rêve mais je ne rien pour le concrétiser. Le piano et la guitare, pour rien. Ma voix d’or, pour rien. Mes études pour rien. New York, pour rien. Toutes ces années, sont des années perdues. Un trou de 10 ans. A la fin du décompte, je fouille dans mon placard, trouve une ceinture de cuir. Je me mets à genoux et je me frappe les cuisses. Dix coups de cravache. Dix coups de fouet pour les dix années que j’ai passées à ne rien faire.
On se trompe de métier, on se trompe de partenaire, on se trompe de lieu de vie. Et puis, on rectifie le tir. Soudain, tout s’aligne, tout s’explique, il n’y a plus ni compromis, ni lassitude, les efforts n’en ont plus, rien n’est un sacrifice, tout s’imbrique, naturel et joyeux. Je souhaite à tout le monde d’être un jour à sa place.
Il compose la musique qu’il a envie de chanter, pas celle que le public a envie d’entendre. Il s’offusque que son premier album n’ait pas rencontré le succès escompté – même lui n’écouterait pas ses propres chansons. Comment peut-on séparer à ce point l’art qu’on produit de celui qu’on consomme ?
C’est la première chose à apprendre : pleurer sur commande. On connaît la chanson. Il faut se montrer émouvante et fébrile, avoir le triomphe modeste, expliquer qu’on fait de la musique pour ses fans, saluer les équipes de l’ombre en citant une longue liste de noms qui n’évoquent rien à personne.
Ils ne se rendent pas compte, personne ne peut comprendre ce que je vis. La seule image qui s'en rapproche est : je suis dans une machine à laver et le cycle dure depuis sept ans.
Un détail après l'autre, millimètre par millimètre, je change. Mes ongles rouge teinte pompier deviennent ma marque de fabrique ( $ 100 ), une restructuration couplée d'une micro-pigmentation de mes sourcils ajoute de la profondeur à mon regard ( $ 200 ), un rehaussement des cils et des soins à la kératine me font des yeux de biche ($ 300), un massage de l'intérieur des joues , inner facial, sculpte ma machoire ( $ 400), une technique ancestrale japonaise , Kobido, remodèle mon visage ($ 500), de la radiofréquence raffermit mes fesses ($ 600), un blanchiment des dents me crée un sourire éclatant ($ 700), un appareil invisible atténue le chevauchement de mes canines ($ 8000), une kératothérapeute me fabrique des crèmes sur mesure adaptées à mon type de peau ($ 4000), dix séances d'épilation laser rendent mes jambes douces pour toujours ($ 10 000). A cela s'ajoutent divers frais de médecine et chirurgie esthétique ($ 32 000). La beauté, comme tout, s'achéte (total : $ 56 800 )
Il est beaucoup question du syndrome de l’imposteur. Vivre avec l’impression de ne pas mériter ses réussites, d’avoir eu de la chance, d’être passé entre les gouttes, de voler la place de quelqu’un de plus compétent. De mon côté, je dois affronter l’angoisse inverse et inavouable : je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte. Pour moi, l’injustice suprême serait que mon génie passe inaperçu. Je suis exceptionnelle, mais je crains que jamais il ne me soit permis d’en faire la brillante démonstration.
La satisfaction d'une existence minimale, réduite à une valise et à dix objets, est bien réelle. La tranquillité tient parfois dans ce qu'on soustrait plutôt que dans ce qu'on accumule.
Vous n'avez que dix-huit ans, comme c'est impressionnant ! " Ta gueule Olivia, avec tes deux parents acteurs, bien sûr que tu n'as pas tardé à devenir célébre. Un nom de famille connu plaqué sur des chansons dont tu n'as pas écrit une ligne, une voix corrigée par un logitiel, zéro proposition artistique. je n'ai aucun respect pour toi.
Mon entourage change. J'étais seule, on devient une équipe : manager, assistante, publiciste, attachés de presse dans vingt-sept pays, avocat, comptable, fiscaliste, gestionnaire de patrimoine, agent image, communicant, expert en prise de parole publique, coach vocal, coach mental, community manager, directeur artistique, kinésithérapeute, psychologue, styliste, responsable de la sécurité, garde du corps, chauffeur, chorégraphe, sophrologue, chaman. La starification se fait par couches successives.
Le paradoxe me prend à la gorge. Je viens de chanter devant 5 000 spectateurs mais je n'ai personne avec qui discuter avant d'aller me coucher. Et pendant ma tournée, mes salles de concert pleines à craquer d'amour ne m'empêcheront jamais de m'endormir en pleurant toute seule dans mon lit.
Au passage, il faut que je m'habitue à fermer les yeux sur mon bilan carbone. J'ai de grandes choses à accomplir sur cette terre, alors si une personne a bien le droit de polluer, cest moi.
J'apprends à dire non, à ne pas décrocher mon téléphone, à ignorer mes appels manqués. Il faut fermer les vannes, et vite. Les intermédiaires entre le monde extérieur et moi se multiplient. Peu à peu, il devient impossible de s'adresser à moi directement : il faut passer par dix entremetteurs. Une star, par définition, est inaccessible.
J'ai dormi quatre heures cette nuit, je n'ai rien avalé depuis 7 heures du matin, j'ai mal à la gorge - et je passe l'après-midi à tourner une vidéo pour Vogue où je décris le contenu de mon sac à main. Chaque objet a été choisi par mon conseiller en image et négocié avec les marques. Tout sourire, je sors du cabas Dior du maquillage ( que je n'ai jamais utilisé de ma vie ) , un parfum ( qui se balade avec un flacon de 200 millilitres ?), un énorme tube de crème solaire (décidemment ces placements de produits manquent de subtilité ) - mais aussi les deux tomes du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ( un seul aurait suffi) et un beau livre sur les femmes peintres du XVIII e siècle ( qui peut croire que je m'encombre tous les jours d'un bouquin pesant près de 4 kilos ? Et pourquoi pas une toile de Van Gogh, une scie circulaire ou un catamaran ?).
La célébrité est ma vie. Celle que je savais que j'aurais, celle que j'ai fait en sorte d'avoir. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui. J'ai toujours considéré que ce qui m'attendait n'était pas une existence mais un destin. Ma route serait exceptionnelle, ma trajectoire hors du commun.
La célébrité est une drogue dure, un monstre féroce. Et je suis allée la chercher avec ma rage, avec mes ongles, avec mes dents.
A trente-deux ans, je suis au sommet d'un château que j'ai construit seule avec mes chansons. Je ne crois pas à la chance. Je ne crois pas au réseau d'amis influents. Je ne crois pas au plafond de verre. Je ne dois ma réussite qu'à mon talent, à mon caractère et à la méritocratie. Alors si j'avais pu être honnête le soir de ma dernière remise de prix, je n'aurais remercié qu'une seule personne lors de mon long discours : moi-même.
Biographie
Née en 1992, Maud Ventura
est titulaire d'un master en philosophie de l'École normale
supérieure de Lyon (2013-2015) et d'un master en management d’HEC
Paris (2016-2019). A France Inter juste après ses études. Depuis
2021, elle est rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe
de radios, NRJ.
Elle ne cesse d’explorer la complexité du
sentiment amoureux dans son podcast "Lalala" et dans son
premier roman "Mon mari" (2021). Pour l'anecdote, Maud a
été stagiaire aux Mots en 2017 - pendant cette période, elle suit
un atelier d'écriture de scénario, et anime un Club de lecture avec
des élèves de l'école.
Voir ici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Maud_Ventura