samedi 28 décembre 2024

Audrey MARTY – le voyage de Lady Liberty – Les Presses Littéraires – 2024 -

 

 

L'histoire

Gabrielle de Saint-Geniez, issue d'une famille bourgeoise toulousaine, aurait du épouser un mari bien loti et bien plus âgé qu'elle. Mais sa bonne fée, une archéologue qui connaît aussi bien le tout Paris et le tout Toulouse de la Belle Époque, en a décidé autrement. Très influente au sein de la famille Saint-Geniez, elle lui trouve un poste de journaliste à la Dépêche (future Dépêche du Midi). En fait de journalisme, en tant que femme, on lui refile les « chiens écrasés » ou la rédaction des annonces publicitaires. Irréprochable, Gabrielle s'exécute. Mais une fois de plus, Jane Dieulafoy, sa bonne marraine, intercède auprès des autorités et du journal et l'on confie à Gabrielle la chance de sa vie : accompagner en tant que reporter pour la Dépêche (et d'ailleurs comme seule journaliste à bord) le transfert de la France vers l'Amérique de la Statue de la Liberté, pièce monumentale que la France offre aux États-Unis construite par le sculpteur Bartholdi. Une épopée historique d'où naît l'émancipation d'une femme.


Mon avis

Le deuxième roman d'Audrey Marty, historienne d'art, qui mêle fiction et réalité historique.

Gabrielle, une jeune femme ambitieuse, très bien élevée a surtout la chance d'avoir pour marraine Jane, un archéologue qui travaille avec son mari, mais qui est connue dans le Paris mondain de cette « Belle Époque » où Haussmann reconfigure la capitale, et où commence l'ère de l’industrialisation.

Tout d'abord journaliste à la Dépêche, Gabrielle, au prix d'un petit mensonge, va se rendre en Grande Bretagne où elle est accueillie chaleureusement pour un congrès de celles qu'on surnomme les suffragettes. Elle y fait la connaissance de la première femme chirurgienne d'Angleterre Elizabeth Garrett Anderson. Elle écoute les discours de ces femmes qui veulent faire reconnaître leurs droits civiques et est convaincue par leurs idées, leurs conseils et leurs gentillesses à son égard.

De retour en France, toujours avec l'appui de sa marraine, une femme aussi indépendante, elle est envoyée sur l'Isère, la frégate de renom de l'époque qui doit transporter les 210 caisses qui composent la statue monumentale dite Lady Liberty et qui doit être acheminée vers la Baie d'Hudson. Départ le 21 mai 1885. Et voilà la jeune femme, la seule femme sur le navire, qui commence un périple non sans difficulté. La pluie et les orages se succèdent. Elle succombe au mal de mer, mais finalement s'y habitue et se lie d'amitiés avec les officiers, dont un est chargé de sa sécurité ? Dès qu'elle le peut, elle envoie le compte-rendu de la traversée au journal, où elle fait la Une. On se passionne pour ce nouveau monde, que l'on trouve très moderne. Malgré des avaries et une pose aux Açores, le navire est accueilli dans la liesse par la population. Puis il faut remonter la statue. Gabrielle profite de son séjour à New-York, ville qui l'éblouit par ces gratte-ciels pour rencontrer Mary-Louise Booth, la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, Joseph Pulitzer, le patron de presse à l’origine du Prix du même nom, Calamity Jane, l’héroïne du Far West et bien d’autres…

Sous forme de road-movie, facile à lire, car l'écriture ne cherche pas à imiter le style un peu « redondante» du 19ème siècle, on lit avec plaisir ce livre qui mélange histoire et fiction. La première femme journaliste à la Dépêche ne sera embauchée qu'en 1913. On suit avec joie les aventures de cette jeune femme qui reviendra en France auréolée de gloire. Un livre passionnant qui nous éclaire à la fois sur la vie des femmes bourgeoises (dévouées à leurs familles et époux) et sur les velléités d'une indépendance féminine qui ira crescendo.

Extraits

  • Dans cette partie du pays, le réseau ferroviaire s’étendait sur près de cinq cents kilomètres. De nombreuses compagnies de chemin de fer se disputaient le monopole de son exploitation. En quelques années, les ingénieurs avaient su développer sur tout le territoire un maillage tentaculaire de voies ferrées, accomplissant de mon point de vue, un travail de Titans. Mary-Louise tempéra mon enthousiasme vis-à-vis de ces constructeurs de l’extrême. Le déploiement des axes de circulation s’était fait au détriment des populations indiennes que l’on avait expropriées de leurs terres, sans parler de la déviation des cours d’eau et du dynamitage des montagnes, qui avaient engendré des dégâts irrémédiables. C’était la rançon du progrès, songeai-je tristement.


    Biographie

Historienne de l'art et archiviste, Audrey Marty se passionne pour les personnalités féminines oubliées. Son premier livre, une biographie, est paru en 2020 chez Le Papillon rouge éditeur. "Le destin fabuleux de Jane Dieulafoy, de Toulouse à Persépolis, l'aventure au féminin" retrace le parcours de vie atypique de cette Toulousaine, qui fut la première archéologue française. Cette pionnière de l'archéologie portait les cheveux courts et un pantalon et fut l'une des première françaises à recevoir la Légion d'Honneur. Ce livre a reçu le Prix du Lions club du Sud 2021.
Après avoir réalisé deux ouvrages de commande pour son éditeur Le Papillon rouge, "Le grand Toulouse et ses peintres" et "Peintres et couleurs d'Occitanie", elle a publié une nouvelle biographie.
"Nouma Hawa, reine des fauves, la véritable histoire de la première dompteuse du monde" est paru en 2023 aux Editions Métropolis.
Cet ouvrage dresse le portrait d'une lingère ardéchoise, qui deviendra la dompteuse de lions la plus populaire de la Belle Epoque. Elle fut l'une des rares femmes à posséder sa propre ménagerie. Plus qu'une biographie, ce livre nous plonge dans l'univers forain et nous permet de découvrir les premiers pas du cirque moderne et du cinématographe, les seuls grands divertissements que les classes populaires étaient en mesure de s'offrir à la toute fin du XIXème siècle.
Son site : https://www.audrey-marty.com/




Alice Mc DERMOTT – Absolution – Editions de la Table Ronde -2024 -

 

 

L'histoire

Patricia, à peine 23 ans et tout juste mariée à Peter, part avec lui à Saïgon au Vietnam pour une mission diplomatique confiée à son mari. De suite, elle fait la connaissance des femmes expatriées souvent issues de la haute société, dont les maris sont généraux, cadres pour l'industrie. Le Vietnam est alors coupé en deux : au nord, la RDV, communiste, fondée par Hô Chi Minh et au sud la République du Vietnam sous protectorat américain dirigée par Ngô Dinh Diêm, sur fond de guérilla menée par des partisans de Minh, malgré la présence militaire forte des américains.

Tout au long du livre, Patricia, devenue une vieille dame, se repenche sur ces 18 mois passés dans un pays et prend conscience des actes commis là-bas, sous la pression de Charlène, femme emblématique de ce cercle de femmes expatriées dans les années 60.


Mon avis

Voilà un joli roman, complexe qui nous éclaire doublement sur ces années sous tutorat américain du Vietnam et sur la vie de ces femmes expatriées avec famille et mari. Sous forme de lettres échangées entre Patricia et Rainey, la fille de Charlène, (partie I) puis les nouvelles de Rainey (partie II) et la réponse de Tricia (partie III).

Tout juste mariée, catholique pratiquante et institutrice à Harlem, Tricia épouse Peter, qui après une carrière chez ESSO, vient d'être recruté par les services de renseignements extérieurs, avec pour mission de convertir au catholicisme romain les vietnamiens du SUD.

Assez « oie blanche » mais fine psychologue, Tricia devient vite amie, faire-valoir et complice de Charlène, une femme à forte personnalité, capable du meilleur comme du pire. En fait une femme affranchie de pas mal de tabous. Elle gère l'argent du ménage, s'occupe de ses 3 enfants, les jumeaux Rainey et Ransom 8 ans, ainsi que son nouveau né. Les enfants sont scolarisés dans l'école américaine puis gardé par la bonne.

Lors d'un petit incident domestique, la bonne de la maison Lily confectionne un habit traditionnel pour la poupée Barbie avec laquelle la petite fille joue tout le temps. Ce qui donne à sa mère une idée, faire venir (grâce à sa sœur très riche restée aux USA) des barbies typée vietnamienne, et les habillé en do-daï, la tenue typique (une longue veste et un pantalon). Elle décide de les vendre à ses riches copines pour financer des dons pour les enfants hospitalisés, tout en prenant un petit pourcentage pour elle-même et parfois pour Tricia qui n'a pas beaucoup d'argent de poche. Les affaires marchent bien, et les deux femmes préparent des colis pour les enfants hospitalisés, en fait beaucoup sont brûlés au Napalm mais on dit que ce sont les français. Les colis contiennent des bonbons, des petites peluches, des cigarettes pour les parents, et autres babioles qui, si elles ne coûtent pas bien cher, ravissent les enfants. Charlène, son indépendance en tant que femme, qui est aussi crainte que respectée dans ce milieu où les femmes d'expatriées s'ennuient, boivent des cocktails au bord d'une piscine, achètent des robes, et considèrent leurs personnels domestiques vietnamiens comme des objets. Et Tricia aimerait bien, elle aussi, s'affranchir de certaines convenances, surtout par rapport à un mari assez mutique

De son coté Patricia enchaîne les fausses couches, elle qui aimerait tellement avoir un enfant. Charlène au vu des orphelins qui sont nombreux dans les hôpitaux, a encore une idée : les vendre à des riches familles américaines sans enfants... Une idée qui révulse Patricia...

Un roman subtil, qui nous éclaire sur la situation de ces femmes expatriées dans les années 1960, soumises encore aux injonctions patriarcales : être une bonne mère, avoir des enfants, être bien habillée et apprêtée, ne pas s'occuper de politique, et être les parfaits faire-valoir de leurs époux de la haute bourgeoisie ou aministration américaine.

  • Biographie

Née à Brooklyn, New York , le 27/06/1953, Alice McDermott est romancière et professeur d'université. Elle est professeur à l’Université Johns Hopkins.
Son roman "Charming Billy" (1998) a obtenu American Book Award (1999) et le National Book Award for Fiction.
Elle vit près de Washington avec son mari et leurs trois enfants.

Absolution est son neuvième roman.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_McDermott


mercredi 18 décembre 2024

Jessica CYMERMAN – Et que chacun se mette à chanter – Editions Nami – 2023

 

 

L'histoire

Eliette, vieille fille de 73 ans, Pierre bel homme, riche, la cinquantaine, Vincent trentenaire et homosexuel renié par ses parents et Élisa, orpheline 26 ans qui travaille en ehpad, voilà 4 personnalités que rien ne relit.... Sauf l'amour des chansons. Ils se retrouvent les lundis soir, dans une salle tranquille d'Aubervilliers pour participer à des séances de karaoké thérapie, initiée par la mystérieuse Valérie-Anne. Et que la musique résonne !!


Mon avis

Un gentil petit roman agréable à lire et qui nous rappelle que nous avons tous en tête des chansons que nous adorons ou que nous détestons.

Passionnée de chant et de musique, Valérie-Anne, discrète sur sa vie chaotique, réunit 4 personnes, pour faire l'expérience que chanter rend heureux. Et en face d'elle, elle a de drôles de participants. A commencer par Eliette qui est la seule à parler à la première personne, la plus âgée. Mais à 73 ans, Eliette qui n'a pas eu une vie très heureuse, dévouée à ses parents jusqu'à leur mort, n'ayant jamais pu concrétiser une histoire d'amour vit seule, avec ses petits rituels : son émission de télé favorite, et surtout son amour pour Mike Brandt (juif comme elle) mais aussi des chanteurs comme Bruel, ou des grands classiques de la chanson. Elle déteste Daho dont les paroles sont insipides à ses yeux. Pierre est un homme riche, très cultivé, un véritable Wikipédia de la musique où il écoute un peu de tout. Mais Pierre est seul aussi, divorcé, traité de ringards par ses 3 enfants qu'il ne voit jamais. Vincent subi les violences physiques et verbales de son père, parce qu'il est homosexuel et projette de se marié avec son compagnon. Lui se réfugie dans Queen, et d'autres musiques qui le réconforte. Timide et mal dans sa peau, il a du mal à prendre le micro. Élisa est orpheline, elle est plus branchée Rihanna ou Dua Luppa. Elle s'habille comme une djeune et travaille comme aide-soignante dans une maison de retraite. Élisa don prénom lui vient de la chanson de Serge Gainsbourg qu'adorait ses parents. Elle n'a pas son pareil pour créer des groupes What'sApp et est enjouée. La coach Valérie-Anne semble austère et pas toujours très aimable. Mais sa vie est aussi compliquée, pour élever sa petite fille, elle fait du pole dance et chante dans certains cabarets où se dénuder un peu est de mise. Une situation qui lui fait honte.

Mais voilà, Valérie-Anne sait très bien animer ses cours de karaoké, et apprends à ses élèves à respirer, placer leur voix puis s'essayer à tous les styles de chansons. Et au fil du temps, ce petit monde improbable noue des liens d'une amitié forte et durable. On s'invite, on se rend service, on se confie et puis les occasions sont belles aussi pour rire ou pour trouver l'amour le vrai avec un grand A.

On sait bien évidemment que la musique a un grand pouvoir sur nos émotions, qu'elle soit énergisante, douce, classique ou moderne. On a tous dans la tête des airs de chansons, souvent celles de notre génération, et on fredonne parfois sous la douche, et parfois même de ritournelles qu'on aime pas du tout, mais qu'on a tellement entendues qu'elles nous trottent dans les oreilles. Mais on ne chante pas. Le karaoké c'est surtout une spécialité japonaise et chinoise, mais personne, à part les passionnés ou ceux qui veulent être vedettes un jour n'achètera une machine à karaoké, avec casques, micros, et répertoire. Ici on passe de Mike Brandt à Whitney Huston, de Cloclo à Reggiani, de Dalida à Daho, bref un répertoire large de toutes ces chansons que l'on connaît plus ou moins selon notre époque, notre culture.

Bref, c'est joliment écrit, émaillé des paroles de chansons que tout le monde connaît, dans une écriture simple et sans fioritures.

Ça se lit, cela donne le moral. Et vous quelle est votre chanson préférée ??



Extraits

  • Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde ace, pas pour une nuit mais pour la vie.

  • Je ne sais pas ce qui lie les gens. Je ne sais pas si les liens choisis sont plus forts que les liens du sang. Je ne sais pas si j'ai tort ou raison. Je ne sais pas si Mike Brant aurait été un bon époux. Je ne sais pas si mes parents ont frôlé la joie un jour. Ce que je sais, c'est que celui qui chante se laisse emporter.

  • C'est si émouvant, Pierre. Tu es si touchant. Tu devrais ouvrir plus souvent le premier bouton de ta chemise.

  • Je ne saurais dire si je suis une éternelle enfant ou si j'ai toujours été une vielle personne.

  • J’ai besoin d’un fond sonore pour me sentir en vie. Le silence, c’est ma sœur au fond d’un puits, c’est mes parents juifs qui se cachent pendant la guerre, c’est mourir un peu.

  • Le seul qui tient encore la route, d'après moi, c'est Drucker qui finira par enterrer tout le monde.

  • Quel bonheur de se sentir bien ailleurs, bien partout.

  • Elle a fait attention à moi. Et c’est un fait suffisamment rare pour que ça me touche.

     

    Biographie

Journaliste à la plume prolifique et blogueuse pleine d’humour, Jessica Cymerman livre ses humeurs de mamans sur son blog Serial Mother.

Son insta : https://www.instagram.com/ze_serial_mother/?hl=fr


lundi 16 décembre 2024

Marion TOUBOUL – Second Coeur – Editions Le mot et le Reste - 2024

 

 

L'histoire

Alice n'a jamais voulu reprendre l'exploitation agricole de ses parents. Elle suit des études de journalisme à Lyon quand elle rencontre une jeune femme vénézuélienne. Elle part aussitôt en Amérique Latine d'où elle envoie des reportages pour des journaux. Mais au Venezuela, où elle rencontre son compagnon Léopoldo, les manifestations violentes anti-Chavez sont violentes et dans un pays dévasté, elle perd son bébé. Recherchés par la police, le couple s'enfuit pour Madrid. Alice travaille alors comme monteuse et reporter pour la télévision et Léopoldo doit finir un stage pour valider ses compétences d'infirmiers à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne réapparaît pas et Alice doit se trouver une vie, en cheminant dans les petits villages de l'Espagne profonde.



Mon avis

Voilà un très beau roman, une véritable ode à la poésie et à la nature.

Si certains passages sont inspirés de sa propre expérience, Marion Touboul crée une héroïne attachante, curieuse et qui malgré les deuils va se trouver un chemin dans la vie.

Alice a toujours aimé voyager, et plus dans les pays du Sud. Après une expérience traumatisante au Venezuela à la fin des années Chavez, où elle perd son bébé, faute de soins dans un pays qui sombre dans une guerre civile, elle se trouve refuge, grâce à une amie à Madrid. Elle trouve un petit appartement sous les toits pas très loin de son emploi de monteuse pour la télévision, tandis que Léopoldo part en stage pour devenir infirmier à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne revient va, ce qui laisse Alice dans un immense chagrin, un autre deuil. La police lui assure qu'il n'y a pas d'avis de décès. Alors Alice va surmonter son chagrin. Tout d'abord elle se rend à Avila, le village qui a vu naître la Sainte Thérèse, fondatrice des carmélites et écrivaine. Elle qui n'est pas du tout religieuse se fait expliquer par un guide, Taigo, la vie et les recherches de la Sainte. Hors il se trouve que sa mère a une image de cette sainte dans le salon, et la mère n'est pas non plus religieuse. Puis lors d'un reportage, elle part en Estrémadure au sud-ouest de l'Espagne, une région assez pauvre et désertique où elle rencontre un éleveur de taureaux sauvages pour les corridas et son neveu Guillermo, un homme solide, terrien qui la réconforte. Ils font même des projets en commun, comme ouvrir une maison d'hôte. Mais avant Alice a très envie de parcourir la via del Plata, une route qui part de Séville et qui est le chemin de Compostelle espagnol, traversant l'Andalousie, l’Estrémadure, Castille et Léon et enfin la Galicie. Le parcourt est fait de longues étapes de marches en passant par des petits villages, ce que préfère Alice qui y est chaleureusement accueillie. Ce périple, couplé à ce qu'elle a retenu des enseignements de Sainte Thérèse d'Avila vont lui donner les réponses qu'elle cherche, mais aussi révéler sa vraie nature : celle d'une voyageuse.

Ecrit dans une langue simple, sans pathos, ce road-movie dans l'Espagne non médiatique, laisse la place belle aux paysages, aux grands espaces, mais aussi aux petits villages quasi-médiévaux. Un très joli moment de littérature, avec ce personnage d'Alice, fragile et forte qui se découvre et apprend à s'aimer et trouver sa voie. Inspirant, poétique, ce cours roman, nous dit l'essentiel, sur nos voyages qu'ils soient intérieurs ou extérieurs.



Extraits

  • Lorsqu'ils s'approchent de Guadix, le jour s'incline. Tiago décide de faire une pause sur le bas-côté de la longue route sinueuse bordée de champs d'oliviers qui mène de Jaen à la mer. Un air encore chaud enveloppe le sommet d'une montagne chauve. À perte de vue se profilent des falaises plissées d'un orange si vif qu'on a envie d'y planter ses crocs comme dans un abricot sec. Et là-bas, derrière les falaises la vue est plus extraordinaire encore : des montagnes enneigées aux formes nettes comme des dents de scie. " la Sierra Nevada..." dit Tiago. Alice regarde le paysage qui la domine par la perfection de sa douceur. Cette alliance de couleur, de relief et de climat... dans aucun voyage elle n'a vu pareille beauté. L'image du Kilimandjaro lui revient en tête. Les mêmes immensités, les mêmes terres depeuplées au pied de cimes comme habitées des seuls dieux. L'Andalousie n'est donc pas qu'une terre chantante, elle sait aussi se taire, et ce silence orangé et le plus beau des flamenco.

  • Les rapports d'Alice avec son père s'étaient dégradés lors de son premier voyage vers Caracas avec Beatriz. Lui en voulait-il de s'offrir la vie dont il avait rêvé ? Alice ravivait-elle ses frustrations d'enfant ? Ou était-il tout simplement inquiet ? Toujours est-il qu'il ne supportait pas son choix de partir. Son père avait toujours compté sur ses enfants pour reprendre la ferme. Rompre le fil de la transmission était inimaginable. Ils se disputaient souvent à ce sujet, d'autant que son petit frère se tenait, comme Alice, aussi loin de la vie paysanne qu'un mouton de la clôture électrique. Ce n'est pas tant le travail de la terre qui lui déplaisait mais sa répétition. Elle sentait l'air se comprimer dans ses poumons sitôt qu'elle s'imaginait dans la peau d'une paysanne. Finalement, plus Alice se tenait loin de son père, mieux elle se portait. Tout les opposait. Elle : petite, fine, sportive, curieuse, émotive. Lui : grand, colérique, le pas lourd, focalisé sur ses vaches. Plus les années passaient, plus le fossé s'était creusé entre eux. Il était le loup en cage, elle était l'hirondelle.

  • Alice avance à pas rapides sur le chemin plat et régulier, tendue comme une flèche vers le nord, le soleil piquant ses joues. Elle voudrait couper à travers champs pour se perdre vraiment, appuyer ses pensées à autre chose qu'à son passé. Mais l'ombre des taureaux derrière les barrières métalliques la retient. Pas un hameau, pas une maison, pas même une ruine pour s'extraire de soi. Alice marche sur cette page blanche comme dans un chant a cappella. Et plus elle marche, plus elle s'enfonce en elle.

  • Il y a des courants qui emportent irrémédiablement. Une envie de se blottir contre l’autre et tout donner, tout de suite, y compris la clef de ses demeures les plus profondes. C’est ce que ressent Alice lorsque la main de Leopoldo effleure la sienne par-dessus l’accoudoir. L’envie folle de se diluer en lui, de le laisser respirer à sa place, pas pour une nuit mais pour la vie. 

     

    Biographie

Née à Paris , le 06/04/1985, Marion Touboul est journaliste de formation. Elle a passé sept années en Egypte où elle a été la correspondante de nombreux médias comme de la chaîne Arte. Elle est correspondante pour Arte en Espagne, où elle a effectué le voyage de la Via del Plata


vendredi 13 décembre 2024

Maud VENTURA – Célèbre – Editions l'Iconoclaste 2024

 

 

L'histoire

Dès son enfance, Cléo rêve de devenir célèbre. Fille d'un couple franco-américains d’intellectuels, la jeune fille se veut irréprochable. Meilleure élève, discrète, elle n'en nourrit pas moins des ambitions très haute. Douée en musique, elle joue du piano, fait de la guitare et chante, son rêve est d'être une chanteuse à succès telle une Lady Gaga, une Beyoncé. Elle part finir ses études à New-York, tout en trouvant un petit boulot de vendeuse en librairie. Mais elle délaisse ses études pour composer ses chansons. Qu'elle poste sur les plate-formes internet, en boostant sa visibilité. Et voilà qu'un jour, elle est repérée par un gros label, qui voit en cette jolie fille une belle opportunité. Relookée, habillée, un peu de chirurgie esthétique, une assistante personnelle de la maison de disques, elle est coachée et sort enfin son premier album. Qui fait un triomphe. Elle rafle les récompenses, enchaîne les tournées mondiales. Puis un deuxième EP lui assure une gloire définitive, elle fait partie du sérail. Mais à quel prix ? Entre son exigence folle, les sollicitations, les interviews, les petits coups bas qu'elle inflige à des rivales, Cléo comprend que le succès à un prix, et que la chute risque aussi d'être difficile.



Mon avis

Pour son deuxième roman, Maud Ventura s'intéresse au star-système et notamment dans la milieu de la chanson. Elle crée une héroïne à la fois fragile et indomptable. Car ce n'est pas la modestie intérieure qui habite cette Cléo, elle veut être le centre du monde partout et y parvient à force de volonté, mais aussi par le formatage de sa maison de disques, une grande major. Toujours en promotion, en grande tournée mondiale, cette jeune femme qui écrit elle-même ses chansons voit sa vie totalement chamboulée. Car la célébrité a un prix. Celui d'êtres toujours impeccable (elle ne boit pas, elle suit un régime, 17 personnes sont à son service, de sa maquilleuse à sa coiffeuse, les meilleurs ingénieurs du son sont mis à contribution. Mais Cléo n'est jamais satisfaite. Les amis d'autrefois ne l'intéressent plus, ils sont médiocres. Même avec sa mère une femme gentille qui ne comprend pas toujours sa fille mais la soutient, les rapports sont distants, faute de temps. Les sollicitations par contre sont omni présentes. Elle a des « tas d'amis » ou de « famille éloignée » qui ne sont là que pour lui demander une faveur, lui soutirer de l'argent. Au début elle est aimable mais quand ses mails sont saturés tout comme ces textos, elle ne répond plus et change 4 fois de portable dans l'année.

Et puis ses tournées l'épuisent et elle n'a pas envie de n'être qu'un phénomène de mode passagère. Elle doit écrire des chansons. Elle n'hésite pas à se fracturer elle -même la cheville pour avoir 3 mois de repos, et écrire un autre album qui serait aussi un succès. Elle n'a pas le temps d'avoir des relations amoureuses sérieuses, une liaison avec un journaliste de seconde zone qui la déçoit, trop médiocre, mais surtout elle vise un chanteur plus âgé toujours en place dont elle cherche à comprendre sa longévité dans un milieu qui ne fait pas de cadeaux. Surtout à ce qu'elle estime être un faux pas, elle se scarifie et si elle est entourée par des professionnels elle est totalement seule. Mais voilà, un faux pas – elle n'est pas avare de petites vacheries pour des possibles concurrentes -, et une erreur de jugement vont accélérer de façon totalement inattendue sa chute.

Avec une précision chirurgicale, l'autrice décortique la célébrité, ses vices et ses vertus. Certes, elle fait de son héroïne un parfait cliché de la jeune star, mais elle pointe aussi les doutes, l'ironie de certaines situations. Un personnage fait d'ambitions, de caprices (certes refoulés), obsédée par la perfection, qui raconte son histoire avec des mots cash et sans filtre.

Mais à force de pousser le bouchon un peu trop, de ne pas resserrer son roman, on finit par ne plus y croire une seconde. Trop prévisible cette Cléo. Je n'imagine nullement des stars affirmées comme Lady Gaga ou Beyoncé, certes perfectionnistes, se soumettre à tous les désirs d'une maison de disques. Certes, elle sont entourées, traquées par des paparazzis, mais elles ont sûrement des garde-fous et n'ont plus rien à prouver. On aime ou pas leurs musiques, elles sont incontournables et leurs carrières sont lancées. Elles deviennent leurs propres productrices, s'engagent publiquement dans des œuvres caritatives et savent gérer leur argent, s'assurer de coopérations avec d'autres artistes et écrivent leurs chansons. Cela dure depuis 20 ans et même si elles sont excentriques, elles assument pleinement leur destin.



Extraits

  • J’ai un rêve mais je ne rien pour le concrétiser. Le piano et la guitare, pour rien. Ma voix d’or, pour rien. Mes études pour rien. New York, pour rien. Toutes ces années, sont des années perdues. Un trou de 10 ans. A la fin du décompte, je fouille dans mon placard, trouve une ceinture de cuir. Je me mets à genoux et je me frappe les cuisses. Dix coups de cravache. Dix coups de fouet pour les dix années que j’ai passées à ne rien faire.

  • On se trompe de métier, on se trompe de partenaire, on se trompe de lieu de vie. Et puis, on rectifie le tir. Soudain, tout s’aligne, tout s’explique, il n’y a plus ni compromis, ni lassitude, les efforts n’en ont plus, rien n’est un sacrifice, tout s’imbrique, naturel et joyeux. Je souhaite à tout le monde d’être un jour à sa place.

  • Il compose la musique qu’il a envie de chanter, pas celle que le public a envie d’entendre. Il s’offusque que son premier album n’ait pas rencontré le succès escompté – même lui n’écouterait pas ses propres chansons. Comment peut-on séparer à ce point l’art qu’on produit de celui qu’on consomme ?

  • C’est la première chose à apprendre : pleurer sur commande. On connaît la chanson. Il faut se montrer émouvante et fébrile, avoir le triomphe modeste, expliquer qu’on fait de la musique pour ses fans, saluer les équipes de l’ombre en citant une longue liste de noms qui n’évoquent rien à personne.

  • Ils ne se rendent pas compte, personne ne peut comprendre ce que je vis. La seule image qui s'en rapproche est : je suis dans une machine à laver et le cycle dure depuis sept ans.

  • Un détail après l'autre, millimètre par millimètre, je change. Mes ongles rouge teinte pompier deviennent ma marque de fabrique ( $ 100 ), une restructuration couplée d'une micro-pigmentation de mes sourcils ajoute de la profondeur à mon regard ( $ 200 ), un rehaussement des cils et des soins à la kératine me font des yeux de biche ($ 300), un massage de l'intérieur des joues , inner facial, sculpte ma machoire ( $ 400), une technique ancestrale japonaise , Kobido, remodèle mon visage ($ 500), de la radiofréquence raffermit mes fesses ($ 600), un blanchiment des dents me crée un sourire éclatant ($ 700), un appareil invisible atténue le chevauchement de mes canines ($ 8000), une kératothérapeute me fabrique des crèmes sur mesure adaptées à mon type de peau ($ 4000), dix séances d'épilation laser rendent mes jambes douces pour toujours ($ 10 000). A cela s'ajoutent divers frais de médecine et chirurgie esthétique ($ 32 000). La beauté, comme tout, s'achéte (total : $ 56 800 )

  • Il est beaucoup question du syndrome de l’imposteur. Vivre avec l’impression de ne pas mériter ses réussites, d’avoir eu de la chance, d’être passé entre les gouttes, de voler la place de quelqu’un de plus compétent. De mon côté, je dois affronter l’angoisse inverse et inavouable : je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte. Pour moi, l’injustice suprême serait que mon génie passe inaperçu. Je suis exceptionnelle, mais je crains que jamais il ne me soit permis d’en faire la brillante démonstration.

  • La satisfaction d'une existence minimale, réduite à une valise et à dix objets, est bien réelle. La tranquillité tient parfois dans ce qu'on soustrait plutôt que dans ce qu'on accumule.

  • Vous n'avez que dix-huit ans, comme c'est impressionnant ! " Ta gueule Olivia, avec tes deux parents acteurs, bien sûr que tu n'as pas tardé à devenir célébre. Un nom de famille connu plaqué sur des chansons dont tu n'as pas écrit une ligne, une voix corrigée par un logitiel, zéro proposition artistique. je n'ai aucun respect pour toi.

  • Mon entourage change. J'étais seule, on devient une équipe : manager, assistante, publiciste, attachés de presse dans vingt-sept pays, avocat, comptable, fiscaliste, gestionnaire de patrimoine, agent image, communicant, expert en prise de parole publique, coach vocal, coach mental, community manager, directeur artistique, kinésithérapeute, psychologue, styliste, responsable de la sécurité, garde du corps, chauffeur, chorégraphe, sophrologue, chaman. La starification se fait par couches successives.

  • Le paradoxe me prend à la gorge. Je viens de chanter devant 5 000 spectateurs mais je n'ai personne avec qui discuter avant d'aller me coucher. Et pendant ma tournée, mes salles de concert pleines à craquer d'amour ne m'empêcheront jamais de m'endormir en pleurant toute seule dans mon lit.

  • Au passage, il faut que je m'habitue à fermer les yeux sur mon bilan carbone. J'ai de grandes choses à accomplir sur cette terre, alors si une personne a bien le droit de polluer, cest moi.

  • J'apprends à dire non, à ne pas décrocher mon téléphone, à ignorer mes appels manqués. Il faut fermer les vannes, et vite. Les intermédiaires entre le monde extérieur et moi se multiplient. Peu à peu, il devient impossible de s'adresser à moi directement : il faut passer par dix entremetteurs. Une star, par définition, est inaccessible.

  • J'ai dormi quatre heures cette nuit, je n'ai rien avalé depuis 7 heures du matin, j'ai mal à la gorge - et je passe l'après-midi à tourner une vidéo pour Vogue où je décris le contenu de mon sac à main. Chaque objet a été choisi par mon conseiller en image et négocié avec les marques. Tout sourire, je sors du cabas Dior du maquillage ( que je n'ai jamais utilisé de ma vie ) , un parfum ( qui se balade avec un flacon de 200 millilitres ?), un énorme tube de crème solaire (décidemment ces placements de produits manquent de subtilité ) - mais aussi les deux tomes du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir ( un seul aurait suffi) et un beau livre sur les femmes peintres du XVIII e siècle ( qui peut croire que je m'encombre tous les jours d'un bouquin pesant près de 4 kilos ? Et pourquoi pas une toile de Van Gogh, une scie circulaire ou un catamaran ?).

  • La célébrité est ma vie. Celle que je savais que j'aurais, celle que j'ai fait en sorte d'avoir. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui. J'ai toujours considéré que ce qui m'attendait n'était pas une existence mais un destin. Ma route serait exceptionnelle, ma trajectoire hors du commun.

  • La célébrité est une drogue dure, un monstre féroce. Et je suis allée la chercher avec ma rage, avec mes ongles, avec mes dents.

  • A trente-deux ans, je suis au sommet d'un château que j'ai construit seule avec mes chansons. Je ne crois pas à la chance. Je ne crois pas au réseau d'amis influents. Je ne crois pas au plafond de verre. Je ne dois ma réussite qu'à mon talent, à mon caractère et à la méritocratie. Alors si j'avais pu être honnête le soir de ma dernière remise de prix, je n'aurais remercié qu'une seule personne lors de mon long discours : moi-même.

     

    Biographie

Née en 1992, Maud Ventura est titulaire d'un master en philosophie de l'École normale supérieure de Lyon (2013-2015) et d'un master en management d’HEC Paris (2016-2019). A France Inter juste après ses études. Depuis 2021, elle est rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ.
Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux dans son podcast "Lalala" et dans son premier roman "Mon mari" (2021). Pour l'anecdote, Maud a été stagiaire aux Mots en 2017 - pendant cette période, elle suit un atelier d'écriture de scénario, et anime un Club de lecture avec des élèves de l'école.
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Maud_Ventura




lundi 9 décembre 2024

Ian MANNOK – Le pouilleux Massacreur – La manufacture des livres – 2024-

 

 

L'histoire

L'adolescence de Sorb, un jeune d'origine arménienne, qui vit avec sa bande ? Nous sommes en 1962. Les gamins ne sont pas des gros voyous, ils ne dealent pas, juste quelques vols de voitures ou petits larcins, surtout du à l'ennui. Sorb lui veut être journaliste, et se fait embaucher par un journaliste indépendant un peu tordu. Puis, à la suite d'un meurtre qu'il n'a pas commis, il part en Afrique Noire quelques temps. Revenu en France, protégé par un commissaire de police, il se met à travailler pour e Figaro. Alors que la guerre d'Algérie bat son plein, les soucis de la petite bande sont bien éloignés d'une guerre qu'ils ne comprennent pas.


Mon avis

J'adore Ian Manook dans ses polars ethniques et j'avais adoré la série des Yeruldegger, en Mongolie, puis Askja dans les steppes de Mongolie, entre grands espaces et jolie intrigues.

Là, il signe un roman aux tendance autobiographiques. Bien sur en bon auteur, il adopte un langage un peu « titi parisien » voir argotique pour une histoire de petits voyous qui pourtant vont commettre des grosses bêtises. Bien sur il y a une visite des lieux oubliés de Paris, qui n'existent plus aujourd'hui, les boites échangistes où se fait la politique et cette mystérieuse guerre d'Algérie à laquelle la petite bande ne comprend pas grand chose et qui a d'autres soucis en tête. Des histoires d'amour et de vengeance, des rivalités avec des bandes de jeunes des cités voisines. Mais c'est surtout l'ennui de ces jeunes, dans ces tous nouveaux HLM, sans verdure, sans commerce, ni activités sportives qui pousse les jeunes à faire des «conneries ». Pourtant Sorb est un garçon intelligent qui suit tant bien que mal des études supérieures ce qui en fera le premier diplôme de sa famille qui s'en réjouit.

C'est l'histoire d'un homme en devenir qui se cherche, qui se perd. Un roman d'initiation, à la vie, à l'amour, aux valeurs. Écrit à la première personne, cette quête de sens fait vibrer ce passé, dans un texte où l'écrivain a sûrement mis beaucoup de lui pour retrouver cette France d'avant 68. Beaucoup de souvenirs, à n'en pas douter, pour ce premier texte en terre française d'un auteur voyageur.

Sorb, surnom pour Sorbonne parce qu'il est celui qui fait des études dans cette bande, avait pourtant tout pour construire une existence toute tracée. Des parents aimants qui l'aident à se lancer, une belle intelligence, une relation torride avec sa petite amie. Mais il ne voit pas les signes, ne se rend pas compte de l'importance de ce qu'il reçoit ni de ce qu'il peut en faire. Phénomène de groupe, le clan va de dérapage en dérapage, jusqu'à se morceler quand tout ira trop loin.

Pourtant, ce ne sont pas vraiment de sales gars, mais de ceux qui ne trouvent pas leurs places dans la société, dans une France qui se débat avec les soubresauts de la guerre d'Algérie. Avec Sorb, en pleine désillusion, qui côtoie deux mondes, entre sa copine friquée et le monde ouvrier dans lequel il grandit. Mais à mon avis, il manque de la hauteur à ce roman, avec des personnages un peu cliché comme cet inspecteur à la Audiard, ou la fiancée riche mais contestataire en rébellion contre sa famille friquée. On a bien sur de l'humour assez corrosif, des passages tristes mais des belles échappées dans un Paris qui n'existe plus. Pas assez pour en faire un chef d’œuvre à mon avis, on n'y retrouve pas le souffle dynamique des romans voyageurs. Mais un retour sur un passé qui trouve des échos aujourd'hui dans ce qu'on appelle les « quartiers ».


Extraits

  • M’man, la plupart de ces hommes ont un travail et gagnent leur vie. Ils ont un salaire. Une voiture même, souvent. – Mais alors pourquoi vivent-ils dans de telles conditions ? – Parce que, malgré leur salaire, on ne leur donne pas de logement. – Mais pourquoi, Mathieu, pourquoi ? – Parce qu’ils sont Arabes, m’man.

  • Les crimes ne résultent pas que de la confrontation des individus. Ils sont la conséquence de ce que la société fait de nous tous. Assassins ou victimes, ils le doivent aussi à leur éducation, à la morale ambiante, à leur situation sociale et économique, au regard de la société sur ce qu’ils sont, et au hasard. L’imparable faute à pas de chance. Le célèbre mauvais endroit au mauvais moment. Sans sa morne vie de prolo qui l’échoue chaque soir dans sa solitude, abruti de fatigue et de solitude, Laurent n’aurait pas eu besoin de se trouver une bande, il ne t’aurait pas connu, il ne t’aurait pas rejoint au Baltimore, et il ne serait pas devenu le poing du destin pour cette pauvre femme.

  • Le sexe est l’expression ultime du pouvoir. Les partouzes, les ballets roses, la pédophilie, c’est l’ultime arrogance de ceux qui croient tout avoir et en veulent plus encore. Et tu sais pourquoi ? – C’est vous le professeur en saloperies…– Parce que c’est l’avilissement de l’autre, l’affirmation de sa victoire contre la morale, contre l’humanité, l’accession au parterre des dieux, pour disposer comme eux des pauvres humains qui ne peuvent que subir. Baiser dans ces conditions, c’est tuer. C’est poignarder avec son sexe. Il n’y a pas de pouvoir sans sexe. Jamais !

  • Je fréquente la bande parce qu'en dehors de la fac, je n'ai rien d'autre à faire et que je m'ennuie dans le HLM blême de mes parents au milieu de ma cité dortoir... Le petit bourge futé d'urbaniste qui a imaginé la cité où nous vivons n'a prévu aucun bar. Zéro troquet. Dix mille nouveaux habitants et pas un rade ! Cité prolo, qu'ils ont dit. Métro, boulot, dodo. Pas bistro.

  • Le ciel bas est laineux. De chaque côté de la rue, des champs de boue le brisent en reflets mats dans des flaques et des ornières. Tout est sinistre et miséreux soudain. C’est une morne plaine qui s’étend jusqu’à l’horizon, jonchée d’immeubles tristes et géométriques au milieu de terrains vagues morcelés de chantiers et de cabanons. Et pour seuls arbres, des grues squelettiques qui construisent d’autres clapiers démesurés.

  • Écrire, s'évoquer des sentiments universel à travers des destins individuels.

  • L’enfance ne fait pas de nous ce que nous devenons, mais c’est ce que nous devenons qui tue notre enfance. Après, il ne reste plus que l’idée que nous nous en faisons.

  • Ce type ne sait pas mentir. Même sans rien dire, il a l'air coupable de ce qu'il cache. Martineau le salue de la tête. Les rares habitués sont partis. Il ne reste que la bande autour de la table. Ceux qui jouent et ceux qui regardent en attendant le massacre. Seule Annie navigue ailleurs, toute seule devant le juke-box, les yeux au plafond, et rêve qu'elle s'appelle Daniela et que l'amour d'Eddy Mitchell n'est qu'un jeu pour elle.

  • Quoi que tu écrives, souviens-toi bien de ça, quelqu'un se sert de toi, un autre te ment, un troisième t'édulcore, et un dernier te lit en ne comprenant que ce qu'il veut bien comprendre.

  • S’aimer, vivre ensemble, se marier… – Ah, ce genre de choses. – Oui, ce genre de choses. Je savais bien que nous en arriverions là un jour. Je ne pensais pas que cela arriverait alors que nous serions nus dans la paille de la galerie abandonnée de l’orangerie du château de Meudon.

  • Je m’appelle Sorb. Je n’ai pas choisi. C’est le diminutif de Sorbonne. Ceux de la bande m’ont donné ce surnom parce qu’ils me trouvent plus instruit qu’eux.

  • Il y a encore plus malheureux que le prolétariat relogé des cités. Il y a le populo abandonné de tous, celui des quartiers insalubres. Les moins que rien. Les sans nom. Les sans dents. Les miséreux. Ceux dont on attend qu'ils s'éteignent d'eux- mêmes, comme un feu qui couve et qu'on ne daigne même pas noyer, attendant qu'il s'étouffe...

  • Dehors, sous le grand cèdre. Nous regardons le trafic basculer dans la cuvette d'Anthony. C'est un déversoir. Un flot ininterrompu de feux arrière qui disparaissent dans le trou béant de la nuit en ensanglantant le paysage. Un fleuve de sang lumineux. Plus loin c'est Fresnes, et la bifurcation vers Paris, ce halo orangé et hypnotique là-bas, dans le fond. Comme une cloche en verre qui nous l'interdit et nous tente à la fois.

  • Des mecs de Meudon-la-Forêt, c’est tout. On zone, on fout la pagaille dans les Prisus, on choure deux ou trois trucs dans les Félix Potin, des quarante-cinq tours chez les disquaires, rien de méchant. On siffle les filles et on se tire en ricanant. Rien de grave. Quelques caisses aussi, bien sûr.

  • On écoute du rock américain. Dick Rivers et Richard Anthony aussi. Moi j’écoute Charles Aznavour en douce, parce que mon père est Arménien.

     

    Biographie

Né à Meudon, le 13/08/1949, Journaliste, éditeur et écrivain dont le vrai nom est Patrick Manoukian. Il a écrit sous les pseudonymes de Manook, Paul Eyghar, Ian Manook et Roy Braverman. Il signe également, avec Gérard Coquet, sous le pseudonyme collectif de Page Comann.

Grand voyageur, dès l’âge de 16 ans, il parcourt les États-Unis et le Canada, pendant 2 ans, sur 40 000 km en autostop. Après des études en droit européen et en sciences politiques à la Sorbonne, puis de journalisme à l’Institut Français de Presse, il entreprend un grand voyage en Islande et au Belize, pendant quatorze mois, puis au Brésil où il séjournera treize mois de plus.

De retour en France au milieu des années 1970, il devient journaliste indépendant et collabore à Vacances Magazine et Partir, ainsi qu’à la rubrique tourisme du Figaro. Journaliste à Télémagazine et Top Télé, il anime également des rubriques "voyage" auprès de Patrice Laffont sur Antenne 2 et de Gérard Klein sur Europe 1. Il devient ensuite rédacteur en chef des éditions Télé Guide pour lesquelles il édite, en plus de leur hebdomadaire, tous les titres jeunesse dérivés des programmes télévisés : Goldorak, Candy, Ulysse 31. Patrick Manoukian écrit en 1978 pour les éditions Beauval deux récits de voyage : "D’Islande en Belize" et "Pantanal".

En 1987, il crée deux sociétés : Manook, agence d’édition spécialisée dans la communication autour du voyage, et les Éditions de Tournon qui prolongent son activité d’éditeur pour la jeunesse (Denver, Tortues Ninja, Beverly Hill, X-Files…).
De 2003 à 2011, il signe les scenarii de plusieurs bandes dessinées humoristiques. Son roman pour la jeunesse "Les Bertignac : L'homme à l’œil de diamant" (2011), obtient le Prix Gulli 2012.
En 2013, il publie un roman policier intitulé "Yeruldelgger". Les aventures du commissaire mongol éponyme lui ont valu pas moins de seize prix dont le Prix SNCF du polar 2014. Lesdites aventures se poursuivent dans "Les temps sauvages" (2015) récompensé par un nouveau prix et "La mort nomade" (2016).
Son roman "Hunter" (2018) est suivi de "Crow" (2019) , deuxième titre d'une trilogie qui attend sa conclusion.


Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Manoukian



dimanche 1 décembre 2024

Camilla Sosa VILLADA – Histoire d'une domestication – Métaillé 2024 -

 


L'histoire

Elle est la comédienne transgenre la plus célèbre de son pays. Elle est riche, mariée à un avocat célèbre qui est ouvertement homosexuel. Ensemble ils adoptent un petit garçon porteur du VIH. Ils sont beaux, riches, enviés mais derrière ce masque de mondanités, la Comédienne révèle un tempérament cynique, rusée et prête à se venger de tout affront en usant de tous les registres possibles. Sa dernière lubie, l'adaptation de la pièce de théâtre de Jean Cocteau « la voix humaine » où elle est seule en scène. La pièce est un succès incroyable où on la compare aux plus grandes actrices passées. Mais en même temps, sa vie privée se délite, et elle ne fait surtout rien pour y remédier. Un caractère hors normes.


Mon avis

J'avais adoré le premier roman de Carmen Villada « Les vilaines » traduit en 20 langues et qui a lancé cette autrice argentine. Une fois de plus, elle nous surprend par un roman sur les relations conjugales d'un couple hors-normes.

Il y a la Comédienne (aucun prénom n'est donné dans se livre), cette femme transgenre qui dès 7 ans, malgré les coups du père mais la bénédiction sans faille de la mère, s'habille en femme et affirme son désir de changer de sexe. Elle prendra des hormones, se fera faire une magnifique poitrine, un peu de chirurgie esthétique mais n'ira pas à se faire ôter son sexe d'homme (sans aucune explication comme si cet être hybride reflétait son caractère).

Et pour avoir du caractère elle en a notre actrice : adulée par son public, riche, on sait qu'elle s'est prostituée avant d'intégrer un cours de théâtre et de devenir iconique. Par son argent, par sa beauté, parce qu'elle donne tout à son art, elle est adulée par toute la bonne société de Buenos Aires. Mais elle se montre capricieuse aussi, refuse les interviews mais pose comme modèle pour Vogue ou autre magasine, toujours impeccable et raffinée.

Mais coté vie privée, elle se marie sur un coup de tête avec un avocat, très bel homme, réputé dans sa profession, mais homosexuel. Lui a des amants qui la rendent folle de rage, mais elle ne se gêne pas non plus pour avoir les siens. Son metteur en scène avec lequel elle souffle le chaud et le froid, des rencontres de passage. Dans un souci de respectabilité, elle accepte, sous la pression de son mari, d'adopter un enfant et un enfant atteint du VIH en plus, ce qui suscite l'admiration. Les rejets de ce qu'elle est, de son couple, elle s'en fout. Elle n'est pas avare de piques, de méchancetés parfois gratuites. Sous l'apparence d'une famille bien comme il faut, c'est une relation amour/haine qui s'installe dans le couple et même vis-à-vis de l'enfant qui trop choyé devient capricieux à souhait. Elle n'a jamais connu l'amour véritable, comment aurait-elle pu ? Un père alcoolique et violent, qui a divorcé de sa femme, une femme libre qui rejette les hommes, mais qui se fait respecter dans son village, car elle lit les cartes et aide les femmes, notamment toutes celles qui sont violentées par les maris ou compagnons, les femmes violées, tout la violence d'une société qui reste profondément enracinée dans un patriarcat où rien ne résiste.

En fait, une seule chose résiste, et cela en dépit des régimes politiques qui plonge l'Argentine dans des répressions économiques : l'argent. Car ce couple atypique est riche, indécemment riche, et cette richesse et revendiquée, elle comme le fruit de son travail, tout comme lui. Elle aurait du le quitter, mais il reste entre eux une sorte de lien invisible et tenu. Car lui, cet homme effacé, qui cède facilement aux chantages et aux caprices de cette femme, en est profondément amoureux. Ce lien c'est aussi la sexualité, et l'autrice n'hésite pas à en parler sans tabous, ce qui aussi une forme de libération. Finalement, la « domestication », cette idée de former un couple normal, Papa, Maman, Enfant ne pouvait pas tenir. C'est plus un champs de bataille qui s'installe insidieusement dans ce couple où la Comédienne impose son rythme d'amour/haine, jusqu'à une fin tragique, car elle ne trouve pas l'issue, la bonne porte de sortie qui la glorifiera encore. Et puis l'âge arrive et la beauté commence à se faner et cela est aussi une souffrance.

La famille a réinventer, la liberté des femmes et la lutte des violences faites aux femmes, la difficulté à assurer son statut de transsexuelle (mais ici résolu par l'argent), le statut social des grands bourgeois pour lesquels tout est permis, alors que les gens des campagnes ne vont presque pas à l'école pour travailler vite, dans des emplois mal payés qui engendrent frustrations, et violences voilà tout ce que dénonce, dans un récit sec, sans superflu, parfois abc des mots crus, cette autrice qui est devenue elle aussi une star de l'écriture au-delà des frontières de l'Argentine, dont elle sait si bien analyser les ressorts.


Extraits

  • Les trans s’occupaient de cette flopée d’enfants sans père ni mère qui survivaient dans la ville comme ils pouvaient. Lorsque dans les médias on cherchait à orienter l’opinion publique – Vous croyez que c’est possible que les trans prennent en charge la vie d’un enfant ? Vous pensez que ces enfants peuvent devenir des enfants sains ? Ne sont-ils pas condamnés à l’homosexualité ? Ne pourraient-ils pas être violés ? Sont-elles capables de donner de l’amour ? –, les gens répondaient que le monde était dans un tel processus de dévastation, de pourrissement, qu’il valait mieux l’amour venu de ces mères que l’absence d’amour. On savait parfaitement que les trans se prostituaient pour entretenir leurs petits frères, pour envoyer de l’argent chez elles, dans des provinces lointaines ou vers d’autres pays. Elles donnaient cet argent à leurs neveux, aux enfants de leurs amies. Tantes, mères de substitution, belles-mères, personne n’ignorait que, depuis de nombreuses années déjà, depuis de très très longues années, les trans jouaient un rôle que personne sur cette terre ne pouvait ou ne voulait jouer, pas même l’État, à savoir ces liens sans nom, sans statut, ces liens inclassables qui caractérisaient encore la vie des trans. Elles n’étaient les mères de personne, les filles de personne, les amours de personne, les voisines de personne, les tantes de personne.

  • Je voulais un fils, un garçon. J'étais attentive aux signes. Quand j'étais enceinte, on me disait que ce serait une fille à cause de la forme du ventre, mais moi je ne voulais pas. Je ne voulais pas que ce soit une fille. Les femmes de ma famille souffraient beaucoup. Mes sœurs, ma mère, ma grand-mère. Les hommes souffraient moins.

  • Que c'était vrai qu'ils se punissaient l'un l'autre du fait de s'être mutuellement désirés. Ils n'avaient jamais imaginé, pas plus elle que lui, que l'amour pouvait être aussi insupportable.

  • Surtout, ne me laisse pas seul maintenant. Je suis venu à cette horrible fête par ta faute, lui a-t-il dit en la prenant fermement par l'avant-bras. Elle a reconnu dans cette détermination une conduite très masculine.

  • Comment est-ce qu'on survit à un viol?
    - Tu n'as jamais été violée?
    - Bon, on n'est pas en train de parler de moi. Je suis l'intervieweuse, les gens n'ont pas envie d'apprendre des choses à mon sujet.
    - Bien sûr. Les gens sont au courant... mais pourquoi tu crois qu'ils veulent savoir ça sur moi?
    - Tu es tellement forte, tu as tant de force en toi.
    - Mais nous avons toutes été violées! Il n'y en a pas une qui ne l'ait pas été. Je ne suis spéciale en rien.

  • Elle avait été une grande disciple dans l'art de rendre un homme fou. Elle avait appris que ce qui comptait, ce n'était pas l'amour, la routine ou les jours à se réveiller l'un à côté de l'autre, mais la satisfaction d'avoir un type avec qui jouer et que l'on pouvait embrouiller. L'art d'ôter à l'homme tout point d'appui, de le blesser, de lui faire des promesses, de le menacer, de dessiner pour lui un monde qu'on pouvait détruire d'un simple soupir.

  • C'était saisissant à quel point les femmes du village craignaient leurs maris, leurs petits amis, leurs pères, leurs oncles qui les avaient violées quand elles étaient petites, leurs beaux-pères qui les avaient tripotées quand elles étaient adolescentes. La peur qu'elles éprouvaient adhérait aux murs de sa maison, telle une tache d'humidité. Les femmes qui venaient chez elle étaient des femmes battues, trompées, détrompées, de nouveau battues, des femmes qui semblaient n'avoir aucune issue à leurs problèmes. La mère de la comédienne suturait ici et là des blessures, comme elle pouvait. Elle savait qu'elle se confrontait à la tristesse d'être femme dans un village comme celui-là, où il y avait un châtiment pour toute tentative d'élan vital. Elle résistait au choc de ces solitudes désespérées avec la force puisée dans la rancune qui lui venait de son expérience de femme mariée.

  • Il y a eu de la magie sur scène, non? La comédienne ne répond pas. Il y a eu de la magie sur scène, le genre de truc qu'on entend dans les loges. Elle est agacée par les mièvreries des gens qui prennent à ce point le théâtre au sérieux. Les cérémonials, les échauffements ridicules, les embrassades, les superstitions, les rituels et les solennités qui entourent le petit monde du théâtre. Ne pas passer le balai sur scène, ne pas prononcer le nom de Macbeth, ne pas prononcer le nom d'anciens présidents, ne pas s'habiller en jaune. Si elle pense à sa carrière, elle se félicite d'avoir fait tout ce qui portait la poisse, provoquant l'effroi de ses camarades. Aucune violation du Tao du théâtre n'a eu raison d'elle.

  • Mais l'aboulie s'est prolongée et chez lui l'impatience a grandi. Ce lieu commun psychanalytique paraissait si évident: on désire quand il manque quelque chose.

  • Ils ont beau lui promettre de l'air frais et la liberté pour leur fils, elle leur rappelle toujours qu'elle est née et a grandi dans un village de montagne.
    Elle connaît l'envers de la paisible vie rurale et l'asphyxie qu'on éprouve dans ces enfers si vastes.

  • Est-il nécessaire d'en savoir davantage? Non. Parfois, on se contente d'enterrer les vies passées sous le bonheur présent, et personne ne se sent coupable de le faire.

  • Même si avoir raison en Amérique latine ne sert pas à grand-chose, moi j'aime le goût du triomphe qu'il y a à avoir raison, voilà ce qu'elle dit souvent.

  • C’est le moment où elle cesse d’être la folle de Cocteau, la femme tyrannique, possessive et mythomane de Cocteau, pour devenir une trans simplette et phobique qui rentre chez elle. Le meilleur endroit sur terre.

  • Une comédienne ne cherche pas à savoir qui elle est. Une comédienne, on l'invente. Une comédienne est un rêve.

  • C'était incroyable, tous les hommes faisaient la même chose: parler de leurs privilèges de manière obscène, davantage intéressés par ça que par les seins de leurs maîtresses. 

     

    Biographie

Née à : La Falda , le 28/02/1982, Camila Sosa Villada est une actrice de théâtre, de cinéma et de télévision, chanteuse et écrivaine transgenre. Elle a fait pendant trois ans des études en communication sociale et pendant quatre ans des études théâtrales à l'Université nationale de Córdoba.
Elle a travaillé comme prostituée, vendeuse de rue et femme de chambre. En 2009, elle a créé son premier spectacle, "Carnes tolendas, retrato escénico de un travesti".
"Les Vilaines" ("Las malas", 2019), en cours de traduction dans 20 langues, est son premier roman.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Camila_Sosa_Villada