mardi 14 janvier 2025

Abir MUKEHERJEE – Avec la permission de Gandhi – Editions Lana Levi – 2022 -

 

 

L'histoire

En poste à Calcutta, le capitaine Whindham, accompagné de son fidèle sergent Sat, doit résoudre un crime odieux. Alors qu'un certain Gandhi prône l’indépendance de l'Inde, alors province anglaise, De plus le célèbre capitaine se rend compte de sa dépendance à l'opium mais est toujours présent pour les enquêtes, surtout celles où il n'a officiellement pas le droit d'y mettre le nez.


Mon avis

Ah, je retrouve avec plaisir l'écriture pleine d'humour et de dérision de l'écrivain Mukherjee et son fameux héros, le capitaine Wyndham.

Nous sommes en 1921, et Wyndham officie à Calcutta, la ville la plus bondée du pays. La situation est délicate, le futur roi d'Angleterre vient y faire une visite royale, et pendant ce temps, un certain Gandhi prêche l'indépendance de l'Inde mais sans violences. A Calcutta, il est représenté par un certain Basanti Das, un homme plus très jeune mais largement influent auprès de la population.

De plus, des meurtres rituels ont lieu sur des personnes qui ne se semblent pas se connaître : un trafiquant de drogue, une infirmière, un chercheur. Qui est donc ce tueur ? Malgré des mises en garde de sa hiérarchie et l'imposant bureau des services secrets de sa Majesté, Whyndham n'est pas du genre à lâcher cette affaire.

Pourtant le capitaine tente de se sevrer de son addiction à l'opium, tandis que son jeune lieutenant Sat Banerjee, indou, tente de l'aider, même si lui aussi pense à l'indépendance de son pays.

Raconté par le capitaine, cette aventure nous plonge au cœur de Calcutta, de ses quartiers riches aux plus mal famés. Et interroge sur le désir d'indépendance d'un pays déjà multi-culturel, entre les hindous, les népalais, les parsi, les tamouls.

Le tout avec un humour décapant et une intrigue bien ficelée, alliant des rebondissements au fil des pages qui vont rendent vite accro. Pour ce 3ème opus de la série Wyndham, l'auteur anglais est vraiment en grande verve.


Extraits

  • Je l'ai rencontré une fois, le prince Edward Albert Saxe-Cobourg Windsor, ou quel que soit son nom, dans les tranchées en 1916. A l'époque, comme maintenant, ils l'avaient envoyé pour nous remonter le moral. J'ai eu du mal à comprendre que la poignée de main d'un prince qui ne connaîtrait jamais les horreurs de la guerre puisse remonter le moral d'hommes dont l'existence consistait essentiellement à attendre la balle qui leur était destinée.

  • Le mort était probablement un fantassin d’un des gangs de l’opium en lutte permanente pour le contrôle de Chinatown : très certainement le Green Gang ou le Red Gang. Après tout, ce sont les plus gros acteurs du marché de l’opium chinois. Tous les deux sont basés à Shangaï, et Calcutta, porte d’entrée de leur drogue, est un bien précieux pour lequel ils sont prêts à verser le sang. Nous sommes parvenus à contenir leur querelle par le passé, mais aujourd’hui, avec le manque d’hommes, d’autres sujets sont devenus prioritaires, et les gangs en ont aussitôt profité pour se disputer le droit de remplir le vide que nous avons laissé.

  • Une des constantes de la vie ici est la bataille interminable contre les moustiques. Quelqu'un a décidé que c'était une bonne idée de construire une ville sur un marais, scellant ainsi le destin de Calcutta.

  • Nous ne pouvons dominer l'Inde que par la force des armes, mais la force est inefficace contre un peuple qui ne contre-attaque pas ; parce que vous ne pouvez pas tuer sans tuer aussi une part de vous-même.

  • Car trois choses allaient toujours se combiner contre elle : elle était pauvre, elle était indigène et c’était une femme. En Inde cela signifie que sa vie comptait peu, et qu’à moins de s’insérer dans une histoire plus vaste sa mort compte encore moins.

  • J'envisage de tout dire. Il paraît que la confession fait du bien à l'âme, mais en réalité tout dépend du confesseur.

  • Quand il me sert le verre je me félicite de ma fermeté. C'est typique de l'addiction et du deni: une petite victoire ici et là peut aider à camoufler les grandes défaites.

  • L'homme, dont le visage en sueur est déformé dans une grimace qui pourrait faire honneur à la scène du Theatre Royal, débite ses mots au rythme d'une mitrailleuse Gatling avec des gestes pleins d'emphase et en pointant un index boudiné vers le ciel. Un style oratoire souvent adopté par ceux qui ont très peu de choses à dire mais qui tiennent quand même à les faire avaler par tout le monde : un style bourré de slogans destinés à exciter la foule et écraser tout débat. Et malheureusement, c'est efficace.

  • Car ce que l'Englishman, ses lecteurs et le vice-roi n'ont pas saisi c'est que la menace ne vient ni du parti du Congrès, ni de ses Volontaires. Le véritable danger ce sont les millions d'opprimés muets qui constituent l'Inde réelle. Pour la première fois ces masses pauvres, illettrées, sans voix, qui représentent les neuf dixièmes de la population de ce pays sont en marche, et je ne doute pas, si on les met en colère, que leur seul nombre puisse balayer Gurkhas et Britanniques de la face de cette terre comme Gulliver s'est libéré des chaînes des Lilliputiens.

  • La première bouffée de la première pipe a été une délivrance. Avec la deuxième, les tremblements ont cessé, et avec la troisième mes nerfs se sont détendus. J’en ai demandé une quatrième. Si les trois premières répondaient à une nécessité médicale, la dernière serait pour le plaisir, en me mettant sur la voie de ce que les Bengalis appellent nirbon – nirvana.


Biographie

Né à Londres en 1974, Abir Mukherjee a grandi dans l’ouest de l’Écosse dans une famille d’immigrés indiens. Fan de romans policiers depuis l’adolescence, il a décidé́ de situer son premier roman à une période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle de l’entre-deux-guerres.
Premier d’une série qui compte déjà̀ quatre titres, "A Rising Man" (L’attaque du Calcutta-Darjeeling) a été́ traduit dans neuf pays.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Abir_Mukherjee



mardi 7 janvier 2025

Serena GIULANO – Félicità – Editions Laffont – 2024 -

 

L'histoire

Valentina est en deuil. La perte de sa meilleure amie, sa sœur de cœur est un choc terrible d'autant qu'elle laisse derrière elle, un mari et une petite fille dont elle est la marraine. Effondrée, elle ne doit pourtant pas oublier son travail qui consiste à organise des mariages grandioses au Lac de Côme, un des plus joli panorama de la région milanaise.


Mon avis

Comment faire son deuil ? Et même que veut dire cette expression usitée à tout bout de champs. Valentina, la trentaine reste effondrée par la mort accidentelle de celle qui était non seulement sa meilleure amie, mais sa sœur de cœur. Azzura qui laisse derrière elle un mari éploré et une petite fille de 18 mois, était un guide, une amie, toujours présente.

Alors Valentina apprend à vivre sans. Et pour cela elle a trouvé une ressource pas banale : pour sa filleule, elle crée une adresse mail et écrit la vie de sa mère, les bons souvenirs qu'elle compte offrir à ce bébé souriant pour ses 18 ans. Régulièrement elle se rend sur la tombe d'Azzura et lui parle.

Mais il y aussi le travail, où elle est entourée de personnes compétentes. Elle organise des mariages luxueux pour des familles fortunées au Lac de Côme, un paysage enchanteur, tentant de répondre aux demandes les plus folles, ce qui donne aussi énormément d'humour à ce roman simple, ni donneur de leçons, ni sombrant dans le pathos. Et puis il y a le malicieux Toto, ce teckel nain qui adore manger, se balader et se faire câliner. Entre des allées retours entre Milan, la Sicile où s'est installée le père et la filleule et la gestion des inévitables problèmes de dernières minutes des mariages, on ne s'ennuie pas une seconde dans ce cours roman.

Grâce à ces mails qu'elle envoie, aussi pour garder le souvenir de la disparue, la présence de son équipe discrète et sans commentaires mais efficace, et puis ce chien miniature, Valentina remonte doucement la pente.

A chacun sa façon de faire son deuil. La piste que nous donne l'autrice d'origine italienne n'est pas plus idiote qu'une autre. Souvent aussi le temps permet d'atténuer le chagrin, il en va du caractère de chacun.

Un livre qui ne sera pas le chef d’œuvre du siècle mais qui se lit, entre humour et tristesse légère et subtilement écrite par la plume de cette italienne qui écrit en français et vit à Metz.


Extraits

  • Le soleil brille comme jamais. Non mais comment ose-t-il ? Le ciel devrait être à mon image, en larmes. Il devrait pleuvoir comme je pleure, pleuvoir tout ce qu'il a dans le ventre, gronder, afficher une sale mine. Il m'est tombé sur la tête il y a quarante-huit heures, pourtant il a déjà repris sa place. Tout bleu, tout beau. Comme si de rien n'était. Comme si on pouvait continuer de vivre, alors que je n'arrive plus à respirer.

  • J’ai un trouble de l’attention avec hyperactivité – communément appelé TDAH –, qui a été diagnostiqué assez tard, et un peu par hasard. Ce qui m’a permis de m’expliquer tout un tas de particularités dont je faisais preuve depuis l’enfance. Comme ma peur panique de m’ennuyer, ma difficulté à aller au bout d’une tâche, mes nuits agitées et trop courtes, ou mon envie irrépressible de bouger sans arrêt qui me fait gesticuler ou passer d’une chaise à l’autre sans raison logique.J’éprouve aussi des problèmes d’attention, surtout lorsque le sujet ne m’intéresse pas, ainsi qu’une capacité de concentration proche de celle d’un enfant de deux ans. Par exemple, j’ai la phobie des gens qui parlent trop lentement, et je rêverais d’appuyer sur un bouton au milieu de leur front pour accélérer leur diction. Je propose de greffer un tel bouton sur le front d’un certain nombre de personnes, dont je tiens d’ailleurs la liste à disposition du scientifique capable d’un tel exploit.

  • Guido ... C'est toujours le coup du siècle au lit. Mais c'est à peu près le seul domaine où il excelle. Il a le corps d'un dieu grec et le QI d'un yaourt grec.

  • C’est à ça qu’on reconnaît la véritable amitié : lorsqu’une copine te traitera de folle, ton amie, elle, voudra être folle avec toi.

  • On croit qu'on a la vie devant soi. On remet tout à plus tard, et on se laisse dominer par la peur, au risque de passer à côté de moments précieux. N'oublie jamais de saisir l'instant présent, ma biche.

  • Avec mon chien, on marche beaucoup. Je m'impose les dix mille pas par jour conseillés pour rester en bonne santé. Mon père, ancien kiné, me l'a répété comme un mantra. Depuis ma plus tendre enfance, c'est ancré en moi.

  • C’est rare, les gens qui écoutent. Aujourd’hui, tout le monde court, et plus personne n’a jamais le temps de rien.

  • La mort peut bien venir tout gâcher : ceux qui s’aiment continueront de s’aimer malgré elle.

  • C’est exactement pour cette effervescence des heures qui précèdent la cérémonie que je fais ce métier et que je vibre. C’est ce moment précis où les mois de travail, de réflexion, de prise de tête, de négociations, d’angoisse et de petites victoires prennent tout leur sens. Ce moment où mes projets deviennent enfin réels et se concrétisent. J’ai l’impression que, chaque fois, je réalise mon rêve de petite fille.

  • Cette maladie qui vous broie le cœur, qui vous coupe l'appétit et dresse un barrage dans votre gorge, qui vous fait oublier la façon dont on sourit. Le deuil, ça s'appelle. Pas de traitement pour s'en sortir, pas de médicament pour soulager, Rien.


Biographie

Née à Salerne en 1982, Serena Giuliano est une romancière italienne vivant en France et écrivant en français.
Elle arrive en France, en 1994, à 12 ans et ne parle pas un mot de français. En trois mois, elle maîtrise la langue et se hisse au niveau de ses camarades de classe. Après un BTS dans le domaine bancaire, elle se lance comme conseillère en image et crée un blog mode et beauté.Mère de deux fils, elle crée son blog autour de la maternité, "Wonder mum", en 2013. Elle écrit - en français - sur les réseaux et sur papier.
Après trois ouvrages "Wonder mum" (2014-2016), elle signe avec "Ciao Bella" (2019) son premier roman.
"Mamma Maria" (2020) remporte le prix Babelio 2020, dans la catégorie littérature française, "Luna" (2021) - le prix des lecteurs U 2022. Elle a également publié "Sarà perché ti amo" (2022) et "Un coup de soleil" (2023).
Serena Giuliano vit à Metz.
Son site ici : https://serenagiuliano.fr/mes-romans/



vendredi 3 janvier 2025

Sujata MASSEY – Les veuves de Malabar Hill (les enquêtes de Perveen Mistry) – Editions Charleston 2024 -

 

 

L'histoire

A 23 ans, Perveen Mistry, tout juste diplômée d'Oxford est la seule femme avocate de Bombay (aujourd'hui Mumbai). Cadette d'une riche famille parsie (des perses ayant migré vers l'Inde et qui pratique la religion Zoroastre), elle travaille dans le cabinet de son père, un avocat réputé. N'ayant pas le droit de plaindre dans les juridictions indiennes en tant que femme, elle continue à se former auprès de son père aimant et s'occupe des dossiers d'héritage, de rédactions de testaments ou de divorces. Alors qu'un gros client de son père, un musulman qui a 3 épouses, décède, Perveen décèle des anomalies dans le testament. En tant que femme, elle seule peut parler aux trois épouses, qui vivent recluse dans leurs quartiers. Et là, étrangement, le mandataire testamentaire, un homme sans scrupules est retrouvé assassiné.. Une affaire que la jeune et persévérante avocate a bien l'intention d'éclaircir.


Mon avis

Ce polar hindou passionnant est maîtrise de bout en bout par son autrice, qui invente un personnage de jeune avocate charismatique et un peu têtue aussi. En fait, elle s'est inspirée de la réelle Cornélia Sorabji qui fut la toute première femme a exceller dans le métier d'avocate dans les années 1920. A cette époque l'Inde était toujours une colonie britannique, et les parsis, alliés des anglais, ont beaucoup fait pour l'éducation des jeunes femmes, et la cohésion sociale.

Perveen Mistry a donc la chance d'être née dans une famille soudée et bienveillante, pour laquelle faire des études de haut niveau est une obligation.

L'histoire se divise entre le présent (1921) et le passé de Perveen (1916-1917). Alors toute jeune femme, elle se fait courtiser par un homme très beau de 10 ans son aîné. Malgré les réticences de sa famille, un mariage est conclu. Sa belle-famille vit à Calcutta, à l'autre bout du pays. Mais très vite, sa belle-mère la maltraite, plus questions de suivre des études dans les Universités de la ville, et surtout son mari boit, rentre tard le soir et pire que tout lui transmet une blennorragie. C'en est trop pour Perveen qui s'enfuit et retourne dans sa famille. Grâce aux talents de son père, elle obtient la séparation de corps et peut rester vivre dans sa famille à Bombay. Mais le temps que l'affaire se tasse, son père l'envoie terminer ses études en Angleterre à Oxford. Trois ans plus tard, Perveen, embauchée dans le respectable cabinet d'avocats de son père, tombe sur une étrange affaire de succession dans une famille musulmane. En tant que femme, et par respect pour la culture des 3 épouses recluses dans le harem, elle seule peut communiquer avec les veuves aux caractères différents. On découvre alors que le mandataire désigné par le mari est surtout un imposteur qui compte bien s'organiser pour récupérer à son avantage le bel héritage. Mais quand il est assassiné, il faut prendre des dispositions et Perveen est bien décidée à éclaircir cette inquiétante affaire.

Pas de temps morts dans ce livre totalement page-turner, et dont l'héroïne a un caractère bien trempé, même si elle est fine psychologue. C'est aussi le sort des femmes en Inde, à cette époque, que revisite l'autrice. Pour les femmes du petit peuple, tout comme les hommes, les métiers sont ouvriers, ou alors domestiques, au mieux préceptrices pour les familles riches. Mais pour Perveen, il en est autrement. Sa famille est riche et bien implantée à Bombay, et le père, qui adore sa cadette, exige des diplômes du supérieur, pour assurer à sa fille des revenus et une position sociale. D'ailleurs, avec son amie anglaise, une grande blonde Alice, qu'elle a connu à Oxford et qui est mathématicienne, elles estiment que le droit doit changer, et que les femmes doivent avoir plus de pouvoir.

A la fois drôle, ponctué de rebondissements, j'ai adoré ce roman qui nous plonge dans une autre époque et d'autres coutumes. Un glossaire et des annotations à la fin du livre nous permettent de mieux comprendre la culture parsie.


Extraits

  • Les parsis orthodoxes observent cette coutume de l'isolement pendant les règles, dit-il en hochant la tête. ce serait fort peu probable que vous puissiez concevoir pendant cette période. - mais l'isolement et le fait que je ne sois pas autorisée à prendre un bain ne peuvent être bon pour la santé, insista Perveen. ce n'est pas comme ça que j'ai été élevée. -Même si vous êtes parsi ? -Je suis issue d'une famille moderne de Bombay, répondit--elle avant d'ajouter aussitôt : pour être franche, je vis très mal l'isolement. je redoute ce moment pendant tout le mois. cela a commencé à affecter mon sommeil et mon humeur.-Comment ça ?,Lui adressant un regard plus appuyé, il pris son stylo et commença à prendre des notes. - Je fais de terribles cauchemars. je rêve que je me trouve dans cette petite pièce, même quand je n'y suis pas, expliqua-t-elle en se rappelant les rêves de la semaine précédente. Je me sens triste et désespérée. Cela me met en colère contre mon mari. Il ne me défend pas contre ses parents, bien qu'il pense que cette coutume soit d'un autre âge.

  • Selon la loi parsie, la relation d’un homme avec une prostituée n’est pas considérée comme un motif de divorce ni même de séparation judiciaire.
    Perveen n’en croyait pas ses oreilles.– C’est incroyable ! Son père acquiesça.– C’est la loi que nous appliquons depuis que la loi parsie du mariage a été votée en 1865.– Et si un mari frappe sa femme ? Ça ne peut pas être une cause de divorce ? demanda Perveen avec une bouffée d’espoir. Il y avait deux témoins dans la pièce, et le chauffeur de tonga.– Seulement s’il s’agit d’une violence extrêmement grave, répondit Jamshedji en la dévisageant avec sérieux. Alors la Cour peut t’accorder une séparation judiciaire. Mais le fait est que tu n’as pas perdu un œil ; tu n’as pas reçu de coup de couteau ; tu n’as pas été transportée à l’hôpital. Nous ne pouvons pas envisager de présenter ainsi notre argumentation.

  • Le mur derrière l'étagère était un jali de marbre agrémenté de nombreuses perforations géométriques. (…) La présence de murs et de fenêtres en jali permettait aux femmes du foyer d'observer la vie dont elles étaient exclues. C'était un élément intentionnel de l'architecture musulmane, une façon d'inclure ceux qui se trouvaient de l'autre côté de ces écrans.

  • On pourrait penser que les maisons à deux sections préservent mieux l'intimité, mais il se pourrait que ce soient celles qui retiennent le moins de secrets.

  • Je ne sais pas si mon père a mentionné que les femmes qui vivent ici sont des purdahnashins. Elles se sentiraient violées si elles devaient se trouver face à vous pour une discussion. Leurs contacts avec les hommes sont très limités.

  • Si une soeur cadette se marie avant son frère aîné, les gens vont croire qu'elle y est obligée parce qu'elle est enceinte. Toutes les perles de sa réputation seront vendues.

  • Farid laissait trois veuves, qui vivaient touts dans sa demeure, et quatre enfants - ce que Jamshedji appelait ”une modeste descendance pour un polygame”.

  • Ces derniers temps, se tenir des heures accroupie pour décorer la maison des Sodawalla était surtout une corvée. Perveen avait l'impression de dessiner un cadre élégant pour entourer le tableau horrible qu'était devenue son existence.

  • Il était rare qu’un visiteur se présente si tôt à la Maison Mistry. Le cabinet se trouvait dans le quartier du Fort, là où s’était établie la première colonie de Bombay. Le vieux mur d’enceinte s’était écroulé depuis longtemps, mais le quartier était resté le bastion de la loi et de la finance, toutes ses officines ouvrant pour la plupart entre neuf et dix heures.

  • De bonnes pensées, de bonnes paroles et de bons gestes, c'est le credo parsi. Nous n'en détenons pas le monopole.

  • Perveen inspecta du regard l’entrée en marbre baignant dans la lumière des appliques dorées. Elle serait ravie de montrer le bâtiment gothique à son amie, Alice Hobson-Jones. Les plafonds à six mètres de hauteur, tout spécialement, faisaient l’orgueil de feu son grand-père, Abbas Kayam Mistry. Il lui semblait qu’il les regardait toujours depuis le grand portrait qui gardait l’entrée. Ses yeux, aussi noirs que son fetah** à sommet plat, paraissaient tout voir, tout en ne diffusant pas la moindre chaleur.

  • Présumant que l’homme était un client misérable, Perveen baissa les yeux, elle ne voulait pas qu’il se sente gêné par son regard – l’idée qu’une femme puisse être avocate en choquait plus d’un par ici. Elle fut surprise de constater que l’homme n’était pas pauvre du tout : ses jambes fines étaient gainées de bas sombres, ses pieds de chaussures basses en cuir noir éraflé.

  • Alors que Perveen écoutait depuis sa place, entre ses parents, elle se rendit compte que tous les autres plaignants demandaient le divorce après des années de malheur, pas six mois. Le seul autre plaignant à peu près de son âge était un jeune marié qui, elle l’apprit pendant son témoignage, demandait le divorce en raison de l’incapacité de son épouse à consommer le mariage. Toutes les histoires étaient pitoyables. Perveen écouta celle d’un homme d’affaires qui avait installé une prostituée dans sa chambre conjugale, obligeant son épouse à rester dans le coin de la pièce.


Biographie

Née à Sussex (Angleterre), le 04/03/1964, Sujata Massey est une auteure américaine de romans policiers. Sujata Massey est née en Angleterre d'un père indien et d'une mère allemande. Lorsque Sujata Massey avait l'âge de cinq ans, sa famille quitte l'Angleterre pour les Etats-Unis. Elle a été élevée principalement à St. Paul, dans le Minnesota, et vit à Baltimore, dans le Maryland.De 1991 à 1993, elle a vécu au Japon.
En 1997, elle a publié le premier d'une série de onze romans policiers dont l'action se déroule principalement au Japon. Le personnage principal de cette série est Rei Shimura, une antiquaire américano-japonaise de Californie.

Après le Japon, Sujata Massey s'est intéressée à l'Inde avec de nombreux romans et polars. Elle a lancé une série qui nous transporte dans une Inde des années 1920 et sur les aventures de Perveen Mistry qui travaille dans un cabinet d'avocat dont le premier tome « Les veuves de Malabar Hill » vient d'être traduit en français. Les autres romans sont en cours de traduction.
Avant de devenir romancière à plein temps, elle était journaliste de reportage au Baltimore Evening Sun. Ses romans ont remporté les prix Agatha et Macavity et ont été finalistes des prix Edgar, Anthony et Mary Higgins Clark.

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sujata_Massey


samedi 28 décembre 2024

Audrey MARTY – le voyage de Lady Liberty – Les Presses Littéraires – 2024 -

 

 

L'histoire

Gabrielle de Saint-Geniez, issue d'une famille bourgeoise toulousaine, aurait du épouser un mari bien loti et bien plus âgé qu'elle. Mais sa bonne fée, une archéologue qui connaît aussi bien le tout Paris et le tout Toulouse de la Belle Époque, en a décidé autrement. Très influente au sein de la famille Saint-Geniez, elle lui trouve un poste de journaliste à la Dépêche (future Dépêche du Midi). En fait de journalisme, en tant que femme, on lui refile les « chiens écrasés » ou la rédaction des annonces publicitaires. Irréprochable, Gabrielle s'exécute. Mais une fois de plus, Jane Dieulafoy, sa bonne marraine, intercède auprès des autorités et du journal et l'on confie à Gabrielle la chance de sa vie : accompagner en tant que reporter pour la Dépêche (et d'ailleurs comme seule journaliste à bord) le transfert de la France vers l'Amérique de la Statue de la Liberté, pièce monumentale que la France offre aux États-Unis construite par le sculpteur Bartholdi. Une épopée historique d'où naît l'émancipation d'une femme.


Mon avis

Le deuxième roman d'Audrey Marty, historienne d'art, qui mêle fiction et réalité historique.

Gabrielle, une jeune femme ambitieuse, très bien élevée a surtout la chance d'avoir pour marraine Jane, un archéologue qui travaille avec son mari, mais qui est connue dans le Paris mondain de cette « Belle Époque » où Haussmann reconfigure la capitale, et où commence l'ère de l’industrialisation.

Tout d'abord journaliste à la Dépêche, Gabrielle, au prix d'un petit mensonge, va se rendre en Grande Bretagne où elle est accueillie chaleureusement pour un congrès de celles qu'on surnomme les suffragettes. Elle y fait la connaissance de la première femme chirurgienne d'Angleterre Elizabeth Garrett Anderson. Elle écoute les discours de ces femmes qui veulent faire reconnaître leurs droits civiques et est convaincue par leurs idées, leurs conseils et leurs gentillesses à son égard.

De retour en France, toujours avec l'appui de sa marraine, une femme aussi indépendante, elle est envoyée sur l'Isère, la frégate de renom de l'époque qui doit transporter les 210 caisses qui composent la statue monumentale dite Lady Liberty et qui doit être acheminée vers la Baie d'Hudson. Départ le 21 mai 1885. Et voilà la jeune femme, la seule femme sur le navire, qui commence un périple non sans difficulté. La pluie et les orages se succèdent. Elle succombe au mal de mer, mais finalement s'y habitue et se lie d'amitiés avec les officiers, dont un est chargé de sa sécurité ? Dès qu'elle le peut, elle envoie le compte-rendu de la traversée au journal, où elle fait la Une. On se passionne pour ce nouveau monde, que l'on trouve très moderne. Malgré des avaries et une pose aux Açores, le navire est accueilli dans la liesse par la population. Puis il faut remonter la statue. Gabrielle profite de son séjour à New-York, ville qui l'éblouit par ces gratte-ciels pour rencontrer Mary-Louise Booth, la rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, Joseph Pulitzer, le patron de presse à l’origine du Prix du même nom, Calamity Jane, l’héroïne du Far West et bien d’autres…

Sous forme de road-movie, facile à lire, car l'écriture ne cherche pas à imiter le style un peu « redondante» du 19ème siècle, on lit avec plaisir ce livre qui mélange histoire et fiction. La première femme journaliste à la Dépêche ne sera embauchée qu'en 1913. On suit avec joie les aventures de cette jeune femme qui reviendra en France auréolée de gloire. Un livre passionnant qui nous éclaire à la fois sur la vie des femmes bourgeoises (dévouées à leurs familles et époux) et sur les velléités d'une indépendance féminine qui ira crescendo.

Extraits

  • Dans cette partie du pays, le réseau ferroviaire s’étendait sur près de cinq cents kilomètres. De nombreuses compagnies de chemin de fer se disputaient le monopole de son exploitation. En quelques années, les ingénieurs avaient su développer sur tout le territoire un maillage tentaculaire de voies ferrées, accomplissant de mon point de vue, un travail de Titans. Mary-Louise tempéra mon enthousiasme vis-à-vis de ces constructeurs de l’extrême. Le déploiement des axes de circulation s’était fait au détriment des populations indiennes que l’on avait expropriées de leurs terres, sans parler de la déviation des cours d’eau et du dynamitage des montagnes, qui avaient engendré des dégâts irrémédiables. C’était la rançon du progrès, songeai-je tristement.


    Biographie

Historienne de l'art et archiviste, Audrey Marty se passionne pour les personnalités féminines oubliées. Son premier livre, une biographie, est paru en 2020 chez Le Papillon rouge éditeur. "Le destin fabuleux de Jane Dieulafoy, de Toulouse à Persépolis, l'aventure au féminin" retrace le parcours de vie atypique de cette Toulousaine, qui fut la première archéologue française. Cette pionnière de l'archéologie portait les cheveux courts et un pantalon et fut l'une des première françaises à recevoir la Légion d'Honneur. Ce livre a reçu le Prix du Lions club du Sud 2021.
Après avoir réalisé deux ouvrages de commande pour son éditeur Le Papillon rouge, "Le grand Toulouse et ses peintres" et "Peintres et couleurs d'Occitanie", elle a publié une nouvelle biographie.
"Nouma Hawa, reine des fauves, la véritable histoire de la première dompteuse du monde" est paru en 2023 aux Editions Métropolis.
Cet ouvrage dresse le portrait d'une lingère ardéchoise, qui deviendra la dompteuse de lions la plus populaire de la Belle Epoque. Elle fut l'une des rares femmes à posséder sa propre ménagerie. Plus qu'une biographie, ce livre nous plonge dans l'univers forain et nous permet de découvrir les premiers pas du cirque moderne et du cinématographe, les seuls grands divertissements que les classes populaires étaient en mesure de s'offrir à la toute fin du XIXème siècle.
Son site : https://www.audrey-marty.com/




Alice Mc DERMOTT – Absolution – Editions de la Table Ronde -2024 -

 

 

L'histoire

Patricia, à peine 23 ans et tout juste mariée à Peter, part avec lui à Saïgon au Vietnam pour une mission diplomatique confiée à son mari. De suite, elle fait la connaissance des femmes expatriées souvent issues de la haute société, dont les maris sont généraux, cadres pour l'industrie. Le Vietnam est alors coupé en deux : au nord, la RDV, communiste, fondée par Hô Chi Minh et au sud la République du Vietnam sous protectorat américain dirigée par Ngô Dinh Diêm, sur fond de guérilla menée par des partisans de Minh, malgré la présence militaire forte des américains.

Tout au long du livre, Patricia, devenue une vieille dame, se repenche sur ces 18 mois passés dans un pays et prend conscience des actes commis là-bas, sous la pression de Charlène, femme emblématique de ce cercle de femmes expatriées dans les années 60.


Mon avis

Voilà un joli roman, complexe qui nous éclaire doublement sur ces années sous tutorat américain du Vietnam et sur la vie de ces femmes expatriées avec famille et mari. Sous forme de lettres échangées entre Patricia et Rainey, la fille de Charlène, (partie I) puis les nouvelles de Rainey (partie II) et la réponse de Tricia (partie III).

Tout juste mariée, catholique pratiquante et institutrice à Harlem, Tricia épouse Peter, qui après une carrière chez ESSO, vient d'être recruté par les services de renseignements extérieurs, avec pour mission de convertir au catholicisme romain les vietnamiens du SUD.

Assez « oie blanche » mais fine psychologue, Tricia devient vite amie, faire-valoir et complice de Charlène, une femme à forte personnalité, capable du meilleur comme du pire. En fait une femme affranchie de pas mal de tabous. Elle gère l'argent du ménage, s'occupe de ses 3 enfants, les jumeaux Rainey et Ransom 8 ans, ainsi que son nouveau né. Les enfants sont scolarisés dans l'école américaine puis gardé par la bonne.

Lors d'un petit incident domestique, la bonne de la maison Lily confectionne un habit traditionnel pour la poupée Barbie avec laquelle la petite fille joue tout le temps. Ce qui donne à sa mère une idée, faire venir (grâce à sa sœur très riche restée aux USA) des barbies typée vietnamienne, et les habillé en do-daï, la tenue typique (une longue veste et un pantalon). Elle décide de les vendre à ses riches copines pour financer des dons pour les enfants hospitalisés, tout en prenant un petit pourcentage pour elle-même et parfois pour Tricia qui n'a pas beaucoup d'argent de poche. Les affaires marchent bien, et les deux femmes préparent des colis pour les enfants hospitalisés, en fait beaucoup sont brûlés au Napalm mais on dit que ce sont les français. Les colis contiennent des bonbons, des petites peluches, des cigarettes pour les parents, et autres babioles qui, si elles ne coûtent pas bien cher, ravissent les enfants. Charlène, son indépendance en tant que femme, qui est aussi crainte que respectée dans ce milieu où les femmes d'expatriées s'ennuient, boivent des cocktails au bord d'une piscine, achètent des robes, et considèrent leurs personnels domestiques vietnamiens comme des objets. Et Tricia aimerait bien, elle aussi, s'affranchir de certaines convenances, surtout par rapport à un mari assez mutique

De son coté Patricia enchaîne les fausses couches, elle qui aimerait tellement avoir un enfant. Charlène au vu des orphelins qui sont nombreux dans les hôpitaux, a encore une idée : les vendre à des riches familles américaines sans enfants... Une idée qui révulse Patricia...

Un roman subtil, qui nous éclaire sur la situation de ces femmes expatriées dans les années 1960, soumises encore aux injonctions patriarcales : être une bonne mère, avoir des enfants, être bien habillée et apprêtée, ne pas s'occuper de politique, et être les parfaits faire-valoir de leurs époux de la haute bourgeoisie ou aministration américaine.

  • Biographie

Née à Brooklyn, New York , le 27/06/1953, Alice McDermott est romancière et professeur d'université. Elle est professeur à l’Université Johns Hopkins.
Son roman "Charming Billy" (1998) a obtenu American Book Award (1999) et le National Book Award for Fiction.
Elle vit près de Washington avec son mari et leurs trois enfants.

Absolution est son neuvième roman.

En savoir plus ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_McDermott


mercredi 18 décembre 2024

Jessica CYMERMAN – Et que chacun se mette à chanter – Editions Nami – 2023

 

 

L'histoire

Eliette, vieille fille de 73 ans, Pierre bel homme, riche, la cinquantaine, Vincent trentenaire et homosexuel renié par ses parents et Élisa, orpheline 26 ans qui travaille en ehpad, voilà 4 personnalités que rien ne relit.... Sauf l'amour des chansons. Ils se retrouvent les lundis soir, dans une salle tranquille d'Aubervilliers pour participer à des séances de karaoké thérapie, initiée par la mystérieuse Valérie-Anne. Et que la musique résonne !!


Mon avis

Un gentil petit roman agréable à lire et qui nous rappelle que nous avons tous en tête des chansons que nous adorons ou que nous détestons.

Passionnée de chant et de musique, Valérie-Anne, discrète sur sa vie chaotique, réunit 4 personnes, pour faire l'expérience que chanter rend heureux. Et en face d'elle, elle a de drôles de participants. A commencer par Eliette qui est la seule à parler à la première personne, la plus âgée. Mais à 73 ans, Eliette qui n'a pas eu une vie très heureuse, dévouée à ses parents jusqu'à leur mort, n'ayant jamais pu concrétiser une histoire d'amour vit seule, avec ses petits rituels : son émission de télé favorite, et surtout son amour pour Mike Brandt (juif comme elle) mais aussi des chanteurs comme Bruel, ou des grands classiques de la chanson. Elle déteste Daho dont les paroles sont insipides à ses yeux. Pierre est un homme riche, très cultivé, un véritable Wikipédia de la musique où il écoute un peu de tout. Mais Pierre est seul aussi, divorcé, traité de ringards par ses 3 enfants qu'il ne voit jamais. Vincent subi les violences physiques et verbales de son père, parce qu'il est homosexuel et projette de se marié avec son compagnon. Lui se réfugie dans Queen, et d'autres musiques qui le réconforte. Timide et mal dans sa peau, il a du mal à prendre le micro. Élisa est orpheline, elle est plus branchée Rihanna ou Dua Luppa. Elle s'habille comme une djeune et travaille comme aide-soignante dans une maison de retraite. Élisa don prénom lui vient de la chanson de Serge Gainsbourg qu'adorait ses parents. Elle n'a pas son pareil pour créer des groupes What'sApp et est enjouée. La coach Valérie-Anne semble austère et pas toujours très aimable. Mais sa vie est aussi compliquée, pour élever sa petite fille, elle fait du pole dance et chante dans certains cabarets où se dénuder un peu est de mise. Une situation qui lui fait honte.

Mais voilà, Valérie-Anne sait très bien animer ses cours de karaoké, et apprends à ses élèves à respirer, placer leur voix puis s'essayer à tous les styles de chansons. Et au fil du temps, ce petit monde improbable noue des liens d'une amitié forte et durable. On s'invite, on se rend service, on se confie et puis les occasions sont belles aussi pour rire ou pour trouver l'amour le vrai avec un grand A.

On sait bien évidemment que la musique a un grand pouvoir sur nos émotions, qu'elle soit énergisante, douce, classique ou moderne. On a tous dans la tête des airs de chansons, souvent celles de notre génération, et on fredonne parfois sous la douche, et parfois même de ritournelles qu'on aime pas du tout, mais qu'on a tellement entendues qu'elles nous trottent dans les oreilles. Mais on ne chante pas. Le karaoké c'est surtout une spécialité japonaise et chinoise, mais personne, à part les passionnés ou ceux qui veulent être vedettes un jour n'achètera une machine à karaoké, avec casques, micros, et répertoire. Ici on passe de Mike Brandt à Whitney Huston, de Cloclo à Reggiani, de Dalida à Daho, bref un répertoire large de toutes ces chansons que l'on connaît plus ou moins selon notre époque, notre culture.

Bref, c'est joliment écrit, émaillé des paroles de chansons que tout le monde connaît, dans une écriture simple et sans fioritures.

Ça se lit, cela donne le moral. Et vous quelle est votre chanson préférée ??



Extraits

  • Il y a des jours, des mois, des années interminables où il ne se passe presque rien. Il y a des minutes et des secondes qui contiennent tout un monde ace, pas pour une nuit mais pour la vie.

  • Je ne sais pas ce qui lie les gens. Je ne sais pas si les liens choisis sont plus forts que les liens du sang. Je ne sais pas si j'ai tort ou raison. Je ne sais pas si Mike Brant aurait été un bon époux. Je ne sais pas si mes parents ont frôlé la joie un jour. Ce que je sais, c'est que celui qui chante se laisse emporter.

  • C'est si émouvant, Pierre. Tu es si touchant. Tu devrais ouvrir plus souvent le premier bouton de ta chemise.

  • Je ne saurais dire si je suis une éternelle enfant ou si j'ai toujours été une vielle personne.

  • J’ai besoin d’un fond sonore pour me sentir en vie. Le silence, c’est ma sœur au fond d’un puits, c’est mes parents juifs qui se cachent pendant la guerre, c’est mourir un peu.

  • Le seul qui tient encore la route, d'après moi, c'est Drucker qui finira par enterrer tout le monde.

  • Quel bonheur de se sentir bien ailleurs, bien partout.

  • Elle a fait attention à moi. Et c’est un fait suffisamment rare pour que ça me touche.

     

    Biographie

Journaliste à la plume prolifique et blogueuse pleine d’humour, Jessica Cymerman livre ses humeurs de mamans sur son blog Serial Mother.

Son insta : https://www.instagram.com/ze_serial_mother/?hl=fr


lundi 16 décembre 2024

Marion TOUBOUL – Second Coeur – Editions Le mot et le Reste - 2024

 

 

L'histoire

Alice n'a jamais voulu reprendre l'exploitation agricole de ses parents. Elle suit des études de journalisme à Lyon quand elle rencontre une jeune femme vénézuélienne. Elle part aussitôt en Amérique Latine d'où elle envoie des reportages pour des journaux. Mais au Venezuela, où elle rencontre son compagnon Léopoldo, les manifestations violentes anti-Chavez sont violentes et dans un pays dévasté, elle perd son bébé. Recherchés par la police, le couple s'enfuit pour Madrid. Alice travaille alors comme monteuse et reporter pour la télévision et Léopoldo doit finir un stage pour valider ses compétences d'infirmiers à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne réapparaît pas et Alice doit se trouver une vie, en cheminant dans les petits villages de l'Espagne profonde.



Mon avis

Voilà un très beau roman, une véritable ode à la poésie et à la nature.

Si certains passages sont inspirés de sa propre expérience, Marion Touboul crée une héroïne attachante, curieuse et qui malgré les deuils va se trouver un chemin dans la vie.

Alice a toujours aimé voyager, et plus dans les pays du Sud. Après une expérience traumatisante au Venezuela à la fin des années Chavez, où elle perd son bébé, faute de soins dans un pays qui sombre dans une guerre civile, elle se trouve refuge, grâce à une amie à Madrid. Elle trouve un petit appartement sous les toits pas très loin de son emploi de monteuse pour la télévision, tandis que Léopoldo part en stage pour devenir infirmier à Barcelone. Mais voilà, Léopoldo ne revient va, ce qui laisse Alice dans un immense chagrin, un autre deuil. La police lui assure qu'il n'y a pas d'avis de décès. Alors Alice va surmonter son chagrin. Tout d'abord elle se rend à Avila, le village qui a vu naître la Sainte Thérèse, fondatrice des carmélites et écrivaine. Elle qui n'est pas du tout religieuse se fait expliquer par un guide, Taigo, la vie et les recherches de la Sainte. Hors il se trouve que sa mère a une image de cette sainte dans le salon, et la mère n'est pas non plus religieuse. Puis lors d'un reportage, elle part en Estrémadure au sud-ouest de l'Espagne, une région assez pauvre et désertique où elle rencontre un éleveur de taureaux sauvages pour les corridas et son neveu Guillermo, un homme solide, terrien qui la réconforte. Ils font même des projets en commun, comme ouvrir une maison d'hôte. Mais avant Alice a très envie de parcourir la via del Plata, une route qui part de Séville et qui est le chemin de Compostelle espagnol, traversant l'Andalousie, l’Estrémadure, Castille et Léon et enfin la Galicie. Le parcourt est fait de longues étapes de marches en passant par des petits villages, ce que préfère Alice qui y est chaleureusement accueillie. Ce périple, couplé à ce qu'elle a retenu des enseignements de Sainte Thérèse d'Avila vont lui donner les réponses qu'elle cherche, mais aussi révéler sa vraie nature : celle d'une voyageuse.

Ecrit dans une langue simple, sans pathos, ce road-movie dans l'Espagne non médiatique, laisse la place belle aux paysages, aux grands espaces, mais aussi aux petits villages quasi-médiévaux. Un très joli moment de littérature, avec ce personnage d'Alice, fragile et forte qui se découvre et apprend à s'aimer et trouver sa voie. Inspirant, poétique, ce cours roman, nous dit l'essentiel, sur nos voyages qu'ils soient intérieurs ou extérieurs.



Extraits

  • Lorsqu'ils s'approchent de Guadix, le jour s'incline. Tiago décide de faire une pause sur le bas-côté de la longue route sinueuse bordée de champs d'oliviers qui mène de Jaen à la mer. Un air encore chaud enveloppe le sommet d'une montagne chauve. À perte de vue se profilent des falaises plissées d'un orange si vif qu'on a envie d'y planter ses crocs comme dans un abricot sec. Et là-bas, derrière les falaises la vue est plus extraordinaire encore : des montagnes enneigées aux formes nettes comme des dents de scie. " la Sierra Nevada..." dit Tiago. Alice regarde le paysage qui la domine par la perfection de sa douceur. Cette alliance de couleur, de relief et de climat... dans aucun voyage elle n'a vu pareille beauté. L'image du Kilimandjaro lui revient en tête. Les mêmes immensités, les mêmes terres depeuplées au pied de cimes comme habitées des seuls dieux. L'Andalousie n'est donc pas qu'une terre chantante, elle sait aussi se taire, et ce silence orangé et le plus beau des flamenco.

  • Les rapports d'Alice avec son père s'étaient dégradés lors de son premier voyage vers Caracas avec Beatriz. Lui en voulait-il de s'offrir la vie dont il avait rêvé ? Alice ravivait-elle ses frustrations d'enfant ? Ou était-il tout simplement inquiet ? Toujours est-il qu'il ne supportait pas son choix de partir. Son père avait toujours compté sur ses enfants pour reprendre la ferme. Rompre le fil de la transmission était inimaginable. Ils se disputaient souvent à ce sujet, d'autant que son petit frère se tenait, comme Alice, aussi loin de la vie paysanne qu'un mouton de la clôture électrique. Ce n'est pas tant le travail de la terre qui lui déplaisait mais sa répétition. Elle sentait l'air se comprimer dans ses poumons sitôt qu'elle s'imaginait dans la peau d'une paysanne. Finalement, plus Alice se tenait loin de son père, mieux elle se portait. Tout les opposait. Elle : petite, fine, sportive, curieuse, émotive. Lui : grand, colérique, le pas lourd, focalisé sur ses vaches. Plus les années passaient, plus le fossé s'était creusé entre eux. Il était le loup en cage, elle était l'hirondelle.

  • Alice avance à pas rapides sur le chemin plat et régulier, tendue comme une flèche vers le nord, le soleil piquant ses joues. Elle voudrait couper à travers champs pour se perdre vraiment, appuyer ses pensées à autre chose qu'à son passé. Mais l'ombre des taureaux derrière les barrières métalliques la retient. Pas un hameau, pas une maison, pas même une ruine pour s'extraire de soi. Alice marche sur cette page blanche comme dans un chant a cappella. Et plus elle marche, plus elle s'enfonce en elle.

  • Il y a des courants qui emportent irrémédiablement. Une envie de se blottir contre l’autre et tout donner, tout de suite, y compris la clef de ses demeures les plus profondes. C’est ce que ressent Alice lorsque la main de Leopoldo effleure la sienne par-dessus l’accoudoir. L’envie folle de se diluer en lui, de le laisser respirer à sa place, pas pour une nuit mais pour la vie. 

     

    Biographie

Née à Paris , le 06/04/1985, Marion Touboul est journaliste de formation. Elle a passé sept années en Egypte où elle a été la correspondante de nombreux médias comme de la chaîne Arte. Elle est correspondante pour Arte en Espagne, où elle a effectué le voyage de la Via del Plata