samedi 29 octobre 2022

TRISTAN CABRAL – La poésie de l'absence


 

Extraits d’œuvres

Quand j'étais de ce monde (Montmartre – Passage des Brumes – 1984 ) - extrait 

quand j'étais de ce monde

je serrais sur mon cœur des poignées de mains ivres

des bouquets de couteaux et des épingles d'eau

je lançais des paillettes

à des sources magiques

et mes mille ans tout neufs à des orgues fanées

j'avais organisé l'évasion des lumières

dénoncé les serrures posées contre les nuits

pour me retrouver seul

avec une grande plaie

en ce temps-là

je n'ai pas eu le temps d'être un enfant dans la femme

en ce temps-là

j'habitais en silence dans les siècles à venir

je me couchais sous les orages

je me couchais sous les trains fous en serrant mon amour

j'étais un romantique

j'avais l'âme incomplète

on m'appelait Matthias du château des Carpates

j'avais les bras plus plus grand que les révoltes

j'étais le roi d'un monde absent

cherchant l'homme à abattre

dans la grande maladie des hommes désemparés

et je portais ma chair à l'épaule du jour

vêtu d'une autre peau

volée un soir de de fête dans le vestiaire d'un bal

. 

quand j'étais de ce monde

je descendais des hommes

j'habitais cette rue

où naissent les organistes en deuil

au pied du Sacré Cœur

les couleurs tenaient mal sur ma peau

je semais sur la neige des yeux de fleurs fanés

et je fuyais les maladies de ma naissance

en cherchant une tombe où passerait la mer

en ce temps-là

je cachais sous la terre mes vieux doigts de sourcier

des oiseaux morts tombaient du ciel

.

et les arbres tombaient de sommeil

je serrais sous l'eau blanche un enfant échoué

avec au fond du cœur

un grand soleil de fin du monde

en ce temps-là

je cherchais l'or du rêve

le cadavre du feu

et je cherchais mes morts dans la mémoire des puits

je déchirais la peau des torches

en jouant du piano pour des vagues défuntes

j'allais aux chambres délirantes

boire des fleurs d'acacia en costume de larmes

et les soirs de veuvage

j'allais dans les éclipses

des veines dans les miroirs avec de longues ophélies

et puis j'allais m'abattre à des portes de sable

.

quand j'étais de ce monde

j'ouvrais des veines dans les miroirs

pour voir couler le sang sur des livres anciens

je mimais les aveugles pour qu'il me vienne des yeux

et quand venaient les équinoxes

je me couchais devant les vagues

en refermant les yeux pour continuer la nuit

je ne quittais la mer

qu'à l'heure de recevoir une pierre de lumière

entre les deux épaules

.

********************

Et soit cet océan

Il y a longtemps que je ne vis plus ici
je ne prends plus le bras de la pluie pour sortir
et que pourrais-je dire des étés invisibles où je sauvais la mort sur les restes du jour

certains jours je mettais des années de côté
et mes yeux repoussaient à chaque démesure
je donnais des oublis au fond des parcs sombres
et j’ai su quelquefois ressembler à ma voix

j’ai même accompagné les invasions secrètes
et des blessures m’ont fait la peau
quand on fêtait les guerres
je me joignais aux grands défigurés

je marchais dans ma chute
je ne changeais jamais les murs
et parfois j’ai confié mon visage à l’abîme
surtout ces temps de chien où j’étais mis à prix

je n’avais de pitié pour les terres habitées
et quand les jours ne m’allaient plus
je mettais mon passé pour traverser vos rues
je n’avais plus que mon silence à vous donner

il y a longtemps que je ne vis plus ici
l’oiseau s’est séparé de son vol inutile
alors après ma mort
ne fouillez pas mes poches

vous n’y trouveriez rien qu’une barque fantôme

Le passeur du silence

Quand un enfant blessé se prend pour un navire
et regarde la mer de son lit de poussière
quand le filin des jours vous glisse entre les doigts
quand le vent tient ouverts même les yeux des morts
quand les pierres se détachent de nos années perdues
quand la douleur ressemble à quelqu’un qui approche
alors on aimerait bien pour mourir l’un à l’autre
trouver une maison où l’on oserait vieillir

_____________________________________________

L'amer nous guide

Je suis né d’une erreur du vent et de la mer
 c’est pourquoi j’ai vécu au rythme des marées
 entre les hommes et dieu je n’ai pas pu choisir
 poisson-lune égaré sur un trottoir vitreux
 je n’ai fait que passer sans pouvoir respirer

un enfant replié s’est pris dans ma mémoire
 qui m’empêche d’atteindre au pays d’où je viens
 quand trouverai-je enfin de quoi crever mes yeux
 sur le plancher glissant d’une barque fantôme

si je viens à mourir qu’on me jette à la mer
 dans l’aube bleue des sables je trouverai ma route
 j’arriverai enfin à cette grande fête
 où mon corps fait face à l'intérieur du sel

Somnambule corps fait surface à l’intérieur du sel Je suis né d’une erreur du vent
Dans un désert de peau je guette un enfant fou
je vois dans les bûchers des émeutes de miroirs
et le même visage à toutes les fenêtres....

de la mer
où mon corps fait surface à l’intérieur du sel

Dans la nuit survivante

J'apprends très lentement à vivre à ciel ouvert

j'enterre la face humaine sous des gangrènes d'or

et j'ai abandonné des tessons de soleil

dans la chair oubliée des hommes inutiles

 

dans la nuit survivante les hommes sont contagieux

il y a des fusils plus lourds que les épaules

j'ai vu tomber la neige grise des phalènes

et le corps maternel excisé sous les arbres

 

mais quand l'écorce enfin aura pitié de l'arbre

quand les oiseaux aveugles chanteront malgré tout

les vagues arriveront jusqu'aux maisons ardentes

 

alors nous irons seuls dans nos vêtements de pierre

nues sous leur peau les femmes allumeront l'aurore

et j'irai parmi vous comme un  crime qui revient

Au mur

J'ai peut-être perdu tous mes yeux dans la mer...

venue comme un ancien pressentiment d'étoiles

une femme soudain m'a donné un visage

qu'elle semblait avoir ramassé dans les cendres

 il m'arrivait d'avoir des dimanches de vagues

j'écoutais sur le sable de vieilles détonations

les femmes portaient des masques pour allumer l'aurore

et je dilapidais l'obscurité des mondes

 les maisons fortes tombaient lentement dans la mer

un enfant commandait un feu invisible

et je voyais rouiller des hommes privés de gestes

ces femmes recouvraient le visage des jours

elles roulaient dans leurs doigts un peu de ciel rouge

qu'on découvre parfois dans les plis de la mort...

Du pain et des pierres

J'investis mes étoiles dans un  ciel toujours vide

et la nuit

je promène sur la mer

mes ongles de cellule

 dans une enfance couchée à mort

je marche le long d'une autre vie

et j'ai noué mes poings au vol des cormorans

 et les éclats de voix croissent et se multiplient quand la métaphore se fait cri

 mon corps est d'un autre âge mon sang d'une autre mer

j'habite les révoltes et les révolutions

*******************

Je garde sous la peau mon costume de mort
avec à l'intérieur le long poignard de l'aube
ma voix se couvre mon ombre et moi nous sommes seuls
et je laisse sur l'eau des blessures insensées

Je suis à bout de peau je fais des métiers d'absence
je descends dans le corps des oiseaux somnambules
j'éteins les ombres blanches sur le miroir des morts
et la couleur du monde s'est perdue en chemin

Je vois le ciel pendu à des crochets de plomb
je vois des marées mortes dans le sang blanc des algues
et sur les seuils de pierre des bracelets d'oiseaux

Dans un désert de peau je guette un enfant fou
je vois dans les bûchers des émeutes de miroirs
et le même visage à toutes les fenêtres....

de la mer
où mon corps fait surface à l’intérieur du sel



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