L'histoire
1917-18. La guerre fait rage en Europe et peu à peu les soldats blessés retournent chez eux. Comme Hank qui a perdu une main sur un éclat d'obus et revient à la ferme familiale, en Caroline du Nord, sans la région des Appalaches. Sa sœur Leslie a enterré leur père, et a survécu chichement, d'autant qu'elle est détestée à Mars Hill la bourgade la plus proche en raison d'une tâche de naissance qui la fait passer pour une sorcière.Quand Leslie qui vit dans ce vallon désolé, dans une vieille ferme sans confort découvre Walter, un homme égaré muet mais qui joue divinement de la flûte traversière. Sans chercher à savoir qui est cet homme, qui rend bien des services à la ferme, qui est discret, l'amour donne à Laurel l'espoir d'une vie meilleure. Walter vient de New-york où il est musicien et le jeune couple pense s'y installer, loin des clichés et la mentalité étriquée du village. Mais tout ne se passera pas comme prévu.
Mon avis
Ron Rash fait partie de mes auteurs préférés et chaque nouveau livre me montre l'étendue de son talent. Pourtant Rash ne parle que son pays, finalement une « petite » région en Caroline du Nord, les Smokey Hills. Ici il se pose à quelques miles de Mars Hill, connue pour son Université, dans un vallon sombre, sous un promontoire rocheux, où pousse un peu de maïs, des haricots, quelques vaches et un poulailler, une rivière caillouteuse. C'est ici que vivent les enfants Shelton depuis la mort de leur parents.
Revenu de la guerre de 14-18 qui se termine et amputé d'une main, Hank, aidé de Slidell, un vieil homme qui est une sorte de grand-père adoptif, tentent de remettre la ferme en état, en remontant une clôture pour ne pas éparpiller les bêtes et surtout creuser un puits plus proche de la veille ferme en rondins bâtie par leurs grand-parents. Leslie s'occupe du jardinage, de la cuisine, de la maison, de la couture et de la lessive à la rivière. Elle évite surtout de mettre les pieds en ville où les gens détournent leurs regards quand ce ne sont pas des insultes ouvertes. Une tâche de naissance à partir du cou entache sa beauté. Et pourtant Laurel est une chic fille. Ainsi quand elle tombe sur un homme errant, qui joue des airs magnifiques de flûte, elle n'hésite pas lui venir en aide. L'homme semble perdu un papier dans sa poche indique qu'il s'appelle Walter, qu'il est muet et qu'il veut rentrer à New-York. Malade, elle le soigne et malgré les réticences de son frère, Walter qui n'est pas un voleur ou un brigand devient une aide précieuse pour aider à la ferme. Et aussi l'amoureux de Laurel. Ce qui réjouit Hank qui doit se marier avec la fille d'un riche fermier et surtout aller vivre sur les terres de son beau-père.
Dans leur intimité, Laurel et Walter se découvrent. Walter parle, c'était un prisonnier allemand, non pas un militaire mais juste un membre d'un orchestre d'un paquebot allemand échoué à New-York et récupéré par les USA qui sont rentrés dans le conflit. Pris dans une rafle, Walter est d'abord emprisonné à New-York puis conduit dans une prison de Caroline du Nord d'où il s'évade. Les conditions de rétention sont inhumaines envers les « boches » et lui ne comprend pas son arrestation, il n'est qu'un musicien, en fait très talentueux pour avoir vu se proposer un contrat dans un orchestre célèbre américain. Mais c'était avant la guerre. Laurel partage son secret et comme lui rêve d'aller à New-York. Dans la région on sait qu'un prisonnier s'est enfui, mais on l'a vu prendre le train et donc ce n'est pas la préoccupation des autorités.
Mais à Mars Hill, sous la férule du Sergent Chauncey, la haine des boches s’accroît à chaque fois qu'un jeune homme revient blessé, et il compare les mérites de chacun. Ceux qui ne sont pas partis, les pires trouillards, ceux qui a son goût n'en ont pas tué assez. Il veut même purger la bibliothèque universitaire des livres allemands, même si il trouve une opposition féroce en la personne de la bibliothécaire. Et pourtant lui, il n'a jamais combattu en Europe, trop âgé pour le recrutement. Imbu de sa personne, pensant savoir tout mieux que tout le monde, il prépare une cérémonie pour le retour dans le village d'un vrai héros à ses yeux, un jeune qui a combattu et tué pas mal sur le front mais est devenu aveugle.
Et c'est là que Ron Rash nous livre un de ces livres les plus noirs. Par hasard, une ancienne affichette du prisonnier évadé tombe sous les yeux de Chauncey et il est reconnu par 2 fermiers du coin qui ont passé une soirée à la ferme des Shelton. Vengeance, colère, emballement, enfin se taper un « boche ». Hélas, à la ferme il n'y a que Hank, sa sœur et Walter le recherché étant partis pique-niquer dans un recoin du vallon que Laurel connaît comme sa poche. Alors que Walter s'attarde, Laurel revient et est abattue par mégarde par le sergent. Ne trouvant pas son prisonnier, alors que Hank est attaché, il le tue de plusieurs balles comme traître. Lui même sera abattu à son tour pas le vieux Slidell. Ironie du sort, la guerre est finie, Walter est libre et peut prendre son train, le drame récent ayant plongé le village dans l'effroi et la stupeur de cet accès de violence.
Ce cinquième roman de Ron Rash est tiré d'un vieux fait divers et une fois encore la nature hostile ou amie se déploie le long du roman. Promontoires ensoleillés, crachin et brume dans le vallon, ciels étoilés, plantes sauvages nourricières ou médicinales dont Laurel connaît tous les secrets, dans le tragique Rash sait particulièrement introduire des moments de poésie. Et de confronter la bêtise et les préjugés des hommes, dans une vie pas facile, peu de fermes sont électrifiées, le travail est dur. Mais les légendes que cela soit pour une tâche de naissance qui vous fait passer pour une sorcière maléfique, alors que Laurel est la bonté même, ou pour un étranger qui n'a tué personne, et dont la flûte enchante ceux qui ont peu l'entendre. Une fois de plus Rash se plonge dans le passé trouble de ce petit bout du monde, comme il en existe partout dans le monde.
La qualification de polar me semble exagérée. Tout est aujourd'hui un polar, alors que ce n'est qu'un enchaînement néfaste dans un roman, toujours court et si bien écrit que la plume de l'auteur soit tendre où amère. Vraiment un auteur que j'aime de plus en plus.
Extraits :
Quand on se fréquente, c’est tout miel et pissenlits, lui avait expliqué Marcie, mais quand on se retrouve tous les jours auprès de quelqu’un, des choses qu’on n’avait pas trop remarquées auparavant, la façon qu’il a d’avaler sa soupe à grand bruit ou de ne pas quitter ses chaussures crottées, ou même le plus infime détail, un air qu’il ne cesse de siffloter ou sa manière de disposer le petit bois dans la cheminée, vous asticotent comme une dent gâtée.
Quelles que soient l’heure du jour ou la saison, quel que soit le nombre de lampes allumées, c’était toujours un lieu sombre qui, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, avait toujours senti la souffrance. Mais ici, en haut, la large saillie de granit captait les rayons du soleil et les retenait, l’enveloppait de clarté. La lumière était comme du miel chaud. Des gouttes de rosée sur une toile d’araignée renfermaient des arcs-en-ciel entiers, et la queue d’un lézard des palissades brillait du même bleu que du verre indigo. L’eau étincelait de particules de mica.
Sur cette hauteur, les fleurs de rhododendrons n'étaient pas encore tout à fait fanées. Leur parfum capiteux et l'odeur de vanille de la clématite donnèrent le tournis à Laurel tandis que passaient les minutes et qu'un air se mêlait au suivant. Le soleil s'inclina à l'ouest et le peu de lumière qui filtrait par la percée entre les arbres se dissipa. L'argent scintillant de la flûte s'atténua, vira au gris, mais la musique conserva sa brillance vaporeuse.
Il contempla les montagnes et songea combien une vie humaine est petite et fugace. Quarante ou cinquante ans, un instant pour ces montagnes, et il ne resterait aucun souvenir de ce qui était arrivé ici.
Si vous ne pouviez pas croire que deux ou trois bonnes choses peuvent vous arriver dans la vie, alors comment continuer ?
Peut-être que parler du joug du mariage n’est pas la plus jolie manière de dire qu’on forme un couple, mais c’est la vérité pour moi et c’est vrai d’une bonne façon parce qu’on travaille ensemble, on compte l’un sur l’autre, et on partage le poids de la charge.
Rien que d'entendre de la musique, même le plus triste des airs, ça vous permet de savoir que vous êtes pas tout ce qu'y a de plus seul au monde, que quelqu'un d'autre, comme vous, a connu quelque chose de semblable.
Des chênes et des tulipiers obscurcissaient le soleil et des bouquets de rhododendrons venaient se presser contre les rives.
De l'autre côté du fourré, un rayon de soleil filtrait par une percée dans la voûte des arbres, l'éclat d'une flamme argentée la renvoya en toute hâte dans le taillis, la brillance palpitant derrière ses paupièresElle se campa devant lui et lui tendit ses mains."Veux-tu bien me serrer contre toi un instant ? Pour m'aider à me souvenir que tu étais vrai, parce qu'une fois que tu seras parti, ce sera trop facile de croire le contraire".
Les superstitions ne sont qu'une affaire de coïncidences ou d'ignorance.
La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaine des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres.
Quand ils parvinrent devant le bâtiment abritant la bibliothèque, Chauncey s'arrêta pour examiner les lettres ciselées au-dessus des grosses portes en chêne. Du latin ou du grec, il le savait, et il songea que, même pendant une guerre, l'anglais n'était pas assez bien pour l'université.
A huit ans, les sarcasmes étaient devenus si méchants qu'elle avait frotté la tâche de naissance au savon à lessive jusqu'à ce que la peau cloque et saigne.
Dans un cas comme dans l'autre, les gens l'évitaient, traversaient la rue, partaient dans un autre coin de la grange. N'était-ce pas cela un fantôme : un être isolé des vivants ?
En dépit de toutes les méchancetés que Laurel y avait endurées de la part des autres élèves, Mlle Calicut avait fait de l'école le plus bel endroit qu'elle ait jamais connu.
Ce qui rendait la musique d'autant plus triste, car elle ne racontait pas l'histoire d'un amour perdu, d'un enfant ou d'un parent disparus. On aurait dit qu'elle racontait tous le deuils qui avaient jamais existé
Elle était habituée à ne pas parler, ce qu'elle supportait plutôt bien. C'était de ne pas avoir quelqu'un avec qui partager le silence, comme l'hiver précédent, qui était affreux.
Si solitaire qu'ait pu être la vie que j'ai menée ici, je n'en voudrais pas d'autre, dit Laurel, parce que autrement je ne t'aurais pas rencontré. Ta vie, elle n'a pas été toute rose non plus.
Walter raised the the flute to his lips. At first Laurel thought he was just practicing, because the same few notes he started with kept repeating with just the smalleest changes. Then it became clear that it was a song, the loneliest sort of song because the notes changed so little, like one bird calling and waiting for another to answer. Il was as lonely a sound as she'd ever heard.
Biographie
Ron Rash est un écrivain,
poète et nouvelliste, auteur de romans policiers né en 1953 en
Caroline du Sud.
Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à
l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un
M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de
littérature anglaise. Il est titulaire de la chaire John Parris
d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il
enseigne l’écriture de nouvelles.
Sa carrière d'écrivain
s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de
nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des
recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont
un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires.
Il
publie "Un pied au paradis" ("One Foot in Eden"),
son premier roman policier, en 2002. "Le chant de la Tamassee"
("Saints at the River", 2004) est son deuxième roman.
Suivront "Le monde à l'endroit" ("The World Made
Straight", 2006), ou encore "Une terre d'ombre" ("The
Cove", 2012) qui obtient le Grand prix de littérature policière
2014.
Son roman "Serena", sorti en 2008, a été
transposé au cinéma par Sasanne Bier en 2014, avec dans les rôles
titres Bradley Cooper et Jennifer Lawrence, puis en bande dessinée
par Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Ron Rash vit
actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est
particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la
protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement
des tribunes sur ces sujets.
Critiques presse

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