L'histoire
La biographie romancée de l’écrivaine coréenne Shin Kyun. Née dans un village sur la petite île de Chegu, la jeune fille est trop pauvre pour rejoindre un lycée. Nous sommes en 1979, et la Corée du Sud est encore gouvernée par Park Chung Hee, un régime dictatorial mais qui commence à croître économiquement. L’assassinat du dictateur en 1979, suivie de troubles dans les années 80, alternant période de révoltes étudiantes et régimes totalitaires.Pour accéder à des études supérieures, donc le lycée, elle doit travailler 3 ans en usine et être méritante pour obtenir à des cours du soir, puis int"grer un lycée.
Mon avis
Cette biographie est une photo tout en douceur et sensibilité de la Corée du Sud des années 80. Shin Kyung est née dans une famille pauvre de 7 enfants. Le père pèche et tient une petite boutique, mais cela ne suffit pas pour envoyer leur fille de 16 ans poursuivre des études. La seule solution proposée par le régime est d'aller travailler au moins 3 ans en usine, car malgré les troubles politiques, la Corée du Sud connaît un essor économique important. Si elle est méritante dans son travail, elle pourra alors suivre des cours du soir, et si ses résultats sont bons, intégrer un internat dans un lycée. Les années 1980 sont marquées par des grèves étudiantes et syndicales réprimées dans le sang par un régime dictatorial, avec des influences de la Corée du Nord soutenue par la Russie et la Chine communistes. La Corée du Sud sera sous contrôle américain qui y a des bases mais n'intervient pas dans les conflits internes. Il faudra attendre 1987 pour qu'un président soit élu démocratiquement. Dans ces années sont instaurées des politiques de développement économique à marche forcée, qui favorisent l'essor des grandes villes surtout.
On découvre alors des conditions de vie et de travail abominables, mais la jeune fille s'accroche pour ne pas décevoir sa famille et parce qu'elle aime étudier. Elle est logée dans une pension de 47 chambres labyrinthiques où elle se sent seule, mais trouve encore le temps d'écrire à sa famille. Avec l'énergie du désespoir, suite à un événement traumatique, Kyung voit son destin se profiler. Elle sera écrivain. Pour elle, pour aussi donner la parole à ses camarades de galères qui n'ont pas eu la même chance qu'elle, et pour qu'on oublie ses années noires où la jeunesse était le moteur d'une économie, mais une jeunesse maltraitée, bas salaires, contrôles qualitatifs. Bien sur, elles ne sont pas dans un camps d'enfermement, mais les sorties sont rares quand on économise chaque sou, pour acheter du matériel scolaire ou des livres. Et elle réussit à devenir une écrivaine publiée et reconnue. Même si on est peu familiarisé avec la Corée du Sud, la lecture n'en est absolument pas gênée et l'abondance de petits détails, ici avec toute la sensibilité et la légèreté que l'on retrouve souvent dans l'écriture asiatique, nous permet de suivre le parcours et la vie particulière ou plutôt commune à toute cette jeunesse.
L'amour indéfectible envers sa famille, mais aussi ses amies d'infortune, la solitude où elle se sent parfois exclue du monde l'amène à se poser les questions fondamentales que sont le destin, la vie, et le devenir. Et par là même, alors qu'elle ignore tout de la politique de son pays, de la découvrir avec le recul, sans condamnation ferme, mais plus comme un témoin de passage.
Et il y a la façon de raconter, avec des pages pleines de poésie, le regard touchant sur des petits éléments de la nature, comme les oiseaux, la sensibilité subtile où l'on effleure les choses, permettant au lecteur de se faire sa propre idée. Un très joli livre, poignant et touchant qui il faut le souligner, a bénéficié d'une excellente traduction en français par 2 traducteurs, un fait rare chez Picquier qui a tendance a souvent bâcler des traductions pour sortir le plus d'ouvrages possibles.
Extraits :
C'était dense et fort. Les femmes anonymes habillées du langage qu'elle tissait naissaient dans ce puits, devenaient plus qu'une femme ou un être humain et se transformaient en de magnifiques carpes dorées. (…) Une hallucination où une carpe dorée jaillit à la surface de la vie en se secouant pour se débarrasser des gouttes d'eau azurée, depuis la blessure profonde d'une perte, depuis ce gouffre on ne peut plus abyssal et obscur.
Quand je pense à la littérature, ce sont les yeux implorants d’un chien qui regarde son maître qui me viennent à l’esprit. La beauté du destin contenu dans ces yeux, le chagrin de celui qui vénère son amour, le silence de celui qui a vu ce qu’il ne devait pas voir.
Notre aîné laisse enfin exploser toute sa frustration rentrée. C'est vrai : pourquoi doit-il vivre comme ça ? Très jeune encore, il porte sa responsabilité de fils aîné de la famille comme une punition du ciel. La tension nerveuse de celui qui doit s'occuper de ses frères et soeurs à la place de ses parents restés au loin, gagner de l'argent tout en faisant son service militaire et dormir avec sa soeur et sa cousine dans cette chambre exiguë déborde et fait saigner le nez de son cadet.
Le brouhaha. Des cris effrayants jaillissent de partout. Personne n’ose regarder dans la ruelle. Dans la chambre solitaire, ma cousine et moi nous rapprochons l’une de l’autre. Que se passe-t-il ? La peur. Dans la ruelle où on avait l’impression qu’une catastrophe allait se produire, le silence succède d’un seul coup au martèlement des bottes militaires.
Le printemps de Séoul. Les forsythias soudain éclos en plein hiver se font écraser par les blindés du nouveau gouvernement militaire. Les chars ont-il vocation à écraser le printemps ? C'étaient aussi des tanks, ceux des Soviétiques, qui avaient broyé le printemps de Prague.
Quand on vit dans une grande ville, il n'est pas facile de faire autre chose que ce qui est urgent. Je m'étais souvent encombrée de diverses tâches et j'avais toujours une longue liste de livres à acheter.
La mémoire du corps est plus douce, plus froide, plus précise et plus coriace que celle de l'âme. C'est peut-être parce qu'il est plus honnête qu'elle.
Un magnifique paysage ne me rend pas la liberté intérieure ; la peur reste et me tire vers le bas alors que je m'acharne à m'élever. La nature me fait réaliser que je ne suis qu'un être humain. Un être fragile qui se tient debout au milieu de cet effroi.
Certaines phrases ressemblent à une embuscade. Ellles jaillissent brusquement en se frayant un chemin dans forêt intérieure, quand un jour d'automne comme celui-ci je suis en train de marcher dasn la rue pour me rendre à un rendez-vous.
J'aimais ça. La littérature, par le simple fait qu'elle existait, me permettait de rêver à des choses impossibles ou interdites dans la réalité.
Lorsqu'on écrit, tout devient du passé. Le destin de celui qui écrit n'est-il pas de remonter le courant à partir du présent vers les temps douloureux , comme le fait un saumon, même si le courant est rapide et lui déchire les nageoires ?
ceux qui n'avaient pas de nom, qui étaient privés de richesses matérielles, condamnés à bouger sans arrêt leur dix doigts pour produire ... Je dois leur donner une place digne en ce monde au moyen de mots. ce texte est finalement devenu quelque chose entre chronique de faits réels et fiction. Mais peut-on appeler cela de la littérature ? Je réfléchis à l’écriture. Je me demande ce qu’est l’écriture.
Biographie
Shin Kyung-sook est une
écrivaine sud-coréenne née en 1963. Elle est née dans une région
rurale. Très tôt elle se passionne pour la littérature et rêve
d'en faire son métier. En 1978, sa mère l'accompagne à Séoul. La
jeune fille vit chez l'un de ses frères et travaille dans une usine
durant la journée. Le soir, elle poursuit ses études secondaires.
Elle est admise à l'université et choisit l'écriture créative
comme matière principale. Après avoir terminé ses études, elle
effectue ses débuts de romancière tout en faisant des petits
boulots. Depuis 1993, elle se consacre entièrement à
l'écriture.
Elle a publié une dizaine de romans et de recueils
de nouvelles qui lui ont valu dans son pays les prix littéraires les
plus prestigieux, dont le Yi Sang Literature Prize..
Son roman,
qui date de 1999, intitulé "La chambre solitaire" a ainsi
reçu le Prix de l'Inaperçu, pour sa traduction en français aux
éditions Philippe Piquier.
"Prends soin de maman" (
Eommareul butakhae), publié en 2008, est un best-seller en Corée du
Sud, où 2 millions d'exemplaires ont été vendus ; il est traduit
dans 24 langues et a atteint la 21e place de la New York Times Best
Seller list en 2011.
Sur l'histoire de la Corée du Sud : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Cor%C3%A9e_du_Sud
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