lundi 9 octobre 2023

CHARMAINE WILKERSON – Les parts oubliées – Buchet -Castel 2023

 

L'histoire

A la mort de leur mère, Byron le grand spécialiste des cartographies océanes et sa cadette Benny, qui vivote après avoir quitté le domicile familial à 17 ans sont convoqués par le notaire. Celui-doit doit leur remettre une lettre de leur mère à chacun, et surtout révéler sa vie sur une enregistrement de 8 heures. Puis partager le fameux gâteau noir des Antilles qu'elle a gardé pour eux au congélateur. Et des révélations, elle en a faire cette femmes qui a traversé 3 océans avec ses drames et ses joies.



Mon avis

Enfin un vrai bon roman, le tout premier de la journaliste Charmaine Wilkerson, qui a puisé dans ses souvenirs, sa vie en Jamaïque pour écrire un roman intemporel sur l'identité profonde.

Structuré en 4 parties, donnant tour à tour la parole aux principaux protagonistes, avec des sauts dans le temps, de 1965 à nos jours, la lecture est simple, sans effets de style. En anglais le livre se nomme « Black Cake », un gâteau antillais qui contient beaucoup de fruits macérés dans un mélange rhum/porto et que l'on sert, recouvert d'un glaçage en pâte d'amandes à Noël, et qui demande une préparation minutieuse. La recette ne sera pas donnée, à nous de la trouver sur le net ou ailleurs.

Des cours chapitres, ce que l'autrice appelle « Flash Fiction ». Comme un puzzle, nous suivons non seulement les vies de Byron et Benny, fâchés pour des choses non-dites, mais aussi le passé de leur mère, des Antilles à l'Angleterre à la Californie du Sud où la famille s'est posée et où sont nés les enfants

Voilà un beau portrait de femme que nous livre l'autrice, une femme qui a passé la moitié de sa vie à fuir et l’autre moitié à rechercher une autre part d'elle-même. On y sent tout l'amour inconditionnel pour ses enfants même si elle n'a pas toujours su les comprendre, parce que c'était comme cela à l'époque. Pour des familles noires, encore discriminées, la solution passait par l’éducation et des études supérieures. Si Byron est célèbre pour ses travaux, sa sœur voudra bien ouvrir un café artistique, mais vivote de petits jobs en petits jobs. Elle a rompu avec sa famille qui n'a pas accepté qu'elle abandonne ses études à la fac (on aura l'explication dans le roman) et n'est pas venue à la mort de son père (là aussi, il y a une raison).On notera aussi les résonnances des prénoms Benny/Bunny (la meilleure amie de sa mère), Mabel (diminutif de Margaritta, le prénom de la mère d'Eleanor), Lynette (la femme de Byron) et Lin (le père d'Eleonor).

Charmaine dénonce les violences conjugales, et les viols que subissent les femmes, la stigmatisation de l'homosexualité féminine, et anticipe le mouvement Black Lives Matters. Mais rien n'est sombre dans ce roman où la mer et la natation sont omniprésentes, et l'amitié solide entre amies.

Mais cela pourrait se passer ailleurs, n'importe où dans le monde. D'où venons-nous ? Quelles sont nos origines ? Quelle est notre histoire familiale et notre filiation qu'elle soit généalogique ou intellectuelle ? Le sort des femmes bien sûr, entre violences, maladies mais aussi sororité, est aussi un thème très actuel, tous comme les conflits qui opposent, les mensonges par omission et protection d'autrui. Passés à la loupe par la fine psychologie de l'autrice, nous nous retrouverons toutes et tous dans ce grand roman, qui va aussi nous donner envie d'aller cuisiner le gâteau familial quel qu’ils soit.


Extraits :

  • Byron se décala pour révéler ce qu'il avait écrit sur le tableau: surfez la vague.
    -Voilà ce que j'aimerais vous dire. Dans la vie, il faut prendre la vague et la chevaucher. Alors, que faire s'il n'y a pas de bonnes vagues dans votre coin? Eh bien, il faut aller la chercher. Et ne jamais cesser de la chercher, d'accord? Une solution, c'est de poursuivre ses études. Ne sous-estimez pas l'importance d'une bonne éducation. Parce que vous ne pourrez pas gagner...
    Byron enroula ses deux mains autour de ses oreilles et se pencha vers l'assistance.
    -...si vous ne jouez pas! répondirent-ils. serrer contre elle , la consoler, lui dire que pour elle aussi, l'enfer était fini.

  • Note de l'autrice] : La plupart des personnages des Parts oubliées sont des gens qui ne rentrent pas tout à fait dans les cases que les autres leur ont fabriquées. Ils se battent afin de réduire les stéréotypes et le gouffre entre leurs intérêts et ambitions et les vies que les autres s’attendent à ce qu’ils mènent, en fonction de leur genre, culture ou classe sociale. Leurs difficultés sont à la fois universelles et rattachées à l’époque et à l’endroit où ils vivent.

  • t puis j’avais honte. Ce qui m’était arrivé m’avait complètement prise par surprise. Je pensais travailler dans une entreprise respectable, avec un employeur généreux. Je pensais être en sécurité. Après, je n’ai cessé de penser : qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Qu’est-ce que j’ai fait pour que ça me tombe dessus ? Mais ces questions n’avaient aucune raison d’être. Quand il s’agit de subir des violences, ces questions n’ont jamais aucune raison d’être. Mais on se les pose quand même, et elles nous entraînent vers le fond. Elles peuvent même nous écraser. Heureusement, j’ai vite compris qu’il fallait tout simplement que je quitte cet emploi.

  • souvent, il suffisait d’un regard pour qu’elle comprenne qu’elle s’était trop éloignée de la case où on l’avait placée. Comme ce regard lancé par cette fille blanche avec qui elle avait sympathisé alors qu’elle sortait d’un salon de coiffure pour femmes noires. Ou ce regard échangé un après-midi avec une colocataire noire alors qu’elle entrait dans la salle commune en riant avec deux filles blanches. Ou bien ces regards appuyés à plusieurs marches de fiertés, mais sans que personne vienne jamais lui parler. Pour autant, les regards, ce sont des choses glissantes qui nous échappent. Un bon coup de pied dans la figure, c’est plus concret.

  • Byron entend sa mère reprendre son souffle et il serre les poings. B & B, je voulais m’asseoir avec vous et tout vous expliquer, mais je n’ai plus assez de temps et je ne peux pas partir sans vous révéler comment tout ça est arrivé.– Tout « ça » quoi ? demande Benny. Mr Mitch appuie sur une touche de son clavier, interrompt l’enregistrement. Byron secoue la tête. Il ne leur est jamais rien arrivé, rien du tout. Ce qui, pour une famille noire en Amérique, est très significatif. Avant la mort de leurs parents, le seul drame familial datait du jour où Benny avait fait peur à Ma et Pa en voulant à tout prix leur détailler sa vie amoureuse.

  • Quand les gens ne comprenaient pas quelque chose, ils se sentaient souvent menacés. Quand les gens se sentaient menacés, ils devenaient violents.

  • – Allez-vous laisser les idées que les autres ont de vous et de ce que vous devez faire vous barrer la route ?
    Il sourit, repensant à ce que sa mère lui disait quand il était à l’école.
    – Je ne vais pas vous mentir, il y aura de nombreux obstacles à affronter, entre autres financiers ou discriminatoires. Ceux de la génération d’avant vous travaillent sur ces problèmes, on est nombreux à essayer. Mais si vous vous posez la question du financement, c’est que vous pensez déjà à vous lancer, et ça, c’est le meilleur service que vous puissiez vous rendre.

  • Benny se demande à présent si ces périodes de déprime étaient inscrites dans son anatomie ou si elles résultaient des difficultés traversées. Sa mère avait dû parfois éprouver le sentiment que son passé et tous les efforts déployés pour le cacher étaient trop lourds à porter. Quelle était l’étendue de ce qu’elle avait tu ? Et que lui restait-il à révéler ?

  • Et la vie d'une personne, comment la cartographier ? Les frontières que les gens érigent entre eux et les autres. Les cicatrices laissées sur les parois du cœur.

  • Ils restent tous les trois silencieux pendant un moment et pensent à ces petites choses profondes dont on hérite. À la façon dont les histoires tues façonnent la vie des gens, aussi bien quand elles restent cachées que lorsqu'elles sont révélées.

  • Mais j’ai aussi l’impression que vous êtes moins bien encadrés, malgré tous ces tutos sur Internet. On dirait qu’il y a désormais tellement de choix qu’on ne peut plus savoir lequel est le bon. Et les préjugés sont encore tenaces. Peut-être moins solides, dans certains cas, mais toujours là.

  • Mélangez, incorporez, versez. Ce n'est que maintenant que Benny se rend compte que la recette ne contient aucun nombre, ne précise aucune quantité. Est-ce que ça a toujours été le cas ? Pourtant, c'est bien le même papier que dans son enfance, elle en est sûre. Benny voit, à présent, que la recette de sa mère n'a jamais été une suite d'instructions précises, mais plutôt une liste d'indices sur la façon de procéder. Ce que Benny a appris de sa mère lui a été transmis par le geste, par la parole, par leur proximité. Ce que Benny a appris de sa mère, c'est à faire confiance à son intuition et à partir de là.

  • Byron estime que la voie royale du militantisme, c'est de grimper l'échelle sociale, d'accumuler des biens, d'exercer son influence au cœur du pouvoir. Mais Lynette lui explique que ce n'est pas tant une manifestation qu'une veillée, pour tous ceux qui n'ont pas eu la chance de Jackson. Pour tous ces gens qui n'ont pas survécu à une arrestation de routine. Pour tous ceux qui sont encore en deuil. Dont nous, dit Lynette. On doit se donner l'autorisation de faire notre deuil, de s'éclaircir les idées, continue-t-elle, pour pouvoir ensuite retourner dans les mairies, les tribunaux, les conseils d'administration et les salles de classe, et provoquer des changements.

  • Covey et Elly estimaient qu’elles appartenaient avant tout aux collines, grottes et littoraux de l’île où elles avaient grandi, mais aussi qu’elles faisaient partie de la culture qui avait influencé tant d’aspects de leur vie quotidienne. Partir s’installer en Grande-Bretagne, c’était censé être comme venir vivre chez un parent – un refuge pour deux jeunes femmes qui avaient tout perdu.

  • ne va pas penser que prendre la fuite, t'éloigner des autres, suffit pour réussir sa vie. Ça ne doit pas être une solution de facilité en cas d'ennuis. J'ai vécu assez longtemps pour savoir que ma vie a été autant déterminée par la méchanceté des gens que par leur gentillesse, leur attention et leur écoute. Et c'est en ça que ton père et moi t'avons failli. Tu n'as pas trouvé suffisamment de cette bienveillance dans notre maison pour oser y rester.

  • Avec le temps, Eleanor Bennett n'a cessé de renoncer à des morceaux d'elle-même, si bien qu'à la fin il ne restait plus grand-chose. Famille, pays, nom, même un enfant. Et elle ne s'était pas sentie en mesure de nommer ces pertes. Benny et Byron n'auraient jamais été en mesure de combler les trous persistants, si? Benny et Byron n'avaient jamais suffi.

  • Ne pas avoir de réponse, c'était normal. Voilà ce qu'ils étaient, une famille afro-américaine d'origine caribéenne, un clan d'histoires oubliées et de cultures aux contours vagues.

  • what did Etta Pringle say about the swimming? What did she say was the right frame of mind?’‘She said that you had to love the sea more than you feared it. You had to love the swimming so much that you would do anything to keep on going.’ ….. ‘Just like life, you know?’


Biographie

Née à Newy-York, , Charmaine Wilkerson est une autrice américaine originaire de New York, qui a vécu en Jamaïque et écrit désormais la plupart de ses œuvres en Italie. Diplômée du Barnard College et de l’université de Stanford, elle est une ancienne journaliste dont les nouvelles primées ont été publiées dans divers magazines et anthologies. Les Parts oubliées, son premier roman, est un best-seller du New York Times.
Avec son premier roman, Wilkerson a voulu transmettre l'importance et la capacité de transférer la culture et les histoires à travers la nourriture. Le gâteau noir est un aliment caribéen que la propre mère de Wilkerson a préparé, bien qu'ils l'aient appelé pudding au rhum. Wilkerson elle-même prépare le dessert une fois par an.

Son site : https://charmspen.com/

en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Charmaine_Wilkerson


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