L'histoire
Qui connaît aujourd’hui Masaccio, jeune peintre grand précurseur de la Renaissance, mort mystérieusement à Florence à 27 ans ? Pourtant par ses innovations, il va bouleverser le monde des Arts et va inspirer De Michel-Ange à Vinci jusqu'aux peintres modernes, pour avoir su avant tout le monde, sortir l'art pictural des icônes : perspective, réalisme des corps, couleurs impétueuses, notamment les rouges flamboyant, expression des visages. C'est la toute dernière biographie ou plutôt roman que nous livre Sophie Chauveau.
Mon avis
Le jeune Tommasso di ser Giovanni dit « Masaccio » est né le 21 décembre 1401, dans un petit village fortifié de l'Arno a quelques kilomètres de Florence. La peste sévit dans la ville du Lys et nul ne peut entrer ou sortir. Mais pour l'heure, son père meurt alors qu'il a 5 ans, et Jacopa, sa mère, le confie à sa belle-famille ainsi que son petit-frère, pour se remarier avec un homme relativement riche que l'enfant ne supporte pas. Très vite, il va travailler dans le grand atelier communal avec les « cassai » les artisans d'art : menuisiers, ébénistes, peintres peu reconnu, charpentier. I sait broyer les pigments, les mélanger à l'huile, il apprend à dessiner juste en observant la nature, avec une seule obsession, devenir un peintre reconnu et donc pour cela entrer comme apprenti dans une des ateliers des artistes reconnus de Florence. D'autant qu'il ne supporte plus les querelles de villageois ni les projets ambitieux qu'on attend de lui.
A 17 ans, la peste est partie, Florence sous le règne de Cosme de Médicis, se reconstruit et Masaccio arrive. Prévoyante, sa mère lui a glissé de quoi manger et aussi des florins accumulés. Très vite il trouve un logement peu onéreux chez une vieille dame du bon coté du fleuve, l'autre rive étant celle des très pauvres dont on continue à ensevelir les cadavres, de la fange, celle qu'on ne veut pas montrer. Et comme si un bon génie s'était penché sur son berceau, il rencontre 2 hommes d'importance : le sculpteur Donatello et architecte Brunelleschi, celui qui réussira à monter une couronne de 3600 m2 pour la cathédrale Santa Maria del Flore, sans échafaudage. Brunelleschi a une formation de mathématicien et mets au point la perspective mathématique. Les deux hommes se prennent tout de suite d'affection pour ce gamin de 17 ans, très grand de taille, peu parleur, vivant de peu. Très vite, il pose pour Donatello ce qui lui permet d'étudier le travail délicat de l'homme qui rejette la peinture telle qu'on la pratique encore, qui revient plus à faire de l'icône qu'un travail de créateur. Très les deux artistes qui partagent le même point de vue sur un renouveau de la peinture propose au tout jeune homme de peindre une grande fresque pour la chapelle Brancacci de Cassia, à 2 heures de marche de Florence. Toutefois, le commanditaire lui assigne un peintre adjoint, un homme plus âgé Maselino, un peintre médiocre, mais heureusement, peu présent, plus préoccupé par les plaisirs. De 1445 à 1448, il peint presque seul les 7 fresques demandées qu'il signe en plus de son nom. Il s'est installé au cloître jouxtant la Chapelle, mange à peine, et travaille presque 24h sur 24, sans aucun repentir (c'est à dire effacer la couche de peinture qu'on juge imparfaite pour rajouter une couche du bon motif, ce que si voit en passant les ouvres aux rayons X. Dès la première toile, ses amis sont époustouflés : sa Sainte Anne, la vierge Marie sa fille et l'enfant Jésus sont d'une composition originale ou le rouge vermillon et le carmin plus foncé tranche avec le manteau d'un bleu presque noir du manteau de la vierge . Au point de fuite se trouve l'enfant Jésus, au teint d'un ocre lumineux et d'une fine chevelure d'un blond aérien. Le manteau rouge flamboyant d'Anne semblant envelopper fille et petit-fils de sa protection. Son visage à elle est tire sur un brun-rouge (ce qui pourrait faire penser que le Christ n'était finalement qu'un homme du monde égyptien, mais Masaccio n'en a peut-être pas conscience, il n'a reçu aucune éducation et ne vit que pour la peinture, toujours allant d'un échafaudage à un autre. Petit à petit le vieux peintre Maselino devient alors plus son élève que son maître supposé.
Masaccio inverse aussi la norme de l'époque : les Grandi, les nobles, seigneurs, riches ne sont pas placé devant comme c'est la coutume, mais derrière le sujet principal. Il peint si bien les corps des miséreux, à qui Saint Pierre (la chapelle Brancacci lui est dédiée) donne l'aumône ou guérit. Et cela Masaccio le fait en toute conscience, mais sans jamais le dire à personne. Une femme du peuple est ainsi représentée altière, avec son enfant dans les bras, sorte de petit-christ débraillé, qui se trouve juste au point de fuite, l’œil se dirigeant directement vers la mère. Ses personnages qu'ils soient riches ou pauvres sont pieds nus, ce qui les posent aussi en égaux. Il glisse aussi des portraits de ses amis.
Masaccio lui parle peu de son travail, ne pense qu'à la fresque suivante, on ne lui connaît pas une petite amie, il ne boit pas de vin, ne s'habille pas correctement alors que son succès est grandissant. Il embauche alors le petit moine Fra Lippi qui l’admire. Les florins gagnés sont aussitôt remis à sa mère venue vivre à Florence, et il trouve un emploi d'artisan pour son jeune frère.
Sa réputation de génie lui vaut des commandes, une pour le carmel de Pise, puis Rome l'appelle et le Pape lui confie une commande. Comment concilier toutes ces commandes ? De plus Masaccio souffre de dépression et ces amis tentent de ne pas le laisser seul. Son chef d’œuvre sera la trinité avec un trompe l’œil en bas qui représente un tombeau sur lequel gît Adam (si il est le premier homme, il est le premier mortel). Mais le centre du tableau est occupé par le Christ sur la croix, et les personnages décalés par rapport aux colonnades peintes sont à taille humaine. Encore une fois l'humain est au centre. Masaccio même si il vit le plus souvent dans des couvents, n'est pas religieux. Il est de plus en plus épuisé, entre ses trajets Florence, Pise, Rome. En 1428, il meurt mystérieusement dans une ruelle romaine, à 27 ans et demi, ni assassiné, probablement sa mauvaise hygiène de vie, son travail, sa course contre le temps l'ont-elles épuisées ? Quand la nouvelle arrive à Florence c'est une énorme tristesse pour ses proches, mais aussi toute la ville, même Cosme de Médicis qui ne l'aurait jamais compris.
Une fois de plus, Sophie Chauveau a effectué de nombreuses recherches pour ce roman dont Masaccio est le héros qu'elle remet au cœur de l'innovation picturale, et comme grand précurseur de la Renaissance Italienne qui va suivre.
Extraits :
"Distrait, rêveur, comme un homme dont toutes les pensées et la volonté étaient tournées uniquement vers les choses de l'art, il s'occupait peu de lui-même et encore moins des autres. Comme il ne voulut jamais penser, en aucune manière, aux choses de ce monde, dont il ne se souciait pas plus que de son costume, il fallait qu'il fût réduit au plus extrême besoin pour réclamer quelque argent à ses débiteurs. Il se nommait Tommaso, mais on le surnommait Masaccio, non pour sa méchanceté, car il était la bonté même, mais à cause de ses étrangetés ; d'ailleurs toujours prêt à rendre service à qui que ce fût."
Elle est revenue. Elle est là. Elle trône en maîtresse absolue. Elle semble volontairement se concentrer sur Florence. Elle règne sur l'ensemble d'une cité qui, dans l'espoir fou de l'éviter, mime la mort. Elle n'en finit jamais, la Peste. Le mot lui-même est interdit par peur de la contagion. Comme si le mot « chien » aboyait.
On la croit vaincue. Elle se réveille, revient et reprend sa besogne de mort. Elle tue pour vivre.
Interdit de sortir de Florence, impossible de s'y rendre. Invraisemblable de bouger. Rester terré chez soi, c'est tout ce qu'on peut faire. Et, pour se terrer, mieux vaut choisir un lieu le moins urbain possible, où le grand vent balaye l'air régulièrement. Ne pas non plus se claquemurer en rase campagne, car, en dépit de la mort qui rôde, il faut s'approvisionner pour survivre.
Les campagnes du Val d'Arno n'offrent que vins, olives et huile où macèrent de très maigres fromages de chèvre... Insuffisant pour faire pousser de beaux jeunes gens avides de tout.
Par temps de pandémie, il faut s'installer dans un village bordé de champs et de prairies, et y demeurer en se faisant tout petit jusqu'à son départ.S'il est un point sur lequel la confrérie ne transige pas, du plus petit artisan au plus gros apothicaire, c'est le principe de loyauté. Sur tous les chantiers d'Italie, les pigments sont conservés comme l'or ou l'argent. Parfois, des aides en volent, le plus souvent pour les revendre. Ces larcins-là sont rares, parce que sévèrement réprimés.
Dans ces cas-là, c'est toute la réserve qui disparaît : les pierres de lapis-lazuli s'évaporent avant d'être pilées, et fini le bleu, plus de Vierge Marie, plus de ciel où ranger les saints et les anges. Parfois, plus direct encore : tout l'or s'escamote d'un coup. Ou tout le rouge. .. Ah non ! Pas le rouge ! Masaccio dormirait avec ses pigments sur son coeur plutôt que de s'imaginer sans son rouge à portée de pinceau.Chacun, du pinceau, montre à l'autre sa façon de penser : d'un côté, les murs se couvrent de rouge, de haine, de folie, de talent ; de l'autre, de bleu, d'or et de servilité à l'image d'un pouvoir triomphant. Pour les yeux frais débarqués de n'importe qui, Masaccio, c'est du génie à l'état pur, sans une goutte d'eau pour le couper, un alcool trop fort pour ses contemporains.
Un grand décalage qualitatif sépare les fresques de l'un de celles de l'autre, Brancacci l'illustre mieux que tout. Les panneaux de cette chapelle figurent la ligne de partage des eaux entre deux mondes, l'avant et l'après. L'ombre et la lumière s'y livrent le décisif combat des anciens et des modernes. Et c'est cette fresque en particulier qui le démontre, quand Masaccio choisit de donner à l'ombre de saint Pierre le pouvoir de guérison. Guérir par la peinture même ! il invente là l'idée de peinture thaumaturge.
Désormais, sans en avoir une conscience aiguë, Masaccio traite la réalité de façon révolutionnaire. Quasiment malgré lui. Ses amis ne disent rien. Médusés, ils admirent et retiennent leur souffle. Jusqu'où ira-t-il ?
Faire. Seul faire lui importe. Au sens du mot grec poiein, c'est-à-dire fabriquer, exécuter, confectionner, mais aussi créer, produire (a même enfanter) . . . ou « agir », qui donne la poésie.
Savent-ils à quel point ils sont révolutionnaires, ces quatre, cinq artistes qui jouent à se surprendre ? Pour inventer la Renaissance, il fallait passer par l'incroyable métamorphose des hommes. Ce changement de regard sur le monde ne peut que transformer ceux qui en sont contemporains. Et inversement. Tel est le mystère, l'alchimie de cette période. La poule et l'œuf : qui a commencé ? L'œil ou le raisonnement ?
Où repose le squelette d'on ne sait qui, de n'importe qui, donc d'Adam, est gravé dans la pierre : « J'ai été ce que vous serez ce que je suis. » C'est Masaccio qui l'a écrit, et il n'a jamais été plus près de le penser.
Biographie
Née en 1953 à Paris,
Dans sa jeunesse, Sophie Chauveau, intègre le Conservatoire national
supérieur d'art dramatique de Paris, puis devient journaliste,
comédienne et écrivain.
Elle est écrit des romans, des essais,
des pièces de théâtre et d'une monographie sur l'art comme langage
de l'amour. Elle a publié près de 18 ouvrages et signe également
pour la mise en scène.
Elle s'est documentée durant quatre ans
pour écrire La Passion Lippi.
Parmi ses engagements militants,
elle s'investit dans sa jeunesse au PSU, puis aux Amis de la terre en
1974 aux côtés de Brice Lalonde tout en œuvrant dès l'origine au
Mouvement des femmes dès 1971. En 1979, elle anime la campagne des
élections européennes pour Huguette Bouchardeau (PSU). En 1993 et
en 1995, elle rejoint le comité de soutien de Lionel Jospin et crée
les Ateliers de Mai.
Depuis 2002, elle est membre du comité
directeur de l'association France-Israël.


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