mardi 27 février 2024

Jeanine CUMMINS – Une déchirure dans le ciel – Éditions Rey - 2022

 

L'histoire

L'histoire réelle de la famille de Jeanine Cummins traversée par un fait divers, la mort de ses deux cousines et la douloureuse absence.



Mon avis

En 1991, près de Saint-Louis dans le Missouri, la famille Cummins se retrouve le temps de quelques vacances. Outre Jeannine qui a 8 ans lors des faits, se retrouvent cousins et cousines. Tom, le frère aîné de l'autrice a 17 ans et il noue une amitié solide avec Julie 20 ans qui l'encourage, et qui est aussi, comme sa sœur Robin 19 ans, engagée pour les bonnes causes. Elles militent pour Amnesty International, Julie écrit des poèmes magnifiques, et ce trio de jeunes adultes s'entend merveilleusement bien. Le dernier soir des vacances, les deux filles veulent montrer à Tom un poème que Julie avait peint sur un vieux pont désaffecté le Old Chain of Rocks Bridge qui enjambe le Mississippi et relie le Missouri à l'Illinois. Ils sont alors abordé par 4 jeunes et la situation dégénère. Les agresseurs violent sauvagement les cousines tandis qu'un autre maintient Tom tête part terre, puis les balancent dans les eaux glacées du Missouri. Tom essaye bien de sauver Julie qu'il aperçoit, mais le courant est trop fort, et il la perd de vue. Tant bien que mal, il arrive à remonter les eaux boueuses et appelle les secours. Il est 4h du matin, l'obscurité empêche les forces de police a mené des recherches.

Tom est immédiatement conduit au poste de police où il va passer 34 heures, dans ses habits couverts de boue, et à peine ravitaillé par son père Gene. De son coté, la famille Cummins au grand complet se mobilise autour de la tante, puis aussi de Tom. Par manque de chance, on le fait passer au détecteur de mensonges, et celui-ci, pourtant jugé peu fiable contredit sa version. Les policiers qui ont bien envie d'en découdre et de trouver un assassin en déduisent que Tom est le meurtrier, sans écouter la version du jeune homme. Le corps de Julie ne sera découvert qu'un bon mois plus tard et on ne retrouvera jamais celui de Robin.

Après un an passé en prison, avant que d'autre indices et témoignages ne le fasse enfin sortir. Mais il restera toujours mis au ban de la société, jusqu'à réhabilitation complète et condamnation des 4 agresseurs, dont 2 mineurs, des petits délinquants.

Dès les premières pages, avec le talent qu'on connaît à l'autrice d'Américan Dirt, nous sommes embarqués dans une incroyable enquête. Ici sont pointées les erreurs de la police trop pressée d'avoir un coupable, et le mépris des victimes, les familles Cummins et Perry. Ayant consulté toutes les archives qu'elle a pu trouver, et fait un véritable travail d’enquête, ce livre est sorti en 2004, avant d'être traduit et publié en France en 2022. L'écrivaine essaye de rester le plus objective possible mais comme elle le dit « c'est ma famille tout de même ». Elle est contre la peine de mort, car cela ne permet pas le temps de la rédemption et n’apaise en rien les souffrances des familles. Seul le temps, l'entourage aimant, et le soutient sans faille d'une famille unie par un tel drame sont les seuls remèdes.

Un livre à la fois poignant sans misérabilisme et coup de point soutenu par l'écriture sans fioriture de l'autrice. Ce roman/récit résonne aussi curieusement avec l'actualité, avec la vague me-too qui secoue le cinéma français, et où la parole des victimes se libère petit à petit.


Extraits

  • Je ne peux pas prendre position contre la peine de mort par compassion pour ces hommes parce que je n'ai pas ressenti une once de compassion envers eux à ce stade. Ce serait peut-être le cas si je pensais qu'ils regrettaient - s'ils exprimaient un quel conque remords véritable pour leurs actes. Je peux simplement dire que la peine capitale n'a rien résolu pour moi. Elle ne m'a pas aidée à cicatriser mes plaies, et je ne m'attends pas à ce que cela arrive.
    Néanmoins, je suis frustrée par cette éternelle rhétorique. Nous concentrons toujours notre attention au mauvais endroit. Peut-être que la peine de mort est mauvaise, pas uniquement d'un point de vue humanitaire, mais parce qu'elle aliène encore davantage des familles qui ont déjà tant souffert. Parce qu'elle retourne le couteau dans la plaie. Parce qu'elle minimise le rôle des personnes qui devraient avoir le plus d'importance. Parce qu'elle donne aux meurtriers l'opportunité de porter un insigne qu'ils ne méritent pas - celui de la victime.

  • Il jeta un coup d’œil à Jacobsmeyer, dont l’expression demeurait sévère et patiente. Gene savait que, s’il coopérait, il resterait dans les bonnes grâces de la police. Et que, en retour, on le laisserait accéder à son fils, et par la même occasion maintenir un certain degré de contrôle de la situation, si infime soit-il. Il était déterminé à faire ce qui était préférable pour Tom, à rester intimement impliqué dans le processus.

  • Saisie d’une de ses humeurs poétiques, Julie leur parla rêveusement du pont, non en tant que simple moyen de rejoindre deux morceaux de terrain, mais plutôt comme outil de communication entre la terre, l’eau et le ciel, comme lieu profondément propice à la paix et à la contemplation. La lune était basse dans le ciel au dessus de l’Illinois, une demi-lune, d’une couleur rouge orangé. Une lune d’automne, commenta Tom, étonné qu’elle soit aussi basse et orangé à cette époque de l’année.

  • Plus tard dans l'après-midi, Hollee McClain, la meilleure amie de Julie, vint à la barre pour évoquer succinctement son amitié avec les deux sœurs. Sa voix tremblota au moment où elle commença à y lire tout haut le poème qu'elles avaient peint sur le pont, Faites ce qui est juste ». Pour les personnes présentes dans la salle d'audience à qui ce texte était encore inconnu, son contenu était d'une ironie à couper le souffle.

  • C’était un endroit de solitude publique, de grandeur délabrée, de terrible beauté. Un endroit où les mots peints avec soin des graffitis de Julie étaient cernés par les lignes enchevêtrées de la nature – les arbres denses, les plantes grimpantes noueuses, la rive sinueuse du fleuve. C’était un endroit qui parlait de ses passions, qui l’inspirait. Elle aimait ce vieux pont de tout son cœur et de toute son âme, et la poétesse en elle reconnaissait qu’à cet instant précis il représentait probablement davantage pour elle qu’il ne le ferait jamais plus. Car elle était arrivée devant un pont dans sa propre vie. Elle était en train de passer de l’enfance à l’âge adulte, de construire son avenir et de choisir ses combats.

  • Peut-être Julie était-elle attirée par ce vieux pont parce que, comme elle, il était pétri de contradictions. Certains venaient y chercher paix et sérénité, et d’autres, frissons et danger. C’était un endroit de solitude publique, de grandeur délabrée, de terrible beauté.

  • La pire chose que peut jamais faire un oppresseur à une victime est de lui inspirer une telle haine que la victime devient capable du même genre de monstruosités que celles qui l'oppressent. Cette menace d'altération de l'âme de la victime en elle-même est bien plus terrifiante à mes yeux que n'importe quelle brutalité physique potentielle. Si je laisse ma révulsion pour les meurtriers de mes cousines me condamner à être assoiffée de sang, les voyous de ce monde ont gagné. Et les Julie et les Robin ont perdu.

  • Tom, il faut que tu arrêtes de te fustiger avec ça, lui conseilla Frank tandis qu'ils mangeaient leurs steaks. Le noeud du problème, c'est que tu as survécu. Et c'est une bonne chose, sinon personne n'aurait jamais su ce qui était arrivé à Julie et Robin. Ces quatre monstres se baladeraient encore en liberté quelque part. Tu as survécu au fleuve. Tu as survécu aux médias. Et c'est ton témoignage qui va envoyer ces quatre mecs à leur véritable place. Tu devrais être sacrément fier de toi.

  • FAITES CE QUI EST JUSTE
    L'Union Fait la Force
    La Division Nous Affaiblit
    Rien N'est tout Blanc ni tout Noir Nous, la Nouvelle Génération
    Devons Prendre Position Nous Unir pour ne Faire qu'Un Il faut K on
    ARRÊTE
    De s'Entre-tuer
    Pas Besoin d'être Blanc ou Noir
    Pour Ressentir les Préjugés
    Pour Tomber Amoureux
    Connaitre la Douleur
    Engendrer la Vie
    Pour Tuer
    Pour Mourir
    Il faut simplement être Humain
    Faites ce qui est Juste. (poème de Julie peint sur le sol sous le pont)

  • Winfrey commença à paniquer. Ce n'était pas tant par bonté d'âme ni par trouille qu'il s'en était abstenu, mais parce qu'il possédait apparemment une barrière intérieure inconsciente et innée qui l'empêchait de violer. Une barrière que la plupart des gens normaux devaient posséder aussi, pensait-il, tout en essayant de ne pas trop s'avouer à quel point ses compagnons devaient être dangereux pour être dépourvus de cette caractéristique humaine de base.

  • Toutefois, même si Tom l’avait su, il n’en aurait probablement pas beaucoup modifié son comportement pour autant, parce qu’il était convaincu de ne pas être considéré comme suspect. Dans cette affaire, il était manifestement une victime – ça sautait aux yeux. Émotionnellement, c’était une véritable boule de nerf. […] Il était traumatisé, sale et épuisé. L’idée que Stittum et Ghrist puissent réellement le soupçonner, lui, d’un quelconque méfait ne lui avait même pas traversé l’esprit

  • C'était étrange pour eux tous d'être là à rire, plaisanter et manger au Red Lobster alors que Julie et Robin étaient encore dehors quelque part dans le noir, portées disparues. Cet instant de légèreté fut donc bref, même s'ils en avaient tous énormément besoin. Et ils ne tardèrent pas à payer ces rires par ce terrible sentiment pesant de culpabilité qui est toujours le lot des survivants. Les visages momentanément souriants autour de la table redevinrent tous graves. Les miettes sur l'assiette de Tink furent mouillées de larmes, et son appétit s'évanouit de nouveau.

  • "La ruse et la tromperie sont par moments indispensables au processus de l'interrogatoire criminel. Comme nous l'avons souligné, elles ne présentent pas le risque d'induire de faux aveux." Ce manuel, le même qui est utilisé dans tous les États-Unis pour former nos policiers à la bonne conduite d'un interrogatoire, explique en détail que la Cour suprême des États-Unis a autorisé l'utilisation de la ruse et de la tromperie dans ce cadre. Ce texte donne également divers exemples où les suspects ont été amenés par la ruse à faire des aveux recevables. De plus, le manuel incite effectivement les policiers à se servir de la ruse et de la tromperie pour provoquer des aveux chaque fois que c'est nécessaire, dans les limites de ce que l'on appelle la « décence ».

  • Dans son article intitulé « La persuasion coercitive et le changement d'attitude» cité au début de ce chapitre, Ofshe affirme: Dans des circonstances inhabituelles, les méthodes d'interrogation modernes de la police peuvent comporter certaines des propriétés d'un programme de réforme de la pensée. Bien qu'ils surviennent rarement en même temps, les ingrédients nécessaires pour provoquer de faux aveux que l'on croit temporairement sont : des soupçons erronés de la police, l'utilisation de certaines procédures d'interrogation communément employées, et un certain degré de vulnérabilité psychologique de la part du suspect. Les tactiques employées pour obliger le suspect à changer de position et obtenir des aveux de sa part incluent des manœuvres conçues pour accentuer ses sentiments de culpabilité et de détresse émotionnelle.

  • Nous oublions nos victimes.
    En tant que société, nous avons une certaine fascination pour le meurtre et la violence. Ce n'est pas nécessairement malsain - nous sommes des gens curieux. Nous voulons savoir pourquoi les atrocités ont lieu; nous voulons comprendre les causes de la malveillance. Nous allons chercher des réponses dans les livres, dans la thérapie, dans nos médias. Toutefois, malheureusement, pour ceux qui cherchent des réponses, les cadavres ne parlent pas. Les morts ne peuvent pas raconter leurs propres histoires.




Biographie
Né à Rota, Espagne , le 6/12/1974, Jeanine Cummins est une romancière américaine.
Diplômée de l'Université de Towson, elle passe deux ans en Irlande comme serveuse de bar. De retour aux USA en 1977, elle vit et travaille à New-York.

Sa première œuvre est un mémoire sur la tentative de meurtre contre son frère et l'assassinat de deux cousines au Missouri en 1990. Son second ouvrage, le roman "The Outside Boy", traite des Travellers, nomades irlandais, gens du voyage, Roms Pavees. L'action de son troisième roman se déroule durant la Grande famine irlandaise de 1845-1852.

Son quatrième livre, "American Dirt", sur la violence des cartels au Mexique (Acapulco) et la fuite d'une survivante et de son fils vers la barrière entre les États-Unis et le Mexique, dans les années 2015-2019, lui assure une reconnaissance ambiguë en 2020, Jeanine Cummins s'étant retrouvée lors de sa sortie au cœur d'une polémique dénonçant la légitimité d'une blanche new-yorkaise à écrire sur l'immigration.
Jeanine Cummins vit à New York avec son mari et leurs trois enfants.

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