L'histoire
Quelle est la place que l’on accorde aux romans ou aux films à la place. Souvent cantonnée à des rôles secondaires, à être la complice du héros, il y a encore peu de temps, la littérature et les œuvres de fiction laissaient la place aux hommes. Une histoire revue et corrigée de la fiction à travers les âges.
Mon avis
Avec ce petit ouvrage de 96 pages sans compter les références bibliographiques citées dans le texte, A. Zeniter nous retrace la place de la femme dans l'histoire, ou comment le récit modifie notre perception de la femme.
Cela commence avec homo sapiens à peine sorti de sa coquille. Au début, notre lointain ancêtre était un cueilleur (pour se nourrir), puis il est devenu « chasseur cueilleur ». Le mot chasseur implique l'homme et sa force, mais aussi des outils très virils : lances, massues. L'histoire ne nous dit pas si des femmes étaient aussi des chasseresses, et il était fort possible qu'elles le soient, comme les lionnes qui chassent alors que le roi lion roupille au soleil dans la savane.
De même les héros grecs sont masculins : Ulysse parcourt un monde fantasmagorique pendant que sa femme Pénélope travaille à sa tapisserie. Certes il croise des femmes, des méchantes ou des amoureuses sans succès, mais il reste le héros incontestable de l'Odyssée. Que des pharaonnes aient régné sur l’Égypte est oublié des livres d'histoire, ce n'est qu'un détail, Cléopâtre est une héroïne tragique, trahie par deux hommes qu'elle aime et son destin est écourté, la reléguant à un mythe dont le cinéma s'empare pour stariser une Élisabeth Taylor à l'apogée de sa beauté mais aussi faire découvrir celui qui sera par deux fois son mari, Richard Burton, sorte de « Marlon Brando » à la virilité assumée.
Où sont les héroïnes dans les bandes dessinées de notre enfance ? Tintin reste un gamin solitaire, ayant pour amis (on parle aussi d'adjuvants, des personnages qui vont entouré le héros) des hommes. Comme on va parler des opposants, les méchants de l'histoire. Astérix et Obélisque forment un couple de potes inséparables, la stroumpfette bleue est la seule femme pour tout un bloc de stroumpfs. Dans le cinéma, la femme est starisée pour sa beauté, mais James Bond agit seul, avec toujours une jolie minette (soit amie, soit ennemie) à ces cotés. Dans la saga Star Wars du début, seule Natalie Portmann aux tenues les plus folles, puis sa fille la princesse Leïla se battent avec deux jedi, mais rarement en autonomie.
Livré sous forme de dialogue avec le lecteur, l'ouvrage est assez érudit car il nous montre aussi l'intervention des philosophes, et une histoire de l'écriture (que ce soit un roman ou un scénario), ce qui peut être aussi un guide précieux pour celles et ceux qui veulent se mettre à écrire.
Mais heureusement, les temps changent. De plus en plus les jeunes auteurs et autrices créent des personnages féminins centraux, que ce soit avec la Turtle de Gabriel Tallent qui a ouvert la voie avec « My absolute darling », à Betty de Tiffany Mc Daniels ou les sœurs de Jean Hegland (Dans la forêt), puis des femmes détectives, aussi géniales que Sherlock Holmes. N'oublions pas non plus Carson Mc Cullers qui donne le rôle principal à Mick, la jeune fille du « cœur est un chasseur solitaire ».
Ouvrage à avoir dans sa bibliothèque je pense, tant il est riche d’enseignement et de schémas dessinés pour mieux nous faire comprendre les ressorts d'un récit.
Extraits
Ursula Le Guin se demande comment notre civilisation de chasseurs-cueilleurs a pu devenir le berceau de récits qui ne parlent que de chasseurs. Elle met en balance le fait que la viande occupait une part minime de l'alimentation (entre 65 et 80 % de la nourriture des humains était cueillie) et la place énorme occupée sur les parois des grottes et dans les esprits. Ce n'est pas parce que la viande était cruciale que les chasseurs se sont imposés, c'est parce que leur histoire était meilleure.
Si les récits peuvent élever des ponts entre des sous-mondes, ils peuvent aussi monter des murs, peut-être ? Dans un des romans d'Eco, il y a un personnage qui demande : « Qui pensons-nous être, nous pour qui Hamlet est plus réel que notre concierge ? » C'est une bonne question, non ? Qui pensons-nous être ? Nous pour qui Jon Snow est plus émouvant que le cheminot en grève...
Dans une grande partie de la production cinématographique américaine récente, l'adjuvant est le fameux « Black Best Friend » : un personnage intelligent, drôle, cool mais sans buts qui lui appartiennent en propre, à part aider le sujet (et montrer que celui-ci n'est pas raciste). Dans la chasse au mammouth, il aidera à creuser la fosse dans laquelle attendre l'animal et il se peut même qu'il fournisse les lances. Sans enjeux personnels, le BBF pourra facilement mourir au point culminant (écrasé par le mammouth), suscitant ainsi une émotion considérable mais sans perturber la quête (sa mort viendra même en renforcer l'importance car le héros fait désormais de la chasse au mammouth une revanche obsédante). Même un dessin animé où les humains existent très peu, comme Shrek, a reproduit cette division des rôles puisque l'âne (adjuvant) qui accompagne l'ogre (sujet) est doublé par un acteur noir : Eddie Murphy dans la version originale et Med Hondo dans la version française. Fin de la parenthèse.
Moi je n'ai jamais pleuré sur Anna Karénine: elle m'agace. Pour ceux qui ne connaissent pas l'histoire, c'est une femme mariée qui tombe amoureuse d'un autre homme et qui se jette sous un train. A ne pas confondre avec Madame Bovary qui est une femme mariée amoureuse d'un autre homme et qui s'empoisonne. A ne pas confondre, non plus, avec la Princesse de Clèves qui est une femme mariée qui tombe amoureuse d'un autre homme et puis son mari meurt alors elle pourrait épouser l'autre homme mais non, elle entre au couvent pour mourir socialement. Clairement, pour les récits de femmes-qui-font-des-trucs, on n'est pas encore tout à fait au point...
Parce qu'on se raconte tous des histoires, tout le temps. Et on en écoute, lit ou reçoit en permanence aussi. En réalité, nous sommes pétris de mises en récit que nous ne détectons même plus. Nous avançons sur des lignes de textes là où nous croyons voir du réel, là où nous pensons que nous avons les deux pieds bien plantés dans les faits...
Peut-être que nous sommes pris en permanence dans une lutte textuelle. Auquel cas, la sémiologie, la narratologie ou la linguistique devraient être considérées comme des outils de première nécessité pour analyser les énoncés qui nous entourent.
La Poétique (Aristote), c'est un excellent moyen de comprendre quelle est la forme de récit sur laquelle se sont basées nos sociétés occidentales. Et, par ailleurs, en la relisant pour les besoins de ce livre, je me suis dit qu'Aristote ressemblait à une version démoniaque et dictatoriale de moi quand je donne un
atelier d'écriture.Donc, on peut rire du sexisme d'Aristote mais je préfère ne pas oublier que nos formes de récits actuelles en ont hérité. Une bonne histoire, aujourd'hui encore, c'est souvent l'histoire d'un mec qui fait des trucs. Et si ça peut être un peu violent, si ça peut inclure de la viande, une carabine et des lances, c'est mieux.
Je parle beaucoup de Sherlock Holmes. Il y a une raison très simple à ces répétitions : je suis amoureuse de lui. A un moment de ma vie de lectrice, j'ai quitté Enjolras pour lui, en quelque sorte, même si aucun des deux ne le sait. C'est évidemment un des gros avantages des relations amoureuses avec des personnages fictifs. Elle ont aussi leurs inconvénients.
C'est la force du roman, il nous arrache aux coordonnées d'une existence qui nous ont été attribuées arbitrairement à la naissance : tu seras femme, française, fille d'immigré. D'accord. Et quand j'étais au collège, ma mère m'a prêté ses livres des Rougon-Macquart et j'ai été tour à tour mineur de fond, vendeuse dans un grand magasin, banquier et paysanne.
Et si je tends l'oreille, il y a parmi les bruits du vent des histoires qui, un temps, ont été jamais-dites mais qui ont fini par venir a la parole. Parce que Toni Morrison. Parce que Maya Angelou, Monique Wittig. Parce que Maryse Condé, Sarah Kane, Virginie Despentes, Léonora Miano, Zoe Leonard, Rosa Montero, Zadie Smith, Anne Carson, Chimamanda Ngozie Adichie...
Leurs noms et leurs voix, un peu partout au milieu des arbres, une assemblée de Guérillères, comme une autre forêt, mouvante, que je peux emporter avec moi sur le chemin du retour...
Biographie
Née à Clamart , le
07/09/1986, Alice Zeniter est une romancière, dramaturge et metteur
en scène française.
Née d'un père algérien et d'une mère
française, elle est entrée à la Sorbonne Nouvelle en même temps
qu'à l’École Normale Supérieure (Ulm). Elle a suivi un master
d’études théâtrales, suivi de trois ans de thèse durant
lesquels elle a enseigné aux étudiants de la licence. Elle est
partie en 2013, sans mener à bien son doctorat, pour se consacrer
uniquement à ses activités artistiques.
Elle a vécu trois
ans à Budapest où elle enseigne le français. Elle y est également
assistante-stagiaire à la mise en scène dans la compagnie théâtrale
Kreatakor du metteur en scène Arpad Schilling. Puis elle collabore à
plusieurs mises en scène de la compagnie théâtrale Pandora, et
travaille en 2013 comme dramaturge pour la compagnie Kobal't.
Alice
Zeniter a publié son premier roman, "Deux moins un égal zéro"
(Éditions du Petit Véhicule, 2003), à 16 ans. Son second roman,
"Jusque dans nos bras", publié en 2010, chez Albin Michel,
a été récompensé par le Prix littéraire de la Porte Dorée puis
par le Prix de la Fondation Laurence Trân.
En janvier 2013, elle
publie "Sombre dimanche", qui décrit la vie d'une famille
hongroise et reçoit le prix du Livre Inter ainsi que le prix des
lecteurs de l’express et le prix de la Closerie des Lilas. Elle
publie "Juste avant l'oubli" en 2015. Il obtient le Prix
Renaudot des Lycéens 2015.
Son roman, "L'Art de perdre"
(2017), qui retrace, sur trois générations, la vie d'une famille
entre la France et l'Algérie, a reçu de nombreux prix littéraires,
dont le Prix Goncourt des lycéens.
Elle est dramaturge et
metteuse en scène
Alice Zeniter écrit aussi pour le théâtre
dont "Spécimens humains avec monstres" (2011), lauréat de
l'aide à la création du CnT, "Un ours, of course ! ",
spectacle musical jeunesse paru chez Actes Sud en 2015, "Hansel
et Gretel, le début de la faim" (2018).
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_Zeniter
Sa page Facebook : https://www.facebook.com/AliceZeniter/

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