jeudi 16 mai 2024

Enrique SERNA – La double vie de Jesus – Editions Métaillé - 2016

 

 

L'histoire

Jesus, 43 ans, deux enfants et une femme qu'il ne désire plus vit à Curernavera. Cette ville est depuis des années déjà infiltrées par les narco-trafiquants : corruption et surtout fusillades et morts violentes. Si il se tient à l'écart des factions, mais il ambitionne de devenir maire de la ville, en homme intègre, afin de mettre fin à la violence. Mais il rencontre Leslie, transgenre pour laquelle il éprouve un amour inconditionnel. Malgré les obstacles qui se trouvent sur sa route, quel sera le destin de Jesus ?



Mon avis

Voici un roman qui résonne avec l'actualité au Mexique, pays où les luttes entre les narco-trafiquants, où l'on a recensé plus d'une soixantaine d'assassinats y compris de touristes ces dernières semaines.

Jésus Pastrana, commissaire aux comptes à l'administration, surnommé le « sacristain » par ses collègues, est un fonctionnaire vertueux, fondamentalement honnête et qui croit dur comme fer en une justice idéale. A l'opposé, Cuernavaca est une ville totalement gangrénée par la corruption, dans laquelle fusillades, enlèvements, assassinats et règlements de compte sont le lot quotidien de la population. C'est tout simplement une ville entièrement soumise aux différents gangs de narcotrafiquants, qui règnent en maîtres absolus. Faisant fi de tout cela, Jesus a décidé de se lancer dans la campagne pour l'investiture de la mairie. Il veut envers et contre tout sortir sa ville du marasme dans laquelle elle se trouve.
Malheureusement pour lui, notre héros va rendre sa position de « candidat » très compliquée en croisant Leslie, un soir de totale déprime, et en en tombant follement amoureux. Car Leslie n'est pas une femme comme les autres. Jeune, magnifiquement belle, c'est aussi une prostituée transsexuelle qui vit en totale marginalité de la société. Et surtout, c'est le frère jumeau, de Lauro Santoscoy, chef d'un des deux gangs faisant régner la terreur dans la ville.
Malgré cela, Leslie va devenir le grand amour de sa vie mais un amour interdit et scandaleux, tout simplement fatal pour un homme qui se définit comme le seul rempart contre la corruption et la malhonnêteté.
Une passion totale mais destructrice.
Drôle, corrosif, sans langue de bois, impertinent et intelligent, L'auteur n'y va pas par 4 chemins ! Tout le monde en prend pour son grade : flics, politiciens, voyous comme populace moutonneuse qui n'ose se rebeller contre une situation intenable. Avec brio, il nous livre un thriller où l'humour corrosif vient contrebalancer la violence et les manipulations des chefs des cartels qui se font une guerre assassine pour régner sur cette petite ville, à 70 km de Mexico, dans la petite province de Morelos. Une écriture simple, qui nous décrit aussi des personnages haut en couleurs et plus vrais que nature. Mais le sujet principal reste le Mexique, ce pays qui n'en a toujours pas fini avec les cartels et qui peine à trouver le chemin libre de la démocratie.



Extraits

  • Il n’y avait que le stupide sacristain pour se contenter de cette aurea mediocritas, cette austérité dorée que Benito Juárez avait jadis prescrite comme règle de vie aux serviteurs du bien public. À force de contrôles et d’audits, il avait livré bataille pour assainir les comptes publics dans sa juridiction, mais il savait qu’il ne luttait pas seulement contre des mafias, des intérêts politiques et des profits illicites : son ennemi était l’indolence d’une société soumise. Comment la réveiller, comment la redresser, alors que les gens s’étaient tellement habitués à la pourriture institutionnelle qu’ils n’en percevaient même plus la puanteur ?

  • Le rappel de son “devoir conjugal”, ainsi que le nommait l’Église, le plongea dans de tristes réflexions. Il ne pouvait préciser depuis quand le visage de Remedios avait pris ce teint blême et grisâtre, qui évoquait les vierges affligées des icônes médiévales. Il eût volontiers récité un chapelet entier, si cela avait pu l’exempter de ses obligations maritales. En guerre avec sa libido, il recherchait dans les magazines pornos le désir qui l’avait abandonné et, quand il parvenait enfin à avoir une érection plus ou moins ferme, surgissaient d’autres difficultés : Remedios ne baisait que dans une seule position, allongée sur le ventre, sans guère se redresser (jugeant humiliantes les postures canines), de sorte qu’il devait presque l’écraser pour la pénétrer. Il n’osait pas lui sug­gérer de lever un peu plus les fesses, craignant de blesser son orgueil, à fleur de peau en matière de gymnastique obscène. Elle voulait copuler sans perdre sa dignité, en se tenant à une distance prudente du règne animal. Pour cou­ronner le tout, elle n’ôtait pas non plus son soutien-gorge, car les contraceptifs lui avaient provoqué de disg­racieuses marques d’urticaire sur les seins.

  • Il avait besoin d'une boîte de nuit glauque, où les passions humaines ne seraient pas limitées aux canons du bon goût et du juste milieu. Il sortit du piano-bar Sahara avec un dernier whisky dans un verre en plastique. Boire en conduisant, le plus grand péché d'un agent de la fonction publique. Et alors ? Rien ne pouvait lui faire honte maintenant, aucun doigt ne l'intimidait.

  • Gare au découragement qui tue dans l’œuf les meilleurs élans de l’âme. Contraint de retrouver la foi, fût-ce au prix de l’auto-aveuglement, il imaginait un avenir glorieux dans lequel il n’aurait plus à rivaliser avec des politicards de province. La mairie pouvait le catapulter au poste de gouverneur, puis au sénat et, s’il se montrait compétent et honnête dans l’exercice de ses responsabilités, il pouvait rêver – pourquoi pas ? – de s’asseoir dans le fauteuil de l’aigle, devenu vautour après des décennies de rapines présidentielles.

  • Les dysfonctions érectiles, ça se guérit. Si tu as des problèmes, va voir un médecin.


Biographie

Né à Mexico City , le 11/01/1959, essayiste, critique et romancier mexicain, il a étudié les Lettres à l'université UNAM.
Enrique Serna a reçu le prix Mazatlán de littérature. Gabriel Garcia Marquez dit de lui qu’il est un des plus grands écrivains mexicains contemporains. C'est avec le recueil Amours d’occasion qu'il se fait connaître en France. Dans ses histoires, il décrit une ville de Mexico remplie d'êtres marginaux et désespérés, sans jamais se départir cependant de son humour et de sa verve satirique.
Dans son roman noir, La peur des bêtes, Serna dénonce le monde politique et les pratiques de la police, mais aussi la servilité de certains écrivains. Paru en 1995, ce livre a fait scandale au Mexique.
Le roman Quand je serai roi relève de la même férocité que ses ouvrages précédents : on y voit défiler des malotrus, fous, hypocrites dans une sorte d'atroce carnaval.
Enrique Serna fut invité en 2009 par le salon du livre qui met la littérature mexicaine à l'honneur.

Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Enrique_Serna


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