L'histoire
A FAA'A, banlieue pauvre de Papeete, vivent Materna, Pito et toute la famille élargie, cousins, cousines, oncles, tantes, amis. Materna a eu trois enfants de Pito dont l'aîné à 11 ans. Mais ce qui préoccupe cette mère de famille « femme de ménage professionnelle » c'est l'envie d'un beau mariage avec son tàne, son compagnon. Celui-ci y fait des allusions surtout quand il a bu une bière de trop ou que l'équipe locale de foot a cartonné. Si elle anticipe déjà, une jolie robe, une liste de mariage, une chose nouvelle arrivée à Tahiti avec les français, rien n'est gagné.
Mon avis
Voilà donc le premier tome des fameuses « Chroniques de Tahiti » traduites en 27 langues et qui ont un succès fou en librairie. J'ai lu les tomes 2 et 3, donc dans le désordre, mais rassurez-vous, vous ne perdrez rien au change, avec une Materena plus en forme que jamais.
Pas de carte postale des plages sous les cocotiers. Nous sommes dans les quartiers pauvres de Papeete, là où les logements sont construits en bois et tôle. Même si Materena tente de rendre sa maison accueillante et jolie, en récupérant ici ou là des objets, sa préoccupation principale est le mariage avec Pito, son amoureux de toujours, qui travaille dans une scierie et va boire quelques pintes de bière au pub du coin après le travail avec ses acolytes. Hors Pito évoque plusieurs fois le mariage mais sans faire de demande officielle. Il n'en faut pas plus à sa jolie femme pour immédiatement se faire des films ! Elle se voit déjà en robe de mariée, avec la foule familiale, mais surtout, découvre, grâce à une vendeuse d'un grand magasin de meubles, la possibilité d'une liste de mariage. Car il y a ce lit king-size bien confortable mais onéreux sur lequel la jeune femme fantasme. Et que les invités pourraient financer. Elle sonde donc son entourage. Mais les gens ici ne sont pas riches, ils ont des petits boulots, quand ils en ont, et la vie est chère.
Alors mariage ou pas ?
En tout cas nous visitons un autre Tahiti, avec son franc-parler, ses expressions purement tahitiennes (un lexique en fin de livre nous aide à comprendre), les petits drames et les petites joies du quotidien. Un joli voyage exotique, plein d'humour, et de tendresse. Un régal, et si possible lisez les 3 tomes dans l'ordre, même si chacun peut se lire indépendamment des autres. On adore ce petit peuple de braves gens, leurs coups de gueule, leurs histoires à n'en plus finir, le tout sous le regard bienveillant de « Notre Dame-qui-comprend-tout ».
Extraits
Mama Roti préfère aussi que les gosses jouent dehors parce que, de son point de vue, les gosses ne devraient pas être à l'intérieur quand le soleil brille.
Autrefois, elle ne permettait jamais à ses enfants de traîner dans la maison quand le soleil brillait dehors, ce qui explique peut-être pourquoi, aujourd'hui, Pito peut passer une journée entière vautré sur le canapé quand le soleil brille dehors.Loana dit que maintenant elle est fiu (fatiguée) des hommes et bien contente comme ça. Elle va où elle veut aller, pas besoin d'autorisation, de permis de sortie, personne l'embête, personne lui demande où tu vas, quand tu reviens, avec qui tu sors, et patati et patata. D'ailleurs elle ne sort pas. Elle aime bien rester dans sa maison.
A ia ia, les enfants, on croit que quand ils sont grands, c'est fini les soucis, mais les soucis, c'est jamais fini
C'est bien d' être enterré à côté de sa mère, dit Loana. Tout le monde a envie d'être enterré à côté de sa mère."" Et si Pito veut qu'on m'enterre à côté de lui à Punaauia ? "Loana lâche la main de sa fille et sa réponse claque : " Tu fais comme tu veux, c'est ton cadavre après tout."
Quand Mori s'est fait tatouer sur la poitrine ce dragon rouge et vert qui crache le feu, sa maman a fait une crise. Elle trouvait que ça donnait à Mori l'air de sortir de prison, ce qui était le cas, mais c'était pas la peine de faire savoir à tout le monde.
En fait, Materena prie seulement Notre-Dame-Qui-Comprend-Tout. Sa prière la plus fréquente est de ne pas survivre à ses enfants parce que les enfants, c'est pas comme les hommes, on ne peut pas les remplacer.
La couleur est un peu bizarre, dit Materena. Enfin, je veux dire - pour une moquette. - Ah oui, maintenant que tu le dis. Cette moquette-là, on dirait un peu de l'herbe, hein ? - Mais quand on donne quelque chose cadeau, faut pas se plaindre de la couleur. - Ah oui alors, c'est vrai ça. On fait pas attention la couleur. On prend seulement.
Loana a été amoureuse plein de fois, et deux de ses amants lui ont donné des enfants. Un, c'était un militaire "farani" ( français) qui est rentré dans son pays et l'autre un tahitien qui est rentré chez sa femme.
D'après Rita, quand un homme et une femme se mettent ensemble, il faut acheter un matelas 'api, parce que le matelas, c'est vraiment important. Le matelas, c'est pour faire l'amour, le matelas, c'est pour les mots d'amour - le matelas, c'est l'intimité.
Mama Roti, qui assistait à la scène, a bien vu qu'elle était déçue. Elle a secoué la tête et marmonné "Qu'est-ce qu'un homme peut bien faire, de nos jours, pour rendre sa femme heureuse ?" Elle a levé les yeux au ciel et n'a pas arrêté de dire que le cadeau de son fils était bien choisi - une femme a toujours besoin d'une poêle à frire. Mama Rôti a inspecté la poêle en hochant la tête. Elle a tapé dessus du bout des doigts et déclaré : "ça, c'est pas de la camelote, c'est une poêle à frire de bonne qualité. Pas trop grande, pas trop petite, moyenne, bien, quoi."
Le problème dans les maisons tahitiennes, c'est que les autres de la famille sont libres de venir téléphoner chez toi, passer des heures devant ta télé, manger tout ce qu'il y a dans ton frigidaire, boire tout ton Coca, laver leurs linges dans ta machine, prendre tes linges dans le placard. C'est mal élevé de fermer la maison à clé. Parce que, si un autre de la famille il a vraiment besoin d'emprunter quelque chose et tu n'es pas là et c'est urgent, hein ? Mais ensuite, résultat : il n'y a plus de sous pour payer les factures. - Le problème avec les Tahitiens , c'est qu'on a trop de cousins qui n'ont pas de travail. Le problème avec les Tahitiens, c'est qu'on a trop de cousins, point final. - C'est quand même bien d'avoir de la famille" finit par dire Teva. - Des fois, oui, dit l'électricien. Mais pas tout le temps...
Mais Materena se met à penser au mariage. Elle se dit que ça serait bien d'être mariée-mariée. Elle joint ses mains nues et imagine une alliance en or à son doigt. Elle voit le certificat de mariage encadré sur le mur du salon. Elle s'entend dire aux gens : "Mme Tehana, c'est moi."
Il y a très longtemps, commence Loana, il y avait Ta’aroa. Il s’était créé tout seul et il vivait dans une coquille. Cette coquille ressemblait à un œuf. Cet œuf était dans l’espace et il n’y avait pas de ciel, pas de terre, pas de lune, pas de soleil, pas d’étoiles. Il n’y avait rien, ma fille. Ta’aroa s’ennuyait un peu dans sa coquille, alors un jour il l’a cassée et il est sorti pour voir ce qu’il y avait dehors. Dehors, c’était noir, dehors il n’y avait rien. Alors là, Ta’aroa s’est rendu compte qu’il était seul, tout seul. Il a brisé sa coquille en morceaux et il a créé les rochers et le sable. Avec ses vertèbres il a créé les montagnes. Les océans, les lacs et les rivières sont venus avec ses larmes. Il a fait les écailles des poissons et des tortues avec ses ongles. Avec ses plumes il a fait les arbres et la brousse. Et Ta’aroa a fait l’arc-en-ciel avec son propre sang. Puis Ta’aroa a décidé de créer l’homme. La voix de Loana n’est plus qu’un murmure. - En tout cas, c’est ce que raconte la légende, dit Loana en regardant les statues de la Vierge Marie qui ornent son salon. Mais ça ne veut pas dire que l’histoire d’Adam et Ève est une histoire inventée.
Les films d'amour chavirent le coeur de Materena et il lui arrive même d'imaginer qu'elle est l'héroïne.
Loana avait prévenu Materena que si jamais elle avait un tane sans lui dire, et qu'elle l'apprenait par radio-cocotier, elle aurait droit à des bonbons caramel - c'est-à-dire une bonne paire de gifles.
Ma fille, attendre un homme, c'est comme attendre le jour où les poules auront des dents.
Biographie
Célestine Hitiura Vaite est une écrivaine polynésienne , née à Papeete, en Polynésie française, en 1966 qui vit en Australie.
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9lestine_Hitiura_Vaite

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