samedi 26 novembre 2022

JOEL DICKER – La vérité sur l'affaire Harry Quebert – Éditions De Fallois - 2012

 



L'histoire 

Marcus Goldman, jeune écrivain qui vient de rencontrer un immense succès est en panne d'inspiration, alors que son éditeur le presse de sortir un nouveau roman. A même moment, son professeur et ami de toujours, Harry Quebert est placé en garde à vue pour le meurtre d'une jeune fille de 15 ans Nola, qui fit son grand amour 30 ans plus tôt. Persuadé de l'innocence de son mentor, Marcus va mener l'enquête.



Mon avis 

Pour ce deuxième roman, Joël Dicker a fait très fort. Écrire un livre dans le livre, un vrai bon suspense, bien ficelé et agréable à lire.

Bon c'est un polar et ce n'est pas le livre le plus merveilleux du monde, mais au moins d'est addictif. Le roman est très bien structuré, nous naviguons entre 3 époques. L'année 1975 voit naître une passion interdite entre l'émérite professeur Harry Quebert qui vient d’emménager dans le New-Hampshire, dans une belle villa tranquille pour écrire. Il y rencontre Nola, une fascinante jeune fille de 15 ans, alors qu'il en a 34. Cet amour interdit par la loi sur la protection des mineurs ne peut se vivre au grand jour. Mais il inspire à Quebert le roman qui fera de lui un très grand écrivain. Mais Nola a disparu mystérieusement et les enquêtes de la police ne donnent rien.

En 2003, Harry rencontre le jeune Marcus, assez imbu de lui-même même si il cède à la facilité. Le jeune homme veut devenir écrivain, à succès si possible, mais il est un peu paresseux, mène une vie sans discipline même si il réussit brillamment dans une université de seconde zone. Pris en charge par Quebert, l'étudiant apprend la rigueur, la boxe, une bonne hygiène de vie et finit par publier un best-seller dont il profite joyeusement.

En 2008, Marcus a perdu l'inspiration et son éditeur s'impatiente de plus en plus. C'est alors qu'éclate l'affaire de Nola, dont le cadavre est retrouvé dans le jardin de Quebert. Persuadé de l'innocence de son ami, Marcus va tout faire pour rechercher la vérité dans la petite ville d'Aurora (fictive) où vit son ami.

Dicker a l'art et la manière de procéder en se mettant peut-être aussi un peu en scène lui-même. En grand connaisseur de l'Amérique et de la région de la « Nouvelle Angleterre », où il a vécut, il en profite pour tacler la société américaine d'une petite ville où tout se sait et tout se tait.

Le monde de l'édition en prend aussi pour son grade. Comment on fabrique un best-seller en coulisse, les campagnes de promotions prévues à l'avance, les petits arrangements avec la vérité. Mais c'est surtout la vie d'une petite communauté qui est démontée. Avec tous les travers, peut-être un peu caricaturaux, des petits gens. La mère qui veut marier sa fille a un bon parti, le racisme latent (nous sommes en 2008, l'année où le premier président noir Obama sera élu), les jalousies, les mensonges pour se faire bien voir. Et aussi une interrogation sur comment écrire un best-seller, exercice particulièrement réussi pour Dicker dont les livres sont toujours des succès littéraires. Mais on peut regretter une écriture trop classique et linéaire, et surtout des clichés et des réflexions qui ne sont pas assez étayées. 

En en 1968, le grand prix de l'Académie Française était revenu Belle du Seigneur. En 2012 l'académie récompense un polar bien fait certes. Mais nous ne sommes pas chez Chandler, James Ellroy, Hammet ou les grands noms des polars (un genre que j'apprécie certes mais quand il y a derrière un vrai fond).

C'est vrai que depuis Dicker s'est amélioré mais en restant toujours un peu sur la même trame, souvent une affaire dans l'affaire ou un polar à tiroirs. Pour résumer, c'est page turner, mais ce n'est pas de la haute littérature non plus. 



Extraits :

  • Vous essayez de me parler d'amour, Marcus, mais l'amour c'est compliqué. L'amour, c'est très compliqué. C'est à la fois la plus extraordinaire et la pire chose qui puisse arriver. Vous le découvrirez un jour. L'amour, ça peut faire très mal. Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber, et surtout pas de tomber amoureux, car l'amour, c'est aussi très beau, mais comme tout ce qui est beau, ça vous éblouit et ça fait mal aux yeux. C'est pour ça que, souvent, on pleure après.

  • Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après en avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se sentir envahi d’un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu’à tout ce qu’il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer.

  • Le seul à savoir si Dieu existe ou n'existe pas, c'est Dieu lui-même.

  • Être avec Nola, c'était vivre vraiment. Je ne saurais pas vous le dire autrement. Chaque seconde passée avec elle était une seconde de vie vécue pleinement. Voilà ce que signifie l'amour, je crois.

  • Je vous déteste, l'écrivain, tenez-vous-le pour dit. Ma femme a lu votre bouquin : elle vous trouve beau et intelligent. Votre tête, à l'arrière de votre livre, a trôné sur sa table de nuit pendant des semaines. Vous avez habité dans notre chambre à coucher ! Vous avez dormi avec nous ! Vous avez dîné avec nous ! Vous êtes parti en vacances avec nous ! Vous avez pris des bains avec ma femme ! Vous avez fait glousser toutes ses amies ! Vous avez pourri ma vie !

  • Vous savez ce qu'est un éditeur ? C'est un écrivain raté dont le papa avait suffisamment de fric pour qu'il puisse s'approprier le talent des autres.

  • Et je m'étais dit qu'une étoile filante, c'était une étoile qui pouvait être belle mais qui avait peur de briller et s'enfuyait le plus loin possible. Un peu comme moi.

  • Après les hommes, il y aura d'autres hommes. Après les livres, il y a d'autres livres. Après la gloire, il y a d'autres gloires. Après l'argent, il y a encore de l'argent. Mais après l'amour, Marcus, après l'amour, il n'y a plus que le sel des larmes.

  • Les livres sont devenus un produit interchangeable : les gens veulent un bouquin qui leur plaît, qui les détend, qui les divertit. Et si c'est pas toi qui le leur donnes, ce sera ton voisin, et toi tu seras bon pour la poubelle.

  • Cette année 1998 fut également celle de l'affaire Lewinsky. 1998, année de pipe présidentielle, au cours de laquelle l'Amérique découvrit avec horreur l'infiltration de la gâterie dans les plus hautes sphères du pays, et qui vit notre respectable Président Clinton contraint à une séance de contrition devant toute la nation pour s'être fait lécher les parties spéciales par une stagiaire dévouée.

  • Sur mon compte Facebook, je passai en revue la liste de mes milliers d'amis virtuels; il n'y en avait pas un que je puisse appeler pour aller boire une bière.

  • Couper des arbres pour imprimer des torchons pareils, c'est criminel. Il n'y a proportionnellement pas assez de forêts pour le nombre de mauvais écrivains qui peuplent ce pays.

  • Blocage mental, Marcus, voilà ce que c'est ! Les pages blanches sont aussi stupides que les pannes sexuelles liées à la performance: c'est la panique du génie, celle là même qui rend votre petite queue toute molle lorsque vous vous apprêtez à jouer à la brouette avec une de vos admiratrices et que vous ne pensez qu'à lui procurer un orgasme tel qu'il sera mesurable sur l'échelle de Richter.

  • C’est la beauté du droit en Amérique : lorsqu’il n’y a pas de loi, vous l’inventez. Et si on ose vous chercher des poux, vous allez jusqu’à la Cour Suprême qui vous donne raison et publie un arrêt à votre nom : Goldman contre Etat du New Hampshire.

  • Je compris que pour être formidable, il suffisait de biaiser les rapports aux autres ; tout n'était, finalement, qu'une question de faux-semblant

  • Le jour tombait et la nuit promettait d'être douce et belle; le genre de soirée d'été qu'il fallait magnifier avec des amis, en mettant des énormes steaks sur le grill tout en sirotant de la bière. Je n'avais pas les amis, mais je pensais avoir les steaks et la bière.

  • Et j'ai réalisé à cet instant, à cause de cette fille de quinze ans, que je n'avais certainement jamais connu l'amour. Que beaucoup de gens n'avaient certainement jamais connu l'amour. Qu'ils se contentaient au fond de bons sentiments, qu'ils se terraient dans le confort d'une vie minable et qu'ils passaient à côté de sensations merveilleuses, qui sont probablement les seules à justifier l'existence.


Bibliographie

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la série adaptée par Netflix



vendredi 25 novembre 2022

Emily DICKINSON – la poète recluse

 


Extraits d’œuvres

  • L'espoir est une étrange chose à plume qui se pense dans notre âme, hante des chansons sans paroles, et ne s'arrête jamais.

  • Pour être hanté, nul besoin de chambre, nul besoin de maison, le cerveau regorge de corridors plus tortueux les uns que les autres.

  • Pour faire une prairie

  • il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles. Pour faire une prairie il faut un trèfle et une seule abeille, Un seul trèfle, et une abeille, Et la rêverie. La rêverie seule fera l'affaire, Si on manque d'abeilles.

  • Parfois avec le Cœur
    Peu souvent avec l'âme
    Plus rarement avec force
    Peu - aiment vraiment
    Sometimes with the Heart
    Seldom with the soul
    Scarcer once with the might
    Few - love at all

  • On ne sait jamais qu'on part - quand on part - On plaisante, on ferme la porte
    Le destin qui suit derrière nous la verrouille - Et jamais plus on n'aborde.
    We never know we go - when we are going -We jest and shut the door - Fate following behind us bolts it- And we accost no more.

  • Ce monde n'est pas Conclusion
    Un ordre existe au-delà -
    Invisible, comme la musique -
    Mais réel, comme le Son -
    Il attire, et il égare -

  • L'Espoir est la chose emplumée-
    Qui perche dans l'âme-
    Et chante la mélodie sans les paroles-
    Et ne s'arrête-jamais-
    C'est dans la tempête- que son chant est- le plus suave-
    Et bien mauvais serait l'orage-
    Qui pourrait intimider le petit oiseau
    Qui a réchauffé tant de gens-
    Je l'ai entendu dans les contrées les plus glaciales-
    Et sur les mers les plus insolites-
    Pourtant- jamais- même dans la pire extrémité,
    Il ne m'a demandé- une miette.

  • Je me cache dans ma fleur
    Pour, me fanant dans ton Urne,
    T’inspirer à ton insu - un sentiment
    De quasi-solitude. Se charger à l'extrême comme le tonnerre
    Et puis , alors que toute chose - Se terre , éclater grandiose - Voilà ce que serait la poésie.

**********************


  • Ma barque s'est-elle brisée en mer,
    Crie-t-elle sa peur sous le vent, 
    Ou docile a-t-elle hissé sa voile,
    Pour des iles enchantées ;

    À quel mystique mouillage
    Est-elle aujourd'hui retenue, -
    Ça c'est affaire de regard
    Là-bas au loin sur la baie. (traduction de René Char)


    Whether my bark went down at sea -
    Whether she met with gales -
    Whether to isles enchanted
    She bent her docile sails -

    By what mystic mooring
    She is held today -
    This is the errand of the eye
    Out upon the Bay.


****************************************

Un oiseau
Un oiseau passe sur le sentier...
Ses yeux ressemblaient, pensai-je, à des perles qui ont peur
Il remua sa tête de velours
Comme un être en danger, avec précaution.
Je lui offris une miette:
Il déplia ses ailes
Et s'en alla chez lui, voguant plus doucement
Que des rames qui fendent l'océan...

Sur le cours fantasque du Temps
Sans une rame
Nous sommes contraints de voguer
Notre Port un secret
Notre sort une Bourrasque
Quel capitaine voudrait
Courir le risque
Quel boucanier naviguer
Sans garantie contre le Vent
Ou horaire de la Marée
(" Car l'adieu, c'est la nuit")


J’aime un regard d’Agonie…
J’aime un regard d’Agonie,
Car je sais qu’il est vrai –
On ne singe pas la Convulsion,
On ne feint pas, des Affres –
L’œil se fige d’un coup – et c’est la Mort –
Impossible de simuler
Les Perles sur le Front
Par la fruste Angoisse enfilées.

ls sont tombés comme des Flocons -
Ils sont tombés comme des Étoiles -
Comme les Pétales d'une Rose
Quand soudain au beau milieu de Juin
Passe un vent - pourvu de doigts -


Ce n'était pas la mort, car j'étais debout,
Et tous les morts sont couchés.
Ce n'était pas la nuit, car les carillons
Déchaînaient leur voix pour midi.

Ce n'était pas le gel, car sur ma peau
Des siroccos semblaient serpenter;
Ni le feu - car mes pieds de marbre
Auraient glacé un sanctuaire.

Il y avait de tout cela, pourtant:
Les formes que j'ai vues
Alignées pour les funérailles
Me rappelaient la mienne,

Comme si l'on avait raboté ma vie
Pour l'insérer dans un chassis -
J'avais perdu la clef du souffle -
C'était un peu comme à minuit,

Quand tout ce qui battait s'est tu,
Quand bée le vide alentour,
Quand le gel sinistre, aux matins d'octobre,
Abolit les pulsations du sol.

C'était avant tout un chaos - infini - glacé -
Sans une chance - sans un espar -
Sans le signe d'une terre,
Pour justifier le désespoir.


La Nuit est mon Jour préféré - j'aime tant le silence - et je ne parle pas d'une simple trêve (cessation) du Bruit - mais de ceux qui parlent de rien à longueur de journée et prennent cela pour de l'allégresse...

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Biographie

Née le 10/12/1830 dans le Massachusetts et décédée le le 15/05/1886, Emily Elizabeth Dickinson est une poétesse américaine.
Considérée aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes américains, Emily Elizabeth Dickinson n’eut pas droit à la reconnaissance littéraire de son vivant. Presque absente de la scène littéraire, elle fut également peu présente dans le théâtre de la vie.

Son champ d’expérience fut limité, puisqu’elle ne s’éloigna d’Amherst que pour passer une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley ou lors de rares séjours, à Washington ou à Boston.
Il semble donc qu’elle n’ait guère quitté le cercle de cette petite communauté puritaine de Nouvelle-Angleterre, ni franchi le seuil de la maison familiale où elle disait tant se plaire – entre son père juriste et homme politique, admiré et craint, et sa mère plus effacée ; entre sa sœur Lavinia, qui ne partit jamais non plus et son frère Austin, installé dans la maison voisine avec sa femme Susan, amie de cœur de la poétesse. Le choix d’un certain retrait du monde livre un signe essentiel : la mise à distance, l’ironie.

Mais, à certains égards, ce retrait fut peut-être moins absolu qu’il n’y paraît : tout en se dérobant au monde, au mariage, elle adressa des lettres passionnées à divers correspondants masculins. La fin de sa vie fut marquée par des deuils répétés (son père en 1874, sa mère en 1882, son neveu Gilbert, mort à l’âge de huit ans en 1883, le juge Otis P. Lord (qu'elle devait épouser) en 1884).

Secrète et expansive, grave et moqueuse, discrète mais audacieusement libre, sa personnalité est aussi complexe que l’espace réel de son expérience fut restreint.
Depuis l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort à cinquante-six ans, Emily Dickinson a écrit 1775 poèmes. Elle est enterrée dans un cercueil blanc dans le carré familial à l’ouest du Cimetière sur Triangle Street. Au cours de la cérémonie funéraire, Higginson lit « No Coward Soul Is Mine » (Mon âme n’est pas lâche), le poème d’Emily Brontë que préférait Emily Dickinson.

Voir aussi :

En savoir Plus


Vidéos


Poèmes en pdf


Une petite play-list

Poèmes en lignes


Quelques photos

-  https://fr.wikipedia.org/wiki/Amherst_(Massachusetts)

- https://www.amherstdowntown.com/ 

Amherst Main Stret

Amherts Church

Tombeau d'Emily Diclinson

Maison d'Emily devenue son musée

Maison d'Emily

Maison d'Emily dans les années 1900


 



lundi 21 novembre 2022

MAGGIE O'FARELL – Hamnet – Poche 10/18 - 2021

 

L'histoire 

Hamnet , 11 ans, cherche un moyen de sauver sœur Judith malade. Agnès, la mère est partie rechercher des herbes médicinales en forêt et le père William est à Londres pour son travail. Mais le petit garçon est malade lui aussi. Une épidémie de peste sévit en Angleterre et touche aussi la région de Stratford où vit la famille. Un drame familial historique.



Mon avis 

Ce dernier roman de l'irlandaise Maggie O'Farrell s'inspire d'une histoire vraie. Celle de la famille de William Shakespeare, marié à Agnès Hathaway et qui eut 3 enfants : l’aînée Susanna, puis les jumeaux Hamnet et Judith. Lors de l'épidémie de peste en 1556, le garçon mourût, rendant sa famille inconsolable. Environ quatre ans plus tard, Shakespeare écrivit sa plus célèbre pièce de théâtre Hamlet.

Mais ici, il ne s'agit pas de raconter la vie du grand écrivain mais plutôt celle de sa famille, vivant à la campagne dans le petit village de Stratford, et le rôle de cette mère Agnès, une paysanne qui ne savait ni lire ni écrire, mais qui connaissait le secret des plantes médicinales. Le futur grand écrivain tomba amoureux de cette femme simple, et l'épouse malgré le refus paternel. Le grand père d'Hamnet est un homme riche, mais malhonnête et violent, ce qui oblige le fils a travailler dur à Londres pour rembourser les dettes, loin de sa famille. Mais ce n'est pas Shakespeare qui intéresse l'auteure, mais la vie à la campagne, le poids des traditions, la différence sociale avec un époux qui s'éloigne petit à petit pour rechercher le succès à Londres. Agnès, femme forte et fragile, mère jusqu'aux bout des ongles ne réussit pas à sauver son fils mais sauve sa sœur.
Le livre alterne des aller-retour entre le passé et le présent, le passé de l'amour fou qui a lié deux être différents et un présent qui est douloureux. Agnès, presque sauvageonne, éprise de nature et qui gambade dans les bois, lit dans les âmes mais ne pense pas qu'elle a un don.

Et puis il y a cette nature magique, si bien dépeinte par l'autrice, cette région anglaise riche en rivières,  forêts, prairies et fleurs, telle qu'on l'imagine au 14ème siècle, où l'on communique par lettres qui mettent longtemps à arriver, ou l'éclairage d'une bougie réchauffe un intérieur simple,

Il règne un climat étrange dans ce roman, envoûtant, triste mais beau, sublimé par l'écriture (le roman est écrit au présent, ce qui lui donne justement cette étrangeté). On sait que Maggie O'Farrell fait de la mort ou de la perte un de ces sujets de prédilection. Mais il n'y a pas de pathos larmoyant, juste une histoire universelle, celle d'un amour déjà condamné, celle de la perte d'un être cher, et la vie qui continue malgré tout.


Extraits :

  • Ce qui est donné peut être repris, à n'importe quel moment. La cruauté la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l'abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu'ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.

  • la maison d’Henley street fonctionne comme une structure hiérarchique : il y a d’abord les parents, puis les fils, la fille; viennent ensuite les cochons de la porcherie, les poules du poulailler, l’apprenti et, pour finir, tout en bas de l’échelle, les bonnes. Agnès dirait que sa position, en tant que nouvelle belle-fille, est encore floue, se situe entre l’apprenti et les poules.

  • Elle se souvient d’avoir examiné leurs paumes, à lui et à Judith, lorsqu’ils étaient bébé, allongés ensemble dans leur berceau. Elle avait déployé ces mains miniatures, avait promené leurs doigts le long de leur ligne : les mêmes que les siennes en plus petit. Hamnet avait une fossette profonde, bien marquée, au centre de sa paume, comme dessinée d’un coup de pinceau, annonçant une longue vie ; les lignes de Judith étaient quant à elles mal définies, incertaines, s’essoufflaient pour réapparaître plus franchement plus loin. Cette vision avait fait froncer les sourcils à Agnès, lui avait fait poser les doigts sur ses lèvres — ces lèvres qui les embrassaient, sans cesse, avec un amour presque féroce, presque dévorant.

  • Et un désir brûle en lui, force lui est de l'avouer, celui de retrouver les quatre murs de sa petite chambre où personne ne vient jamais, où personne ne le regarde, le le demande, ne lui parle, ne le dérange, où il n'y a qu'un lit, un coffre, un bureau. Il n'y a que là-bas qu'il peut échapper au bruit, à la vie, aux gens qui l'entourent ; il n'y a que là-bas qu'il peut oublier le monde, se dissoudre, n'être plus qu'une main tenant une plume trempée dans l'encre, et regarder les mots se déverser de sa pointe. Et c'est alors que ces mots viennent, les uns après les autres, qu'il parvient à s'absenter de lui-même, à se réfugier dans une paix si prenante, si apaisante, si intime, si joyeuse que plus rien d'autre n'existe.

  • Ce qui est donné peut être repris, à n'importe quel moment. La cruauté la dévastation vous guettent, tapies dans les coffres, derrière les portes, elles peuvent vous sauter dessus à tout moment, comme une bande de brigands. La seule parade est de ne jamais baisser la garde. Ne jamais se croire à l'abri. Ne jamais tenir pour acquis que le cœur de vos enfants bat, qu'ils boivent leur lait, respirent, marchent, parlent, sourient, se chamaillent, jouent. Ne jamais, pas même un instant, oublier qu'ils peuvent partir, vous être enlevés, comme ça, être emportés par le vent tel le duvet des chardons.

  • Et c'est alors qu'Agnès comprend une chose : elle peut tout supporter, mais pas la souffrance de son enfant. la séparation, la maladie, les coups, la naissance, le manque de sommeil, la faim, l'injustice, le rejet des autres, Agnès peut tout endurer, mais pas cela : pas son enfant fixant du regard son jumeau décédé. Pas son enfant pleurant la mort de son frère. Pas son enfant accablé de chagrin.

  • Elle sort le cadre de la ruche, s'accroupit pour l'examiner. La couche grouillante qui le recouvre semble se mouvoir comme une seule et même entité, brune, striée d'or, aux ailes semblables à de tout petits cœurs. Cette couche est composée d'abeilles, de centaines d'abeilles, serrées les uns contre les autres, agrippées au cadre, à leur trophée, au fruit de leur travail.

  • Chaque arbre répond aux caprices du ciel à un tempo différent de son voisin, ploie, frémit, projette ses branches, comme par nécessité de fuir l’air, de fuir le sol même que le nourrit.

  • What is the word, Judith asks her mother, for someone who was a twin but is no longer a twin? Her mother, dipping a folded, doubled wick into heated tallow, pauses but doesn’t turn around.
    If you were a wife, Judith continues, and your husband dies, then you are a widow. And if its
    parents die, a child becomes an orphan. But what is the word for what I am? I don’t know, her mother says. Judith watches the liquid slide off the ends of the wicks, into the bowl below. Maybe there isn’t one, she suggests. Maybe not, says her mother.

  • Le nuage au-dessus de sa tête s’assombrit, empeste de plus en plus. Agnes aimerait poser la main sur son bras, aimerait lui dire, Je suis là. Mais si ses mots ne suffisent pas ? Si le baume qu’elle voudrait être ne fonctionne pas sur ce mal sans nom ? Pour la première fois de sa vie, elle ne peut aider quelqu’un. Ne sait pas quoi faire. (…)
    Tandis qu’elle ramasse les assiettes, Agnes s’étonne, qu’il est facile de passer à côté de la douleur, de la colère qui peuvent habiter quelqu’un, surtout si cette personne ne dit rien, les garde pour elle comme une bouteille trop bien fermée où la pression s’accumule, s’accumule jusqu’à ce que… quoi ?
    Agnes ne le sait pas.

  • Agnès a planté des pommiers le long du haut mur en briques. Quatre poiriers de part et d'autre de l'allée principale, des pruniers, un sureau, un bouleau, des groseilliers, de la rhubarbe aux pieds rouges. Elle prélève une bouture sur l'églantier au bord de la rivière qu'elle plante près du mur chaud du grenier à houblon. Puis repique un sorbier à côté de la porte du jardin. Elle sème partout sur le sol des graines de camomille, de souci, d'hysope, de sauge, de bourrache et d'angélique, d'absinthe et de partenelle; installe sept ruches dans le coin le plus éloigné; par les chaudes journées de juillet, il est possible de les entendre bourdonner depuis la maison.



Bibliographie

Née en Irlande du Nord en 1972, Maggie O’Farrell est une romancière et journaliste britannique. Elle a grandi entre le Pays de Galles et l'Écosse. A l'âge de huit ans, elle est frappée par un virus qui l'empêche d'aller à l'école pendant un an. Cet événement sera repris dans l'un de ses romans, "La distance entre nous" ("The Distance Between Us", 2004, Prix Somerset-Maugham 2005).

Après des études littéraires à l'Université de Cambridge, elle exerce de nombreux emplois, notamment celui de critique littéraire. Parallèlement à son activité de romancière, Maggie a travaillé comme journaliste, notamment à Hong Kong. Elle a également enseigné l'écriture créative.
Face au succès de son premier roman, "Quand tu es parti" ("After You'd Gone", 2000, Betty Trask Award), elle prend la décision d’abandonner sa carrière de rédactrice en chef des pages littéraires de l’Independent on Sunday pour se consacrer à l’écriture.
"Cette main qui a pris la mienne" ("The Hand That First Held Mine") est lauréat du prestigieux Costa Book Award 2010.
Les romans de O'Farrell tournent autour de thèmes récurrents : la complexité des relations entre deux sœurs, la perte d'un être cher et les conséquences que celle-ci entraîne dans l'existence de ses personnages.
Elle est mariée au romancier William Sutcliff, avec lequel elle vit à Édimbourg.

Voir aussi :

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur Shakespeare et Agnès Hathaway

Sur Hamlet


Sur Stratford


Play List


mercredi 16 novembre 2022

CHARLES PORTIS – True Grit – Poche Totem 227 - 2022

 

L'histoire 

Mattie, 14 ans, a une obsession : venger la mort de son père, un cultivateur de coton dans l'Arkansas, assassiné publiquement par un de ces employés. Le voyou appartient aussi à une bande de voyous coriaces. La gamine n'a peur de rien ou presque et voir le meurtrier se balancer au bout d'une corde ou lui tirer quelques pruneaux dans la tronche la réjouit. Mais seule, en territoire hostile, elle peut compter sur l'aide d'un marshall un peu porté sur le bourbon et encore plus quand il s'agit de dégainer son 6 coups. Un autre shérif est également à la recherche de la bande de mécréants. Un road movie très western qui vous promet de joyeux moments.



Mon avis 

Les éditions Gallmeister ont demandé la traduction en français paru en 1968 aux USA. Son adaptation au cinéma par Henri Hataway  « Cent dollars pour un shérif » avec John Wayne en 1969, puis celle des frères Coen en 2010 avec Matt Damon et Jeff Bridges ont eu des succès populaires.Si vous aimez le western un peu cliché où il y a les bons shérifs et les vilains méchants, avec beaucoup d'humour, ce livre est fait pour vous.

Mattie 14 ans, sait se débrouiller dans la vie. Elle est bien élevée dans une église évangélique (et tout ce que dit l’Évangile est vrai de vrai), mais elle sait aussi faire les comptes, négocier, menacer du haut de son 1m20. Mais ses valeurs sont très tranchées en cette fin du 19ème siècle : un assassin doit être puni comme il se doit, 6 pieds sous terre. Par contre elle est dans le camps des démocrates comme le fut son père, et ça non plus on ne plaisante pas avec.Elle s'adjoint les services dûment payés de Cogburn, un marshall qui ne fait pas dans la nuance : on tire d'abord et on négocie après. Et du sérieux shérif LaBoeuf un peu plus pointilleux sur la loi, mais pas trop non plus.

C'est vif, très amusant, parce que la gamine a de la répartie. Ici pas de psychologie, on est au Far West, mais on y retrouve des éléments réels de l'histoire américaine. Et un personnage féminin épique qui va faire son chemin vers l'âge adulte et on sait déjà que la vie ne sera pas de tout repos.

C'est drôle, cela reprend les codes du western classique pour les détourner et on voyage dans des paysages magnifique de l'Arkansas à la réserve indienne des Choctaws.Ce livre considéré comme un grand classique est étudié par les lycéens américains, tout comme Mark Twain ou Fenimoore Cooper. Excellent cadeau de Noël pour votre ado.


Extraits :

  • Les marshals faisaient descendre les détenus en les poussant avec le canon de leurs winchesters à répétition. Ces hommes, enchaînés les uns aux autres comme des poissons à une ligne, étaient essentiellement des Blancs, mais il y avait aussi des Indiens, des métis et des Noirs. C'était un triste spectacle mais rappelez-vous qu'il s'agissait de meurtriers, de voleurs, de pilleurs de trains, de bigames, de faussaires, parmi les pires représentants du genre humain. Ils s'étaient écartés du droit chemin et avaient goûté aux fruits du mal et la justice venait à présent leur en faire payer le prix. Tout se paie sur cette Terre, d'une manière ou d'une autre. Rien n'est gratuit en dehors de la grâce de Dieu. Mais elle ne se gagne pas plus qu'elle ne se mérite.

  • Je n'ai jamais eu le temps de me marier mais, que je le sois ou non, ça ne regarde personne. Je me fiche de ce qu'ils disent. Si je le voulais, j'épouserais un horrible babouin et j'en ferais un caissier. Je n'ai jamais eu le temps de m'en occuper. Une femme franche et réfléchie comme moi, avec un bras en moins et une mère invalide, n'est pas un parti très avantageux. Pourtant, j'aurais facilement pu mettre le grappin sur deux ou trois vieillards négligés qui lorgnaient sur ma banque. Non, merci ! Vous seriez surpris de connaître leurs noms.

  • J'ignorais si le texan avait lancé cette remarque à mon intention mais, si c'était le cas, l'allusion me glissa dessus comme de l'eau sur les plumes d'un canard.les paroles d'un ivrogne ne pèsent rien et, quand bien même je leur aurait accordé le moindre crédit, je ne pense pas que Rooster m'incluait dans sa harangue contre les femmes, vu le salaire que je lui versais.

  • J'aurais dû lui coller une balle dans la tête plutôt que dans la clavicule. Mais j'ai pensé à ma note de frais. On laisse parfois l'argent interférer avec notre sens de la justice.

  • Je vais vous le dire avec plaisir. Vous verrez que j’ai raison. Tom Chaney, là, a abattu mon père à Fort Smith et il lui a volé deux pièces d’or et sa jument. Elle s’appelle Judy, mais je ne la vois pas ici. On m’a dit que Rooster Cogburn avait du cran, et je l’ai engagé pour retrouver le meurtrier. Il y a quelques minutes de ça, je suis tombé sur Chaney alors qu’il était en train de faire boire ses chevaux. Il a refusé d’obtempérer, et je lui ai tiré dessus. Si je l’avais tué, je ne serais pas dans ce pétrin. Mon révolver n’a pas fait feu, à deux reprises.

  • Un beau jour de printemps, je me suis retrouvé à Las Vegas au nouveau Mexique. J’avais besoin d’argent et j’ai dévalisé l’une de leurs petites banques aux taux d'intérêts exorbitants. Je croyais rendre service. On ne vole pas un voleur pas vrai ?

  • Les gens ne croient pas qu'une fille de quatorze ans puisse quitter sa maison pour aller venger la mort de son père en plein hiver. Cela ne semblait pas si étrange alors, mais j'admets que cela n'arrivait pas tous les jours. Je venais juste de fêter mon anniversaire lorsqu'un lâche du nom de Tom Chaney abattit mon père à Fort Smith en Arkansas.

  • La nature nous enseigne qu'il faut se reposer après les repas et les gens trop occupés pour suivre ses conseils meurent souvent avant cinquante ans.

  • Mais je n'avais ni la force ni l'envie de débattre avec un pochard. Quel mérite y a-t-il à dominer un idiot ?

  • Je ne vous ralentirai pas. Je suis bonne cavalière.
    — Je ne compte pas non plus m'arrêter dans des pensions aux lits douillets où l'on se fait servir des bons petits plats. On voyagera vite et on mangera léger. Et le peu de sommeil qu'on prendra, ce sera à la belle étoile.— J'ai déjà dormi à la belle étoile. L'été dernier, papa nous a emmenés à la chasse au raton laveur, moi et Petit Frank.— À la chasse au raton laveur ?— Nous y avons passé toute la nuit.

 

 

Bibliographie 

Né en Arkansas en 1955 et mort en 2020, Charles McColl Portis est un écrivain américain. D'abord engagé dans les marines et promu sergent, au moment de la Guerre de Corée, Charles Portis fréquente à partir de 1955 l'Université de l'Arkansas où il commence sa carrière de journaliste en écrivant dans les journaux étudiants.
Diplômé en journalisme en 1958, il travaille pour l'Arkansas Gazette puis pour le New York Herald Tribune pour lequel il couvre en particulier la période du combat pour les droits civiques dans son Sud natal.
En 1964, il abandonne le journalisme et commence une carrière d'écrivain en écrivant ses premiers textes de fiction.
Son premier roman "Norwood" paraît en 1966 et rencontre le succès. En 1970, il sera adapté au cinéma par Jack Haley Jr. avec Glen Campbell et Kim Darby. Le roman mêle un road movie du Texas à New York avec les rencontres et le regard décalé d'un vétéran des marines sur la société américaine du Sud ou des grandes métropoles.
Son deuxième roman "True Grit" utilise les ressorts classiques du western et demeure l'œuvre la plus connue de Charles Portis.
Charles Portis a publié trois autres romans, "Un chien dans le moteur" ("The Dog of the South", 1979), "Masters of Atlantis" (1985), "Gringos" (1991), et un certain nombre de nouvelles et d'articles.

Voir aussi :

 

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur le film des frères Coen


Sur l'Arkansas


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