mercredi 22 février 2023

COLSON WHITHEAD – Harlem Shuffle – Albin Michel - 2023

 

L'histoire

Ray Carney tient un magasin de meubles d'occasion à Harlem. Nous sommes en 1959 quand le roman commence. Fils d'un voyou célèbre, le jeune Ray a fait des études de commerce, a épousé une femme érudite et a deux beaux enfants. Mais sous sa jolie boutique, il fait de la revente illégale d'objets volés par le truand, il paye ses « cotisations » de protection à la police corrompue et à la pègre locale. Si il participe à un casse un peu foireux, il a une idée de vengeance suite à un affront, il arrive toujours à s'en sortir. Dans un Harlem qui change, gagné par la gentrification.


Mon avis

Le dernier roman de Colson Whitehead est surtout le portrait d'Harlem, dans les années 60, le quartier noir par excellence, avec ses zones bien limitées. Son héros Carney, spécialiste dans les meubles d'occasion et les beau meubles, semble mener une existence tranquille. Bon merci, bon papa, cela ne l'empêche pas de vriller un peu sur les marges de la légalité.

Le roman est divisé en 3 parties qui pourraient faire des romans autonomes. Dans la première partie, Carney, entraîné par son cousin, une petite fripouille qui vit de petits boulots pour la pègre locale participe à un casse foireux, mais qui lui permet d'obtenir un peu d'argent pour moderniser sa boutique. Dans la seconde partie, Carney met au point une vengeance bien préméditée contre un avocat noir de la « haute société de Harlem », celle qui vit en lisière de Manhattan et de Broadway, mais qui est un escroc prétentieux. Dans la dernière partie, il s'agit de sauver son infernal cousin Freddie, qui s'est encore retrouvé dans un mauvais coup.

Mais le héros du livre c'est Harlem. Ou plutôt les Harlem, car d'une rue à l'autre c'est très différent. Il y a le magnifique hôtel Thérésa qui accueille les plus grandes stars noires de la chanson ou du cinéma, et fréquenté par toute une caste qui a bien réussi dans les affaires, ou a fait des études. Et puis il y a le Harlem des autres, les commerçants, les petites gens qui vont travailler ailleurs, un lieu où sévit la petite pègre locale, plus tournée vers les casses et la revente de marijuana.

Avec les émeutes raciales qui commencent à New-york en 1964, Harlem tremble mais à part des dégâts matériels, la colère se déporte sur les autres quartiers. Harlem se modifie aussi. Les vieux immeubles poussiéreux sont délaissés par les HLM flambants neufs de Brooklyn, les noirs riches veulent vivre dans des jolies petites maisons. Ces émeutes raciales n'intéressent nullement Carney, obnubilé par son ascension sociale. Pourtant l'auteur nous en parle, en relatant les faits du du 16 au 22 juillet déclenchées par la mort d'un ado afro-américain, Teen James Powell, abattu par un lieutenant de police blanc, Thomas Gilligan.

Harlem change, se gentrifie, une part du quartier est démolie pour construire ce qui deviendra le Word Trade Center, l'autre devient « respectables » avec des brownstones, ces petites maisons individuelles construites en briques. Le vieux Harlem avec ses tripots, ses voyous, les flics ripoux et les figures emblématiques du quartier.

Le tout est écrit dans un style pétillant, plein d'humour et de vie, et fait de nous, le lecteur un habitant de ce quartier emblématique de New-York. Vous apprendrez aussi ce qu'est le « dorveille » et autres petites recettes du cru.


Extraits :

  • Malgré la compagnie de ses beaux-parents, Carney aimait venir dans leur maison de Strivers’ Row, « l'Allée des Travailleurs ». Enfant, il admirait ces demeures de brique jaune et de pierre blanche immaculée parachutées en plein Harlem. Vus depuis la 8e Avenue, les trottoirs étaient toujours balayés, les caniveaux débouchés, et les ruelles séparant les maisons lui apparaissaient comme des territoires intrigants. Un pâté de maison qui avait son propre nom, ce n'était pas courant. Comment pourrait s’appeler son vieux bloc d'immeubles de la 127e Rue ? Crooked Way, « la Voie des Escrocs ». Le travailleur d'un côté, le voyou de l'autre. Les travailleurs tendaient vers une vie plus belle - qui existait peut-être, ou peut-être pas - quand les escrocs magouillaient pour détourner le système en place. D’un côté le monde tel qu'il aurait pu être, de l'autre le monde tel qu'il était. Mais Carney se montrait peut-être un peu trop radical. Nombre d'escrocs étaient de grands travailleurs, et nombre de travailleurs trichaient avec la loi

  • Trois semaines plus tard, on l’a retrouvé échoué dans le New Jersey, la gorge tranchée, pratiquement décapité.on aurait dit un distributeur Pez.

  • Jamais plus il n’avait levé la main sur quiconque. À ses yeux, la vie nous enseigne qu’on n’est pas obligé de reproduire ce qu’on nous a appris. On vient tous de quelque part, mais ce qui compte c’est la destination qu’on se choisit.

  • Quand vous voulez savoir ce qui se passe, demandez aux ivrognes du quartier. Ils voient tout et l’alcool conserve les informations, qui pourront toujours servir plus tard.  

  • Gamin, quand Carney sautait dans l’Hudson, il lui arrivait de boire la tasse. Cette eau dégueulasse, le Big Apple Diner vous la servait sous le nom de café.  

  • Cinq cents dollars. Dans la pègre comme ailleurs, les règles étaient les mêmes, et tout le monde voulait palper son enveloppe.

  • Des Noirs fiers et consciencieux des enjeux raciaux jusqu’à un certain point, suffisamment clairs de peau pour passer pour des Blancs, et un peu trop pressés de vous le rappeler

  • Carney repensa à ces nuits d’été, il y avait si longtemps, où la chaleur était telle que Freddie et lui dépliaient une couverture et s’allongeaient sur le toit de la 129e Rue. Le bitume noir recrachait les degrés accumulés dans la journée, mais il faisait quand même plus frais qu’à l’intérieur. Au-dessus, le bouillonnement immense et éternel du ciel nocturne. Les yeux accommodent. Un soir, Freddie lui confia qu’il se sentait tout petit sous les étoiles. Leur connaissance des constellations se limitait aux deux Ourses et à la Ceinture d’Orion, mais il n’est pas nécessaire de connaître le nom d’une chose pour savoir l’effet qu’elle produit sur vous, et Carney ne se sentait ni minuscule ni insignifiant sous les étoiles, il se sentait accepté. Les étoiles avaient leur place et lui avait la sienne.

  • Il suffisait à Carney de marcher cinq minutes dans n’importe quelle direction, et les maisons de ville immaculées d’une génération donnée devenaient les maisons de shoot de la suivante, des taudis racontaient en chœur le même abandon, et des commerces ressortaient saccagés et détruits de quelques nuits d’émeutes. Qu’est-ce qui avait mis le feu aux poudres, cette semaine ? Un policier blanc avait abattu un jeune Noir de trois balles dans le corps. Le savoir-faire américain dans toute sa splendeur : on crée des merveilles, on crée de l’injustice, on n’arrête jamais.

  • On vient tous de quelque part, mais ce qui compte c’est la destination qu’on se choisit.

Biographie

Né en 1969 à New-york,Colson Whitehead, né Arch Colson Chipp Whitehead, est un romancier. Il fait ses études à la Trinity School de New York, puis obtient son diplôme au Harvard College en 1991.
Il devient alors chroniqueur au "The Village Voice", où il écrit sur la télévision et la musique. Journaliste, ses travaux paraissent dans de nombreuses publications, dont "The New York Times".
"L'Intuitionniste" ("The Intuitionist", 1999), son premier roman, est finaliste pour Hemingway Foundation/PEN Award. "Zone 1" ("Zone One", 2011) est sur la liste des best-sellers du New York Times.
Colson Whithehead a remporté le National Book Award 2016 et le prix Pulitzer 2017 avec son roman "Underground Railroad" ("The Underground Railroad", 2016), qui raconte l’odyssée d’une jeune esclave en fuite dans l’Amérique d’avant la guerre de Sécession. Les droits audiovisuels du roman ont été acquis par le réalisateur Barry Jenkins. Il est adapté en série télévisée diffusée sur Amazon Prime Video en 2021.
En 2020, Colson Whitehead remporte une nouvelle fois le prix Pulitzer de la fiction pour "Nickel Boys".
Auteur de nombreux ouvrages de non-fiction, il a enseigné dans plusieurs universités et a été écrivain en résidence au Vassar College. Il vit avec sa femme et ses enfants à Brooklyn.
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Sur le roman

Dans l'univers du roman

Sur Harlem


Sur Harlem- années 60


Sur la gentrification et les personnages célèbres

Sur le jazz à Harlem


Images

et pour suivre le roman : carte de Harlem : https://fr.dreamstime.com/photos-images/harlem.html. En play-list, vous trouverez votre bonheur si vous avez cliqué sur les liens ci-dessus !



dimanche 19 février 2023

ALICE FERNEY – Grâce et dénuement – Livre de poche - 2000

 

L'histoire

Un clan gitan emmené par Angeline, ses enfants et ses belles-sœurs est menacé d'expulsion. Malgré cela et la déscolarisation des enfants, Esther, une bibliothécaire, décide d'aller tous les mercredis dans le camps avec une pile de livres. Rejetée au début car c'est une « gadjé' » (une étrangère), elle finit par sa persévérance par se faire accepter des enfants auxquels elle lit des histoires qui finissent par fascinés les petits, puis les mères. Adoptée par la communauté, elle défie les lois implicites de ceux qui voient les gitans comme des voleurs, des flemmards et autres amabilité qui relève du racisme ordinaire.



Mon avis

23 ans après sa parution, ce livre d'Alice Ferney reste toujours d'actualité. Le sort des femmes gitans ne s'est guère amélioré (voir documentation), même si la prise de paroles et les témoignages peuvent faire évoluer les mentalité d'un monde que nous ne connaissons que par clichés.Bien sur il y a la situation de ce clan spécifique : peu d'éducation hormis les traditions, pauvreté, crasse, analphabétisme pour certaines. Certes Esther est accueillie avec un peu de réticence par Angeline mais les bienfaits et l'amour qu'elle prodigue à travers les lectures et sa bienveillance.

Dans le camps, les hommes ne font rien à part quelques vols et trafics, les femmes tentent de maintenir un semblant de vie normale. Mais quand on a ni eau ni électricité, que les hommes laissent traîner bouteilles cassées, morceaux de ferrailles mégots que peut-on faire ? Ceux qui sont scolarisés sont ostracisés parce qu’ils sont sales et mal habillés et surtout, personne dans le camps ne peut les aider. Comment faire ses devoirs quand on vit à 5 ou 6 dans une petite caravane en piteux état.Et surtout il y a ce monde gitan qui vit en autarcie, à coté du reste de la population dans un mépris réciproque. On les tolère mais on espère surtout qu'ils vont partir ailleurs.

Esther elle, sait s'y prendre, car elle ne juge pas, elle donne. Des lectures, de l'écoute, du réconfort. Finalement elle devient amie avec Angeline, cette femme forte mais désabusée par le comportement des hommes. Des très jolies pages, qui parfois vous font monter la larme à l’œil, dans une écriture simple, sans fioritures ou exercice de style, qui seraient tellement importuns dans cette histoire de vie. A lire.


Extraits :

  • Parce qu’on a beau vouloir croire le contraire, un homme, un mari, ça ne comprend pas tout. Ca ne comprend rien ! disait Angéline, qui pensait à ses nuits de désir muet que l’époux n’avait pas soupçonnées, lui qui avait pu dormir à côté d’elle sans la toucher. Oh mais oui ! Il avait refusé de voir cette nature flamboyante qui avait fait cinq fils sans se coucher. Elle le répétait : les hommes et les femmes, c’est rien de commun, et ça tient toujours à cause des femmes. Parce qu’elles en finissent assez vite de s’aveugler et de vouloir. Elles voient, après la chair, l’amour et les caresses, qu’ils s’arrêtent jamais de prendre, et qu’il y a rien d’autre à faire que donner.

  • Esther prenait son livre. Ils ne bougeaient plus et hormis quelques reniflements, le silence était total. Elle ignorait qui, de la chaleur ou de l'histoire, les apaisait d'un seul coup, sans qu'ils ne demandent rien. Ils ne sont pas difficiles, se disait-elle. Jamais ils ne réclamaient jamais ils n'avaient soif ou faim comme d'autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose. Elle lisait dans ce calme. On entendait juste le ronflement d'air chaud. Les enfants avaient posé les mains sur leurs cuisses.

  • C'étaient les livres qui faisaient rêver la vieille. elle n'en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose encore que du papier des mots et des histoires: une manière d'être. La vieille ne savait pas lire mais elle voulait ce signe dans sa caravane.

  • Rares sont les gitans qui acceptent d’être tenus pour pauvres, et nombreux pourtant ceux qui le sont. Ainsi en allait-il des fils de la vieille Angéline. Ils ne possédaient que leur caravane et leur sang. Mais c’était un sang jeune qui flambait sous la peau, un flux pourpre de vitalité qui avait séduit des femmes et engendré sans compter. Aussi, comme leur mère qui avait connu le temps des chevaux et des roulottes, ils auraient craché par terre à l’idée d’être plaints.

  • Ils étaient des gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui d’ordinaire disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. Elle n’était cependant qu’un souvenir de la vieille. Les lois et les règles modernes avaient compliqué le passage d’une ville à une autre et ils s’étaient sédentarisés, comme la plupart des Gitans.

  • Chaque mercredi (vers onze heures) Ester les installait l'un après l'autre dans la voiture. Elle laissait tourner le moteur et mettait le chauffage au plus fort. Tu vas bouziller ta batterie, disait Sandro. Tu crois ? s'inquiétait Esther. Il hochait la tête. Je coupe ? demandait-elle. Non ! hurlaient les enfants.Ils riaient. C'était toujours le même plaisir. La petite soufflerie ronflait. Esther prenait son livre. Ils ne bougeaient plus et hormis quelques reniflements, le silence était total. Elle ignorait qui, de la chaleur ou de l'histoire, les apaisait d'un seul coup, sans qu'ils ne demandent rien? Ils ne sont pas difficiles, se disait elle. Jamais ils ne réclamaient, jamais ils n'avaient soif ou faim comme d’autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose . Elle lisait dans le calme. On entendait juste le ronflement d'air chaud. Les enfants avaient posé leurs mains sur leurs cuisses.

  • Quand ils avaient les livres pour eux seuls, ils ne les lisaient pas. Ils s'asseyaient, les tenaient sur leurs genoux, regardaient les images en tournant les pages délicatement. Ils touchaient. Palper doit être le geste qu'on fait quand on possède, car c'était ce qu'ils faisaient, palper, soupeser, retourner l'objet dans tous les sens.

  • Le mariage tzigane c’est sur l’honneur, une femme tzigane elle supporte le mari comme il est, elle a de la chance quand il ne la bat pas et que sa belle-mère est gentille.

  • C'était la responsable d'une bibliothèque. Elle pensait que les livres sont nécessaires comme le gîte et le couvert.

  • La vie est pleine de nuages. Et nous sommes à l'intérieur des nuages. Et parfois c'est si noir que le noir vient en nous.

  • Quand t' abats un arbre, dit-elle, à la fin il est couché par terre et la sève coule comme un sang. Quand t' abats une femme, elle reste debout.

  • La vieille dit : L'amour, c'est le plus difficile. Ça vous prend, ça vous malmène, ça vous agite. Et puis quand on croit que c'est gagné, qu'on a dans sa vie celui qu'on voulait, ça se lasse, ça se fatigue, ça se remplit de doute.

  • C'est seulement de temps que sont faits les deuils, de sa trame impalpable dont on ne voit jamais que les effets. Le temps qui nous fait sortir de tout, qui a ce pouvoir de nous changer, de nous bonifier et de nous altérer, de nous tirer du plus grand malheur comme de l'émoi et des éblouissements, et de nous-mêmes à la fin, de notre corps charnu et lourd. Oui, le chagrin se casserait contre la vie, les autres enfants, les caresses de l'amour, les arbres qui reverdissent, et le soleil qui vient. Mais combien faudrait-il de jours et de nuits, de larmes et de baisers sur Misia, pour effacer et reprendre, on ne pouvait pas le savoir.

  • Ce qu'on garde pour soi meurt, ce qu'on donne prend racine et se développe.



Biographie

Née en France en 1961, Alice Ferney née Cécile Brossollet est une écrivaine française.
Elle a fait des études de commerce à l'ESSEC et est titulaire d'un doctorat en sciences économiques. Elle enseigne aujourd'hui à l'université d'Orléans.
Elle est mariée et a trois enfants. Adepte du roman classique, dont elle exploite avec brio la veine introspective. Ses thèmes de prédilection sont la féminité, la différence des sexes, la maternité, le sentiment amoureux.
"Grâce et Dénuement" lui a valu le prix Culture et Bibliothèques pour tous en 1998. C'est un récit sur une famille gitane installée de façon illégale sur un terrain privé près d'une grande ville.
"L'élégance des veuves" a été adapté au cinéma en 2016 par Tran Ahn Hung sous le titre "Éternité", avec Audrey Tautou, Bérénice Béjo, Mélanie Laurent.
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Sur les gitans


Sur la pauvreté des gitans


Sur les traditions gitanes

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ANTHONY DOERR – La cité des Anges et des Oiseaux – Albin Michel - 2022

 

L'histoire

Konstance, 14 ans vit sur un vaisseau spatial commandé par une intelligence artificielle, en 2100. Anna vivait en 1453, brodeuse à Constantinople qui est en train de chuter, reprise par les ottomans et initiée à la lecture par un vile homme. A la même époque, une jeune berger bulgare Omeirn très pauvre est enrôlé dans l'armée ottomane. De nos jours Zeno dans l'Idaho, ancien soldat, se prend de passion pour la littérature antique. Seymour, un orphelin pauvre qui a pour ami une chouette se désespère de la mort de celle-ci, mais finit par apaiser sa violence dans la poésie. Enfin Aeton personnage grec ami de l'écrivain voyageur Antoine Diogène (332 avant JC) découvre un manuscrit caché attribué à l'écrivain. Tous ces personnages sont à la recherche de la traduction et des indications du livre de Diogène « la Cité des Anges et des Oiseaux », sorte de paradis sur terre ou ailleurs. Ils y passent leur vie, au détriment de vivre la leur, dans un puzzle magnifique et magistralement orchestré par l'auteur.



Mon avis

Comment qualifier ce roman de 700 pages qui mêlent le passé antique, le début de l'Empire Ottoman, le présent et un futur et 4 voix distinctes et les personnages secondaires qui sont des amis ? Est-ce un roman onirique, d'anticipation, d'histoire, de quête personnelle de son destin ? Un peu de tout cela, magnifiquement écrit par Doerr, un écrivain inclassable. Et quelle est donc cette Cité des Anges et des Oiseaux pour laquelle les héros se battent. Il faut comprendre le texte transmis par Aeton et découvert assez facilement par Diogène qui obtient d'autres informations sur cet homme, un personnage ambigu, sorte de demi dieu grâce à ses pouvoirs de transformations. Les tablettes gravées en ancien grec « La cité des Anges et des Oiseaux » est pourtant un manuscrit mythique. L’écrivain Antoine Diogène a suivi Alexandre le Grand dans ses conquêtes dont il relate les faits et recuille aussi les mythes des contrées conquises. Ces œuvres sont regroupées dans un codex conservé à la BNF.

Y a-t-il des erreurs de traduction ? Et surtout où se situe cette cité de paix absolue ? C'est à cette question que tentent de répondre les personnages mais aussi de l'interpréter à travers d'autres écrits de Diogène. Ces héros qui ne se connaissent pas, puisqu'ils vivent dans des époques et des lieux différents mais leurs histoires personnelles ont quelques choses de commun. Omein ce jeune homme très pauvre, enrôlé de force dans l'armée ottomane, est aidé par un gradé érudit qui en fera son fils adoptif. Anna brideuse avec sa sieur vit chichement dans une chambre à Constantinople et est la pire brodeuse de la ville, elle se pique régulièrement avec l'aiguille mais son intelligence et son amour des livres la laisse indifférente à la conquête ottomane qui saccage la ville. Zeno lui, est un émigré quia subi les moqueries des gamins de l'école et à fait l'armée, un homme solitaire qui sauvera Seymour d'un acte terroriste raté et le prendra sous son aile alors qu'il est devenu un vieil homme.

Nous notons que tous ces personnages ont les mêmes parentés : la pauvreté, un guide spirituel ou amical, et une passion infinie pour les livres. Car c'est un véritable hommage à la littérature et à son pouvoir rédempteur, son capacité à nous émerveiller et à chercher qui est au centre de ce roman si original des Doerr. Certes les premiers chapitres sont un peu fastidieux car ils préparent les aventures de nos 5 personnages, leur quête et leur parcours de vie. Ce n'est pas un hasard si tout tourne autour de Constantinople dont la fabuleuse librairie a brûlé dans le siège de ottomans. Konstance en a le prénom, Zeno est émigré turc, Anna y vit, Omein y est amené et Seymour est ne sait pas que son père inconnu était stambouliote.

Mais Boerr qui met en place un véritable puzzle littéraire, par sa forme, en alternant les voix et les époques est aussi un écologiste. L'amour de la nature est présente chez tous les personnages, et rêvée par Konstance, puisqu'en 2100 la vie sur notre terre n'est plus possible, peut-être le personnage le plus audacieux du livre.

Et le style à la fois simple mais avec des jolies pages de pure poésie, une part d'onirisme qui habite chaque personnage dans sa différence, là aussi une ode aux humains humbles et peu gâtés par la vie qui trouvent leur échappatoire dans cette quête de la fantasmagorique Cité des Anges. Tous nos héros ont chacun des difficultés de vie : homosexualité tacite de Zeno, handicap d'Omeir, violence de Seymour, isolement de Konstance, le deuil d'Anna. Mais Doerr ne juge pas ses héros. Ils leur offre à chacun une rédemption, un apaisement, un guide physique ou spirituel. Une œuvre brillante comme vous n'en n'avez jamais lu, qui repasse l’histoire à l'aube des mythes que l'on transmet, et des livre que seul l'Humain sait conserver et passer à d'autres. Un livre qui restera dans ma bibliothèque mais que j'offrirais mes proches, tant il est intense et magnifique.


Extraits :

  • Dans l'esprit de Seymour, c'est comme si un mécanisme s'était grippé : il ne voit plus dans la planète qu'un processus d'agonie, et les gens qui l'entourent sont tous complices du meurtre. Les occupants d'Eden's Gate remplissent leurs poubelles de déchets, roulent en SUV entre leurs deux résidences et écoutent de la musique dans leur jardin sur des enceintes Bluetooth tout en se répétant qu'ils sont des gens bien, des personnes honnêtes et respectables qui vivent le prétendu "rêve américain", comme si leur pays était un Eden où les bienfaits d'un Dieu généreux se trouvaient équitablement répartis entre les êtres. Mais en réalité, ils participent à un système pyramidal qui broie la masse des plus défavorisés, dont sa mère fait partie. Et en plus, ils s'en félicitent.

  • Je sais pourquoi les bibliothécaires t'ont lu ces vieilles histoires : si elles sont bien racontées, celui qui les écoute reste en vie aussi longtemps que dure le récit

  • Un reposoir, dit-il enfin. Tu connais ce mot ? Un lieu de repos. Un texte - un livre - est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l’âme a poursuivi son voyage. »
    Alors il ouvre grand les yeux, comme s’il contemplait le fond des ténèbres infinies.
    « Mais les livres meurent, de la même manière que les humains. Ils succombent aux incendies ou aux inondations, à la morsure des vers ou aux caprices des tyrans. Si personne ne se soucie de les conserver, ils disparaissent de ce monde. Et quand un livre disparaît, la mémoire connaît une seconde mort 

  • Mon enfant, chacun de ces livres est un portail, une ouverture qui te donne accès à un autre lieu, à une autre époque. Tu as toute la vie devant toi, et ils ne te feront jamais défaut

  • Quelque part dans la ville, un rougeoiement éclot : un soleil qui se lève au mauvais endroit et au mauvais moment. C'est étrange, comme la souffrance peut paraître belle quand on la regarde d'assez loin.

  • Les maisons avaient été bâties avec des ossements de griffons, et le froid était si vif que, lorsque les sauvageons velus prenaient la parole, les mots se pétrifiaient dans l'air, et leurs compagnons devaient attendre le printemps pour comprendre ce qu'ils avaient voulu dire.

  • Anna est médusée. Depuis sa naissance, on tâche de la persuader qu'elle a vu le jour dans un monde qui s'achève : fin d'un empire et d'une époque, fin du règne de l'homme sur la Terre. Mais l’enthousiasme qui irradie de ce scribe lui laisse penser que, dans une ville telle qu’Urbino, bien loin d'ici, d'autres possibilités existent peut-être, et elle rêve tout éveillée, survolant la mer Égée au-dessus des navires, des îles et des tempêtes, le vent s'engouffrant entre ses doigts écartés, pour se poser enfin dans un palais pur et radieux où règnent Justice et Tempérance, et dont les salles sont garnies de livres que chacun peut consulter librement.

  • Quelle formule magique ? - Gobelune, craquedingue et virevague. Konstance éclate de rire. La dernière fois, tu as dit « claquefigue » et « crissecrosse ». - Ah oui, elle le dit aussi. Alors la lampe brille très, très fort, et pfft, elle s'éteint d'un coup. Il fait sombre dans la pièce, mais Aethon voit à la clarté de la lune les plumes qui poussent dans le dos de la femme, sur son cou et jusqu'au bout de ses doigts. Son nez durcit et s’incurve, ses pieds se recourbent pour former des serres jaunes, ses bras se changent en de magnifiques ailes brunes, et ses yeux… - Deviennent trois fois plus grands et prennent une teinte de miel liquide. - Absolument. Et après ? - Après ça, elle déploie ses ailes et s'envole par la fenêtre, pour disparaître dans le jardin et dans la nuit.

  • Zeno reprend son souffle, le feu crachote, les murs du baraquement se dissolvent, et dans un recoin de son esprit inaccessible à la douleur, à la faim et aux gardiens du camp, le sens du vers grec se dessine, franchissant les siècles.
    "Ainsi font les dieux", dit-il, "ils tissent les fils du désastre à l'étoffe de nos vies, afin d'inspirer un chant pour les générations à venir."

  • Il y a tout de même de beaux moments, quelques heures où, tandis qu’il s’acharne sur ces vieux textes, les mots s’effacent pour laisser les images venir à lui à travers les siècles : des navires débordant de soldats en armure ; la mer pailletée de lumière ; les voix des dieux portées par le vent. Il a un peu l’impression d’avoir de nouveau six ans, et de se trouver simultanément devant la cheminée auprès des jumelles Cunningham et en compagnie d’Ulysse perdu au large de la Schérie, avec le fracas des vagues heurtant les rochers.

  • La lassitude finit par me gagner : j'avais effectué un bien long voyage, sans me rapprocher pour autant de ma destination. Je n'étais qu'un poisson dans la mer, à l'intérieur d'un autre poisson plongé dans une mer bien plus vaste, et j'en vins à me demander si le monde lui-même ne flottait pas dans le ventre d'un poisson plus volumineux encore -un emboîtement sans fin de spécimens de plus en plus gros. Fatigué par ces réflexions, j'abaissais les membranes de mes yeux.

  • Au cours d'une existence, on accumule une infinité de souvenirs, le cerveau ne cesse de les trier, pesant les répercussions et refoulant la souffrance, mais à l'âge qu'il a atteint, on traine malgré tout une charge écrasante de souvenirs, un fardeau aussi lourd qu'un continent, et le moment vient où il faut quitter ce monde en les emportant avec soi.

  • Arbre et Clair-de-Lune attendent patiemment sous le joug, le dos fumant, la pluie s'égouttant de leurs cornes, et le garçon cherche les cailloux sous leurs sabots et les plaies à leurs épaules, jaloux à l'idée qu'ils ne vivent que dans l'instant, sans redouter ce qui vient.

  • Celui qui connait la totalité des Savoirs jamais écrits sait uniquement ceci : qu'il ne sait encore rien.

  • La culture occidentale a transmis l'idée selon laquelle l'humanité était là pour soumettre la Terre. Que l'ensemble de la création existait seulement pour que nous en tirions profit. Et pendant deux mille six cents ans, nous nous en sommes à peu près sortis. Les températures sont restées stables et les saisons prévisibles, nous avons abattu des forêts, pillé les océans et donné la préséance à un Dieu unique : la Croissance. Accumulez des biens, augmentez vos richesses, étendez vos murs. Et si tous les trésors que vous serrez entre vos murs ne suffisent pas à soulager votre souffrance ? Cherchez-en de nouveaux.

  • Je suis Aethon, simple berger d’Arcadie, et l’histoire que je vais vous conter est si absurde, si invraisemblable, que vous n’allez pas en croire un traître mot. Et pourtant, elle est bien vraie. Moi, que l’on traite de bécasse et d’écervelé, Aethon le benêt et la tête de linotte, j’ai voyagé autrefois jusqu’aux confins de la terre et au-delà, vers les portes étincelantes de la Cité des nuages et des oiseaux, là où nul ne manque de rien et où un livre contenant tous les savoirs.

  • Derrière elle, dans un cylindre transparent qui s’élève sur cinq mètres de hauteur, se trouve une machine composée de milliards de fils dorés, dont aucun n’est plus épais qu’un cheveu humain. Chaque filament s’entrelace à des milliers d’autres pour former des écheveaux d’une extraordinaire complexité. De temps en temps, une pelote à la surface de la machine émet une lueur clignotante : tantôt ici, tantôt là. C’est Sybil.

  • La chouette cligne des yeux dans la lumière déclinante. Sa tête a
    la grosseur d’un ballon de volley. A la voir, on dirait que les âmes de dix mille arbres se sont condensés en une forme unique.

  • Un texte - un livre - est un lieu de repos pour les souvenirs de ceux qui ont vécu avant nous. Un moyen de préserver la mémoire après que l'âme a poursuivi son voyage

  • Tu vois, petite, les choses qui paraissent les plus solides en ce monde - les montagnes, la fortune, les empires : leur stabilité n'est qu'illusoire. Nous les croyons destinées à durer, mais cela vient seulement de la brièveté de notre existence. 

     

Biographie

Né en 1973 à Cleveland Ohio), Anthony Doerr est un écrivain américain, romancier et nouvelliste.
Diplômé en histoire au Bowdoin College à Brunswick, Maine (1995), il est titulaire d'un MFA à l'Université d'État de Bowling Green, en Ohio.
Couronné à plusieurs reprises par des prix importants, Anthony Doerr construit peu à peu une œuvre inclassable et étonnante.
Sélectionné par la revue Granta comme l'un des meilleurs jeunes auteurs écrivains américains, il a publié: "Le nom des coquillages" ("The Shell Collector", 2002), "A propos de Grace" ("About Grace", 2004), "Le mur de mémoire" ("Memory Wall", 2010), couronné par le Story Prize et par le Sunday Times Short Story Award, l'un des plus importants prix récompensant des nouvelles).
Son roman "Toute la lumière que nous ne pouvons voir" ("All the Light We Cannot See", 2014), figurant sur la New York Times Best Seller list, lui vaut le prix Pulitzer en 2015. Il vit avec sa femme et ses deux fils à Boise, Idaho.

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Constantinople


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vendredi 17 février 2023

CHRIS OFFUT – Les gens des collines – Gallmeister 2022

 

L'histoire

Mick, un inspecteur des armées profite d'une permission dans son village natal du Kentucky pour rendre visite à sa femme. Celle-ci, enceinte de 8 mois d'un autre homme, la pression de son travail le laissent dans un état déplorable. Il enchaîne bouteilles de bourbon sur insomnies dans la vieille cabane insalubre de son père.

Mais sa sœur Linda, la shérif de la ville a besoin de son aide pour élucider un meurtre. C'est alors un parcours dans les collines des contreforts des Appalaches qui va redonner un peu de sens à a vie d'un homme cabossé.


Mon avis

Ce livre n'est pas du tout un polar au sens suspens du mot. C'est une occasion pour Chris Offutt de nous parler de ce Kentucky de moyenne montagne où le temps semble s'être figé, d'un siècle. Ici tout le monde connaît tout le monde, il y a des clans qui s'allient, s'opposent, se détestent et surtout règlent les différents à coups de fusil. Pas simple pour la première femme shérif, que l'homme fort du coin (qui possède aciérie, scieries, charbon, il fait vivre la région et rêve d'en être le prochain gouverneur) déteste par pur machisme.

Les gens sont des taiseux, des éleveurs et des fermiers, nichés dans les vastes collines du coin, et qui savent disparaître dans la nature fertile. Il ne s'agit pas seulement de « nature writing », même si il y a de nombreuses références à la faune (notamment les oiseaux) et la flore (notamment les pacaniers qui donnent la noix de pécan si appréciée des américain. Les gens ne sont pas très riches. Le plus souvent, malgré l'ouverture promise d'une université, ils ne sont pas allés à l'école, n'ont jamais ouvert un livre, et se contentent des potins devant une bière. C'est encore une vision d'une Amérique rurale, sans convictions. La politique n'intéresse personne, les délits sont souvent des excès de vitesse, un peu de marijuana, des querelles entre voisins. Mais les meurtres presque jamais. Et les informations pour retrouver le coupable que tout le monde connaît (et surtout les habitants et la famille qui compte bien régler le problème à sa façon se monnaient par des services rendus. Si Mick a une bonne réputation parce que c'est un chef dans l'Armée, c'est un homme brisé. Par l'infidélité de sa femme, mais il n'est jamais là, toujours en mission dans les zones de conflit, et ce travail lui pèse. Des morts ils en voit par wagons, il n'a aucune chance d'avoir un travail de bureau près de chez lui parce que c'est un des meilleurs enquêteurs. Un roman qui alterne des pages des poésie sur la nature de ce coin perdu et le pessimisme d'un héros qui doit faire ses choix de vie.

Pas un chef d’œuvre comme d'autres titres de Gallmeister, mais qui rentre bien dans leur catalogue. Son roman « les nuits Appalaches » est bien plus fort.


Extraits :

  • Un oiseau moqueur entonna son chant.L'inadapté par excellence:il ne savait qu'imiter les autres et espérer qu'on le comprenne. Mick s'était senti comme ça toute sa vie.

  • Elle riait toujours pareil, un éclat soudain. Ça la déridait, mais après elle se durcissait d'autant plus, comme si la vulnérabilité avait un coût inscrit sur une feuille de comptage invisible.

  • Partout ailleurs, les gens vivent un peu plus longtemps chaque année. Nous, nos vies raccourcissent. Ça arrive nulle part ailleurs dans le pays. Il y a vingt ans de ça, l’espérance de vie était plus élevée ici. Les collines nous tuent à petit feu.

  • Tous les griefs de Peggy sur la vie à Morehead étaient les mêmes raisons pour lesquelles Linda aimait cette ville. Le sentiment réconfortant de voir les mêmes gens, parfois trois fois en une seule journée dans différents magasins. Il y avait un protocole pour ces rencontres. La première fois, on posait des questions sur la famille. La deuxième, on souriait et on plaisantait sur le fait d’avoir le même emploi du temps. La troisième fois on souriait et on faisait un signe de main. Cela créait une intimité rassurante. Une des raisons pour lesquelles elle avait rejoint les forces de l’ordre était de maintenir l’ordre pour tout le monde, un ordre dont Peggy ne voulait plus

  • Il voulait mesurer le temps à la croissance des arbres.

  • Les Appalachiens obéissaient à des codes anciens qui les forçaient à agir. Les affronts étaient toujours personnels. Les actes de vengeance se perpétuaient d’une génération à l’autre. Quand il était à l’école, Mick récitait tous les matins le serment d’allégeance au drapeau et le Notre Père. Tous les enfants apprenaient les mots “Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés”, un message fort et généreux qui ne prévoyait pas de calendrier spécifique. Dans les collines il était plus pratique de pardonner les offenseurs après les avoir tués.

  • Ne cherche pas les champignons, regarde là où ils poussent. La nuit, ne cherche pas la piste d’un animal, va juste là où il n’y a pas d’arbres. Vois des formes et des couleurs, pas la chose elle-même.

  • Il avait lu l'histoire d'un scientifique qui parlait à l'eau, puis la congelait et examinait les cristaux. Les mots gentils prononcés avec douceur donnaient de meilleurs cristaux. L'idée paraissait tirée par les cheveux mais peut-être que c'était vrai. Les humains étaient composés d'environ soixante pour cent d'eau et ça ne pouvait pas faire de mal d'essayer. Rien ne risquait de faire plus mal que sa tête, de toute façon. Il enfonça sa tête dans l'eau et parla.

  • Mick songea à plusieurs réponses, puis décida de laisser couler. Inutile de débattre de l'espérance de vie des bêtes sauvages ou de ce que qu'entendait Tucker par "connaître un écureuil". Comment pouvait-on connaître un écureuil ? C'était à peine si on pouvait connaître un humain, même sa propre femme.

  • Rien chez Tanner ne trahissait un tueur, ce qui signifiait qu’il pouvait être sociopathe ou innocent. Ou les deux. Ses yeux brillaient d’une intelligence enfouie, un trait que partageait Mick. Les gens des collines apprenaient tôt à ne pas montrer à quel point ils étaient futés. 

     

Biographie

Né en 1958 à Lexington dans le Kentucky, Chris Offutt est un écrivain américain de roman policier. Fils de l'écrivain Andrew J. Offutt (1934-2013), il suit les cours de l'Université d'État de Morehead. Diplômé, il entreprend un voyage à travers les États-Unis et exerce différents métiers pour vivre.
Il publie, en 1992, un premier recueil de neuf nouvelles, intitulé "Kentucky Straight", qui dépeint le quotidien rural du Kentucky. Il commet par la suite deux romans semi-autobiographiques: "Le Fleuve et l'Enfant" ("The Same River Twice", 1993) et "Les hommes ne sont pas des héros" ("No Heroes: A Memoir of Coming Home", 2002), un roman de fiction: "Le Bon Frère" ("The Good Brother", 1997) et un second recueil de nouvelles: "Sortis du bois" ("Out of the Woods", 1999).
En 2018, il publie son deuxième roman, "Nuits Appalaches" ("Country Dark").

Principalement connu pour ses romans et ses recueils de nouvelles, il a également collaboré, de manière épisodique, comme scénariste à plusieurs séries télévisées américaines dont "True Blood" (2008), "Weeds" (2009) et "Treme"(2012).
En parallèle à sa carrière d'écrivain, Chris Offutt a été professeur dans plusieurs universités américaines et a collaboré avec différentes revues et journaux américains (New York Times, Men's Journal …).

En savoir plus : https://www.etonnants-voyageurs.com/OFFUTT-Chris.html

 

En savoir Plus :

Sur le roman



Dans l'univers du roman

les lieux


Sur la vie des appalachiens


Photos

Play-list

vendredi 10 février 2023

INGA VESPER – Un si long long après-midi – Éditions de la Martinière- 2022

 

L'histoire

Ruby, jeune afro(américaine vient faire le ménage dans un très chic quartier de Los Angeles. Nous sommes en août 1959 sous un soleil de plomb. Mais ce jour-là, la jeune fille ne trouve pas son employeuse, Joyce, mais sa fille aînée de 6 ans en pleurs et la petite sœur couchée, la couche souillée. Du sang dans la cuisine, et pas de maîtresse de maison suffisent à alerter les forces de police et le lieutenant Ranke, un inspecteur chevronné mais placardisé en raison d'une supposée bavure. Avec l'aide de Ruby et alors que le combat pour les droits civiques, ils vont mener l'enquête et découvrir l’impensable vérité. .


Mon avis

Pour ce premier roman, Inga Vesper dit s'être souvenue d'une publicité des années 50 montrant l'Américan Way of Life, avec sa maison soigneusement décorée, sa cuisine toute moderne avec les innovations techniques de l'époque, le mari, les 2 enfants blondinets et la femme qui avait l'air absente. Cela lui a donné l'envie d'écrire ce livre qu'elle revendique comme féministe, surtout après le mouvement « Me too ».

Quelle était donc cette génération de femmes américaines, bien habillées, avec leurs petits jardins bien entretenus, les beaux enfants polis et les barbecue le samedi. On en croise des femmes dans ce roman. Des femmes qui ne travaillent pas ou peu, des femmes qui ont une bonne, noire, peu payée et mal traitée, qui passent leur temps à aller dans les supermarchés qui prennent leur essor, bref des femmes qui s’ennuient sans s'en rendre compte dans ces petites vies étriquées.

Joyce pourtant n'était pas de ce monde là. Enfant adoptée, elle épouse un homme très bien pour les normes de l'époque : bonne situation, jolie maison, confort dans un quartier paisible. Joyce, qui cache un lourd secret, est aussi une excellente peintre et elle aimerait bien percer dans ce domaine, encouragée par Geneviève, l'animatrice éveillée du club des femmes du quartier. Joyce n'aime pas son mari, n'a pas vraiment d'amies, si ce n'est une serveuse mal lotie qui a rejoint le club, et Ruby, avec laquelle elle papote (ce qui est totalement méprisable pour cette communauté de femmes bien pensantes) en toute discrétion. Joyce ne connaît pas le racisme ordinaire et veut enfin vivre sa vie. Disparition ? Homicide ? Pendant ce temps, dans les quartiers pauvres de la ville, occupés par les afro-américains et les latinos, une prise de conscience se fait et amorce aussi la lutte pour les droits civiques, que Ruby, associée à l’enquête, regarde de loin, trop occupée à chercher la vérité et éviter qu'un innocent ne soit condamné à la peine de mort.

Derrière le joli confort et les robes élégantes, se cache le sexisme ordinaire où la femme n'est là que pour s'occuper de la maison et des enfants, se faire belle pour l'honneur de son mari. Le pire est que ces femmes désœuvrées, qui ont pour seul diplôme celui des arts ménagers (si si cela existait dans les années 50/60) s'épient, se surveillent et déversent leurs frustrations en ragots ou mensonges face à un policier obstiné.

Les portraits en miroir de Joyce, femme qui veut être libre de vivre sa vie et de Ruby qui économise pour aller à l'Université, sont très réussis. Mais il manque à ce livre aux chapitres courts, bien structuré, un petit quelque chose qui aurait pu en faire un excellent livre. L'emploi alterné du présent et de l'imparfait me semble plus plomber le livre que de l'alléger. Peu ou pas de touches d'humour, et comme une impression de déjà vu. Mais c'est le tout premier roman de la britannique Vesper qui en prépare un autre dit-on


Extraits :

  • Ta gueule, grogne Mme Ingram. Tu crois que c'est si facile? Tu crois que toutes les femmes devraient désirer être libres? Mais être libre, c'est sacrément difficile, Geneviève. C'est... c'est tellement difficile, putain.

  • - Je connais un restaurant à trois blocs d'ici, dit-il. Le Tropicana. - Je ne peux pas aller là-bas. L'inspecteur a l'air étonné. - Pourquoi pas ? La réponse est simplement parce que. Parce qu'elle n'est pas la bienvenue. Parce que le proprio va sortir son fusil. Parce qu'ils vont la regarder avec tant de haine qu'elle ne pourra pas avaler la moindre bouchée. Ils pourraient même empoisonner son burger à la pisse et à la strychnine. L'inspecteur ne comprend pas. - Allez, insiste-t-il en rigolant. On n'est pas en Alabama. - Seigneur, encore heureux. La colère monte dans le ventre de Ruby. Ce type est parfois vraiment, vraiment idiot. - Vous pensez que ça va aller parce qu'il n'y a aucune pancarte sur la porte qui m'oblige à aller dehors ? Allez donc interroger le gars qui dirige le Tropicana. Ils n'ont pas besoin de pancarte.... Je... Je ne peux pas y aller. Il soupire et détourne le regard, un peu mal à l'aise. Elle connaît cette attitude. Joyce avait la même, quand elles s'approchaient trop près de la vérité.

  • C'est un bon gars, ce Joseph, dit-il. Mais il s'emporte trop facilement. Ils sont tous comme ça, ces jeunes. Et ça ne conduira à rien de bon. Vous devriez vous rabibocher. Il a besoin d'une fille comme toi. Quelqu'un qui lui permette de se poser. De s'ancrer.
    Ruby essaie de croiser le regard de son père sans y parvenir. Ce n'est pas qu'il ait tort - au contraire. Mais le coeur de Ruby joue une autre mélodie, ces derniers temps.

  • C'est pour ça qu'on doit continuer le combat. Ils disent que l'esclavage est terminé et que la ségrégation est en train de disparaître. Mais tu as eu une ambulance pour ta mère ? Tu vois des écoles mixtes ? Tu vois des noirs avec des cravates et des carrières, qui vont au bureau tous les jours ? Hein ? Tu vois tout ça ?

  • Il y a tant de couleurs différentes. Le vert du gazon de mai. Le rose saumon des tomettes du patio. La palissade blanche qui entoure la maison. Les géraniums pourpres dans leurs pots en terre cuite. Le ciel aux frontières troubles, comme mon esprit rendu brumeux par la fatigue. Le bleu de la piscine est si profond et vif que je voudrais y tomber, y couler et me dissoudre comme une aspirine.

  • Vous ne comprenez pas. Elle était folle. Je vous ai dit qu’elle ne voulait plus de moi, qu’elle ne m’aimait plus. Elle me traitait d’idiot et de crétin, elle disait que j’avais gâché sa vie...des trucs qu’une femme normale ne dirait jamais à son mari. J’ai dû en parler aux médecins. Ils l’ont mise sous traitement. Un traitement fort.

  • En disposant les appareils ménagers indispensables de la manière la plus efficace, une femme au foyer peut gagner un temps considérable. Nos tests en laboratoire ont montré qu'avec une bonne configuration, le nombre de pas nécessaires à la préparation d'un gâteau de Savoie peut être réduit de cent sept à soixante-dix-neuf. Imaginez à quel point vous économiserez votre énergie et éviterez d'user vos chaussons.

  • Pa dit que les façades en pierre coûtent plus cher - c'est pour cette raison que les habaitants de Sunnylakes ont choisi ces ornements quand ils ont fait construire leurs maisons, avec leurs dollars durement gagnés. Mettez-moi de la fausse pierre, monsieur. Que ça ressemble à une forteresse qui protège mes biens des cocos, des Japs et des Nègres. Ruby laisse échapper un petit rire. " C'est trop tard. Je suis déjà dans votre maison, monsieur."

  • C'est toujours une histoire d'hommes. Ils guident leur existence, et elles n'en tirent aucune leçon. Elles se relèvent, remettent du rouge à lèvres et courent après le suivant.

  • Je ne devrais pas peindre. Franck n’aime pas ça, bien que Genevieve Crane dise que j’ai un talent incroyable. C’est un mauvais exemple pour les enfants, une mère qui se fait plaisir, quand il y a des repas à prévoir, des tapis à aspirer et des bouquets de fleurs à arranger.

  • - Comment était-elle à l'école ? - Oh, plutôt intelligente. Nous l'avons rapidement détournée des sciences pour l'inscrire en arts ménagers. Elle a insisté pour aller à l'université, mais Dieu merci, c'est à ce moment-là qu'elle a rencontré Frank.

  • Les géraniums ont besoin d’eau ; ils vont devoir patienter. Ruby n’arrivera pas avant l’après-midi et c’est le dernier jour de mes règles. Franck n’aime pas quand j’arrose mes fleurs pendant mes règles. Il dit que les émanations féminines les feraient faner. Mieux vaut laisser la bonne s’en charger.
    Je me range à son avis, bien sûr. Je ne lui fait pas remarquer qu’il dit aussi que les Noirs n’ont aucun talent pour faire pousser les choses, ce qui explique qu’ils n’aient pas de jardinières et que leurs bébés meurent souvent. 

     

Biographie

Inga Vesper est journaliste et écrivaine, auteure de roman policier.
Elle a déménagé d'Allemagne au Royaume-Uni pour travailler comme aide-soignante, avant que l'envie d'écrire et d'explorer ne l'amène au journalisme scientifique. Elle est titulaire d'une maîtrise en gestion du changement climatique du Birkbeck College à Londres. Inga a travaillé et vécu en Syrie et en Tanzanie, mais est toujours revenue à Londres, car il n'y a pas de meilleur endroit pour trouver une bonne histoire que le pont supérieur d'un bus. "Un long, si long après-midi" ("The Long, Long Afternoon", 2021) est son premier roman. Elle vit à Glasgow.

En savoir plus : son site : https://ingavesper.com/

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