vendredi 10 février 2023

INGA VESPER – Un si long long après-midi – Éditions de la Martinière- 2022

 

L'histoire

Ruby, jeune afro(américaine vient faire le ménage dans un très chic quartier de Los Angeles. Nous sommes en août 1959 sous un soleil de plomb. Mais ce jour-là, la jeune fille ne trouve pas son employeuse, Joyce, mais sa fille aînée de 6 ans en pleurs et la petite sœur couchée, la couche souillée. Du sang dans la cuisine, et pas de maîtresse de maison suffisent à alerter les forces de police et le lieutenant Ranke, un inspecteur chevronné mais placardisé en raison d'une supposée bavure. Avec l'aide de Ruby et alors que le combat pour les droits civiques, ils vont mener l'enquête et découvrir l’impensable vérité. .


Mon avis

Pour ce premier roman, Inga Vesper dit s'être souvenue d'une publicité des années 50 montrant l'Américan Way of Life, avec sa maison soigneusement décorée, sa cuisine toute moderne avec les innovations techniques de l'époque, le mari, les 2 enfants blondinets et la femme qui avait l'air absente. Cela lui a donné l'envie d'écrire ce livre qu'elle revendique comme féministe, surtout après le mouvement « Me too ».

Quelle était donc cette génération de femmes américaines, bien habillées, avec leurs petits jardins bien entretenus, les beaux enfants polis et les barbecue le samedi. On en croise des femmes dans ce roman. Des femmes qui ne travaillent pas ou peu, des femmes qui ont une bonne, noire, peu payée et mal traitée, qui passent leur temps à aller dans les supermarchés qui prennent leur essor, bref des femmes qui s’ennuient sans s'en rendre compte dans ces petites vies étriquées.

Joyce pourtant n'était pas de ce monde là. Enfant adoptée, elle épouse un homme très bien pour les normes de l'époque : bonne situation, jolie maison, confort dans un quartier paisible. Joyce, qui cache un lourd secret, est aussi une excellente peintre et elle aimerait bien percer dans ce domaine, encouragée par Geneviève, l'animatrice éveillée du club des femmes du quartier. Joyce n'aime pas son mari, n'a pas vraiment d'amies, si ce n'est une serveuse mal lotie qui a rejoint le club, et Ruby, avec laquelle elle papote (ce qui est totalement méprisable pour cette communauté de femmes bien pensantes) en toute discrétion. Joyce ne connaît pas le racisme ordinaire et veut enfin vivre sa vie. Disparition ? Homicide ? Pendant ce temps, dans les quartiers pauvres de la ville, occupés par les afro-américains et les latinos, une prise de conscience se fait et amorce aussi la lutte pour les droits civiques, que Ruby, associée à l’enquête, regarde de loin, trop occupée à chercher la vérité et éviter qu'un innocent ne soit condamné à la peine de mort.

Derrière le joli confort et les robes élégantes, se cache le sexisme ordinaire où la femme n'est là que pour s'occuper de la maison et des enfants, se faire belle pour l'honneur de son mari. Le pire est que ces femmes désœuvrées, qui ont pour seul diplôme celui des arts ménagers (si si cela existait dans les années 50/60) s'épient, se surveillent et déversent leurs frustrations en ragots ou mensonges face à un policier obstiné.

Les portraits en miroir de Joyce, femme qui veut être libre de vivre sa vie et de Ruby qui économise pour aller à l'Université, sont très réussis. Mais il manque à ce livre aux chapitres courts, bien structuré, un petit quelque chose qui aurait pu en faire un excellent livre. L'emploi alterné du présent et de l'imparfait me semble plus plomber le livre que de l'alléger. Peu ou pas de touches d'humour, et comme une impression de déjà vu. Mais c'est le tout premier roman de la britannique Vesper qui en prépare un autre dit-on


Extraits :

  • Ta gueule, grogne Mme Ingram. Tu crois que c'est si facile? Tu crois que toutes les femmes devraient désirer être libres? Mais être libre, c'est sacrément difficile, Geneviève. C'est... c'est tellement difficile, putain.

  • - Je connais un restaurant à trois blocs d'ici, dit-il. Le Tropicana. - Je ne peux pas aller là-bas. L'inspecteur a l'air étonné. - Pourquoi pas ? La réponse est simplement parce que. Parce qu'elle n'est pas la bienvenue. Parce que le proprio va sortir son fusil. Parce qu'ils vont la regarder avec tant de haine qu'elle ne pourra pas avaler la moindre bouchée. Ils pourraient même empoisonner son burger à la pisse et à la strychnine. L'inspecteur ne comprend pas. - Allez, insiste-t-il en rigolant. On n'est pas en Alabama. - Seigneur, encore heureux. La colère monte dans le ventre de Ruby. Ce type est parfois vraiment, vraiment idiot. - Vous pensez que ça va aller parce qu'il n'y a aucune pancarte sur la porte qui m'oblige à aller dehors ? Allez donc interroger le gars qui dirige le Tropicana. Ils n'ont pas besoin de pancarte.... Je... Je ne peux pas y aller. Il soupire et détourne le regard, un peu mal à l'aise. Elle connaît cette attitude. Joyce avait la même, quand elles s'approchaient trop près de la vérité.

  • C'est un bon gars, ce Joseph, dit-il. Mais il s'emporte trop facilement. Ils sont tous comme ça, ces jeunes. Et ça ne conduira à rien de bon. Vous devriez vous rabibocher. Il a besoin d'une fille comme toi. Quelqu'un qui lui permette de se poser. De s'ancrer.
    Ruby essaie de croiser le regard de son père sans y parvenir. Ce n'est pas qu'il ait tort - au contraire. Mais le coeur de Ruby joue une autre mélodie, ces derniers temps.

  • C'est pour ça qu'on doit continuer le combat. Ils disent que l'esclavage est terminé et que la ségrégation est en train de disparaître. Mais tu as eu une ambulance pour ta mère ? Tu vois des écoles mixtes ? Tu vois des noirs avec des cravates et des carrières, qui vont au bureau tous les jours ? Hein ? Tu vois tout ça ?

  • Il y a tant de couleurs différentes. Le vert du gazon de mai. Le rose saumon des tomettes du patio. La palissade blanche qui entoure la maison. Les géraniums pourpres dans leurs pots en terre cuite. Le ciel aux frontières troubles, comme mon esprit rendu brumeux par la fatigue. Le bleu de la piscine est si profond et vif que je voudrais y tomber, y couler et me dissoudre comme une aspirine.

  • Vous ne comprenez pas. Elle était folle. Je vous ai dit qu’elle ne voulait plus de moi, qu’elle ne m’aimait plus. Elle me traitait d’idiot et de crétin, elle disait que j’avais gâché sa vie...des trucs qu’une femme normale ne dirait jamais à son mari. J’ai dû en parler aux médecins. Ils l’ont mise sous traitement. Un traitement fort.

  • En disposant les appareils ménagers indispensables de la manière la plus efficace, une femme au foyer peut gagner un temps considérable. Nos tests en laboratoire ont montré qu'avec une bonne configuration, le nombre de pas nécessaires à la préparation d'un gâteau de Savoie peut être réduit de cent sept à soixante-dix-neuf. Imaginez à quel point vous économiserez votre énergie et éviterez d'user vos chaussons.

  • Pa dit que les façades en pierre coûtent plus cher - c'est pour cette raison que les habaitants de Sunnylakes ont choisi ces ornements quand ils ont fait construire leurs maisons, avec leurs dollars durement gagnés. Mettez-moi de la fausse pierre, monsieur. Que ça ressemble à une forteresse qui protège mes biens des cocos, des Japs et des Nègres. Ruby laisse échapper un petit rire. " C'est trop tard. Je suis déjà dans votre maison, monsieur."

  • C'est toujours une histoire d'hommes. Ils guident leur existence, et elles n'en tirent aucune leçon. Elles se relèvent, remettent du rouge à lèvres et courent après le suivant.

  • Je ne devrais pas peindre. Franck n’aime pas ça, bien que Genevieve Crane dise que j’ai un talent incroyable. C’est un mauvais exemple pour les enfants, une mère qui se fait plaisir, quand il y a des repas à prévoir, des tapis à aspirer et des bouquets de fleurs à arranger.

  • - Comment était-elle à l'école ? - Oh, plutôt intelligente. Nous l'avons rapidement détournée des sciences pour l'inscrire en arts ménagers. Elle a insisté pour aller à l'université, mais Dieu merci, c'est à ce moment-là qu'elle a rencontré Frank.

  • Les géraniums ont besoin d’eau ; ils vont devoir patienter. Ruby n’arrivera pas avant l’après-midi et c’est le dernier jour de mes règles. Franck n’aime pas quand j’arrose mes fleurs pendant mes règles. Il dit que les émanations féminines les feraient faner. Mieux vaut laisser la bonne s’en charger.
    Je me range à son avis, bien sûr. Je ne lui fait pas remarquer qu’il dit aussi que les Noirs n’ont aucun talent pour faire pousser les choses, ce qui explique qu’ils n’aient pas de jardinières et que leurs bébés meurent souvent. 

     

Biographie

Inga Vesper est journaliste et écrivaine, auteure de roman policier.
Elle a déménagé d'Allemagne au Royaume-Uni pour travailler comme aide-soignante, avant que l'envie d'écrire et d'explorer ne l'amène au journalisme scientifique. Elle est titulaire d'une maîtrise en gestion du changement climatique du Birkbeck College à Londres. Inga a travaillé et vécu en Syrie et en Tanzanie, mais est toujours revenue à Londres, car il n'y a pas de meilleur endroit pour trouver une bonne histoire que le pont supérieur d'un bus. "Un long, si long après-midi" ("The Long, Long Afternoon", 2021) est son premier roman. Elle vit à Glasgow.

En savoir plus : son site : https://ingavesper.com/

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