L'histoire
Un paysan pauvre sauve du suicide une jeune femme Ndali, qui elle, vient d'un milieu aisé. Il en tombe amoureux, mais ils ne sont pas du même milieu social. Pour la séduire, Nonso va suivre un parcours exemplaire. Il va aller étudier à Chypre, mais sa trop grande naïveté, sa gentillesse naturelle et le peu de culture vont hélas malmener ses projets et le contraindre à la violence.
Mon avis
Un livre qui va voir faire voyager au Nigeria et plus particulièrement dans la culture Igbo, dont est issu ce jeune auteur.
L’originalité du récit est qu'il est raconté par le Chi, sorte d'âme dans la culture igbo, le double spirituel du sujet et par son opposé l'Onyeuwa, sa personne physique incarnée sur cette terre. En résumé, la religion de ce peuple qui se situe au sud-ouest du Nigeria. Troisième ethnie de ce pays, elle compte environ 18 millions de personnes, a sa propre langue. Ils sont souvent des agriculteurs. Après la colonisation anglaise, beaucoup ont été converti à la chrétienté, mais une minorité de la population reste fidèle à ses traditions millénaires. Le peuple igbo a payé un lourd tribu lors de l'esclavage (165% des esclaves entre 1650 et 1900). La société est organisée en clan. Leur cosmologie est riche et le livre s'inspire de nombreuses légendes qui lui donnent ce charme si particulier
Et bien évidemment il y a le volet social. Quand on est pauvre, on ne réussit pas. Hélas la situation est toujours actuelle. Les igbos ne parlent pas tous anglais, et font partie des populations les plus pauvres du Nigeria. On y voit bien les dégâts subis par la mondialisation : arnaques pour partir en Europe, perte des racines, la sagesse des anciens n'est plus écoutée, la religion s'efface au profit de la technologie et on y parle même de "Qui veut gagner des millions ?" . Mais ce qui frappe le plus, c’est le style de l'auteur, mouvant, entre les dialogues avec le chi (que Nanso n'écoute pas souvent). Écrit au « Je » pour le chi, et à l'impersonnel pour le reste de l'histoire, nous passons de moments de poésie pure à des instants cruels, durs. L'esclavagisme est aussi évoqué plusieurs fois, comme une cicatrice qui ne se refermera jamais. Mais aussi la corruption, et tous les travers d'un monde qui ne va pas mieux ici qu'ailleurs.
Un chef d’œuvre à lire pour un voyage enchanteur. D'ailleurs n'est-ce pas un voyage que fait Nonso, entre les travers de la vie, des rencontres improbables, des amours impossible. Et Nonso était le Ulysse africain d'Homère ?
Extraits :
L'homme malade commence par éprouver une sensation inhabituelle. A mesure que la douleur se répand dans son corps et que le glas de la fièvre résonne dans son crâne, des émotions surgissent, à commencer par une nervosité insolite. (...) Alors une forme d'angoisse met peu à peu sa machinerie en place. (...) Jusqu'à quand,jusqu'à quels extrêmes la maladie va-t-elle persister? L'homme est submergé d'angoisse. Mais il n'y a pas que cela. Vient la stupéfaction de voir la maladie prendre possession de son corps, dicter quelles parties du corps il faut lui céder, et comment il faut lui complaire pour espérer guérir. Mais le plus grave, c'est comment la maladie instille chez le malade la conviction qu'il en est lui même la cause.(...) Alors la maladie devient le serpent silencieux qui, délogé de sa paisible demeure, en conçoit rage et rancœur, et qui inflige ainsi sa vengeance légitime.
Dès qu’il s’endormit, comme souvent quand il entre dans cet état d’inconscience, je me défis des barrières de son corps. Même sans en sortir, je parviens souvent à percevoir ce qui m’est caché lorsqu’il est éveillé. Comme tu le sais puisque tu nous as créés, nous sommes des créatures qui ignorent le sommeil. Nous existons comme des ombres qui parlent le langage des vivants. Et même durant le sommeil de nos hôtes, nous demeurons éveillés. Nous veillons sur eux contre les forces qui s’animent dans la nuit. Lorsque dorment les hommes, le monde de l’éther déborde de bruit, d’agitation, de la susurration des morts. Agwus, fantômes, akaliogolis, esprits et ndiichies de passage sur la terre surgissent des yeux aveugles de la nuit et arpentent la terre avec la liberté des fourmis, oublieux des limites humaines, indifférents aux murs et aux clôtures. Deux esprits en querelle peuvent très bien, en se bagarrant, basculer dans une maison et atterrir sur la tête d’une famille sans même y prendre garde. Parfois, ils se contentent de pénétrer dans les demeures des humains pour les observer...
Il venait grossir le troupeau évoqué par Tobe, celui de tous ces gens dépouillés de leurs biens : la jeune Nigériane près du commissariat, l'homme de l'aéroport, et tous les captifs du passé ou du présent contraints de faire ce qu'il ne voulaient pas, pris dans un système qu'ils refusaient. Innombrables. Tous ceux qu'on a enchaînés et battus, au territoire pillé, à la culture éradiquée, tous ceux qu'on a réduits au silence, violés, déshonorés, assassinés. Avec tous ces gens, il partageait désormais un sort commun. Ils étaient les minorités du monde, avec pour seul recours l'orchestre universel qui n'avait plus qu'à pleurer et gémir.
Si la proie ne donne pas sa version de l’histoire, le prédateur sera toujours le héros des récits de chasse. (Proverbe igbo)
Ô Olisabinigwe, les glorieux anciens disent que, lorsqu'un homme pénètre en pays inconnu, il redevient un enfant. Ô Egbunu, le silence est souvent la forteresse où se réfugie l'homme brisé, car c'est là qu'il peut communier avec son esprit, son âme et son chi.
Rien en ce monde n'appartient vraiment à personne. Si on conserve ce qu'on possède, c'est parce qu'on s'y accroche, qu'on refuse de lâcher. En étant ici, debout, sous un toit, je m'accroche à ma vie. Si je lâche, on me l'enlèvera.
Ô Ebubedike, les anciens disent d'un homme angoissé et effrayé qu'il est enchaîné.
Au temps des grands anciens, seuls les fainéants, les oisifs, les infirmes ou les maudits vivaient dans le besoin, mais aujourd'hui presque tout le monde était dans ce cas. Il suffit de s'aventurer sans les rues, au coeur de n'importe quel marché du pays igbo, pour voir des travailleurs, des hommes aux mains dures comme des pierres, aux vêtements trempés de sueur, qui vivent dans une atroce misère.
ans tout le pays des anciens, le sanctuaire d'Ala, la déesse mère, se dressait souvent aux abords du marché. Dans l'esprit des anciens, c'était également un lieu de rassemblement humain par excellence, un endroit propre à attirer les esprits les plus anarchiques : akaliogolis, amosus, esprits manipulateurs, et toutes sortes de créatures errantes et désincarnées. Car sur terre, un esprit sans hôte n'est rien. Il faut habiter un corps pour avoir le moindre impact sur les choses de ce monde. Ainsi ces esprits sont-ils constamment en chasse de réceptacles à occuper, en une quête insatiable de matérialisation.
Ô Gaganaogwu, les jours de la vie des amants finissent par se ressembler au point de ne plus se distinguer les uns des autres. Les amants portent dans leur cœur les mots de l’être aimé qu’ils soient ensemble ou séparés ; ils rient ; ils parlent ; ils font l’amour ; ils se disputent ; ils mangent ; ils s’occupent ensemble du poulailler ; ils regardent la télévision et rêvent d’un avenir ensemble. C’est ainsi que le temps file et que les souvenirs s’amassent jusqu’à ce que leur union devienne la somme de tous les mots qu’ils se sont dits, de leurs rires, de leurs étreintes, de leurs disputes, de leurs repas, de leur travail au poulailler, de toutes les choses qu’ils ont faites ensemble. Lorsqu’ils sont l’un sans l’autre, la nuit leur devient indésirable.
Biographie
Né
en 1986 à Akure,
Nigeria, Chigozie Obioma est un écrivain nigérian.
Né dans une
famille de douze enfants, il fait des études supérieures à la
Cyprus International University à Chypre, où il obtint une bourse
et un poste d'enseignant.
Il s’est offert une entrée en
littérature fracassante en 2015 avec la publication de son premier
roman intitulé "Les Pêcheurs" ("The Fishermen"),
finaliste du très prestigieux Prix Booker. Ce roman obtient
également le prix du premier roman du "Guardian", le prix
des nouvelles voix Afrique et Moyen-Orient du "Financial Times"
et est traduit dans 26 langues.
Une année plus tard, il part aux
États-Unis, où il suit des cours de l'écriture créative à
l'Université du Michigan.
Chigozie Obioma enseigne la littérature
et l'écriture créative à l’Université du Nebraska à
Lincoln.
Son deuxième roman, "La prière des oiseaux"
("An Orchestra of Minorities", 2019), une grande épopée
romanesque, a reçu un accueil dithyrambique de la presse étrangère
et était finaliste du Prix Booker 2019.
En savoir Plus :
Son site en anglais : https://chigozieobioma.com/

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