samedi 24 septembre 2022

TANIZAKI JUN'ICHIRO – Noir sur Blanc – Picquier Poche - 2019

 

L'histoire

Mizuno, un écrivain médiocre mais très imbu de lui-même publie des romans sen format de feuilletons dans un journal de Tokyo. Réputé pour son cynisme, il s'inspire d'un journaliste réputé et décide de l'assassiner dans son prochain roman, en se mettant en scène comme l'assassin. Par ailleurs il est fasciné par une femme étrange, habillée à l'occidentale qui se prostitue selon le règlement très stricte qu'elle impose. Mais à force de jouer ce qu'on est pas, on finit par se piéger soi-même


Mon avis

Manuscrit écrit en 1927, les éditions Picquier ont fait traduire ce manuscrit en 2019. Moi qui adore cet auteur , un des plus grand de sa génération, je regrette une fois de plus la traduction peu fluide de Picquier. Je ne retrouve pas le style habituel et vivace de l'auteur.

Bien évidemment, Tanizaki se met en scène dans ce personnage d'écrivain cynique et qui se veut machiavélique. Car toute sa vie, Tanizaki aura pour obsession non as de choquer pour le plaisir de choquer mais pour renouveler la littérature japonaise, en s'attaquant aux tabous de l'époque, homosexualité, obsessions sexuelles, désir et haine, vengeance.

Ici c'est un roman mal traduit qui aurait du receler l'humour implacable de l'auteur. Déjà les premiers pages prêtent à confusion entre Kodama (le héros du livre) et Kojima, le personnage réel et Koyama dans la suite commandée par le journal.

Hors tout tourne autour de la personnalité de Mizuno, un homme plus très jeune, peu séduisant, qui sort peu, si ce n'est pour aller au cinéma, ou dans les maisons de prostitution et s'enivrer. Par ailleurs, il méprise tout le monde, persuadé de son génie. Pourtant il procrastine, passe plus de temps à trouver des stratagèmes pour échapper à son éditeur qu'écrire et bien sur, l'arroseur fini arrosé.

Pourtant on prend un sacré plaisir à travers ce personnage, qui en fait cache sa sensibilité (il tombe réellement amoureux de cette femme dite « l'occidentale » dont il ne saura jamais ni le prénom, ni le lieu réel où elle vit, comme un écho à ses mensonges un peu idiots. Il finit même par éprouver de la tendresse pour son ex-femme dont il a divorcé car il la trouvait ennuyeuse. Le portait d'un homme qui gâche son destin, alors qu'il pourrait avoir une grande carrière littéraire est dépeint magistralement par l'auteur japonais, qui a lui, bien du s'amuser à écrire ce livre.


Extraits :

  • Pour dire les choses franchement, si le personnage de l’écrivain du roman choisissait Kodama pour victime sans y mettre aucune implication personnelle, ce n’était pas en revanche sans une certaine animosité que Mizuno avait choisi Kojima pour modèle. Certes, un type avec « une tête à se faire assassiner », ça n’existait pas, on ne pouvait pas dire ça d’un seul individu dans le monde entier, mais si cela avait été, eh bien, Kojima aurait assez bien correspondu à la description. Depuis quelque temps, ce genre de fulgurance lui venait parfois. Évidemment, la gravité d’un crime ne dépend pas de la personnalité de la victime. Mais, toute pensée rationnelle mise à part, s’il fallait en tuer un, eh bien oui, sans doute celui-ci plutôt que celui-là… ou bien, si un type dans son genre se faisait assassiner, eh bien, ma foi, cela ne serait pas si grave… Voilà ce qu’il en venait à se dire. Comme au théâtre, dans la scène avec Mitsugi, le sabreur en série, lorsque se pointe un type en simple kimono de coton qui se fait d’emblée couper en deux par le tueur, pour la seule raison qu’il a croisé sa route. À tous les coups, ce genre de personnage est un maigrichon à la peau mate, au physique ingrat, visage et corps affligeants, bref, ce n’est pas gentil à dire, mais le genre de type, tu souffles dessus, il s’envole. La dignité d’un insecte. Mizuno lui-même n’avait rien d’un bel homme, il était malingre et chétif. À l’époque où il fréquentait le salon de thé Kadoebi, après plusieurs jours sans décoincer, quand il traînait jusqu’à midi assis devant le brasero de la grande salle, la tête prise dans la gueule de bois de la veille, il se disait à lui-même : « Si maintenant entre un type qui a perdu la tête comme Mitsugi et fait un carnage, je figurerai parmi les morts qui se prendront un coup de sabre sans même l’avoir cherché. » Voilà, en un mot, Kojima, c’était ce genre-là. Dès la première fois qu’il l’avait rencontré, quand il était venu le voir avec Suzuki, vraisemblablement, oui, dès le premier rendez-vous, à peine avaient-ils échangé quelques mots que cela lui était venu à l’esprit : « Pauvre type… » Il y a des visages sans intérêt qu’on oublie généralement une heure ou deux après les avoir quittés. Mais Kojima, c’était pire que ça, c’était un visage tellement insignifiant qu’il s’était au contraire imprimé dans son souvenir. Il ignorait de quelle région il était originaire, en tout cas il n’était pas de Tokyo. Vous ne trouverez pas de Tokyoïtes avec un visage aussi plat et aussi mièvre. De complexion, il aurait pu être carrément noir, cela aurait mieux valu que ce teint vaguement bistre comme le cuir d’une vieille godasse. Un nez bas, une lumière étique dans les yeux, une face sans le moindre relief ni la moindre dynamique, comme si elle n’était que bajoues, et en même temps un maniérisme affecté dans les moindres détails. Bref, autant dire que ce n’était pas seulement son teint, c’était dans son ensemble que son visage ressemblait à une vieille chaussure. Et avec ça, une voix opaque, sèche, dénuée de charme, mâchant les mots de façon incompréhensible. On entendait une voix, mais quand on le regardait, les mouvements de sa bouche ne correspondaient pas, bref, une chaussure qui parle, il n’y a pas d’autre mot.

  • Il était habitué à la vie de bohème depuis son jeune âge, ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait s'abîmer dans la neurasthénie du solitaire; n'empêche, les gares suscitent toujours ce sentiment ambivalent, inhérent aux voyages, comme lorsqu'on regarde le soleil couchant loin de son pays natal, surtout quand la nuit est froide comme ce soir.

  • L'homme ne contrôle pas son esprit, son cerveau n'est que l'appareil de projection de son cinématographe intérieur; un projecteur automatique pour tout dire, d'où jaillissent les monstres des films délirants qu'il a décidé de visionner et qu'il s'oblige à regarder.

  • Depuis qu’il était né, il n’avait jamais éprouvé d’amour pour quiconque, hormis pour sa propre personne. Le monde n’est qu’un grand n’importe quoi de bout en bout, voilà le nihilisme sous-jacent qui parcourait son œuvre. Et plus son talent artistique s’amenuisait, plus il se sentait enclin à appliquer cette idée à la vie elle-même. D’un côté, c’était à cette mentalité qu’il devait de n’avoir aucun véritable ami et de mener la vie recluse et cynique qui était la sienne. S’il n’avait eu ce don particulier pour la fiction, sa vie n’aurait été que vanité et solitude. Mais d’un autre côté, il ressentait le besoin de se tester : n’éprouvait-il vraiment aucune mauvaise conscience ? Le seul fait de se le demander était la preuve que déjà la folie couvait en lui, il ne s’en était simplement pas encore rendu compte. De toute façon, à son sens, sentir le poids de la conscience relevait tout bonnement de la névrose. Le système nerveux de l’homme est tellement délicat. Qu’on force sur ses capacités cérébrales ou qu’on soumette son esprit à une stimulation un tant soit peu excessive, et le voilà qui s’épuise et se détraque en un rien de temps, sans avoir pour cela besoin de commettre quoi que ce soit d’immoral. Par conséquent, c’était bien simple, pour accomplir un crime sans être oppressé par le fardeau de la conscience, il suffisait, soit de tromper son système nerveux, soit de l’endormir jusqu’à ce qu’il s’accoutume au mal. Et dans la mesure où « tromper son système nerveux » signifiait tout simplement « agir avec logique »… il devait être tout à fait loisible d’enseigner à ses nerfs que commettre un acte de ce genre n’avait rien d’effrayant, qu’il ne s’agissait au contraire que de mettre héroïquement en accord ses actes avec ses idées. Il suffisait de s’endurcir peu à peu dans le mal en surveillant ses réactions nerveuses du coin de l’œil pour devenir capable d’accomplir n’importe quel crime en toute indifférence.

Biographie

Né en 1886 et mort en 1967 à Tokyo, Né dans une famille aisée de marchands, fortune due à l'ingéniosité de son grand-père, il fait de brillantes études à l'Université impériale de Tôkyô, mais en 1910 la ruine de son père le contraint à les interrompre. Il considéra son père comme un être faible qu'il transposera dans ses écrits. La même année, il publie son premier texte, une nouvelle cruelle et raffinée, "Le Tatouage", dans la revue qu'il a fondée avec quelques amis. L'histoire de la belle courtisane et de son tatouage en forme d'araignée fait scandale et lance sa carrière d'écrivain.

En 1913, il rassemble toutes ses nouvelles dans un recueil intitulé "Le Diable" et subit les foudres de la censure qui les juge « immorales ». Il publie sans trêve drames, comédies et scénarios à une époque où le cinéma en est encore à ses balbutiements, il traduit également la pièce d'Oscar Wilde "L’Éventail de Lady Windermere".
Installé à Yokohama, il fréquente les résidents étrangers et découvre l'image de la femme occidentale. Lorsqu'un terrible tremblement de terre détruit la ville en 1923, il s'installe définitivement dans le Kansai. Le séisme le bouleverse profondément : alors qu'il puisait son inspiration dans un Occident et une Chine exotiques, il revient vers le Japon à partir de 1924, date à laquelle paraît son premier roman, "Un amour insensé".
Dans les années 30, il multiplie les publications : "Yoshino" (1931), "Le Récit de l’aveugle" (1931), "Histoire secrète du sire de Musashi" (1932), "Le Coupeur de roseaux" (1932), "Shunkin, esquisse d’un portrait" (1933), "Éloge de l'ombre" (1933).

Il se consacre ensuite à la traduction en japonais moderne de "Le Dit du Genji" de Murasaki Shikibu. En 1943, la publication en feuilleton de son chef-d'œuvre "Quatre sœurs" est interdite car jugée inconvenante en temps de guerre. Après la guerre, Tanizaki publie des romans audacieux comme "La Mère du général Shigemoto" (1950) et "La Clef : La Confession impudique" (1956).

Son état de santé s’aggrave après 1960. Sa souffrance et son obsession de la mort apparaissent dans son "Journal d’un vieux fou" (1961).
En 1964, il fait partie des six derniers candidats retenus de la short list du comité Nobel.
Décerné en son honneur, le prix Tanizaki est l'une des principales récompenses littéraires au Japon


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