lundi 24 octobre 2022

AKI SHIMAZAKI – Suisen (série l'ombre du Charbon) – Babel poche 2020

 

L'histoire

Gorô riche homme d'affaires japonais est le mari aimant et père de deux enfants. Il a également deux maîtresses, ce qui complique un peu son emploi du temps. Évidemment cet homme vieillissant n'est pas la modestie incarnée, il est fier de tout, son succès, ses femmes, son monde. Et si un grain de sable venait enrayer la mécanique.


Mon avis

Un petit roman, le troisième de la série « L'ombre du Charbon » qui nous met face à un macho raffiné certes, et narcissique à souhait comme le montre la fleur qui illustre ce roman. Gorô vit dans son monde de certitudes, convaincu qu'il le centre du monde. Mais les certitudes ne sont pas faites pour durer.

A travers ce roman réjouissant, l'auteure nous montre le peu d'évolution des femmes dans la société japonaise, considérée comme objet de confort, de réussite sociale. Le couple n'existe pas, c'est pour le décorum. Les maîtresses sont là pour les plaisirs charnels ou culinaires. Le petit peuple, les pauvres, sont ignorés. L'idéal japonais est la réussite, la compétition permanente, les horaires à rallonge. Tous les travers du Japon résumés en 138 pages.

Pourtant Gorô n'est pas antipathique, ni pathétique. C'est sur ce subtil équilibre que repose tout l'art de madame Aki, qui compose une histoire avec une économie de mots, sans négliger la psychologie des personnages et leurs aventures rocambolesques, mais toujours avec délicatesse et humour.

Un lexique en fin de livre nous permet de nous favoriser avec la vie nippone. L'auteure joue aussi avec les 3 écritures : le Hiragana, le Katakana et le Kanji qui reviennent ici à propos de « Suisen », le narcisse, titre du livre.


Extraits :

  • Tu te marieras dans quelques années. Je te trouverai un homme qui te rendra heureuse. Comme nous, tu dois fonder un foyer idéal.
    — C’est gentil, papa. Mais je le choisirai moi-même. Sais-tu que les jeunes aujourd’hui préfèrent rester célibataires plus longtemps ?
    — Ne dis pas de bêtises, Yôko. Le bonheur des femmes réside dans le mariage. 

  • Je meurs de faim. Je me dirige vers la salle à manger en pensant aux mets spéciaux que j'ai dit à ma femme de me préparer. En y entrant, je m'étonne. Il n'y a rien du tout sur la table. C'est bizarre. Je vais dans la cuisine. l'évier et le comptoir sont vides et propres. Je reste interloqué.
    J'ouvre le réfrigérateur. Il n'y a pas grand chose : fromages, pains tranchés, saucisses. Je n'aime pas ces produits. Je veux manger une soupe miso, du poisson grillé, des yakitoris, des sashimis. Ce sont les plats que j'attendais ce soir avec de la bière. La colère m'envahit. Je monte à l'étage pour réveiller ma femme.

  • Je fixe le plafond. Les paroles de Yuri tournent dans ma tête :
    "Je suis amoureuse de lui." Elle perd la raison. Une femme de trente- six ans qui parle comme une adolescente. "Gorô, c'est fini entre nous. Adieu." Quelle arrogance ! C'est à moi qu'elle doit tout son succès. Je n'accepterai jamais un refus pareil. Il faut que je me venge de cette humiliation.

  • Tout à coup, j'aperçois quelques cheveux gris sur ma tempe gauche. J'examine de près : "Ce n'est pas vrai..." Je me rappelle mon père , décédé à l'âge de soixante et un an. Sa chevelure est restée noire jusqu'à la fin. A mon âge, ce ne serait pas drôle d'avoir la tête blanche. En caressant mes cheveux, je murmure : "Mieux vaut être chauve.

  • Papa ne changera pas de conduite. Je crois qu'il est toujours blessé par son enfance malheureuse, qu'il n'a pas pu développer son amour de soi. Il doit séduire les femmes pour occuper son cœur vide.

  • Ma vie conjugale aussi se déroule bien. Ma femme doit être heureuse avec moi : riche, gentil et généreux. Nous vivons ensemble depuis vingt trois ans sans problème particulier. Elle n’est pas au courant pour mes maîtresses. Peu importe. Pour moi, ces relations extérieures ne sont que des aventures. Je n’ai pas l’intention de divorcer, quoi qu’il arrive. Le divorce, c’est la honte.

Biographie :

Aki Shimazaki est une romancière québécoise née en 1953 au Japon. Elle est née au Japon dans une famille dont le père est agriculteur. Durant sa jeunesse, elle développe une passion pour la littérature. Cependant, elle travaille pendant cinq ans comme enseignante d'une école maternelle et a également donné des leçons de grammaire anglaise dans une école du soir.

En 1981, elle émigre au Canada, où elle passe ses cinq premières années à Vancouver, travaillant pour une société d'informatique. Après cela, elle part vivre pendant cinq ans à Toronto. À partir de 1991, elle s'installe à Montréal où, en plus de son activité littéraire, elle enseigne le japonais.

En 1995, à l'âge de 40 ans, elle commence à apprendre le français tant par elle-même que dans une école de langue. Puis, elle commence à écrire en français de courts romans. Tous les titres de ces livres portent un mot japonais.

Pour son premier roman "Tsubaki" (1999), elle a obtenu le Prix de la Société des écrivains canadiens et a été finaliste du Prix Littéraire de la Ville de Montréal 1999 et du Grand Prix des lectrices Elle Québec 2000. Pour "Hamaguri" (2000), elle s'est méritée le prix Ringuet 2001 et a été finaliste pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2001.

Ses premiers romans sont publiés dans la collection "Un endroit où aller" chez Leméac/Actes Sud. Il s'agit d'une série de cinq titres, un premier cycle intitulé "Le poids des secrets" (1999-2004), qui racontent la même tragédie, mais chaque fois sous angle différent puisque le narrateur change d'un roman à l'autre.
Elle a remporté le Prix littéraire Canada-Japon du Conseil des Arts du Canada 2004 pour "Wasurenagusa" (2003) et le Prix du Gouverneur général du Canada 2005 pour "Hotaru" (2004).

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