lundi 31 octobre 2022

GAYL JONES – Corrégidora – Editions Dalva – 2002 -

 

L'histoire

Ursa, 25 ans est chanteuse de blues dans un cabaret. Son mari jaloux la projette dans les escaliers et elle doit subir une ablation de l'utérus. Traumatisme terrible car, elle a une mission à accomplir comme toutes les femmes de sa famille : ne pas oublier le passé où depuis son arrière-grand mère, les femmes ont été esclaves d'un gros propriétaire terrien a Brésil. Esclaves dans tous les sens du mot, battues, violées, tuées en cas de problème.Ursa doit faire vivre toutes ces femmes, mais aussi être confrontée aux mauvais choix. Un grand classique de la littérature américaine.

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Mon avis

Il aura fallu attendre plus de 50 ans pour que ce roman soit publié par les éditions Dalva qui se spécialisent dans la publication d'autrices. Sans doute parce que le roman est dérangeant. On y parle cru et cash, on a le pardon à géométrie variable.

La grand mère d'Ursa est l'enfant illégitime d'un riche portugais qui exploite des champs de coton, tabac, du café avec une esclave. Ce qui ne l'empêchera pas de violer sa fille, comme il a violé sa mère, et toutes les femmes noires et esclaves qu'il trouvait à son goût. C'est ce passé terrible qui pèse sur les épaules d'Ursa, qui ressemble à son père, un blanc qui lui aussi fut violent avec sa mère noire. Cette mère qui à l'instar des autres femmes de la famille veulent avoir des filles pour que celles-ci transmettent l'héritage familial horrible de la famille Corregidora, le regard des hommes sur ces femmes, souvent noires, métisses, amazoniennes. La blanche est pour le mariage et les enfants officiels, les fils bien sur, qui reprendront le domaine familial. Et même si l'esclavage est aboli, on trouve quand même le moyen de faire pression sur des femmes mal payées, peu cultivées, qui parfois ne parlent même pas le portugais mais des dialectes locaux.

La femme se résume à un corps, un trou entre les cuisses, et c'est tout. Mais pour Ursa, privée d'enfants, jalousée par sa voix, comment dire l'indicible ? Surtout quand l'amour charnel est source de plaisirs même par le pire des hommes... 

Alors Ursa se remémore les paroles de ses aïeules, et les écrit dans un journal, les chante où même elle reconnaît ses blessures internes, ses forces, et ses fissures. Nous sommes en 1947, aux USA. L'esclavage y a été interdit depuis 1886, mais il a fallu attendre 1968 pour que la ségrégation soit totalement abolie. Et actuellement le mouvements Lives Black Matters divise encore les USA.

Un livre fondamental, parce qu'il explore aussi la psychologie d'Ursa. Ursa n'est pas une Rosa Parks, ni une militante. Elle a peu d'instruction mais une voix magnifique pour chanter le blues ou le fado, voix qui s'intensifie pour gagner une profondeur magnifique, mais elle ne sera pas une Billie Holiday, elle bosse dans un petit club (l'action semble se passer au Kentucky, état du Sud des plus ségrégationnistes), et elle vit dans un quartier pauvre, noir. Elle ne fait pas les bons choix, parce qu'elle est impulsive  et a tendance à s'imaginer des choses qu'elle ne peut pas accepter (comme l'amour entre 2 femmes). Une femme en proie aux tourments physiques et moraux, entre le désir et la haine. Et les mots puissants, sans jamais verser une seconde dans le pathologique, car on parle le langage de la rue, ce qu'on possède tient dans deux cartons et l'argent sert à payer le minimum vital où un verre de whisky, un paquet de clopes, un mauvais hamburger. Parce que le chemin du pardon et de la résilience est long, douloureux et que l'amour parfois ne suffit plus.

Un roman édifiant.

Extraits :

  • La dernière fois que je suis retournée à Bracktown, j’ai accompagné Maman à l’église baptiste. — C’est qui que tu nous ramènes ? Une traînée qui débarque en ville et qui va mettre le grappin sur nos maris ? — Non, c’est Ursa, c’est ma puce. — C’est la petite Ursa ? Elle a grandi. — Oui, elle a bien grandi. Au buffet. — Je vous propose de la salade de pommes de terre ? me demande un type.
    Je l’ai laissé me servir une portion. Je n’avais pas vu qu’il était venu accompagné, mais elle, elle ne m’a pas lâchée des yeux. Il est parti, elle s’est approchée en catimini. « ’Spèce de morue aux cheveux roux. » Plus tard, alors que je marchais dans la rue, vaquant à mes petites affaires, ces deux bonnes femmes dans une voiture. « ’Spèce de morue aux cheveux roux. » Bracktown, je n’y ai pas fait de vieux os. Juste le temps de voir comment se portait ma famille

  • Ça t’apporte quoi le blues ? Ça m’aide à expliquer l’inexplicable.

  • She was closed up like a fist. It her very own memory, not theirs, her very own real and terrible and lonely and dark memory.

  • It was as if she had more than learned it off by heart. Though. it was as if their memory, the memory of all the Corregidora women, was her memory too, as strong with her as her own private memory, or almost as strong. But now she was Mama again

  • I wanted a song that would touch me, touch my life and theirs. A portuguese song, but not a portuguese. song. A new world song. A song branded with the new world. I thought of the girl who had to sleep with her master and mistress. Her father, the master. Her daughter's father. The father of her daughter's daughter. How many generations. Days that were pages of hysteria. their survival depended on suppressed hysteria.

  • I am Ursa Corregidora. I have tears for eyes. I was made to touch my past at an early age. I found it on my mother’s tiddies. In her milk. Let no one pollute my music. I will dig out their temples. I will pluck out their eyes.

  • My great-grandmama told my grandma the part she lived through that my grandma didn't live through and my grandma told my mama what they both didn't live through and my mama told me.

     

Biographie :

Née à : Lexington, Kentucky , le 23/11/1949,Gayl Jones est une écrivaine afro-américaine. 

Son père est cuisinier dans un restaurant et sa mère est femme au foyer.

Elle sort diplômée en 1971 du Connecticut College où elle obtient son Bachelor of Arts. Pendant ses études, elle remporte le prix Frances Steloff pour la fiction. Pendant ses études supérieures en écriture créative à l'Université Brown, elle obtient une maîtrise ès lettres en 1973 puis son doctorat en 1975. En 1974, elle publie "Chile Woman", sa première pièce. Elle a suivi les cours d'écriture de Toni MORRISON qui remarque son potentiel. (nota : aux USA, l'écriture s'enseigne comme les mathématiques ou la géographie, par des cours universitaires et des stages auprès des grands écrivains).

En 1975, Random House (Toni Morrison) publie le premier roman de Jones, "Corregidora" ; elle a 26 ans. La même année, elle est chargée de cours à l'Université du Michigan, qui l'embauche l'année suivante comme maître assistant. Pendant ses études, Jones rencontre un étudiant, Robert Higgins (Bob Higgins), qui devient son mari. "Eva's Man" (1976), le deuxième roman de Jones, traite de la douleur entre les femmes et les hommes afro-américains, avec un sentiment de désespoir encore plus grand que son premier roman.

Suite à des problèmes judiciaires, elle quitte son poste de professeure en 1983 et part s'installer avec son mari en Europe, où elle écrit et publie Die Vogelfaengerin (The Birdwatcher) en Allemagne et un recueil de poésie, "Xarque and Other Poems" (1985), aux États-Unis.
Son roman "The Healing" (1998) est finaliste du National Book Award.

En 1998, après une confrontation avec la police à leur résidence, Bob Higgins se suicide et Gayl Jones est mise sous surveillance.
Elle vit actuellement à Lexington, Kentucky, où elle continue d'écrire.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Gayl_Jones

 

En savoir Plus :

Sur le roman


Sur l'esclavage et la ségrégation raciale (USA - Brésil)

Sur les mouvements des droits civiques

Sur le blues Play List


Autres musiques très chouettes

Galerie photos

Billie Holiday

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Ghetto noir à Lexington - Kentucky

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Ghetto noir de Louisville - Kentucky

Quartier du ghetto de Lexington

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