jeudi 3 novembre 2022

Bérengère COURNUT – De pierre et d'os – Le tripode - 2020

 

L'histoire

Uqsuralik, une toute jeune fille inuit, est séparée des siens, lors d'une rupture de la banquise Elle va devoir apprendre à survivre dans un milieu hostile, où les nuits sont longues pour ne pas dire infinies. Un roman sous forme de contes comme nous a habituée Bérengère Cournut.


Mon avis

Ce roman est au programme des collégiens de 4ème, dans la catégorie romans contemporains. C'est aussi une façon de les sensibiliser à la fonte de la banquise. Mais les adultes qui aiment les contes peuvent aussi le lire bien évidemment. L'héroïne reste seule sur la banquise avec juste ces chiens et quelques objets, elle doit penser à sa survie.

Le roman mêle des poèmes ou chansons à la vie sur un glacier mais aussi des légendes chamaniques, et des légendes inuits. Notre jeune Ulysse aux pays des glaces doit avancer pour survivre et c'est un chemin de vie qui se profile. L'amour de la nature pourtant hostile, l'amitié indéfectible des animaux, les leçons des ancêtres, tout cela est dépeint avec la poésie et l'imaginaire que l'on connaît à B. Cournut.

Sur cette terre gelée là où le blanc prédomine Uqsuralik doit se diriger à l'instinct, tous ses sens à l'affût.
On la suit, captivé, dans son épopée onirique au cœur de décors vertigineux, de l'imprévisible banquise, de la toundra, des fjords, des iceberg, des chenaux dessinés dans la mer de glace sous les pleins soleil de minuit, les aubes blanches et bleutées, la brume opaque ou le blizzard.
La superbe écriture de Bérangère Cournut parvient à installer une ambiance fantastique où se mêlent rêves, voyages de l'âme, cérémonies rituelles, chants célestes, recherche identitaire mais où il est aussi question d'amour, d'enfantements, de transmissions et de deuils.
Cette guerrière des temps anciens, cette femme en devenir, affronte la famine, fraie avec certains esprits se protège contre d'autres.
Elle fera des rencontres étranges comme celle avec « l'homme-lumière » ou le géant sous la glace.
Se déplaçant de campements en maisons communautaires elle chasse, pêche, tanne, coud, dépèce confectionne, construit. Son parcours la transformera à jamais.

Bérengère Cournut a adopté une démarche d'ethnographe en s'immergeant dans la bibliothèque du Muséum d'histoire naturelle ( plus particulièrement dans les fonds polaires de Jean Malaurie et les fonds d'archives de Paul-Emile Victor ),
Un carnet de photographies en prime, ce roman merveilleux est à lire sans hésitation.



Extraits :

  •  Depuis que je sais qu'un enfant est là
    Qu'un enfant va passer par moi
    Je ris, je ris en secret
    Je ris comme une brassée de palourdes
    Qui roulent depuis les collines
    Jusqu'aux galets lourds
    Du rivage.
    Et depuis plusieurs lunes
    Que le sang bat et reste en moi
    J'ai l'impression que
    Sous la banquise
    La mer rit avec moi.  (chanson)

  • Chant du vent et de l'orage
    Nous sommes l'été
    Nous sommes le Nord et le Sud
    Nous sommes les vents violents
    Qui soulèvent la terre et l'eau
    Nous sommes la chaleur et la fièvre
    Nous sommes l'air vibrant dans la lumière
    Nous sommes le sang qui coule
    Dans tes veines et sous ta peau
    Nous sommes les esprits puissants
    Dans des corps encore débiles
    Que personne à part toi
    Ne sent ne palpe,
    Ni ne voit

  • Je sais maintenant, grâce à mon propre chant, me propulser hors de mon corps jusqu'au monde des esprits. J'apprends petit à petit à dialoguer avec eux sans avoir peur. Le voyage est pourtant terrifiant. J'ai chaque fois l'impression qu'on m'arrache les entrailles. Mon cœur vient taper contre mes oreilles, une sensation de vertige m'assaille.

  • Nous découvrons ensemble, avec la même joie, le même émerveillement, le tout nouveau manteau de neige. Désormais, le jour naît de la terre. La faible clarté du ciel est généreusement reflétée par une infinité de cristaux. La neige tombée durant la nuit est si légère qu'elle semble respirer comme un énorme ours blanc.

  • Nous allons loin parfois. Au-delà de la baie, au pied des icebergs qui passent au large. Ces géants de glace sont comme des montagnes posées sur l'eau. Aux heures où le soleil monte dans le ciel, ils sont éblouissants, on ne peut pas les regarder sans se blesser les yeux. Ils parlent une langue étrange — de succion, d'écoulements et de craquements. Ils sont plus imprévisibles encore que la banquise.

  • Il faut aussi entretenir les lampes, car le grand froid est venu tôt cette année - bien avant la naissance des phoques annelés. C'est à cause de Pilarngaq, le vent femme qui souffle depuis les grandes glaces tout là-haut. Seuls les hommes sortent encore pour chasser, sans pouvoir rester longtemps dehors.

  • Naja m’a aidée à atteindre cet état d’extase qui permet de rejoindre l’espace céleste. Je sais maintenant, grâce à mon propre chant, me propulser hors de mon corps jusqu'au monde des esprits. J’apprends petit à petit à dialoguer avec eux sans avoir peur. Le voyage est pourtant terrifiant.

  • Tous ceux qui nous ont rejoints cet hiver-là étaient des parents plus ou moins proches. Je continue d'attendre l'étranger qui viendra.

  • Car naître ou mourir, cela est si proche...
    Les femelles le savent
    Qui naissent et meurent
    Comme chaque être vivant
    Et qui deux,quatre ou huit fois dans leur vie
    Donnent naissance à un, deux ou quatre petits

  • Il paraît qu'à une époque reculée, on pouvait rejoindre en hiver une île lointaine où le gibier abonde. Depuis, les courants ont changé, et il n'est plus possible de s'y rendre en traîneau. Ainsi se meut notre territoire - dans une grande respiration qui nous entraîne.

  • Je l'ai trouvé en arrivant au pied du glacier. Il avait repris sa forme lumineuse - ample vague verte irisant le ciel. J'ai cherché l'escalier de pierres noirâtres et je l'ai gravi avec les pieds, avec les mains, à la vitesse d'un renard qui détale. Soudain, j'ai senti ses bras sous les miens. L'homme au capuchon m'emmenait dans les airs. Les étoiles tournoyaient autour de moi. Mes membres étaient écartelés dans les quatre directions, mon ventre était agité du même fracas que la banquise en débâcle.

Biographie :

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En savoir Plus :

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Sur leurs légendes


Sur l'art inuit

Sur la fonte de la banquise

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