vendredi 13 janvier 2023

BRIT BENNETT – l'autre moitié de soi – Autrement 2020 ou poche « J'ai lu »

 

L'histoire 

En 1954, les jumelles Désirée et Stella fuient Mallard en Louisiane. Un tout petit village fondé et peuplé uniquement de noir à la peau blanche qui peuvent facilement être confondus avec des personnes blanches. Quatorze ans plus tard, Désirée revient avec sa fille Jude, 7 ans, plus noire que le charbon, fruit d'un mariage toxique avec un homme qu'elle fuit. Mais Désirée, mal accueillie dans son village natale en raison de la couleur de peau trop noire de sa fille, a du mal à se faire accepter. Elle n'a aucune nouvelle de sa jumelle don on dit qu'elle aurait épousé un homme blanc, se faisant passer pour une femme blanche. En 1978, Jude part faire des études supérieures à UCLA en Californie et quelques temps plus tard, elle tombe par hasard sur sa tante et la fille de celle-ci (raciste et blanche). Comment cette famille étrange va-t-elle pouvoir se retrouver, à travers les conditions sociales et raciales d'une Amérique qui sort tout juste de la ségrégation ?



Mon avis

Un très joli roman, écrit dans une langue simple et presque douce pour raconter une histoire incroyable. Sur 3 générations nous suivons la famille Vignes. La grand mère Adèle, arrière petite fille du fondateur de Mallard, la ville qui n'existe sur aucune carte postale élève seule les deux jumelles Désirée et Stella, après la mort de son mari. Dans ce village tout se sait, toutes les opinions sont tranchées : on aime pas les blancs qui étaient esclavagistes, mais on aime pas non lus les noirs à la peau trop sombre qui rappelle aussi les conditions de jadis et le peu de révolte. Bref à Mallard on est unique et plus les bébés ont la peau clair et les cheveux roux-blonds plus on est heureux. Mais on s'ennuie terriblement aussi dans cette bourgade repliée sur elle-même et ses traditions. Les deux jumelles ne veulent pas aller faire des ménages dans les luxueuses propriétés des maisons des anciens esclavagistes. Alors elles décident de fuir, et abandonner leur mère, se promettant de lui envoyer de l’argent pour qu'elle aussi ne s'épuise pas. Arrivée à la Nouvelle-Orléans, elles trouvent des jobs miteux avant de chacune saisir leur chance. Stella se faisant passer pour une femme blanche devient secrétaire et finit par épouser son patron, un homme très riche, dont elle a une jolie petite fille blonde aux yeux bleus nommée Kennedy. Désirée travaille pour le FBI et rencontre son mari, un noir qui très vite la tabasse. De cette union naît Jude, à la peau plus sombre que la nuit, habituée au racisme quotidien fuit elle aussi Mallard pour étudier à Los Angeles. Sans amis à la fac, elle se lie avec des drag queens (qui ont de respectables métiers le jour) et rencontre l'amour de sa vie avec Reesen en pleine mutation sexuelle, qui lui aussi a du fuir sa famille, connaître la rue et sa misère. 

Et puis Stella, la femme double. Celle qui s'assimile à une blanche, vivant dans le confort du mensonge mais angoissée par la peur qu'on devine ses origines. Stella qui a tout, le bon mari, la belles maison, le confort luxueux d'un palace dans le quartier le plus huppé de Los Angeles. Secrète, perpétuelle insatisfaite, elle rêve de devenir une grande mathématicienne.Sa fille Kennedy, élevée dans ce luxe cède à la paresse, arrête ses études au grand désespoir de ses parents pour finir actrice minable de série B. Avec Jude, elle entamera une amitié qui réunira peut-être une famille totalement éclatée.

Ici c'est non seulement l'héritage et la quête d'identité sur ce qu'on est vraiment que le racisme ou les racismes, des blancs envers le noirs et inversement qui est décortiqué au sein d'une famille presque exclusivement féminine. Les hommes que l'on croise, à part l'ex-mari de Désirée sont des faire-valoir, des hommes gentils, qui aiment sans se poser de question de couleur de peau.

Avec cette histoire totalement originale, pour son deuxième roman, Brit Bennett porte un autre regard sur le racisme et prône la tolérance. Elle y adjoint aussi la bienveillance à la lutte LGBT, parce que les causes sont les mêmes, l'ignorance, les clichés, le poids de l'histoire. On a comparé cette jeune autrice à Toni Morrisson. UN roman captivant, qui sous une apparence nonchalante porte des thèmes forts.


Extraits :

  • Il laissa le silence s'installer, la dévisageant. Puis elle sentit sa main sur sa nuque. Tendre, presque comme on consolerait un enfant en pleurs. C'était tellement déstabilisant, tellement différent de sa brusquerie habituelle, qu'elle resta sans voix. Soudain, il tira sur son foulard. Les traces commençaient à s'estomper mais, même dans la pénombre, l'hématome qui s'étalait sur son cou était encore bien visible. Tous ces gens qui s'extasiaient sur la clarté de son teint quand elle était enfant, aucun ne l'avait prévenue. Personne ne lui avait dit que la colère d'un homme marquerait plus facilement sa peau.

  • C’étaient de braves gens, d’honnêtes citoyens qui donnaient aux bonnes œuvres et grimaçaient devant les reportages où l’on voyait des shérifs matraquant des étudiants noirs dans le Sud. Ils pensaient que ce Martin Luther King était un orateur remarquable, approuvaient peut-être certaines de ses idées. Jamais ils ne lui auraient tiré une balle dans la tête, et peut-être même avaient-ils pleuré à son enterrement – dire qu’il laissait des enfants si jeunes –, mais de là accepter qu’il s’installe dans le quartier, il y avait un monde. 

  • Elle n'était pas idiote au point de croire qu'un jour elle serait claire, mais marron, pourquoi pas ? Tout, sauf ce noir infini. Elle essaya donc de conjurer le sort. Elle avait vu une publicité pour Nadinola dans 'Jet', une femme caramel (...) souriante, la bouche écarlate, un homme lui parlant à l'oreille : 'La vie est plus belle quand on a le teint frais, lumineux, clair-Nadinola !' Elle avait arraché la publicité et l'avait pliée en quatre. Elle l'avait gardée sur elle pendant des semaines, la dépliant si souvent que les plis blancs fendaient les lèvres de la femme. Une crème, c'était tout ce dont elle avait besoin. Elle s'en tartinerait la peau et, à la rentrée, elle retournerait à l'école métamorphosée.(Jude)

  • Mentir, elle savait faire. La seule différence entre le mensonge et le théâtre, c’était le public : dans un cas, il n’était pas au courant, dans l’autre, si ; mais au bout du compte il s’agissait toujours de jouer un rôle. (Stella)

  • Son père était si clair de peau que, par certains matins glacials, elle pouvait voir le bleu de ses veines quand elle retournait son bras. Mais rien de tout cela n’avait fait de différence, le jour où les Blancs étaient venus le chercher, alors qu’est-ce que ça pouvait bien faire d’avoir le teint clair ?

  • Quand on a une jumelle, on a parfois l’impression de vivre avec une autre version de soi. Tout le monde a sans doute ce fantasme d’un soi alternatif. Sauf que le sien était réel. Stella se réveillait le matin face à elle-même. Certains jours, elle lui paraissait une étrangère. Pourquoi est-ce que tu ne me ressembles pas plus ? pensait-elle. Comment suis-je devenue moi et comment es-tu devenue toi ?

  • Barry se vantait de sa capacité à compartimenter sa vie. " J'obéis à la Bible, lui avait-il dit une fois. Fais en sorte que ta main droite ne sache pas ce que fait la gauche." Il était Bianca, deux samedi par mois et, le reste du temps, elle n'existait pas. (...) . Bianca avait sa place et Barry la sienne. On pouvait vivre une vie coupée en deux . Tant qu'on savait qui était aux commandes.

  • Sous les applaudissements de ses camarades, alors que Stella s’effaçait, avalée par l’obscurité du gymnase, elle s’était enfin sentie une personne à part entière, pas une jumelle, pas la moitié incomplète d’une paire.

  • Une femme avec un cerveau, il n'y a rien de plus effrayant pour un homme.

  • Il était né dans l'Ohio et ne s'était jamais aventuré au sud de la Virginie. Sa mère l'avait poussé à aller étudier à Morehouse, à Atlanta, mais non, il avait préféré l'université d'Etat de l'Ohio. C'était avant la déségrégation des campus. Il avait assisté à des cours où des professeurs blancs ignoraient ses questions. (...) Il sortait avec des filles à la peau claire qui refusaient de lui tenir la main en public. Le racisme du Nord, il connaissait ; celui du Sud, non merci. Si sa famille était partie, c'était pour une bonne raison et il n'allait pas remettre en cause leur jugement. Ces ploucs ne le laisseraient sans doute même pas rentrer chez lui, plaisantait-il. Il arriverait là-bas pour faire du tourisme et se retrouverait à ramasser du coton.

  • Mais Stella était devenue blanche depuis des années maintenant, presque la moitié de sa vie. Quand on jouait un rôle aussi longtemps, ça cessait peut-être d'être un rôle. À force de prétendre qu'on était blanc, on le devenait.

  • Elle ne comprenait pas très bien ce dont il parlait, mais elle était heureuse de faire partie d'un nous. On croit qu'être unique, ça fait de soi quelqu'un d'exceptionnel. Non, ça fait juste quelqu'un de seul. Ce qui est exceptionnel, c'est d'être reconnu et accepté.

  • Après le campus idyllique, ses immenses pelouses vertes, les vélos qui sillonnaient les allées, et les bâtiments de brique où elle pénétrait toujours avec une certaine révérence, baissant la voix comme si elle était à l'église, West Hollywood lui faisait l'effet d'un autre monde. A la résidence universitaire, elle côtoyait une ambition acharnée ; lorsqu'elle rentrait chez elle, elle croisait des gens dont les rêves de célébrité avaient déjà été brisés. Des cinéastes qui travaillaient dans des magasins Kodak, des scénaristes qui enseignaient l'anglais aux migrants, des acteurs qui jouaient des spectacles burlesques dans des bars miteux. Tous ceux qui ne réussissaient pas à percer faisaient partie intégrante de la ville ; sans le savoir, partout on marchait sur des étoiles à leur nom.

  • A la Nouvelle-Orléans, Stella se divisa en deux. Elle ne le remarqua pas tout de suite, parce qu'elle avait été double toute sa vie : elle était elle-même et elle était Desiree. Belles et rares, on ne les appelait jamais les filles, uniquement les jumelles, comme si c'était un titre officiel. Elle s'était toujours définie ainsi mais, à la Nouvelle-Orléans, la division s'opéra peu après son renvoi de la blanchisserie. Ce jour-là, à Dixie Laundry, elle rêvassait, songeant à la matinée où on l'avait prise pour une blanche au musée. Ce qui lui avait plu, ce n'était pas tant d'être blanche que d'être quelqu'un d'autre.

  • À Socorro, il s'était enveloppé la poitrine de bandages blancs, et, le temps d'arriver à Las Cruces, il avait réappris à marcher, jambes écartées et épaules carrées. Il se disait que c'était plus sur pour faire du stop. En réalité, il s'était toujours senti Reese. À Tucson, c'était Thérèse qui lui faisait l'effet d'un déguisement. Est-ce qu'une personne était authentique, si on pouvait s'en dépouiller comme d'une vieille peau en mille cinq cents kilomètres ?

  • Quand j'étais petite, à quatre ou cinq ans, je croyais que c'était juste la carte de notre côté du monde. Que l'autre face se trouvait sur une carte différente. Mon père m'a dit que c'était idiot." Son père l'avait emmenée dans une bibliothèque et, quand il avait fait tourner le globe, elle avait bien vu qu'il avait raison. Mais, alors que Reese passait son doigt sur la carte, elle se rendit compte qu'une part d'elle espérait toujours que son père s'était trompé, qu'une partie du monde restait à découvrir.

  • When you married someone, you promised to love every person he would be. He promised to love every person she had been. And here they were, still trying, even though the past and the future were both mysteries.

  • But what had changed about her? Nothing, really. She hadn't adopted a disguise or even a new name. She'd walked in a colored girl and left a white one. She had become white only because everyone thought she was.

  • There was nothing to being white except boldness. You could convince anyone you belonged somewhere if you acted like you did.

  • The world worked differently than he'd ever imagined. People you loved could leave and there was nothing you could do about it. Once he'd grasped that, the inevitability of leaving, he became a little older in his own eyes.


Bibliographie

Née en 199 en Californie, Brit Bennett est essayiste et romancière afro-américaine.
Elle est diplômée à l'Université Stanford et titulaire d'un MFA à l'Université du Michigan. Elle y a également remporté le prix Hopwood de la Nouvelle des étudiants ainsi que le Prix Hurston/Wright des écrivains de faculté.
Ses travaux ont été publiés dans les magazines The New Yorker, The New York Times, The Paris Review et Jezebel.
"Le cœur battant de nos mères" ("The Mothers", 2016), son premier roman, a été sur la liste des best-sellers du New York Times et finaliste de nombreux prix littéraires. Il a été acheté par la Warner pour une adaptation cinématographique.En 2016, elle fait partie des 5 lauréats de la National Book Foundation parmi 35 candidats sélectionnés.
Brit Bennett vit à Los Angeles.

En savoir plus :


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la dépigmentation des peaux noires


Sur la situation actuelle des transgenres aux USA


Sur la situation des afro américains en Louisiane


Mariage interraciaux

Couleurs de peaux


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