mardi 31 janvier 2023

GULIA CAMANITO – L'eau du Lac n'est jamais douce – Gallmeister 2022 – ou Totem poche

 


L'histoire

Rome, année 2000. Gaia est la cadette d'une famille pauvre de Rome dirigée d'une main de fer par Antonia sa mère. Un personnage cette mère, qui doit gérer un mari en fauteuil roulant, un fils aîné révolutionnaire, sa fille, et les deux petits jumeaux. Il lui faut un logement social, et ça elle va l'obtenir car plus obstinée qu'Antonia cela n'existe pas. Elle dirige d'une main de fer sa famille, mue par une volonté farouche et implacable. Si Mariano l’aîné « démissionne » et va vivre chez sa grand mère à Ostie, c'est sur Gaia que se tourne sa mère. Elle fera des études supérieures, tant pis si elle est malmenée à l'école, au collège, au lycée, à la fac parce qu'elle n'est pas bien habillée, qu'elle n'a pas d'objets à la mode, qu'elle ne vit pas une adolescence heureuse. Et ça Gaia qui cultive la rancœur et la méchanceté va savoir les utiliser pour qu'on lui rende justice.


Mon avis

Encore une jeune héroïne que nous suivons de l'enfance à sa vie de toute jeune femme mais Gaia ne ressemble à personne. Ce n'est pas une Duchess, une Turtle, une héroïne américaine, mais une italienne faite de rage, de glace et de feu.

Elle est sous la coupe d'une mère autoritaire, qui sait faire régner la terreur chez elle ou ailleurs pour réparer une injustice. Elle veut un foyer pour ses enfants, autrement dit autre chose qu'une pièce en sous-sol à Rome, non un appartement pouvant accueillir dignement sa tribu. Elle en a bien un, de vrai, de beau, de cossu mais sans le savoir elle a été spoliée, mais c'est une histoire dans l'histoire (inspirée d'un fait réel nous explique l'autrice). Pour Antonia seul le savoir peut ouvrir des perspectives d'une vie sans pauvreté, et elle surveille les devoirs de sa fille, l'encourage parfois durement à lire, bref dans son raisonnement de femme très pauvre, Antonia a parfaitement raison. Mais elle n'a pas, elle ne sait pas donner de l’amour. Et en obligeant sa fille à aller dans des collège et lycée pour riches, elle la condamne à être une paria. Mal habillée, mal coiffée, parce qu'on a pas d'argent la jeune fille est ostracisée. Faire valoir de ses rares amies, trahisons amicales et amoureuses, Gaia montre alors sa cruauté, toute cette rancune accumulée qui devient violence.

L'écriture est âpre et sans concession, Gaia n'est pas empathique et c'est le choix de l'autrice, mais pourtant on l'aime cette jeune rebelle, on la comprend, on ferait comme elle si notre morale n'était pas de plomb. La dureté de Gaia correspond à la dureté des pauvres et des exclus de Rome, la ville éternelle, la magnifique.

Avec ce cri de colère, Gulia Caminito nous trace le portait implacable de la pauvreté, de l'injustice sociale , des revendications féministes à travers cette fille border-line mais dont la force de caractère nous fait réfléchir à la notre, à nos conditions de vie et nos petites ou grandes soumissions et insoumissions.

La lecture n'est pas facile, parce que très concentrée sans superflu, mais parfois l'autrice se permet une petite échappée lumineuse dans une nature rêvée qui sont comme des pauses dans ce récit troublant.


Extraits :

  • Puis je le vois, droit et robuste, mon dictionnaire, il est là, placide, il ne craint ni jugements ni méchancetés, alors je l’agresse, parce qu’il a été le premier à me mentir, à me faire croire qu’avec les mots je changerais ma vie, la réécrirais, la narrerais, la narrerais à la première personne, mais non, ce sont toujours les autres qui nous racontent, ce sont eux qui trouvent nos définitions, nos crochets, nos racines.

  • Moi j'ai été un cygne, on m'a implantée ici, j'ai voulu m'adapter de force, et puis j'ai agressé, je me suis débattue et bagarrée y compris avec ceux qui s'approchaient avec leur quignon de pain dur, leur aumône d'amour.

  • Je regarde ma main ouverte, ses cheveux tombent de mes doigts, le vent les emporte et emporte mon premier amour avec eux.

  • Je devrais lui dire que c’est lui qui a tué Carlotta, lui et les garçons comme lui, ceux qui ont lavé leur conscience en se rendant à son enterrement, mais qui avaient honte quand elle leur proposait d’aller prendre une glace ensemble, ceux des cagibis, des recoins et des coulisses, ceux des touche-moi mais reste derrière moi, je ne veux pas voir ton visage.

  • J’ai une grande fascination pour les fleurs, pas pour celles, si rares, qui poussent spontanément dans notre cour, des petites marguerites printanières très fragiles, mais pour les roses des jardins des autres, le jasmin, les hortensias, que je vois pointer dans la rue et que j’ai envie de cueillir quand je passe devant avec ma mère.

  • Ma seule, mon unique mission est d’éviter les mauvaises notes, de réviser dans le train et, l’après-midi, de montrer à ma mère que je fais ce qui est bon pour moi, éviter qu’elle soit convoquée au collège, parce que sinon elle devrait expliquer pourquoi elle s’y rend seule et puis elle devrait expliquer quel travail elle fait et puis elle devrait expliquer d’où nous venons, et moi toutes ces explications je ne veux pas les donner.

  • Nous sommes assez jeunes pour ne pas être encore obsédées par notre corps et celui des autres, mais déjà assez âgées pour pressentir qu’au fil du temps notre façon de nous regarder deviendra une guerre muette, nous appartiendrons à des factions ennemies et nous nous décocherons des flèches empoisonnées dans le dos.

  • POUR GRANDIR, il faut travailler dur, l’enfance est de courte durée, on ne sera pas défendu, soigné, abreuvé, lavé, sauvé pour l’éternité, pour chacun vient le moment de prendre son existence en main, et le mien est arrivé.

  • Je pense que nous sommes du matériel de rebut, des cartes inutiles dans un jeu compliqué, des billes ébréchées qui ne roulent plus : nous sommes restés inertes par terre, comme mon père tombé d’un échafaudage inadapté sur un chantier illégal, sans contrat et sans mutuelle, et de là, de l’endroit où nous avons atterri, nous voyons les autres mettre des colliers de pierres précieuses à leur cou.

  • Je me suis défendue,reprenant possession de cette rédaction où j’avais définitivement mis au pilori la jeune moi, l’enfance sans défense des jeux salubres, cette époque où je ne savais pas frapper et où j’attendais qu’Antonia me défende, où je pourrais la voir ou voir Mariano pour les informer des atteintes subies par ma petite personne garnie de mies de pain.

  • Quand une menace vient de l’extérieur, nous serrons les rangs, nous brandissons nos boucliers, nous nous défendons, nous mentons pour les autres, feignons des malaises, livrons bataille contre des parents oppressants, des enseignants tyranniques et des mauvaises langues.

  • En outre, je ne suis pas faite pour les amitiés, je ne comprends pas leurs dynamiques, leurs malentendus, je ne sais pas quand il faut répondre, quand rester à l’écart, je ne peux pas les inviter chez moi, personne ne peut me déposer chez elles, ma mère dit qu’elle ne m’autorisera pas à sortir l’après-midi avant l’année prochaine, je ne suis pas séduisante, je n’ai rien de nouveau à apporter, je n’ai pas de jeux, pas de maquillage, pas de robes à prêter, je ne peux partager que les sweats de mon frère, les couches des jumeaux, le fauteuil roulant de mon père.

  • Ici, les gens ont la manie de donner des surnoms, ils ont besoin de te rebaptiser, tous ceux qui comptent y passent, le surnom peut venir du travail que tu fais, de l’endroit où tu vis, de l’histoire de ton grand-père, tu peux être le Poissonnier, la Grenouille, le Souillon, et jamais personne ne pourra t’enlever le nom qui t’a été donné, ce sera pour toujours ton habit taillé sur mesure.

  • Chacune de nos caractéristiques est pour moi un atroce défaut. Nos taches de rousseur sont pires que de l’acné, nos yeux ne savent être ni vraiment verts ni vraiment marron, notre peau trop claire semble maladive et, surtout, nos cheveux portent la poisse.

  • Selon la théorie maternelle, ceux qui ne te connaissent pas ne t’aident pas, alors nous restons là où les gens savent qui nous sommes, où ma mère peut tisser des liens de protection et d’identification, petits et grands.

  • La professoressa....viene a insegnare educazione fisica in gonna di tweed e stivaletti, ha sempre le unghie fucsia e un basco in testa, è più il tempo in cui fuma che quello in cui corre. La prof vient faire le cours d'éducation physique en jupe de tweed et bottes, a toujours les ongles vernies couleur fuchsia et un béret sur la tête, et passe plus de temps à fumer qu'à courir.


Bibliographie

Née à Rome en 1988, Giulia Caminito est diplômée en philosophie politique.
Son premier roman, "La grande A" (2016) a reçu plusieurs prix littéraires prestigieux. "Un jour viendra" ("Un giorno verrà", 2019), son deuxième roman et le premier traduit en France, se déroule dans le village d’origine de sa mère, à Serra de’ Conti dans les Marches italiennes, sur les hauteurs d’Ancône.
En savoir plus :


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la pauvreté à Rome


Sur les quartiers de Rome

Sur Anguillara ( ville au nord est de Rome).

Anguillara présenté dans le roman est une ville dans le Latinum à 50 km de Rome. A coté du village traditionnel, il y avait une zone HLM défavorisée. Pour la beauté du lac Martignano, un « effort » a été fait par la Mairie. Les populations pauvres sont revenues vers Rome, notamment dans les quartiers du Subure et du Tratesvere

Play List

La famille de Gaia n'écoute qu'une petite radio, surtout les infos, mais Antonia la ère aime la chanson italienne :


 Photos

 

Quartier pauvre deSubburra

Suburra

Suburra



Hlm banlieue romaine



Anguillara et le lac Martignano

Rue du village d'Anguillara

Le Corto Treste quartier ultra chic de Rome

Corto Trieste

Corto Trieste dans le quartier riche Parioli

Le lycée Cassia à Rome où étudie Gaia.

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