vendredi 3 février 2023

JOHN BROWN – Lady Chevy – Albin Michel - 2022

 

L'histoire

Amy, 18 ans est surnommée Chevy car elle n'est pas filiforme mais bien en chair. Alors qu'elle doit envoyer des dossiers pour l'Université, elle s'intéresse plus à la fracturation hydraulique dont elle est persuadée qu'elle rend malade les gens et notamment son petit frère. Avec un ami, Paul, elle va se lancer dans un acte « d’écoterrorisme », mais le plan de se déroule pas comme prévu Avec son fort caractère, elle va pourtant déjouer les mailles de la police qui se tricotent autour d'elle.


Mon avis

Décidément, la tendance littéraire de ces dernières années est aux jeunes héroïnes, ce que confirme ce roman qui a été considéré comme un best-seller aux USA.

Amy est une personnalité sombre. Méprisée au lycée parce qu'elle est trop grosse, elle vit aussi dans la pauvreté dans un mobile-home dans une vallée perdue de l'Ohio. Son père est alcoolique, sa mère absente, son frère difforme et largement handicapé. Pour survivre, le père a vendu ses terres à une entreprise de forage de gaz de schiste, par fracturation hydraulique. Mais Miss Chevy a du caractère et une force puisée dans la colère et l'injustice. Elle n'oublie pas que son grand-père fut un membre actif du Ku Klux Klan, un oncle néo nazi qui a fait la campagne d'Irak. Une famille qui est un carcan dont Amy doit se libérer. Elle accepte donc d'aider Paul, son ami/amoureux dans un acte de sabotage. Paul lui pense que les mines de charbon ont tuées son père.

A coté du récit à la première personne d'Amy, il y a les policier Hasting, un homme cultivé, qui a transformé la médiocrité de sa vie de petit flic en haine raciste et en méchanceté gratuite.

C'est l'Amérique de Trump qui ici se révèle. En faisant semblant de prendre le parti des « rednecks », ces blancs qui pensent « grand remplacement », fin du monde et qui ne sont que des faibles, face à des histoires personnelles qu'ils n'ont pas su gérer et pris dans le tourbillon de la Grande Histoire.

Pour contrebalancer ce roman noir, il y a heureusement la présence lumineuse de Lady Chevy avec humour qui rejette les idées d'une Amérique sans repères, fracturée politiquement et socialement, et où l'écologie n'est qu'un mot qui ne fait pas sens. Dans ce monde violent, désabusé, cynique, l'auteur nous pose cette question fondamentale : qu' adviendra-t-il demain si la haine, le non respect de la terre et les fractures sociales grandissent insidieusement ?

Ici on parle des petits blancs qui se sentent déclassés, de l'Amérique rurale qui se laisse piétiner pour les dollars de l'industrie sale. Les personnages sont ambivalents, complexes, perdus mais sans caricature qui aurait plombé ce premier roman. Et cette anti-héroïne bien plus intelligente que tous les autres saura analyser, comprendre (sans approuver) les autres : sa famille, sa supposée meilleure amie, l'ambigu Paul et le flic tordu qui ne la coincera pas.

Un roman qui ne laisse pas indifférent. Soit on l'adore dès les premières pages soit on déteste parce qu'on ne rentre pas dans l'intrigue qui se dénoue lentement. Mais pour un premier roman c'est une réussite totale, en plein écho avec les remous de nos sociétés, et sans basculer dans l'illégalité nous invite à la plus grande vigilance face aux extrêmes.


Extraits :

  • Je me demandais ce qu'il trouvait de plus à Marybeth et à Olivia. Toutes deux sont plus minces que moi, bien évidemment. Toutes deux ont des seins qui remplissaient ce soir-là leurs robes splendides, avec ce sillon qui fait miroiter tant de possibilités aux yeux des hommes. De mon point de vue, ça ressemble juste à une raie des fesses, fortuitement placée entre deux boules de graisse

  • Les garçons ne tardent pas à parler de Call of Duty, à se vanter de leurs statistiques et de leurs frags. Ils jouent à la guerre et je soupçonne ces jeux vidéo de les conditionner secrètement à tuer un jour pour de vrai sur le champ de bataille. La guerre est véritablement le jeu ultime, selon mon oncle Tom, le seul où l'on peut vraiment perdre la vie ou la gagner.

  • J'ai toujours adoré l'hiver parce qu'à cette saison la forêt est silencieuse. Plus d'insectes, rien qui morde ou qui pique. Aucun autre son que celui de mes pas, le crissement de la neige, le craquement d'une grosse branche gelée. Mon haleine fait comme des volutes fantomatiques, et je m'imagine mon âme qui s'élève.

  • Cet univers se définit par une succession perpétuelle de création et de destruction, cosmos indifférent de matière bouillonnante dans la noirceur de l'espace infini. C'est de la science, des faits. C'est la seule vérité qui compte. Ce qui est visible sous le soleil n'est que l'illusion de la vie. Et la nuit le voile tombe, juste ce qu'il faut. Le jour viendra où seules les ténèbres bougeront.

  • Ils me dévisagent. Ils me scrutent pour éviter de se regarder. L’air de ma chambre est tellement saturé de foutaises et d'hypocrisie que même un courant d'air ne pourrait pas passer.

  • On m'appelle Chevy parce que j'ai le derrière très large, comme une Chevrolet. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.

  • Ce sont nos différences qui nous définissent, qui nous séparent à jamais, malgré tous nos grands discours sur l’égalité.

  • Si vous ne croyez pas que la vie se résume à une lutte interraciale, demandez à un indien d’Amérique, à supposer que vous arriviez à en trouver un.

  • "C’est pour vous conditionner à vivre dans un État policier. Ça commence par la sonnerie qui retentit tous les matins, huit heures de cours, et tu deviens vite l’esclave d’une entreprise qui reste vissé à un bureau sans âme de neuf heures à dix-sept heures, paye assidûment ses impôts au complexe militaro-industriel, envoie ses enfants à la guerre, et vote pour les gens que la télévision lui dit d’élire. Tout ça en exerçant les compétences intellectuelles limitées auxquelles on t’a appris à te fier. Ils te prennent très tôt en main, dans les années les plus formatrices de ta vie. C’est la plus grosse machine à laver le cerveau de cette nation. " (oncle Tom)

  • Dans les ténèbres, je me sens à l’aise, je me sens puissante. Peut-être y’a t’il vraiment de la cruauté en moi. Acquise ou innée, je n’en sais rien. Peut-être que je voulais simplement voir ce qui arriverait. Peut-être que je voulais sortir de l’ombre et prendre part à ce combat. Peut-être que personne ne sait pourquoi les gens agissent comme il le font.

  • Il n’y a pas eu que ces connasses. Dès l’âge de six ans, me lever pour aller à l’école a constitué un acte de bravoure et de résilience. On se moquait de moi parce que j’étais grosse, parce que j’étais pauvre. On ne se lassait pas de me rabaisser. Je savais qu’ils riaient tous dans mon dos, que tout le monde avait une mauvaise blague à balancer sur mon compte.


Biographie

Né à Ely, John Woods est un auteur américain. Il a grandi dans les Appalaches de l'Ohio. Il est l'auteur du roman, "Lady Chevy", et du recueil de nouvelles liées, "Something tender" (chez l'éditeur Albin Michel en France). Sa fiction se déroule dans la vallée de l'Ohio et explore le désespoir d'une petite ville et la dégradation de l'environnement. Son écriture est un croisement entre le noir littéraire et l'horreur psychologique. Il a publié des nouvelles dans les revues Meridian, Midwestern Gothic, Fiddleblack et The Rag. Il vit à Yorktown, en Virginie.
En savoir plus :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la fracturation hydraulique :

Sur l'Ohio

Sur les rednecks (ploucs)


Play List

Il existe une musique dite « redneck », sorte de country.

On trouvera quelques sites mais je déconseille

Pour contrebalancer je préfère un vrai bon jazz

PHOTOS

Barnesville

Barnesville lycée



Ohio

Maison rurale

Mobils home et puits de gaz de schiste à coté comme dans la maison de Chevy



Puits de gaz de schiste qui explose

Mine de charbon à ciel ouvert dans l'Ohio

Vue aérienne des puits de fracturation hydraulique Ohio


Affiche redneck

Famille redneck

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