mercredi 19 avril 2023

JONATHAN COE – Billy Wilder et moi – Éditions Gallimard 2020 ou poche Folio

 

L'histoire

 En 1976, Calista 21 ans, jeune étudiante grecque quitte Athènes pour un séjour de 3 mois aux USA. A travers d'amicales rencontres, elle se retrouve à dîner à la table du cinéaste Billy Wilder en compagnie de son scénariste Iz Diamond et de leurs épouses respectives. La jeune fille n'a jamais entendu parler du cinéaste, elle s'intéresse à la musique et la Grèce vit sous la dictature des colonels. Un an plus tard, elle est contactée par la production de l'avant dernier film de Wilder « Fedora » pour servir d'interprète, certaines scènes du film se situent dans les îles grecques. Elle se lie d'amitié avec le scénariste qui appréciant cette jeune fille discrète et aimable l'embauche comme secrétaire pour le reste de la production du film en Europe (Munch et Paris). Entre temps, elle s'est familiarisée avec le cinéma.

Alors qu'à son tour ses deux filles quittent le foyer, elle se remémore cette période si particulière de sa vie et ses échanges avec le célèbre réalisateur, dont la carrière est pourtant derrière lui.


Mon avis

Ce roman très agréable à lire comblera les cinéphiles ou encouragera ceux qui ne connaissent pas les films de l'âge d'or Hollywoodien à découvrir un cinéma d'excellence. Si Coe écrit une fiction, il s'est documenté très soigneusement et ce qu'il rapporte au sujet de Monsieur Wilder est totalement exact.

Avec Lubtisch, Franck Capra, J.L. Manckiewictz, J. Huston, A. Hitchcock, Otto Preminger et quelques autres, nous avons le meilleur du cinéma américain, fait par des européens réfugiés aux USA en raison de la guerre 39/45. Autrichien pour Wilder et Preminger, allemand pour Lubitsch et Manckiewicz, anglais pour Hitchcock, ou italien pour Capra. Ils ont produits des chefs d’œuvres encore analysés et admirés aujourd'hui, mais ici nous nous centrons sur le cas de Samuel Wilder dit Billy : 7 ans de réflexion et Certains l'aiment chaud avec Marilyn Monroe, Boulevard du Crépuscule, La garçonnière, il est aussi bien le roi de la comédie rythmée que des tragédies. Scénariste pour Lubitsch, Howard Hawks, John Huston et Richard Zimmerman, Wilder cumule les oscars, pour lui ou pour les vedettes qu'il dirige, et les récompenses internationales. Il reste fidèle à son scénariste IZ Diamond, et à certains acteurs fétiches comme Jack Lemmon, Marilyn Monroe, et William Holden pour des registres plus tragiques.

Mais voilà, à l'aube des années 1980, le cinéma change. Arrive la nouvelle génération, celles des Spielberg, Scorcese, Coppola avec des films où se mêlent des actions violentes, les effets spéciaux se développent et les anciens réalisateurs ne font plus recettes. Les derniers films de Wilder ont été des échecs commerciaux (même si maintenant on les reconnaît comme des grands films. Wilder ne s'est pas habitué à l'évolution du cinéma, il trouve ces films sans subtilités et au jeu d'acteur trop virils, lui qui ne jure que par son maître et ami le grand Lubitsch, qui tout comme Chaplin avec « Le Dictateur » (encore un anglais émigré) avait sorti son succès le plus connu « To be or not to be » contre le nazisme, 2 films aussi drôles que profonds. Pourtant Wilder sait qu'il ne fait pas un bon film. Il ne s'entend pas avec son actrice principale, la jeune Marthe Keller, il ne laisse pas les comédiens la moindre possibilité d'improvisation ou d'adaptation de leurs textes, il peut se montrer aussi odieux que gentil et généreux. Par exemple, c'est l'un des rares réalisateurs qui a su s'y prendre avec Marilyn Monroe, lors du tournage de « Certains l'aime chaud ». L'actrice, sous l'emprise des médicaments ne retenait pas son texte, Tony Curtis habitué aux prises rapides n'en pouvait plus de supporter la star. Wilder allait lui chuchoter on ne sait quoi à l'oreille et obtenait le meilleur de ce que l'actrice avait à donner, avec une patience infinie.Seul le scénariste et meilleur ami de Wilder, Monsieur Diamond, sent que le film tourne à la catastrophe, d'autant qu'au montage, Wilder remplace la voix des 2 actrices féminines par une même voix neutre. En fait il sait très bien qu'avec Fédora et son histoire, sorte de Boulevard du Crépuscule inversé, il signe son testament, ses adieux à son cinéma, tout en reconnaissant en privé que «La Liste de Schindler » que lui-même aurait voulu réaliser est un des meilleurs films qu'il a vu.

En parallèle, dans le roman, il exprime son horreur du nazisme, et noue une petite amitié avec Calista, à laquelle il confie quelques secrets.De son coté Calista, mariée à un anglais et vivant dans une tranquille banlieue londonienne a écrit quelques musiques de films de renom. Mais depuis quelque temps, elle piétine dans sa vie professionnelle, car elle aussi n'arrive pas à se renouveler. Son mariage sombrer doucement dans un gentil quotidien où l'on a plus grand chose à se dire, mais on restera ensemble parce que finalement on est en sécurité. De même, son coté mère-poule l'éloigne de ses filles, l'une va vivre en Australie et la cadette enceinte alors qu'elle est trop jeune hésite à se confier à sa mère.

Si l'accent est mis sur le tournage d'un film qui vire au cauchemar à l'insu ou pas d'ailleurs de son réalisateur, le thème global est la difficulté de compréhension intergénérationnelle dans le domaine artistique notamment.Un livre qui se lit facilement et qui regorge d’anecdotes sur l'un des réalisateurs les plus oscarisés de tous les temps et qui brille par les remarques pleine d'humour de Monsieur Billy.


Extraits :

  • Ah, ce fromage. Ce fromage – et je n’exagère rien – était tout simplement la chose la plus délicieuse que j’aie jamais goûtée de toute ma vie. Les arômes vous parvenaient, l’un après l’autre, chacun plus complexe et plus subtil que le précédent. Je fermai les yeux de façon à les savourer plus intensément. C’est bon, hein ? dit Billy, après un petit moment passé à manger tous les deux en silence ?- Oh oui. - J’ai un petit goût de noisette, un petit goût de champignons. C’est presque comme si, tu vois … comme si on pouvait sentir le goût de la terre, pareil qu’un bon scotch.

  • À Hollywood, la guerre avait paru si loin. Bien sûr, j’avais suivi l’actualité, et je savais ce qui s’était passé. Suffisamment pour comprendre que j’avais pris la bonne décision en quittant l’Europe au moment où je l’avais fait. Certains me traitaient de pessimiste à l’époque. Eh bien, je leur dirais plus tard, ce sont les pessimistes qui ont atterri à Bervely Hills avec une piscine dans leur jardin, et ce sont les optimistes qui ont fini en camp de concentration. Alors oui, j’avais sauvé ma peau. Mais qu’en est-il du reste de ma famille ? C’était ça qui m’empêchait de dormir depuis quelques années — ou me donnait des cauchemars quand je parvenais à dormir.

  • Billy avait rendez-vous, un jour, avec un producteur. Et il lui a dit qu'il voulait faire un film sur Nijinsky. Alors il a raconté toute l'histoire de la vie de Nijinsky au producteur, et ce type l'a regardé, horrifié, en disant: "Vous êtes sérieux ? Vous voulez faire un film sur un danseur classique ukrainien qui finit par devenir fou et passe trente ans en hôpital psychiatrique, convaincu d'être un cheval ?" Et Billy répond: "Ah, mais dans notre version de l'histoire, ça se termine bien. Il finit par gagner le Kentucky Derby."

  • Avec l'âge, les espoirs rapetissent et les regrets grandissent. Le défi, c'est de lutter contre ça. D'empêcher les regrets de prendre le dessus.

  • Monsieur Wilder nous a raconté une anecdote amusante sur les bidets au dîner l'autre soir. Apparemment, la dernière fois qu'il faisait un film à Paris, sa femme lui a demandé d'acheter un bidet et de le lui faire expédier aux Etats-Unis. A la place, il lui a envoyé un télégramme qui disait: "Pas pu trouver de bidet - te suggère de faire le poirier sous la douche."

  • Taxi Driver, j'ai trouvé que c'était un excellent film, par bien des aspects. Mais qui va trop loin. Trop violent - à mon goût. Trop déprimant. Mais c'est la tendance ces temps-ci. Pour prétendre au film sérieux, il faut que tes spectateurs sortent du cinéma avec l'envie de se suicider.

  • J'étais déchirée entre deux émotions contradictoires : la joie de me dire que j'avais partagé cette incroyable expérience, et une immense tristesse à l'idée que c'était presque fini. Ces émotions étaient en train de se bagarrer pour savoir laquelle prendrait le dessus précisément au moment où monsieur Diamond vint me parler. - Je voudrais juste vous dire merci, dit-il, élevant la voix pour dominer le bruit de la musique. C'était formidable de vous voir. Une petite oasis de bon sens au milieu de toute cette folie.

  • Elle s’appelle Marthe. Marthe Keller. Une jeune femme suisse. C’est curieux, non ? Il n’y a pas beaucoup de Suisses ici à Hollywood. Il n’y a pas beaucoup d’actrices suisses tout court. Je n’en vois pas d’autres. C’est un pays qui produit davantage de pendules à coucou que d’acteurs.

  • Je veux dire, répond Billy, qu’avec ce film [tourné en Allemagne] je ne peux vraiment pas perdre. Si c’est un franc succès, c’est une revanche sur Hollywood. Si c’est un flop, c’est ma revanche pour Auschwitz.

  • Je sais que ce film, celui que je suis en train de réaliser, est un de mes plus sérieux, bien sûr - je veux qu'il soit sérieux, je veux qu'il soit triste - , mais ça ne signifie pas, quand les spectateurs quitteront la salle, qu'ils auront l'impression qu'on leur a maintenu la tête dans la cuvette des WC pendant deux heures, tu vois ? Il faut leur offrir autre chose, un peu d'élégance, un peu de beauté. La vie est moche. On le sait tous. Pas besoin d'aller au cinéma pour savoir que la vie est moche. Les gens y vont parce que ces deux heures apportent à leur existence une petite étincelle, qu'il s'agisse de comédie et de rires ou simplement... Je ne sais pas, de belles robes et d'acteurs séduisants, ou n'importe quoi d'autre - une étincelle qui n'était pas là auparavant. Un soupçon de joie, peut-être.

  • Le type qui jouait le docteur Watson dans notre film sur Sherlock Holmes – il y avait une scène où il fallait qu'il danse . Il était dans cette grande scène de danse avec toute une troupe de danseurs de ballet, et il fallait qu'il suive le rythme, mais en même temps il devait continuer à jouer, vous voyez ? Il se passait quelque chose d'important dans cette scène, une émotion qu'il fallait parvenir à rendre. Alors Billy lui dit : «  Colin, dans cette scène, je veux que tu joues comme Laughton et que tu danses comme Nijinsky. » On a fait une prise et ensuite Colin a accouru pour lui demander : « C'était comment ? Comment je m'en suis sorti ? » Et Billy a répondu : « Eh bien, tu n'étais pas loin - tu as joué comme Nijinsky et dansé comme Laughton » Et ça a marché, vous voyez, parce qu'il a tourné ça à la plaisanterie, alors Colin l'a bien pris et tout s'est bien passé.

  • Mon Dieu, ce film avec le requin. Quand est-ce que les gens arrêteront de parler de ce film avec le requin ? Maintenant, tous les crétins de producteurs que compte la ville veulent plus de films avec des requins. Voilà comment ils réfléchissent, ces gens-là. On a gagné cent millions de dollars avec ce requin, il nous faut un autre requin. Il nous faut plus de requins, il nous faut des requins plus gros, il nous faut des requins plus dangereux. Mon idée, c'était un film qui s'intitulerait "Les Dents de la mer à Venise". Vous voyez, vous avez toutes ces gondoles qui sillonnent le Grand Canal, tous les touristes japonais, et puis voilà une centaine de requins qui remontent le canal et se mettent à les attaquer. J'ai soumis l'idée à un type de chez Universal, pour la blague. Il a cru que j'étais sérieux. Il a adoré.

  • Ce fut ma première image, et ma première impression, de M. Wilder. Il portait également des lunettes à verres épais, et malgré son air abattu, ses yeux ne purent s’empêcher de s’illuminer derrière ces lunettes et de pétiller d’amusement en nous voyant approcher de la table, Gill et moi, avec nos tee-shirts minables et nos shorts en jean effilochés. Cet amusement était franc, non dissimulé et assez mortifiant, mais je n’y décelai nulle méchanceté. Il voyait cela comme une situation comique, et la savourait comme telle.

  • D'accord, c'est bien construit et tout, mais plus personne ne s'intéresse à ce genre de choses aujourd'hui. C'est tellement suranné, tellement... vieillot. Et puis tout ce qu'on raconte sur lui, sa manière de forcer les acteurs à prononcer chaque réplique exactement comme elle est écrite, de ne pas les laisser improviser, de ne pas les laisser habiter leur personnage. Pas étonnant qu'ils le détestent tous.

  • Qu'est-ce que je vais devenir, Geoff ? ai-je demandé en lui agrippant les mains. J'ai deux talents. Deux choses qui me donnent une raison de continuer à vivre. Je suis une bonne compositrice, et je suis une bonne mère. Ecrire de la musique, et élever des enfants. C'est ce que je sais faire. Et maintenant voilà qu'en gros, on me dit qu'on n'a plus besoin de ces deux compétences. Sur les deux fronts, je suis finie. Kaput. Et je n'ai que cinquante-sept ans ! Cinquante-sept ans, c'est tout !".J'ai attrapé son verre de whisky et j'en ai pris une lampée. Grossière erreur. Le whisky et le brie ne font pas du tout bon ménage.


Biographie

Né en 1961 à Birmingam, onathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick.
Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil". En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.
"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes. Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard. Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique. Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise 1999.

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Dans l'univers du roman

Je vous laisse le soin d'aller fouiner sur le web pour en savoir plus sur les cinéastes cités, et je vous recommande d'emprunter dans une bonne médiathèque les films suivants :

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