dimanche 13 août 2023

CEDAR BOWERS – Astra – Éditions Gallmeister - 2023

 

L'histoire

La vie d'Astra, de sa naissance dans une ferme expérimentale de Colombie britannique (Canada), à son 3ème âge, vu et raconté par les personnes qui ont croisé son chemin.


Mon avis

Une nouvelle héroïne chez Gallmeister ! Mais ici il ne s'agit plus d'adolescentes comme Turtle (Gabriel Talent), Tracy (Jamey Bradbury), Fay (Peter From), Nell et Eva (Jean Hegland) mais de la vie d'une femme de sa naissance à sa vieillesse.

Astra née dans la ferme de Célestial, un projet utopique de vivre en totale autonomie, pour échapper à la société consumériste, crée par la riche Doris et son ami Raymond. Lequel est le père d'Astra dont il n'assume pas du tout la paternité. Alors que Gloria meurt en couches, Astra est élevée par les femmes de la ferme, puis laissée vagabonder à travers les champs, où elle se casse parfois la figure, ce qui lui vaut une cicatrice au coin de la bouche. Sans éducation, vivant totalement libre, vêtue de vêtements sales, elle même d'hygiène, Astra grandit dans un monde qui ne ressemble plus du tout aux idéaux fondateurs. Les familles sont parties en ville, retrouver une vie normale, reste des hommes et alors qu'Astra devient une très jolie femme, a 17 ans, elle fuit Celestial pour la première ville venue. Elle obtient un emploi de vendeuse, puis enceinte, elle est recueillie par Chris dans une sublime maison. Mère maternelle à souhait, elle n'a aucune autorité sur son fils Hugo. On la retrouve comme baby sitter, logée et nourrie par la jalouse Lauren qui pourtant lui fait reprendre un cursus universitaire. Puis chez Doris, devenue une vielle femme qui ne peut plus supporter les caprices d'Hugo à qui sa mère passe tout. Enfin elle se retrouve mariée à Nick, un brave homme follement amoureux d'elle, dont elle finira par se débarrasser avec la complicité involontaire de sa psychologue, d'autant qu'elle hérite d'une petite fortune car elle est la seule légataire de Doris.

Qui est donc Astra ? Une pauvre gosse laissée à l'abandon dans l'enfance et qui cherche à tout prix à survivre ? Une manipulatrice surtout avec les hommes ? Une mère trop liée à son fils ? Une femme qui cherche encore un geste d'amour de son père ? Une égoïste ? Pourtant Astra a aussi beaucoup d'empathie, quand il s'agit de consoler Sativa, une autre enfant de Celestial, boudée par sa mère. Elle accompagne avec ferveur les derniers moments de Doris, tout comme elle s'occupera de son père Raymond devenu important et atteint d’Alzheimer, en espérant toujours un geste d'amour profond de celui-ci. Elle ne rompra jamais le lien avec le père biologique d'Hugo, juste pour donner des nouvelles.

L'originalité du roman consiste à décrire Astra à travers les personnages qui ont croisé sa vie, brièvement ou pas. Astra a la ténacité et sait toujours se sortir de mauvaises situations. Quand elle n'est plus la bienvenue, elle part sans faire d'histoires. Seul le dernier chapitre donnera la parole à Astra pour qu'elle nous donne enfin sa vérité.

Ce roman, à l'écriture simple, nous renvoie à nos petits défauts, nos petits mensonges avec nous-mêmes ou avec les autres, mais sans intention de nuire délibérément. Finalement c'est notre condition d'humain, faite de paradoxe qui donne de la force à ce roman, pour une femme qui quoiqu'il en coûte mènera une vie libre, sans aucun regard sur l'avis de la société.



Extraits :

  • Il ne retournera pas au pick-up tant qu’il n’aura pas pris une décision. Le jour où elle lui a annoncé sa grossesse, Gloria a demandé s’il accepterait de la suivre à Vancouver pour fonder une famille – une proposition qu’il a refusée tout net. L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents, pour finir déprimées, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.
    Une autre option consisterait à fuir. Filer avant que le bébé prenne sa première respiration. Ne jamais poser les yeux sur lui. Ne jamais le tenir. Ne jamais connaître son nom. Disparaître, tout simplement. Il suffirait de laisser Wesley à la ferme et de s’engager sur l’autoroute, seul. Constituer une nouvelle équipe d’électrons libres, dans une autre petite ville triste, et tout recommencer à zéro.

  • Dans chaque maison, chaque communauté, chaque endroit à la con où elle a vécu, elle a croisé des filles exactement comme Astra, des femmes exactement comme elle-même. Le plus souvent sans argent ni foyer. Invisibles et préposées aux tâches les plus ingrates : la cuisine, le ménage, les enfants. Pendant ce temps, les hommes péroraient sur l’indépendance, l’amour sans contraintes, le nouveau monde merveilleux qu’ils étaient en train de bâtir, persuadés qu’on pouvait être “libre” – à condition d’en avoir les couilles, bien sûr. Quel ramassis de conneries.

  • Sitôt qu’il comprit qu’elle en voulait plus, il la somma d’emménager dans la yourte avec les autres. Il ne croyait pas aux relations monogames, avança-t-il avec précaution. Il chérissait son indépendance et refusait de s’engager. Raison pour laquelle, selon Gloria, elle n’annonça pas sa grossesse avant le mois de juin, en pleine réunion matinale, au lieu d’attendre qu’ils soient en tête à tête.

  • Doris est loin d’être sentimentale, et pourtant, quelque chose dans ces marches creusées par le temps, la preuve du passage de tant de pieds – dont les siens, ceux de son père et ceux de Raymond – lui procure un sentiment de satisfaction chaque fois qu’elle les gravit. Elle ne saurait dire pourquoi. Peut-être apprécie-t-elle le silence laissé par les disparus, ou peut-être se sent-elle pareille à ce perron, piétinée, patinée. Quoi qu’il en soit, et tant pis pour l’excès de sensiblerie, elle l’aime, cette entrée.

  • Tout comme Gloria, Astra n’était pas prête à devenir mère. Tout comme Gloria, Astra était loin de sa famille et ne bénéficiait d’aucun vrai soutien. Auquel cas, n’avaient-ils pas échoué ? Celestial ? Le féminisme ? C’était presque la fin du siècle, pourtant les femmes continuaient de souffrir, à la merci des hommes.

  • Je vais rester. Mais je ne peux pas faire semblant d’être quelqu’un que je ne suis pas. Je ne peux pas mentir.

  • Clodagh les détestait, ces pleurs, si intenses, si déconcertants. Tout comme elle détestait ce qu’ils révélaient sur la mère qu’elle était. Elle se rappelle avoir regardé le visage contorsionné de son fils et regretté que les enfants n’aient pas été tués. Elle avait vingt-deux ans, sa vie aurait été infiniment plus simple si elle n’avait eu personne à charge, si elle avait pu plonger dans la rivière, la laisser l’emporter à la mer.

  • N’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Nous ne sommes pas des grains de poussières. Nous ne sommes pas des putains d’astres dans le putain de cosmos. Nous sommes des vies humaines empilées sur les traumatismes et les tragédies d’autres vies humaines.

  • Si Doris essaye de poser des limites, soit Astra fait une crise, soit elle l’ignore. Les rares fois où Doris a osé donner un conseil, elle l’a aussitôt regretté. Astra est toujours sur la défensive. À vrai dire, il n’y a pas trente-six manières de le formuler : elle est épuisante.

  • Ses yeux sont froids, inexpressifs. Elle recule, la main tendue devant elle, paume en avant, un geste qui arrête Brendon net. Il est surpris. Apparemment, elle s’est déjà retrouvée mille fois dans cette situation. Un constat dérangeant. Qui est cette fille, au fond ? Comment est-elle devenue ce qu’elle est ?

  • Loin d’être un havre de paix, ces terres ne pouvaient ni les sauver ni effacer le passé. Elles ne protégeaient certainement pas leurs enfants. Dès lors, l’utopie Celestial commença de s’étioler. Ce jour-là, dans le champ, tandis que Raymond pansait les blessures d’Astra sous ce ciel.

  • Et les types qu’on a en ce moment, c’est de la merde. Même pas, la merde vaut mieux qu’eux. La merde aide les plantes à pousser.

  • À l’idée d’être si loin de sa mère, son estomac se noue. Que ferait-elle si une abeille la piquait ou qu’elle se tordait la cheville ou qu’elle voyait un serpent ? Comment Astra est-elle devenue si courageuse ?

  • La liberté s’obtient par la force ou le mérite. Elle ne vous est pas offerte sur un plateau.

  • L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents,pour finir déprimés, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.

  • La première fois que Doris et Raymond ont eu l’idée de la ferme, ils avaient à peine seize ans. Ils voulaient quitter la ville, préserver la planète, bâtir une oasis pour tous ceux qui souhaiteraient les rejoindre. À Celestial, on aimerait qui on voulait et on s’habillerait à sa guise. Il n’y aurait ni chef, ni patron, ni gouvernement – adieu société de surveillance.



Biographie

Née sur l'ile de Galiono, Cedar Bowers est une écrivaine canadienne. Avec son mari, le romancier Michael Christie, et leurs enfants, elle partage son temps entre l’île de Galiano, où elle a grandi, et la ville de Victoria au sud de Vancouver.
Astra est son premier roman traduit en France par les Editions Gallmeister.
En plus d' Astra , Bowers a publié des nouvelles dans divers magazines littéraires.


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vendredi 11 août 2023

JONATHAN COE – La vie très pivée de Monsieur Sim – Editions Gallimard 2011 ou poche Folio

 

L'histoire

Maxime Sim (comme la carte ou l'humoriste) a 48 ans et fait le bilan de sa vie, qui n'est guère brillant. Élevé dans un foyer avec une mère-poule trop vite disparue et un père fantasque qui vit depuis 30 ans en Australie, Max n'a pas fait d'études prestigieuses, il se contente d'emplois comme Vrp ou vendeur affecté au service après-vente. Divorcé de sa femme, il ne voit jamais sa fille. D'ailleurs ils n'ont rien à se dire. Max n'est pas non plus doué pour les rapports sociaux, il n'a pas de vrais amis et à chaque fois qu'il essaye de communiquer c'est un désastre. Mais un voyage promotionnel va tout changer dans sa vie, avec des prises de consciences tardives.


Mon avis

Jonathan Coe n'a pas son pareil pour analyser un individu lambda, et au passage éreinter le consumérisme de masse, et les dégâts des années Thatcher.

Son héros Max n'est ni plus bête ni plus intelligent que la moyenne. Il n'aime pas se cultiver, et surtout ce gaffeur hors pair rate toutes les occasions de se faire des amis, encore plus des petites amies. Il ne sait pas analyser la situation sous d'autres angles que le sien, et raconte sa vie monotone où chaque petit détail qui sort du quotidien aussi infime soit-il, le laisse cogiter pendant des heures. Car des méprises et des gaffes il en commet pas mal, et du coup, il passe totalement à coté de sa vie.

Dépressif, alors que son congé maladie prend fin, il va accepter l'offre d'un ami perdu de vue : à savoir parcourir la distance entre Reading et les îles Shetland (Est de l’Écosse) pour promouvoir une nouvelle marque de brosse à dents écologique (en bois et à tête changeante, une idée qui n'existait pas lors de la parution du livre d'ailleurs mais qui est aujourd'hui reconnue comme une alternative au plastique). Avec une Toyota tout neuve et un GPS dont il va tomber amoureux de la voix. Mais sans respecter l'itinéraire il va devoir faire des détours, passer par l'appartement de son père resté dans son jus pour y récupérer un dossier, retrouver un amour de jeunesse, revoir sa fille qui est devenue accro à son smart-phone, oublier au passage les règles de diététiques pour préférer les rassurantes chaînes de burgers ou de pizzas. Max crève de solitude, mais découvre des vérités sur son père, sur lui-même aussi. A cela s’entrelace l'histoire vraie d'un marin qui devait participer à un tour du monde (en 1967) et qui a triché en tenant un faux journal de bord et un vrai où il note ses angoisses, son errance quelque part en Atlantique et dont les noms ont une résonance familière avec l'histoire de Max.... Étrange. D'autant que Jonathan Coe a un autre tour dans son sac sur une fin inédite.

Le tout écrit avec, on le ressent, le plaisir d'écrire, l'humour so british mais aussi, une mine de réflexions. Sur la société ultra connectée et sur le hasard. Car Max ne sait pas saisir les opportunités (et il le fait presque consciemment en plus), La société ultra connectée, Max ne la connaît pas vraiment : il a bien son compte sur FB (70 amis qui ne lui écrivent jamais), un smart-phone qu'il oublie de recharger, une voiture équipée de super-gadgets dont il ne se donne pas la peine de comprendre le bon fonctionnement. Sa solitude lui pèse mais en même temps il ne supporte pas trop de bavardages inutiles selon lui.

Et tout cela est sans compter sur la perversité de l'auteur qui par une subtilité littéraire nous fait tout remettre en question. Et là c'est très bien joué, cela apporte la dernière dose d'un humour qui finalement fait d'une personne banale un héros qui nous tient en haleine sur 450 pages.

A lire absolument pour plonger dans les campagnes anglaises, le monde merveilleux du business et autres travers de notre société.


Extraits :

  • Je lui ai dit : tu te rends compte que s'il y a une chose qui insupporte les gens de mon âge, c'est bien que les gens du vôtre leur fassent des sermons ? Regarde le monde autour de toi. Ce monde-là, c'est vous qui nous l'avez légué. Vous croyez qu'on peut se payer le luxe d'avoir des principes ? J'en ai marre d'entendre dire que ma génération a perdu ses repères, qu'elle est matérialiste, qu'elle n'a plus de projet politique. Tu sais pourquoi on est là ? Vas-y, au hasard. Ben oui, c'est parce que vous nous avez élevés comme ça. Pour vous, nous sommes peut-être la génération Tatcher, mais ce qu'on voit, nous, c'est que c'est vous qui l'avez élue, et réélue, et qui avez élu après elle des gens qui marchaient sur ses traces. C'est la faute de votre éducation si nous sommes des zombies consuméristes. Vous avez bazardé toutes les autres valeurs, non ? Le christianisme, rien à foutre. La responsabilité collective, on voit où ça mène. Produire, fabriquer ? C'est bon pour les losers. Ouais, on n'a qu'à aller les chercher en Asie : ils vont tout faire à notre place et on n'aura plus qu'à rester le cul devant a télé pour voir le monde partir en vrille, le tout sur grand écran et avec la HD, bien sûr .

  • On aurait dit que la lecture était devenue une obsession, chez Caroline. Elle dévorait régulièrement deux ou trois livres par semaine; des romans, surtout; des romans "littéraires" ou "sérieux", comme on dit (je crois). "C'est pas un peu répétitif, au bout d'un moment? Ils se mélangent pas tous dans ta tête?" je lui ai demandé, une fois. Mais elle m'a répondu que je parlais sans savoir. "Tu es le genre de personne qui ne verra jamais un livre changer sa vie", disait-elle. "Pourquoi veux-tu qu'un livre change ma vie? Ce qui change ta vie, c'est la réalité, c'est se marier, avoir des enfants. - Moi, je te parle d'élargir son horizon, d'élever son niveau de conscience."

  • Les voitures, c'est comme les gens. On va, on vient dans le grouillement du quotidien, on passe à deux doigts les uns des autres, mais le vrai contact est très rare. Tous ces ratages de peu, tous ces possibles irréalisés, c'est effrayant quand on y pense. Mieux vaut éviter soigneusement d'y penser .

  • En tout cas, a dit Clive, l'une des choses dont nous sommes en train de prendre conscience, tous tant que nous sommes, c'est qu'un objet donné, une maison, mettons, ou", avec un coup d’œil dans ma direction, "une brosse à dents, n'a finalement aucune valeur en soi ! Sa valeur n'est que l'amalgame des diverses estimations de divers membres de la société à un moment précis. On est dans l'abstraction, l'immatériel. Et pourtant, ces entités absolument vides qu'on appelle les prix sont la base même de la société. C'est toute une civilisation qui est bâtie sur... du vent, en somme. Du vent, et rien d'autre."

  • Vous savez ce que j’adore en avion ? C’est le dernier endroit où l’on soit injoignable. Totalement libre.

  • Quarante-huit ans, jamais été plus au nord qu'Edimbourg. Il faudrait que je fasse une liste. Une liste des choses à faire avant cinquante ans : sauter à l'élastique, en delta-plane, lire une de ces vacheries de bouquins dont Caroline me rabâchait que ça me ferait du bien, "Anna Karenine, Le Moulin sur la Floss". Trouver quelqu'un à épouser, des gens avec qui coucher, apprendre à ne plus avoir peur de l'intimité, ne plus être aussi solitaire, faire le tour du monde à la voile sur un trimaran.

  • Allez, allez, qu'est-ce que tu en dit? Epouse-moi, viens vivre avec moi et sois ma femme.Qu'est-ce que tu me réponds? Continuez tout droit sur l'autoroute !

  • Mais avec l'âge, je crois qu'il y a des amitiés qui paraissent de plus en plus superflues. On se prend à se demander : A quoi bon ? Et c'est là qu'on arrête.

  • Un visage étroit aux pommettes saillantes (désolé, je ne suis pas très fort pour décrire les gens). [...] Elle portait des vêtement coûteux, avec un foulard en soie-chiffon noir (je ne suis pas non plus très fort pour décrire les vêtements - vous avez toujours envie de lire les 400 pages qui suivent ?).

  • Dans cette aire de services, les services eux-mêmes étaient un microcosme de la société occidentale dans ce qu'elle a de plus fonctionnel.
    On y pourvoyait à tous les besoins vitaux de l'homme : le besoin de communiquer (une boutique vendait des téléphones mobiles avec leurs accessoires), le besoin de s'amuser (il y avait une zone de jeux pleine de machines à sous), le besoin de consommer boissons et aliments, et celui de les pisser ou de les chier subséquemment ; et, bien entendu, le besoin éternel et fondamental d'acheter des tas de trucs, magazines, CD, doudous, barres chocolatées, DVD, bonbons gélifiés, livres, gadgets en tout genre Avec ça, un hôtel de la chaîne Days Inn situé en face du parking pratiquait des tarifs étape, il était donc théoriquement possible d'entrer dans cette aire de services sans avoir jamais besoin d'en sortir. On pouvait même y passer toute sa vie, si on voulait.

  • Ah, je ne vous avais pas dit qu'elle s'appelait Emma ? Je venais de passer près d'une heure à décider comment j'allais l'appeler. J'avais choisi Emma parce que ça a toujours été un de mes prénoms préférés. Ça tenait en partie au souvenir de Jane Austen que j'avais dû lire pour le brevet : je l'avais détesté, ce livre (un des romans favoris de Caroline, soit dit en passant), et je n'avais pas eu la moyenne à l'examen mais, allez savoir pourquoi, le prénom de l'héroïne s'était imprimé dans ma mémoire comme un emblème de classe et de raffinement.

  • Même pour quelqu'un comme moi, qui s'était contenté de passer les quinze derniers jours à parcourir des journaux et survoler des sites d'info, il était clair que nous étions en train de nous planter dans les grandes largeurs, et que démolir nos usines pour mettre des boutiques à la place n'était pas une idée géniale, à l'usage, enfin qu'il n'était guère raisonnable de bâtir toute une société sur du vent.

  • S'il est rare de parvenir à éviter tous les tunnels de la vie, d'ordinaire quelque chose nous permet de retrouver la lumière. Celui que je traversais... disons qu'il était finalement plus long et plus noir que je ne l'aurais imaginé.

  • Je lui ai expliqué que le principe de la banque moderne, c'est d'emprunter de l'argent, un argent qui ne vous appartient pas, et de trouver un investissement qui rapporte d'avantage que les intérêts payés au prêteur. Quand je lui ai dit ça, il a réfléchi un moment, et puis il m'a fait cette réflexion très intéressante : "mais les banquiers, en fait, c'est des gens qui gagnent plein d'argent en trichant."

  • L’humanité, vous l’aurez remarqué, multiplie désormais avec une grande ingéniosité les moyens d’éviter de se parler.

  • Qu’est-ce qu’elle avait, ma génération ? Pourquoi mettait-elle si longtemps à grandir ? Pour nous, la petite enfance s’étirait jusque vers l’âge de vingt-cinq ans, et à quarante ans nous n’étions pas encore sortis de l’adolescence. Pourquoi mettions-nous si longtemps à assumer nos responsabilités personnelles – et a fortiori nos responsabilités familiales ?

  • e me suis entendu dire à Caroline qu'il était flagrant qu'elle ne m'aimait plus. Comme elle ne s'en défendait pas, j 'ai ajouté " il m'arrive même de penser que tu n'as aucune affection pour moi " , et savez- vous ce qu'elle m'a répondu ? " comment avoir de l'affection pour un homme qui ne s'aime pas lui-même ? "
    Alors là, si elle se mettait à parler par enigmes, on n'irait nulle part.

  • Everything that gives a community its own identity - the local shops, the local pubs - it's all being taken away and replaced by this bland, soulless, corporate-

  • You always expect the defining, most precious expériences in your life to be stamped indelibly on the memory; and yet for some reason, these often seem to be the first ones to fade and blur.

  • Cars are like people. We mill around every day, we rush here and there, we come within inches of touching each other but very little real contact goes on. All those near misses. All those might-have-beens. It's frightening, when you think about it. Probably best not to think about it at all.

  • it's not difficult to stay in touch with people nowadays, there are so many different ways of doing it. But as you get older, I think that some friendships start to feel increasingly redundant. You find yourself asking, 'What's the point?' And then you stop.

  • Why did people have children in the first place ? Was it a selfish act, or a supremely unselfish one ? Or was it just a biological instinct that couldn't be rationalized or analysed ? [...] My own theory - one of them - was that once you started to hit middle age, you becameso jaded and unsurprised by life that you had to have a child in order to provide yourself with a new set of eyes through which to view things, to make themnew and exciting again.

  • Mankind has, as you may have noticed, become very inventive about devising new ways for people to avoid talking to each other, and I'd been taking full advantage of the most recent ones. I would always send a text message rather than speak to someone on the phone. Rather than meeting with any of my friends, I would post cheerful, ironically worded status on Facebook, to show them all what a busy life I was leading. And presumably people had been enjoying them, because I'd got more than seventy friends on Facebook now, most of them complete strangers.


Biographie

Néen 1961 à Birmingam (Royaume Uni), Jonathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick. Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil".

En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.

"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes. Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard. Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique. Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise.

En 1999. Passionné aussi de cinéma, il a publié des articles pour « les cahiers du cinéma ».

En savoir plus ici :

mardi 8 août 2023

LISA JACKSON – Linceuls de Glace – Éditions Harper-Collins Poche - 2014

 

L'histoire

Grizzly Falls, petite ville du Montana à quelques semaines des fêtes de Noël. Cette période est détestée par les deux enquêtrices Selena et Regan, la solitude pour l'une, la difficulté de gérer 2 adolescents pour l'autre, sans parler du travail du aux accidents de la route en cette période glaciale et neigeuse. Et voilà soudain qu'au beau milieu de la crèche fièrement dressée par la paroisse locale, apparaît une statue de glace renfermant en fait une femme dont la disparition avait été signalée à la police. C'est le début d'une longue enquête car d'autres disparitions et d'autres cadavres enveloppés de glace sculptée vont apparaître et menacer directement Selena Alvarez.


Mon avis

Lisa Jackson ne recevra sûrement jamais un prix littéraire prestigieux aux USA ou ailleurs. Elle caracole pourtant en tête des ventes à chaque nouvelle sortie d'un de ces livres, une sorte d’Agatha Christie américaine. Certes, il y a tous les éléments du polar et du suspense : l'enquête originale, le personnalité des deux inspectrices opposées mais complémentaires, des révélations sur le passé de Selena et un tueur sadique et totalement fou. Mais le tueur n'est découvert que dans les dernières pages du roman et c'est un quasi inconnu dans le scénario.

L'écriture est dans fioriture, bien rodée à l'exercice. Mais une fois de plus il n'y a aucun ambition de dénoncer quoi que ce soit, à part un traumatique viol refoulé par une des deux enquêtrices. Et beaucoup trop de page à mon avis pour une intrigue finalement bien mince. On y parle beaucoup de Selena, ses émotions, sa vie passée, sa situation actuelle avec un flirt, mais sans finalement pousser la psychologie des personnages dans leurs retranchement. Peu d'humour, une atmosphère glaciale, des rebondissements qui ne tiennent qu'à la découverte d'autres cadavres et quelques faits qui renforcent l'intrique. Bref du pur polar de suspense, avec des bonnes scènes d'horreurs, une love story qui effleure la sexualité en toute bonne pudeur puritaine. Ça se lit, si on aime avoir un petit frisson mais ce n'est pas de la littérature de grande valeur. Un peu logique quand on sait que Harper & Collins sont les éditeurs des livres Harlequin (romans à l'eau de rose bonbon). Cela plairait aux lectrices, le public cible des éditions, mais ceux qui aiment la littérature forte, porteuse de messages, dénonciatrice des méfaits de nos sociétés, ou révélant des faits marquants et choquant de l'Histoire, peuvent passer leur chemin et se tourner vers d'autres ouvrages aux fortes résonances (voir ma rubrique « Indispensable » sur ce blog ou « j'adore ». Certes on n'est jamais objectif dans une critique littéraire, selon son humeur, ce qu'on a lu avant, son propre ressenti. Mais pour moi ce n'est pas le genre d'ouvrage que j’achèterais.


Extraits :

  • Le lendemain, la journée démarra de travers. Pour commencer, le réveil de Selena ne sonna pas - elle avait dû y aller un peu fort, la veille, en lui tapant dessus pour l'arrêter. Puis ,après avoir fait sortir Roscoe, elle se rendit compte, mais trop tard qu'elle avait manqué sa séance d'arts martiaux. Son professeur n'avait pas appelé mais envoyé un texto, auquel elle répondit pour s'excuse. Décidément ,elle n'était pas dans son assiette! Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle? D'habitude ,elle n'était jamais en retard. Ne manquait jamais un rendez-vous. N'acceptait jamais l'étourderie des autres comme excuse. Certes, elle avait mal dormi. La pensée des deux femmes disparues n'avait pas arrêté de tournoyer dans son cerveau. Mais tout de même, de là à se retrouver si totalement à côté de la plaque !

  • Elle actionna l'ouverture automatique de son garage et regarda la neige tomber devant ses phares .Que n'aurait-elle donné pour pouvoir aller chez lui séance tenante ,accepter son invitation à prendre un verre et dîner, puis passer la nuit avec lui ! Mais le devoir l'appelait en la personne de ses enfants, où qu'ils soient, nom d'un chien! -Je t'appelle plus tard. -C'est ça... Regan, fit-il alors qu'elle s'apprêtait à raccrocher. - Oui ? - Tu as le droit de vivre ta vie, toi aussi. -Et comment ! Sur ce point ,elle l'approuvait à cent pour cent. Et il n'avait pas tort à propos de ses enfants non plus et de la présence d'un homme dans leur vie au quotidien. Seulement, elle n'était pas prête à l'admettre.

  • Seigneur,ce qu'elle pouvait détester cette saison !
    A Grizzly Falls, il semblait que la période des fêtes apportait immanquablement son lot de malheurs. Malgré les couronnes de Noel accrochées aux portes ,les sapins décorés étincelants derrière les fenêtres et le flot incessant des chants de Noël déversé par les radios locales, des drames menaçaient, tapis derrière toute cette joie exubérante. Non seulement les cas de violences domestiques augmentaient en flèche pendant la saison des fêtes, mais ces dernières années, des tueurs détraqués avaient terrorisé les habitants de la région...

  • Sa peau s'était teintée de bleu. Sa chair se rigidifiait, ce qui était parfait. Ses yeux, à travers la glace, regardaient fixement vers le haut. Pourtant ,ils ne voyaient rien. Dommage qu'elle ne soit plus capable d'apprécier à leur juste valeur l'amour, l'affection et la considération qu'il mettait dans son travail... Son souffle léger ne faisait plus fondre la glace autour de son nez, et sa bouche, Dieu merci, s'était fermée, ses lèvres impeccablement soudées, d'un bleu plus foncé... Comme la Belle au Bois dormant, songea-t-il en répandant une nouvelle nappe d'eau glacée.

  • - Il faut que j'y aille, dit Regan en pointant la tête dans le bureau de Selena. Ça fait deux jours que je n'ai pas vu mes gosses. Je ne compte pas hier matin, parce que je n'ai fait qu'entrevoir Jeremy au moment où il est rentré pour s'affaler sur son lit. - On est samedi soir. Tu crois qu'ils seront à la maison ? - Au moins brièvement. Regan changea son sac d'épaule et esquissa un sourire las. - Juste le temps de me demander de l'argent. J'espère juste qu'ils se seront occupés du chien.

  • Elle avait adopté Roscoe sur un coup de tête ,décision d'autant plus inconsidérée qu'elle était intervenue juste après l'achat de cette maison mitoyenne. Mais il était trop tard pour le regretter, car le stupide petit chien avait su trouver le chemin de son cœur.

  • Cependant, elle savait tout au fond de son cœur que ce qui l'attendait dans la nuit, quoi que ce fût, lui serait funeste. Par-dessus les accords de la chanson de Noël, la voix de Mildred résonna dans son cerveau, terrifiante dans la justesse de ses prédictions : " Le diable se cache derrière tout ça ! Il est toujours là, vous savez, juste derrière votre épaule, prêt à bondir..."

  • Cette femme me rend dingue avec tout son cirque de Noël, marmonna-t-elle à l'adresse de Selena, mais je dois reconnaître qu'elle sait faire des macarons à tomber par terre.


Biographie

Née en 1952, Lisa Jackson est un écrivain américain de romans d'amour.
Elle a grandi dans une petite ville de l'Oregon. Elle sort diplômée de l'Université d'État de l'Oregon et travaille quelques temps plus tard dans le secteur bancaire.
En 1983, son premier roman, "A Twist of Fate", est publié par Silhouette Books. Lisa Jackson écrit des suspenses romantiques contemporains pour Kensington Books et des romans d'amour historiques "Moyen-Âge" pour Onyx Books. Ses romans se placent habituellement sur les listes des meilleures ventes de livres du New York Times, USA Today et Publisher's Weekly. En 2001, elle obtient le Reviewer's Choice Award du meilleur suspense romantique, du magazine Romantic Times, pour "Un danger dans la nuit" (Hot Blooded, 2001). Elle est membre de Mystery Writers of America et de International Thriller Writers.

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