vendredi 11 août 2023

JONATHAN COE – La vie très pivée de Monsieur Sim – Editions Gallimard 2011 ou poche Folio

 

L'histoire

Maxime Sim (comme la carte ou l'humoriste) a 48 ans et fait le bilan de sa vie, qui n'est guère brillant. Élevé dans un foyer avec une mère-poule trop vite disparue et un père fantasque qui vit depuis 30 ans en Australie, Max n'a pas fait d'études prestigieuses, il se contente d'emplois comme Vrp ou vendeur affecté au service après-vente. Divorcé de sa femme, il ne voit jamais sa fille. D'ailleurs ils n'ont rien à se dire. Max n'est pas non plus doué pour les rapports sociaux, il n'a pas de vrais amis et à chaque fois qu'il essaye de communiquer c'est un désastre. Mais un voyage promotionnel va tout changer dans sa vie, avec des prises de consciences tardives.


Mon avis

Jonathan Coe n'a pas son pareil pour analyser un individu lambda, et au passage éreinter le consumérisme de masse, et les dégâts des années Thatcher.

Son héros Max n'est ni plus bête ni plus intelligent que la moyenne. Il n'aime pas se cultiver, et surtout ce gaffeur hors pair rate toutes les occasions de se faire des amis, encore plus des petites amies. Il ne sait pas analyser la situation sous d'autres angles que le sien, et raconte sa vie monotone où chaque petit détail qui sort du quotidien aussi infime soit-il, le laisse cogiter pendant des heures. Car des méprises et des gaffes il en commet pas mal, et du coup, il passe totalement à coté de sa vie.

Dépressif, alors que son congé maladie prend fin, il va accepter l'offre d'un ami perdu de vue : à savoir parcourir la distance entre Reading et les îles Shetland (Est de l’Écosse) pour promouvoir une nouvelle marque de brosse à dents écologique (en bois et à tête changeante, une idée qui n'existait pas lors de la parution du livre d'ailleurs mais qui est aujourd'hui reconnue comme une alternative au plastique). Avec une Toyota tout neuve et un GPS dont il va tomber amoureux de la voix. Mais sans respecter l'itinéraire il va devoir faire des détours, passer par l'appartement de son père resté dans son jus pour y récupérer un dossier, retrouver un amour de jeunesse, revoir sa fille qui est devenue accro à son smart-phone, oublier au passage les règles de diététiques pour préférer les rassurantes chaînes de burgers ou de pizzas. Max crève de solitude, mais découvre des vérités sur son père, sur lui-même aussi. A cela s’entrelace l'histoire vraie d'un marin qui devait participer à un tour du monde (en 1967) et qui a triché en tenant un faux journal de bord et un vrai où il note ses angoisses, son errance quelque part en Atlantique et dont les noms ont une résonance familière avec l'histoire de Max.... Étrange. D'autant que Jonathan Coe a un autre tour dans son sac sur une fin inédite.

Le tout écrit avec, on le ressent, le plaisir d'écrire, l'humour so british mais aussi, une mine de réflexions. Sur la société ultra connectée et sur le hasard. Car Max ne sait pas saisir les opportunités (et il le fait presque consciemment en plus), La société ultra connectée, Max ne la connaît pas vraiment : il a bien son compte sur FB (70 amis qui ne lui écrivent jamais), un smart-phone qu'il oublie de recharger, une voiture équipée de super-gadgets dont il ne se donne pas la peine de comprendre le bon fonctionnement. Sa solitude lui pèse mais en même temps il ne supporte pas trop de bavardages inutiles selon lui.

Et tout cela est sans compter sur la perversité de l'auteur qui par une subtilité littéraire nous fait tout remettre en question. Et là c'est très bien joué, cela apporte la dernière dose d'un humour qui finalement fait d'une personne banale un héros qui nous tient en haleine sur 450 pages.

A lire absolument pour plonger dans les campagnes anglaises, le monde merveilleux du business et autres travers de notre société.


Extraits :

  • Je lui ai dit : tu te rends compte que s'il y a une chose qui insupporte les gens de mon âge, c'est bien que les gens du vôtre leur fassent des sermons ? Regarde le monde autour de toi. Ce monde-là, c'est vous qui nous l'avez légué. Vous croyez qu'on peut se payer le luxe d'avoir des principes ? J'en ai marre d'entendre dire que ma génération a perdu ses repères, qu'elle est matérialiste, qu'elle n'a plus de projet politique. Tu sais pourquoi on est là ? Vas-y, au hasard. Ben oui, c'est parce que vous nous avez élevés comme ça. Pour vous, nous sommes peut-être la génération Tatcher, mais ce qu'on voit, nous, c'est que c'est vous qui l'avez élue, et réélue, et qui avez élu après elle des gens qui marchaient sur ses traces. C'est la faute de votre éducation si nous sommes des zombies consuméristes. Vous avez bazardé toutes les autres valeurs, non ? Le christianisme, rien à foutre. La responsabilité collective, on voit où ça mène. Produire, fabriquer ? C'est bon pour les losers. Ouais, on n'a qu'à aller les chercher en Asie : ils vont tout faire à notre place et on n'aura plus qu'à rester le cul devant a télé pour voir le monde partir en vrille, le tout sur grand écran et avec la HD, bien sûr .

  • On aurait dit que la lecture était devenue une obsession, chez Caroline. Elle dévorait régulièrement deux ou trois livres par semaine; des romans, surtout; des romans "littéraires" ou "sérieux", comme on dit (je crois). "C'est pas un peu répétitif, au bout d'un moment? Ils se mélangent pas tous dans ta tête?" je lui ai demandé, une fois. Mais elle m'a répondu que je parlais sans savoir. "Tu es le genre de personne qui ne verra jamais un livre changer sa vie", disait-elle. "Pourquoi veux-tu qu'un livre change ma vie? Ce qui change ta vie, c'est la réalité, c'est se marier, avoir des enfants. - Moi, je te parle d'élargir son horizon, d'élever son niveau de conscience."

  • Les voitures, c'est comme les gens. On va, on vient dans le grouillement du quotidien, on passe à deux doigts les uns des autres, mais le vrai contact est très rare. Tous ces ratages de peu, tous ces possibles irréalisés, c'est effrayant quand on y pense. Mieux vaut éviter soigneusement d'y penser .

  • En tout cas, a dit Clive, l'une des choses dont nous sommes en train de prendre conscience, tous tant que nous sommes, c'est qu'un objet donné, une maison, mettons, ou", avec un coup d’œil dans ma direction, "une brosse à dents, n'a finalement aucune valeur en soi ! Sa valeur n'est que l'amalgame des diverses estimations de divers membres de la société à un moment précis. On est dans l'abstraction, l'immatériel. Et pourtant, ces entités absolument vides qu'on appelle les prix sont la base même de la société. C'est toute une civilisation qui est bâtie sur... du vent, en somme. Du vent, et rien d'autre."

  • Vous savez ce que j’adore en avion ? C’est le dernier endroit où l’on soit injoignable. Totalement libre.

  • Quarante-huit ans, jamais été plus au nord qu'Edimbourg. Il faudrait que je fasse une liste. Une liste des choses à faire avant cinquante ans : sauter à l'élastique, en delta-plane, lire une de ces vacheries de bouquins dont Caroline me rabâchait que ça me ferait du bien, "Anna Karenine, Le Moulin sur la Floss". Trouver quelqu'un à épouser, des gens avec qui coucher, apprendre à ne plus avoir peur de l'intimité, ne plus être aussi solitaire, faire le tour du monde à la voile sur un trimaran.

  • Allez, allez, qu'est-ce que tu en dit? Epouse-moi, viens vivre avec moi et sois ma femme.Qu'est-ce que tu me réponds? Continuez tout droit sur l'autoroute !

  • Mais avec l'âge, je crois qu'il y a des amitiés qui paraissent de plus en plus superflues. On se prend à se demander : A quoi bon ? Et c'est là qu'on arrête.

  • Un visage étroit aux pommettes saillantes (désolé, je ne suis pas très fort pour décrire les gens). [...] Elle portait des vêtement coûteux, avec un foulard en soie-chiffon noir (je ne suis pas non plus très fort pour décrire les vêtements - vous avez toujours envie de lire les 400 pages qui suivent ?).

  • Dans cette aire de services, les services eux-mêmes étaient un microcosme de la société occidentale dans ce qu'elle a de plus fonctionnel.
    On y pourvoyait à tous les besoins vitaux de l'homme : le besoin de communiquer (une boutique vendait des téléphones mobiles avec leurs accessoires), le besoin de s'amuser (il y avait une zone de jeux pleine de machines à sous), le besoin de consommer boissons et aliments, et celui de les pisser ou de les chier subséquemment ; et, bien entendu, le besoin éternel et fondamental d'acheter des tas de trucs, magazines, CD, doudous, barres chocolatées, DVD, bonbons gélifiés, livres, gadgets en tout genre Avec ça, un hôtel de la chaîne Days Inn situé en face du parking pratiquait des tarifs étape, il était donc théoriquement possible d'entrer dans cette aire de services sans avoir jamais besoin d'en sortir. On pouvait même y passer toute sa vie, si on voulait.

  • Ah, je ne vous avais pas dit qu'elle s'appelait Emma ? Je venais de passer près d'une heure à décider comment j'allais l'appeler. J'avais choisi Emma parce que ça a toujours été un de mes prénoms préférés. Ça tenait en partie au souvenir de Jane Austen que j'avais dû lire pour le brevet : je l'avais détesté, ce livre (un des romans favoris de Caroline, soit dit en passant), et je n'avais pas eu la moyenne à l'examen mais, allez savoir pourquoi, le prénom de l'héroïne s'était imprimé dans ma mémoire comme un emblème de classe et de raffinement.

  • Même pour quelqu'un comme moi, qui s'était contenté de passer les quinze derniers jours à parcourir des journaux et survoler des sites d'info, il était clair que nous étions en train de nous planter dans les grandes largeurs, et que démolir nos usines pour mettre des boutiques à la place n'était pas une idée géniale, à l'usage, enfin qu'il n'était guère raisonnable de bâtir toute une société sur du vent.

  • S'il est rare de parvenir à éviter tous les tunnels de la vie, d'ordinaire quelque chose nous permet de retrouver la lumière. Celui que je traversais... disons qu'il était finalement plus long et plus noir que je ne l'aurais imaginé.

  • Je lui ai expliqué que le principe de la banque moderne, c'est d'emprunter de l'argent, un argent qui ne vous appartient pas, et de trouver un investissement qui rapporte d'avantage que les intérêts payés au prêteur. Quand je lui ai dit ça, il a réfléchi un moment, et puis il m'a fait cette réflexion très intéressante : "mais les banquiers, en fait, c'est des gens qui gagnent plein d'argent en trichant."

  • L’humanité, vous l’aurez remarqué, multiplie désormais avec une grande ingéniosité les moyens d’éviter de se parler.

  • Qu’est-ce qu’elle avait, ma génération ? Pourquoi mettait-elle si longtemps à grandir ? Pour nous, la petite enfance s’étirait jusque vers l’âge de vingt-cinq ans, et à quarante ans nous n’étions pas encore sortis de l’adolescence. Pourquoi mettions-nous si longtemps à assumer nos responsabilités personnelles – et a fortiori nos responsabilités familiales ?

  • e me suis entendu dire à Caroline qu'il était flagrant qu'elle ne m'aimait plus. Comme elle ne s'en défendait pas, j 'ai ajouté " il m'arrive même de penser que tu n'as aucune affection pour moi " , et savez- vous ce qu'elle m'a répondu ? " comment avoir de l'affection pour un homme qui ne s'aime pas lui-même ? "
    Alors là, si elle se mettait à parler par enigmes, on n'irait nulle part.

  • Everything that gives a community its own identity - the local shops, the local pubs - it's all being taken away and replaced by this bland, soulless, corporate-

  • You always expect the defining, most precious expériences in your life to be stamped indelibly on the memory; and yet for some reason, these often seem to be the first ones to fade and blur.

  • Cars are like people. We mill around every day, we rush here and there, we come within inches of touching each other but very little real contact goes on. All those near misses. All those might-have-beens. It's frightening, when you think about it. Probably best not to think about it at all.

  • it's not difficult to stay in touch with people nowadays, there are so many different ways of doing it. But as you get older, I think that some friendships start to feel increasingly redundant. You find yourself asking, 'What's the point?' And then you stop.

  • Why did people have children in the first place ? Was it a selfish act, or a supremely unselfish one ? Or was it just a biological instinct that couldn't be rationalized or analysed ? [...] My own theory - one of them - was that once you started to hit middle age, you becameso jaded and unsurprised by life that you had to have a child in order to provide yourself with a new set of eyes through which to view things, to make themnew and exciting again.

  • Mankind has, as you may have noticed, become very inventive about devising new ways for people to avoid talking to each other, and I'd been taking full advantage of the most recent ones. I would always send a text message rather than speak to someone on the phone. Rather than meeting with any of my friends, I would post cheerful, ironically worded status on Facebook, to show them all what a busy life I was leading. And presumably people had been enjoying them, because I'd got more than seventy friends on Facebook now, most of them complete strangers.


Biographie

Néen 1961 à Birmingam (Royaume Uni), Jonathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick. Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil".

En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.

"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes. Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard. Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique. Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise.

En 1999. Passionné aussi de cinéma, il a publié des articles pour « les cahiers du cinéma ».

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