dimanche 13 août 2023

CEDAR BOWERS – Astra – Éditions Gallmeister - 2023

 

L'histoire

La vie d'Astra, de sa naissance dans une ferme expérimentale de Colombie britannique (Canada), à son 3ème âge, vu et raconté par les personnes qui ont croisé son chemin.


Mon avis

Une nouvelle héroïne chez Gallmeister ! Mais ici il ne s'agit plus d'adolescentes comme Turtle (Gabriel Talent), Tracy (Jamey Bradbury), Fay (Peter From), Nell et Eva (Jean Hegland) mais de la vie d'une femme de sa naissance à sa vieillesse.

Astra née dans la ferme de Célestial, un projet utopique de vivre en totale autonomie, pour échapper à la société consumériste, crée par la riche Doris et son ami Raymond. Lequel est le père d'Astra dont il n'assume pas du tout la paternité. Alors que Gloria meurt en couches, Astra est élevée par les femmes de la ferme, puis laissée vagabonder à travers les champs, où elle se casse parfois la figure, ce qui lui vaut une cicatrice au coin de la bouche. Sans éducation, vivant totalement libre, vêtue de vêtements sales, elle même d'hygiène, Astra grandit dans un monde qui ne ressemble plus du tout aux idéaux fondateurs. Les familles sont parties en ville, retrouver une vie normale, reste des hommes et alors qu'Astra devient une très jolie femme, a 17 ans, elle fuit Celestial pour la première ville venue. Elle obtient un emploi de vendeuse, puis enceinte, elle est recueillie par Chris dans une sublime maison. Mère maternelle à souhait, elle n'a aucune autorité sur son fils Hugo. On la retrouve comme baby sitter, logée et nourrie par la jalouse Lauren qui pourtant lui fait reprendre un cursus universitaire. Puis chez Doris, devenue une vielle femme qui ne peut plus supporter les caprices d'Hugo à qui sa mère passe tout. Enfin elle se retrouve mariée à Nick, un brave homme follement amoureux d'elle, dont elle finira par se débarrasser avec la complicité involontaire de sa psychologue, d'autant qu'elle hérite d'une petite fortune car elle est la seule légataire de Doris.

Qui est donc Astra ? Une pauvre gosse laissée à l'abandon dans l'enfance et qui cherche à tout prix à survivre ? Une manipulatrice surtout avec les hommes ? Une mère trop liée à son fils ? Une femme qui cherche encore un geste d'amour de son père ? Une égoïste ? Pourtant Astra a aussi beaucoup d'empathie, quand il s'agit de consoler Sativa, une autre enfant de Celestial, boudée par sa mère. Elle accompagne avec ferveur les derniers moments de Doris, tout comme elle s'occupera de son père Raymond devenu important et atteint d’Alzheimer, en espérant toujours un geste d'amour profond de celui-ci. Elle ne rompra jamais le lien avec le père biologique d'Hugo, juste pour donner des nouvelles.

L'originalité du roman consiste à décrire Astra à travers les personnages qui ont croisé sa vie, brièvement ou pas. Astra a la ténacité et sait toujours se sortir de mauvaises situations. Quand elle n'est plus la bienvenue, elle part sans faire d'histoires. Seul le dernier chapitre donnera la parole à Astra pour qu'elle nous donne enfin sa vérité.

Ce roman, à l'écriture simple, nous renvoie à nos petits défauts, nos petits mensonges avec nous-mêmes ou avec les autres, mais sans intention de nuire délibérément. Finalement c'est notre condition d'humain, faite de paradoxe qui donne de la force à ce roman, pour une femme qui quoiqu'il en coûte mènera une vie libre, sans aucun regard sur l'avis de la société.



Extraits :

  • Il ne retournera pas au pick-up tant qu’il n’aura pas pris une décision. Le jour où elle lui a annoncé sa grossesse, Gloria a demandé s’il accepterait de la suivre à Vancouver pour fonder une famille – une proposition qu’il a refusée tout net. L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents, pour finir déprimées, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.
    Une autre option consisterait à fuir. Filer avant que le bébé prenne sa première respiration. Ne jamais poser les yeux sur lui. Ne jamais le tenir. Ne jamais connaître son nom. Disparaître, tout simplement. Il suffirait de laisser Wesley à la ferme et de s’engager sur l’autoroute, seul. Constituer une nouvelle équipe d’électrons libres, dans une autre petite ville triste, et tout recommencer à zéro.

  • Dans chaque maison, chaque communauté, chaque endroit à la con où elle a vécu, elle a croisé des filles exactement comme Astra, des femmes exactement comme elle-même. Le plus souvent sans argent ni foyer. Invisibles et préposées aux tâches les plus ingrates : la cuisine, le ménage, les enfants. Pendant ce temps, les hommes péroraient sur l’indépendance, l’amour sans contraintes, le nouveau monde merveilleux qu’ils étaient en train de bâtir, persuadés qu’on pouvait être “libre” – à condition d’en avoir les couilles, bien sûr. Quel ramassis de conneries.

  • Sitôt qu’il comprit qu’elle en voulait plus, il la somma d’emménager dans la yourte avec les autres. Il ne croyait pas aux relations monogames, avança-t-il avec précaution. Il chérissait son indépendance et refusait de s’engager. Raison pour laquelle, selon Gloria, elle n’annonça pas sa grossesse avant le mois de juin, en pleine réunion matinale, au lieu d’attendre qu’ils soient en tête à tête.

  • Doris est loin d’être sentimentale, et pourtant, quelque chose dans ces marches creusées par le temps, la preuve du passage de tant de pieds – dont les siens, ceux de son père et ceux de Raymond – lui procure un sentiment de satisfaction chaque fois qu’elle les gravit. Elle ne saurait dire pourquoi. Peut-être apprécie-t-elle le silence laissé par les disparus, ou peut-être se sent-elle pareille à ce perron, piétinée, patinée. Quoi qu’il en soit, et tant pis pour l’excès de sensiblerie, elle l’aime, cette entrée.

  • Tout comme Gloria, Astra n’était pas prête à devenir mère. Tout comme Gloria, Astra était loin de sa famille et ne bénéficiait d’aucun vrai soutien. Auquel cas, n’avaient-ils pas échoué ? Celestial ? Le féminisme ? C’était presque la fin du siècle, pourtant les femmes continuaient de souffrir, à la merci des hommes.

  • Je vais rester. Mais je ne peux pas faire semblant d’être quelqu’un que je ne suis pas. Je ne peux pas mentir.

  • Clodagh les détestait, ces pleurs, si intenses, si déconcertants. Tout comme elle détestait ce qu’ils révélaient sur la mère qu’elle était. Elle se rappelle avoir regardé le visage contorsionné de son fils et regretté que les enfants n’aient pas été tués. Elle avait vingt-deux ans, sa vie aurait été infiniment plus simple si elle n’avait eu personne à charge, si elle avait pu plonger dans la rivière, la laisser l’emporter à la mer.

  • N’est-ce pas ce que nous faisons tous ? Nous ne sommes pas des grains de poussières. Nous ne sommes pas des putains d’astres dans le putain de cosmos. Nous sommes des vies humaines empilées sur les traumatismes et les tragédies d’autres vies humaines.

  • Si Doris essaye de poser des limites, soit Astra fait une crise, soit elle l’ignore. Les rares fois où Doris a osé donner un conseil, elle l’a aussitôt regretté. Astra est toujours sur la défensive. À vrai dire, il n’y a pas trente-six manières de le formuler : elle est épuisante.

  • Ses yeux sont froids, inexpressifs. Elle recule, la main tendue devant elle, paume en avant, un geste qui arrête Brendon net. Il est surpris. Apparemment, elle s’est déjà retrouvée mille fois dans cette situation. Un constat dérangeant. Qui est cette fille, au fond ? Comment est-elle devenue ce qu’elle est ?

  • Loin d’être un havre de paix, ces terres ne pouvaient ni les sauver ni effacer le passé. Elles ne protégeaient certainement pas leurs enfants. Dès lors, l’utopie Celestial commença de s’étioler. Ce jour-là, dans le champ, tandis que Raymond pansait les blessures d’Astra sous ce ciel.

  • Et les types qu’on a en ce moment, c’est de la merde. Même pas, la merde vaut mieux qu’eux. La merde aide les plantes à pousser.

  • À l’idée d’être si loin de sa mère, son estomac se noue. Que ferait-elle si une abeille la piquait ou qu’elle se tordait la cheville ou qu’elle voyait un serpent ? Comment Astra est-elle devenue si courageuse ?

  • La liberté s’obtient par la force ou le mérite. Elle ne vous est pas offerte sur un plateau.

  • L’idée de redevenir un citoyen lambda le terrifie. La ferme est son sanctuaire, sa destinée. Cependant, il ne tient pas non plus à cohabiter avec Gloria et le bébé ici. Tous les trois, serrés dans sa cabane en hiver, à feindre d’être ce qu’ils ne sont pas ? Les compromis, les conventions : la voie choisie par ses parents,pour finir déprimés, le cœur brisé. Non. Il ne veut pas de cette vie-là.

  • La première fois que Doris et Raymond ont eu l’idée de la ferme, ils avaient à peine seize ans. Ils voulaient quitter la ville, préserver la planète, bâtir une oasis pour tous ceux qui souhaiteraient les rejoindre. À Celestial, on aimerait qui on voulait et on s’habillerait à sa guise. Il n’y aurait ni chef, ni patron, ni gouvernement – adieu société de surveillance.



Biographie

Née sur l'ile de Galiono, Cedar Bowers est une écrivaine canadienne. Avec son mari, le romancier Michael Christie, et leurs enfants, elle partage son temps entre l’île de Galiano, où elle a grandi, et la ville de Victoria au sud de Vancouver.
Astra est son premier roman traduit en France par les Editions Gallmeister.
En plus d' Astra , Bowers a publié des nouvelles dans divers magazines littéraires.


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