L'histoire
Le récit de l' auteur parti en Iran en 2022 au moment où commence la révolution des femmes iraniennes. Il traversera le pays pendant 40 jours, avant d'être expulsé par les Gardiens de la révolution.
Mon avis
Alors que l'Iran continue sa sanglante répression un an après la mort de Mahsa Amini, l'écrivain français, malgré les réserves du Quai d'Orsay ; il est déjà dans l’avion après avoir obtenu un peu frauduleusement un visa, via des contacts à l'ambassade d'Iran.
F.H. Désérable a été fasciné par l'aventure de Nicolas Bouvier et Thierry Vernet qui sont partis en voiture pour traverser les Balkans, l’Afghanistan, l'Anatolie et l'Iran et le Pakistan en 1953. Ils sortent un livre écrit pas Bouvier et illustré par Vernet « L'usage du Monde » qui est un ouvrage de référence pour le voyageur qui veut s'immiscer dans la vie d'un pays.
Malgré les risques, l'auteur va traverser l'Iran, de la Turquie au Pakistan, alors que les manifestations des femmes et des hommes qui veulent en finir avec la dictature islamiste commencent à manifester. Pendant 40 jours, il va sillonner le pays pour rencontrer ces femmes avides de liberté, alors que le pouvoir commence à sévir violemment. Il nous livre dans un langage parfait ses rencontres, les peurs aussi pour sa vie, mais comment ce pays qui fut autrefois la respectable Perse est devenu un enfer où la chute du régime n'est qu'une question de temps. Il nous rappelle aussi, derrière les maisons ou appartements clos, l'amitié et la générosité d'un peuple, curieux de connaître aussi le monde occidental, et la démocratie à laquelle il aspire. Ce récit est fait des grandes horreurs de ce monde là, mais aussi des fous-rires et des partages, il nous renseigne aussi sur la mentalité des iraniens dont les sondages, bien gardés par le pouvoir en place, démontrent que 87% de la population veut en finir avec ce régime.
Plus qu'un simlpe récit, c'est un hommage à toutes les femmes iraniennes, belles, courageuses, non dénuées d'humour qui continuent une lutte solidaire et silencieuse.
Un ouvrage au plus précis de ce qui se passe en Iran. L'auteur mesure la chance qu'il a eu, en plein Kurdistan d'avoir 3 jours pour quitter l'Iran, alors qu'un français est toujours retenu en otage par le pouvoir pour des motifs peu crédibles.
Un indispensable, captivant, avec en prime quelques photos en noir et blanc qui sont tout aussi fascinantes (car elles aussi racontent une histoire) que le livre.
Extraits :
Les deux premiers ont du mal à comprendre pourquoi les femmes iraniennes manifestent - après tout, elles jouissent de libertés exorbitantes en regard des Afghanes : elles peuvent travailler, aller à l'école et n'ont pas à se couvrir d'une burqa, de quoi elles se plaignent ?
La découverte de Bouvier, vers vingt cinq ans, fut une déflagration comme j’en ai peu connues dans ma vie de lecteur. C’ était prendre la vraie mesure du monde, en même temps que son pouls. On s’´avise qu’il est vaste, et grandiose, et terrible - et qu’on n’en a rien vu
Un mois seulement que je sillonnais ce pays, et déjà je n'étais plus le même. Si l'on voyage, ça n'est pas tant pour s'émerveiller d'autres lieux : c'est pour en revenir avec des yeux différents.
Bam, le Lout, Kerman, Yazd... Il y a un moins encore, ça n'était que des noms. Aujourd'hui, c'était déjà des souvenirs.
Leur silence n’est ni indifférence à l’égard des manifestants, ni approbation à l’endroit du régime : c’est de la peur. Et la peur paralyse. La peur est l’arme la plus sûre du pouvoir.
Combien de temps faudra-t-il aux Iraniens pour se débarrasser de la république Islamique ? On peut prendre des paris : un mois, deux mois, avant la fin d’année… On peut se perdre en conjectures. On peut aussi être honnête et dire la vérité. Et la vérité, c’est que personne n’en sait rien. Mais chacun sait une chose : derrière chaque personne qui meurt battent mille cœurs.
Quand j’arrivai dans la ville en fin d’après-midi, la lune encore une fois prenait l’ascendant sur le soleil. Depuis le temps, le cyprès s’y était habitué ; moi, c’est con, hein, mais un ciel bleu qui s’empourpre derrière un arbre vieux de quatre millénaires, il n’en faut pas beaucoup plus pour m’émerveiller d’être en vie.
Sur les dômes des mosquées
Sur les turbans des mollahs
Sur les barreaux des prisons
Sur le drapeau de l'Iran
Sur les cyprès millénaires
Sur les tombes des poètes
Sur les portes des bazars
Sur les dunes du désert
Sur les voiles embrasées
Sur la peur abandonnée
Sur la lutte retrouvée
Et sur l'espoir revenu
Femme
Vie
LibertéSi un jour elle se faisait arrêter, on aurait beau l'enfermer, l'entasser dans une cellule avec des dizaines d'autres ou la mettre à l'isolement, on aurait beau la priver de nourriture et de sommeil, l'injurier, la tabasser, la violer, il y a une chose qui constituait la part irréductible de son être et que rien ni personne, ni la peur, ni les mollahs, ni les gardiens ne pourraient lui ôter: les poèmes qu'elle connaissait par cœur et qu'elle se réciterait, en attendant la mort ou peut-être, enfin, la liberté.
Visiter Ispahan, c'est faire provision de bleu pour le restant de ses jours.
Elle (la République Islamique) entendait réprimer tranquillement, impunément, sans que ces emmerdeurs de gratte-papier n'y trouvent à redire. Résultat, la plupart des informations qui nous parvenaient d'Iran étaient fragmentaires, parcellaires, et surtout : de seconde main. On rapportait ce que d'autres avaient vu. On témoignait pour les témoins.
Et pour ne parler, le mieux c'est encore de raconter la blague qui circule dan les rues du pays : un Afghan, qui vient d'atterrir à l'aéroport de Téhéran, se présente comme l'ancien ministre chargé de la mer et des ports. L'agent iranien s'en étonne : "Comment pouvez-vous être l'ancien ministre chargé de la mer et des ports ? il n'y a ni mer ni ports en Afghanistan !" Réponse de l'Afghan : "Et alors ? Est-ce que vous n'avez pas un ministre de la justice en Iran ? "
Voyager rend modeste : vous vous croyez bourlingueur inlassable, arpenteur des temps modernes, mais tôt ou tard, vous finissez toujours par croiser des globe-trotteurs, des vrais, qui vous renvoient à votre condition de touriste. Des rêveurs, des doux dingues, jamais ici, toujours là-bas, des pour qui ça n'est pas une vie que de vivre chez soi, et qui ont renoncé aux petits bonheurs petits-bourgeois des sédentaires que nous sommes pour tracer leur ligne de vie sur des cartes routières. Heureux soient les fêlés, dit le proverbe, car ils laissent passer la lumière.
À Qom, ramassez une pierre, lancez-là en l'air : elle retombera sur un turban. Noir, si le mollah est un sayyid, c'est-à-dire s'il descend de la famille du Prophète. Et sinon, blanc. Si votre pierre n'est pas retombée sur un turban, c'est qu'elle a échoué sur un tchador. Ici, pas une femme ne se risquerait à se promener cheveux au vent : votre pierre, on la lui jetterait aussitôt. Toutes portent le tchador, même les filles de cinq ans.
Chacun avait sa façon de s'opposer au régime. il y avait ceux qui couvraient les murs de slogans, arrachaient les affiches du Guide suprême et manifestaient dans les rues. Il y avait ceux qui sans manifester, venaient au soutien des manifestants, comme cette femme voilée que j'ai vue rentrer au bazar avec trois fers à repasser dans un sac : chaque fois qu'un agent du régime coursait quelqu'un sous ses fenêtres, vraiment, c'était à n'y rien comprendre, son fer tombait du balcon.
Marek s'était lié d'amitié avec Amir, un touche-à-tout, avec une prédilection pour les voitures et l'anatomie : il gagnait sa vie en retapant de vieilles bagnoles et en manipulant des corps humains. Mouais. Garagiste-ostéopathe, je demandais à voir. "attends, ça n'est pas toi qui, pendant un temps, étais hockeyeur et écrivain ?" Un point pour Marek.
Les mecs, ça n'était pas son truc, manière de dire à demi-mot qu'elle leur préférait les filles - ce qui est assez emmerdant quand on vit dans un pays où l'homosexualité est considérée comme un crime, où sont punies de cent coups de fouet "deux femmes qui se tiennent nues l'une sur l'autre sans aucune nécessité et qui ne sont pas unies par des liens familiaux", et même de mort à la troisième récidive.
Protester sur les réseaux sociaux, s'indigner des exactions du régime iranien, montrer son soutien aux manifestants, depuis la France, quand on n'a ni famille ni amis en Iran, c'est bien peu - ça n'est pas rien pour autant. Mais depuis l'Iran...Depuis l'Iran, c'est considérable, c'est de la "propagande contre le régime", et c'est risquer la prison.
Biographie
Né
à Amiens en 1987, François-Henri Désérable est
un écrivain français.
Fils d'un ancien joueur de hockey sur
glace, petit-fils de gondolier, il passe son enfance et son
adolescence à Amiens et aux États-Unis, dans le Minnesota. À
dix-huit ans, il devient joueur de hockey professionnel (il le sera
jusqu'en 2016) et commence à écrire.
À vingt-cinq ans, il
publie aux éditions Gallimard "Tu montreras ma tête au peuple"
(2013), récit des derniers instants des grandes figures de la
Révolution française, distingué par plusieurs prix donc celui de
la Vocation.
En 2015, paraît "Évariste",
biographie romancée d'Évariste Galois, prodige des mathématiques
mort en duel à l'âge de vingt ans. Considéré comme la révélation
de l'année 2015, ce roman remporte le prix des Lecteurs de
L'Express–BFMTV et le prix de la biographie. Son troisième roman,
"Un certain M. Piekielny" (2017), enquête littéraire sur
les traces d'un personnage de Romain Gary, est sélectionné pour les
six grands prix de la rentrée. Avec "Mon maître et mon
vainqueur" (2021), dissection de la passion amoureuse, il
remporte le Grand prix du roman de l'Académie française.
Blog
de l'auteur : https://fhdeserable.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.