lundi 30 octobre 2023

Joséphine TASSY – l'Indésir – Éditions L'iconoclaste - 2023


 

L'histoire

Nuria apprend en pleine nuit où elle a fait la fête la mort de sa mère. Cette femme qu'elle n'aime pas et qui ne l'a jamais aimée non plus. Elle se dit qu'elle s'en fiche et assiste à l'enterrement, sans émotions. Mais à travers diverses rencontres, elle va finalement se faire un portrait de cette mère si étrangement absente et si tellement présente.


Mon avis

Parler de l'indésir pour cette jeune autrice de 28 ans est une façon de démystifier l'amour maternel. Sa mère, femme blanche, capricieuse, parfois alcoolique, changeant souvent de partenaire ne l'aime pas. Elle n'a aucun geste maternel vis-à vis de cette enfant élevée par son père, un homme noir et sa grand-mère .

Supposée étudiante, elle vit dans un minuscule studio à Paris, sort beaucoup, n'a pas de petit ami régulier. A l'annonce de la mort de sa mère, cela semble totalement lui être indifférent. Elle se rend aux obsèques plus par « devoir » que par désir, en compagnie d'un jeune homme qu'elle a rencontré la veille et qui va la suivre dans ses pérégrinations. Car si elle veut oublier cette mère que finalement elle ne connaît pas, tout un tas de témoins et d'amis de cette femme vont se mettre sur son chemin, avec chacun leur vision de la mère. Un ange pour certains, une femme pas commode pour d'autres, une femme incapable d'aimer selon sa grand-mère Maja qui vit dans le Sud-Est de la France.

Petit à petit, Nuria va se remettre en question, toujours accompagné d'Abel, ce garde-fou nécessaire.

Mais ce qui surprend le plus dans ce roman c'est l'écriture. Avec brio, comme l'on souligné les critiques de presse, elle peut passer d'un style épuré et froid à des fulgurances lyriques et poétiques. Elle joue aussi avec la typologie, utilisant le « en italique », ce que le grand écrivain argentin Cortazar avait déjà utilisé, (des sous-textes en caractères plus petits pour témoigner de ce que le personnage pense vraiment). Mais sans se revendiquer d'un courant comme Oulipo (qui use des jeux de mots, de l'écriture automatique, de toutes les possibilités du langage), l'autrice invente son mode d'écriture, comme elle incline son héroïne a changer sa perception des choses. En découvrant sa mère, elle même se découvre, sa fausse carapace d'indifférence craque doucement, pour en revenir à non pas ce que l'on doit être, mais ce qu'on est vraiment.

Filiation, ce qui relève de l'inné notre hérédité et de l'acquis ici se fondent dans un récit parfois dérangeant. Et pose la question la plus taboue qui soit : une mère est-elle capable d'indésir pour son propre enfant ? On ne parle pas ici de grossesses de filles trop jeunes, de viol, de traumatisme. Ou de syndrome post-partum. On parle des femmes qui ont un enfant et qui n'arrivent pas à l'aimer.

Le seul défaut que je trouverais à ce roman est de ne pas avoir su rendre l’héroïne totalement sympathique. Choix voulu par l'autrice ? Après tout ce n'est que son premier roman.



Extraits :

  • Je souris de réapprendre en regardant ces deux couillons qu’ être enfant, être parent, ce n'est pas une histoire de goûters en rentrant de l'école, de souvenirs à la plage en été, de mots d'amour, ce n'est même pas une histoire de claques qui échappent, de devoirs pas finis, de déjeuners trop longs où tout le monde s'ennuie. Je souris d'eux qui m'apprennent par accident qu'aimer c'est s'en vouloir, et encore en vouloir

  • Autant de monde que ce matin au Père-Lachaise. Indescriptible parce qu'incroyable, cette foule. Tous ces gens. Des dizaines. Comment ? Comment tous ces gens ont pu l'aimer? Je suis pas jalouse, sidérée seulement. Je ne comprends pas qu'elle ait su se faire aimer de tant de gens, et qu'elle n'ait jamais essayé de se faire aimer de moi.

  • Ce matin, je me suis réveillée, et j'ai vu mes vêtements éparpillés, au bout de mon lit, la fenêtre où hier le téléphone a sonné, c'était en pleine nuit, je regardais les lampadaires et je ne les voyais pas, j'étais nue, mais les voisins ne le savaient pas, j'avais éteint la lumière. J'avais la peau chaude et moite d'avoir dansé, j'ai répondu au téléphone et Jeanne m'a dit Maman est morte.

  • Constance envie à ma mère l'enfant qu'elle aurait su aimer, et son pouvoir sur les hommes, sur les femmes aussi. Elle lui envie des choses qu'elle aurait pu avoir, si elle avait voulu. Constance, t'avais qu'à m'aimer, moi, et t'avais qu'à séduire, c'est pas bien compliqué. Tu es jalouse d'une vie que tu aurais pu avoir, si tu l'avais choisie. Faut se méfier des désirs ignorés. Ils reviennent te foutre des claques déguisées en rancœur.

  • On se souvient des bons moments en images, des idées générales, un sentiment diffus de joie, mais seuls les mauvais moments gardent la précision des paroles dites, des gestes donnés.

  • Je crois qu’il est plus simple d’aimer une femme aujourd’hui. Je ne crois pas qu’il soit plus simple d’aimer être seule.

  • Dans le microclimat de nos sentiments post-mortem, il fait un temps d'après l'orage.

  • Ça fait longtemps que j'ai compris que le pouvoir, c'est pas les jolies filles qui le possèdent. C’est ceux qui leur imposent d’être les plus belles pour seulement exister.

  • Aimer c’est s’en vouloir, et encore en vouloir.

  • Trop de monde. C'est le plaisir de la boîte, ce trop. Trop chaud, trop petit, trop noir, trop fort. La boîte te prend le corps et te le secoue, jusqu'à ce que tu te résignes à ne pas être bien, à ne pas être toi. Tu n'as plus que le choix de devenir quelqu'un d'autre.

  • bats-toi pour ton désir
    attise-le comme un feu qui réchauffe et ne brûle pas
    attise-le comme le feu du jaune de tes yeux

  • Tu es jalouse d'une vie que tu aurais pu avoir, si tu l'avais choisie. Faut se méfier des dé- sirs ignorés. Ils reviennent te foutre des claques déguisés en rancœur.

  • j'oublie que ma mère est morte et je suis de bonne humeur. On l'enterre tout à l'heure. C'est pour ça que Jeanne, (la grand-mère) qui se couche avec les poules, m'a prévenu si tard. Elle venait elle-même de l'apprendre. C'est terrible de se sentir bien le jour de l'enterrement de sa mère.


BIOGRAPHIE

Parisienne d’origine marseillaise et martiniquaise, elle voyage, aime étudier selon ses envies, aussi bien les politiques publiques que le swahili, l’histoire de l’art, la finance, les sciences cognitives. Elle est aujourd’hui chercheuse en économie du développement. On sent dans L’indésir l’influence des lectures, les nouvelles de Salinger, le roman philosophique avec Hermann Hesse, le théâtre de Tennessee Williams et la poésie amoureuse d’Aragon.

Son insta : https://www.instagram.com/josephinesultane/?hl=fr




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