L'histoire
Omid (surnommé affectueusement Atay), sa femme Abay, leur fille de 8 ans Firuzeh et son petit frère Nour, se préparent à quitter Kaboul, devenu trop dangereux avec la guerre entre Talibans et Américains. Ils ont vendu tous leurs biens pour payer le passeur et se rendre en Australie, où il existe déjà une communauté afghane de réfugiés. Mais le long voyage ne se passe pas comme il le devrait, avec un passage horrible dans un camps hostile de réfugiés et la menace d'expulsion . Mais Firuzeh a de la ressource et un peu de magie vient ponctuer ce récit difficile.
Mon avis
On dit beaucoup de choses sur les migrants, mais connaît-ton vraiment leur réalité. Il aura fallu 9 ans de recherches, de visite de camps, de discussions à la journaliste américaine Lily Yu pour écrire ce roman, totalement captivant.
Omid et Bahar sont des petites gens vivant à Kaboul. Omid tient un garage, Bahar veille sur ses deux enfants, en faisant quelques travaux ménagers. Les enfants vont à l'école. Mais voilà, les Talibans sont entrés dans Kaboul et il n'est pas question de vivre sous ce régime dictatorial pour Omid et sa famille. Il vend tout ce qu'il a pour payer un passeur. Discrètement une nuit, ils partent serrés les uns contre les autres pour Peshawar, au Pakistan voisin, où ils sont hébergés quelques jours avec une autre famille afghane sur le départ. Firuzeh et Nasima (la fille de l'autre couple) deviennent amies et complices. Les voilà ensemble dans l'avion pour Jakarta, une première escale, avec des faux-papiers – qui ne tromperont personne - et des billets d'avions.
Quelques jours à Jakarta dans une pension maussade et sale et ils doivent embarquer dans un navire direction l'Australie. En fait pas exactement un navire mais plutôt un bateau de pèche, instable, où ils sont serrés comme des sardines. Une grosse tempête manque de faire chavirer le bateau et Nazima se noie. L'embarcation est finalement sauvée par un navire australien. Mais de de Perth, de Sidney ou de Melbourne en vue. Ils sont conduits dans un camps de réfugiés sur l’île de Nauru, autrement dit un enfer. Les tentes en toiles sous le vent et la pluie, des lits militaires, des repas de riz, poulet, pain et des coups de matraque pleuvent entre les injures. Seule Firuzeh comprend l'anglais. Le temps passe et la seule solution est d'aller à l'infirmerie, où l'on distribue des somnifères qui endorment les adultes désœuvrées. Si le turbulent petit Nour se fait des amis, quand il ne se dispute pas avec sa sœur (de façon très drôle d'ailleurs), Firuzeh parle avec Nasima ou son fantôme qui la conseille, et rencontre Farah, une jeune femme qui lui donne des sucreries et du coca-cola – on comprend vite que Farah qui semble avoir de l'argent pour s'acheter ce qu'elle veut se prostitue auprès des gardes. Les parents de Nazima ont eu leur titre de séjour et s'envolent pour Perth. La famille de Firuzeh elle reçoit une lettre : 2 000 dollars pour rentrer dans son pays ou rester dans ce camps, dans la promiscuité, la saleté (une douche pas semaine, dans des sanitaires qui empestent), la nourriture infecte, les vents et les moissons.
Puis un jour, arrive une lettre : la famille de Nasima n'a pas oublié ses amis et a réussi à faire appel. Ils arrivent alors dans le froid glacial de Melbourne pour recommencer une vie. Mais quand on ne parle pas la langue, quand trouver du travail pour qui n'a qu'un titre de séjour renouvelable ou pas tous les 2 ans), c'est difficile. D'autant que les enfants sont conquis par le mode de vie occidental. Alors que les parents économisent dollars après dollars, et malgré l'aide d'une association caritative, le fossé se creuse entre les traditions afghane (toujours recevoir un ou une invité avec un thé chaud et des pâtisseries qui coûtent cher, au grand dam du père), les enfants rêvent de cette vie occidentale où on va au cinéma, où les filles se maquillent, comme les copines de Firuzeh, Shirin qui vient d'Iran ou une autre adolescente afghane. Et puis le visa n'est pas renouvelé, alors que les 2 parents travaillent durs, que les enfants – malgré beaucoup de difficultés scolaires, tentent d'y arriver... Mais il y a Nasima qui conseille Firuzeh, et malgré l'adversité, finalement il resteront ici, et les autres dans l’infini océan.
Ce roman, surtout vu par Firuzeh est magnifique parce qu’il y raconte une réalité que l'on ne connaît pas, mais sans sombrer dans le pathétique. Pour cela, l'autrice insère les inénarrables chamailleries entre le frère et la sœur (qui pourtant s'aiment évidemment), les contres que racontent Abay, et l'amie imaginaire Nasima, la petite voix de la raison qui guide la jeune fille tout au long du livre, à se demander si son fantôme n'est pas réel. Cela donne un charme envoûtant à ce livre, qui ainsi combat la dureté. Les amitiés fortes qui se nouent, la solidarité grâce à une association caritative, la force de Firuzeh qui observe beaucoup mais refuse de se laisser abattre, la poésie, l'humour impayable de Nour, le choc des cultures font de ce livre un incontournable, en écho avec l'actualité. Des gens qui doivent abandonner tout, sans sacrifier à leur valeur de politesse, des gens qui ont enfin des noms, une histoire derrière eux, tout cela vous attrape aux tripes, laisse aussi vous échapper un sourire et nous rappelle à notre éternel devoir de bienveillance.
Extraits :
Tu sais comment on combat un cauchemar ? Est-ce que tu sais seulement de quoi est fait un cauchemar ? Non. Tu assembles des bouts d'histoires pour te créer un chez-toi ou une famille. Certains bouts, on te les donne, d'autres, tu les fabriques toi-même en vivant ta vie. Un cauchemar, c'est quand les bouts les plus moches et les plus féroces s'agglutinent ensemble, et partent chasser d'autres histoires pour les dévorer. Firuzeh dit : Tu ne peux pas te battre contre une histoire. Bien sûr que si. Il suffit de casser un cauchemar en petits bouts d'histoires dont il est constitué, et boum, plus de cauchemar.Et donc ?Tu vis dans un cauchemar. Tu devrais le mettre en pièces. Tu es cinglée.(réponse de Firuzeh à Nasima)
Mais où irons-nous ? fit Omid, les yeux écarquillés. Jadis, il n'avait été qu'un petit garçon aux genoux croûtés, pas plus lourd qu'un sac de blé. Jadis, Hassan l'avait porté sur ses épaules. Je n'en sais rien, répondit Hassan. N'importe où, Là où vont ceux qui quittent l'Afghanistan. C'est un pays d'exilés, un pays d'hirondelles migratrices. Toutes finissent par trouver un lieu où se poser. Toi aussi, tu trouveras.
Alors pourquoi ta famille à toi a quitté l’Afghanistan ? Ils refusent de me le dire.Ils refusent de te le dire ? Abay dit que je n’ai pas besoin de le savoir. Mais bien sûr que si ! On a besoin de raisons autant qu’on a besoin d’eau et d’air. Je serai la meilleure amie que tu aies jamais eue. Je te la trouverai, ta raison.
Firuzeh dit : Atay est un héros. Il transperce les lions et les dragons de sa lance. Il vaincra le div maléfique du ministère de l'Immigration, et lui coupera la tête.
Assez, dit Atay posément. Votre mère a raison. Firuzeh insista. Elle raconterait cette histoire comme il le faudrait. Tu iras sur ton cheval tacheté - enfin, dans ta voiture - jusqu'au bureau du ministère, et tu brandiras la vérité contre eux, telle une épée. Vous ne voyez pas ce qui se passe vraiment en Afghanistan ? Nous ne pouvons pas y retourner : nous nous ferions tous tuer. Et la vérité leur transpercera le cœur.Ne les laisse pas te briser ou te rendre plus dure. Ce monde est sans pitié, il n’a pas été conçu pour toi.
A-t-il quelque chose de juste ce monde ? rétorqua Abay. Ou est-ce que tout nous enseigne à nous soumettre à Dieu ?
L’ennui, déclara Nasima, c’est pire que les requins. Ils avaient vu les ailerons au loin la veille, mais à présent la mer n’avait plus à leur montrer que des bouteilles en plastique, des paquets de chips et des entrelacs d’algues.
Firuzeh rétorqua qu’elle préférait l’ennui.Les histoires vont là où les gens vont, dit Nasima. Elles résident dans les rêves, les récits, les souvenirs. Cela fait plus d’un siècle que les djinns se sont établis ici. Ils sont venus avec les premiers Afghans, l’endroit leur a plu, et ils sont restés.
Et pourtant, on est toujours ici, à attendre. Chacun de nous attendait quelque chose, et c’était cela qui nous faisait tenir. À présent, on n’a plus rien à attendre. À présent chaque minute de nos vies est un gâchis. Le temps nous cisaille les nerfs. Et ça fait mal. Très mal.
Comme quand j’étais en vie. Je n’étais qu’un espace en forme de fille dans l’univers. Quelque chose à nourrir. Auquel on met des chaussures et des robes. Qu’on élève comme il faut, comme un mouton, afin de pouvoir l’amener un jour au marché. Mais quelque chose qu’on ne voit pas, pas vraiment. Personne ne voit jamais vraiment sa fille. Pas comme on voit ses fils. Qui eux valent quelque chose. Qui eux travailleront un jour.
Merci", dit Grace aux photos. D'être montés à bord de ces bateaux. D'avoir lutté. D'avoir menti. De ne pas avoir lâché. D'avoir vécu. D'avoir trouvé la mort. D'avoir travaillé treize ou quatorze heures par jour dans une supérette à Footscray avant de déménager dans les collines. Pour les appels téléphoniques longue distance et les visites occasionnelles, pleines de gêne réciproque, lors desquelles Grace devenait soudain la parente riche et choyée, avec sa peau vierge de cicatrices, ses blessures invisibles. Merci, c'était bien trop peu.
Un rêve fracturé. Des bruits de pas creux sur un long quai, l’eau clapotant en contrebas. Les vibrations et les grondements familiers d’un moteur d’autocar. Des clôtures argentées s’ouvrant à leur passage pour les avaler. Firuzeh battit des paupières pour ouvrir les yeux, elle vit, et elle oublia.
BIOGRAPHIE
Autrice américaine, E.
Lily Yu a écrit des nouvelles plusieurs fois récompensées.
En
2021, paraît son premier roman "On fragile waves" traduit
par "L’Odyssée de Firuzeh", après neuf ans de
recherche. Elle travaille actuellement à un second roman "Jewel
box" à paraître en 2023 aux États-Unis.
Son site : https://elilyyu.com/
Je vous conseille aussi cet article qui vous permettra de comprendre aussi ce qui se passe dans le pacifique. https://fr.wikipedia.org/wiki/Solution_du_Pacifique
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