L'histoire
Ils étaient quatre amis d'enfance, vivant dans la réserve des Blackfeet dans le Dakota du Nord. Un jour, ils ont commis une énorme bêtise non conforme à la coutume : ils ont tués, le dernier jour de la chasse, dans une zone interdite à celle-ci, une jeune femelle caribou qui portait un petit. Le garde-chasse, non indien, n'a pas été très sévère. Dix ans plus tard, alors qu'un de leur camarade de cette chasse maudite est mort, les 3 amis qui ne se sont guère revus depuis, ont des visions ou hallucinations, comme si le fantôme de la femelle caribou réclamait vengeance.
Mon avis
Un très beau livre, dur et fleurtant entre le polar et le fantastique, qui raconte non seulement les aléas du destin, mais aussi la triste situation de ces indiens blackfeet, qui vivent soit dans le Montana, soit dans le Dakota du Nord, dans des réserves. Avec le poids des coutumes et des traditions.
Attribué au général de l'U.S Army Philip Sheridan, l'aphorisme « The only good Indian is a dead Indian » porte en lui-même toute une vision du Natif Américain qui hante à la fois la société Occidentale mais aussi le peuple Amérindien à l'heure actuelle. Souvenir d'un génocide impardonnable et funeste avertissement qui se condense pour devenir le titre du nouveau roman de Graham-Jones après son magistral Galeux qui vient justement d'être réédité en poche par les éditions Pocket.
Véritable succès
critique et public Outre-Atlantique, le roman s'ouvre sur un fait
divers :
« UN INDIEN TUÉ LORS D'UNE DISPUTE DEVANT UN BAR.
» peut-on lire dans le journal. C'est une façon de voir les choses.
En vérité, Ricky Boss Ribs n'a pas vraiment trouvé la mort en se
disputant avec des Blancs devant un bar. Autre chose rôdait dans les
parages. Une chose qui semble impossible et pourtant.
Ricky fait
partie d'un groupe de quatre Indiens issus de la même réserve dans
le Montana et de la ville de Browning.
Ricky, Lewis, Gabriel,
Cassidy, amérindiens, vont faire une partie de chasse illégale en
pénétrant sur des terres où ils ne sont pas sensés traquer le
caribou. Mais qu'à cela ne tienne, c'est le dernier jour pour eux où
la chasse est possible, le dernier jour où un Indien ne doit pas
revenir sans caribou. Nous sommes cinq jours avant la dinde et le
football, cinq jours avant un Thanksgiving classique. En prenant au
piège un troupeau entier, c'est finalement un carnage qui se
produit. Un carnage inutile puisque nos quatre chasseurs seront
surpris par le garde-chasse qui les contraint à abandonner leurs
trophées dans la neige. Parmi les cadavres, celui d'une femelle
caribou alors en pleine gestation. La promesse d'un avenir agonisant
dans la neige.
Dix an plus tard, Lewis vit avec Peta, une femme
blanche et végétarienne qui n'a pas grand chose d'Indienne au
contraire de Shaney, une Crow avec qui il travaille et à qui il va
finir par confesser cette chasse indigne qui le hante. Petit à
petit, des événements étranges surviennent dans la vie de Lewis.
Son chien, Harley, meurt étranglé en tentant de sauter au-dessus de
la palissade, la vision d'une étrange Femme-à-tête-de-Caribou dans
son salon le faut basculer de son échelle, des bruits de sabots
étouffés se font entendre dans les escaliers… Que se passe-t-il
dans la vie de Lewis ?
Bien décidé à tirer les choses au clair,
le Blackfeet essaye de démêler le vrai du faux, le réel du
fantastique. Jusqu'à ce qu'il comprenne que la mort de Ricky n'a
rien d'une coïncidence et que lui, Cassidy et Gabriel sont en
danger…
L'horreur larvée, presque
subliminale, va graduellement envahir la page et l'esprit des
personnages. Notamment celui de Lewis, archétype de l'Indien moderne
qui a quitté sa réserve pour adopter un mode de vie différent mais
qui, au fond, ne cesse de s'interroger sur ses origines et son
identité.
Bien vite, le scénario se déporte vers Browning et la
réserve pour retrouver les autres comparses, Gabriel et
Cassidy.
C'est ici que l'horreur, déjà dévoilée, affirmée
comme un retour de bâton du destin, se mêle à l'une des
thématiques centrales de l’œuvre de l'auteur : qu'est-ce qu'être
Indien aujourd'hui ?
Dès lors, l'américain dresse le portrait de
Gabriel qui tente de renouer le lien avec sa fille Denorah alors que
son mariage n'est plus qu'un lointain souvenir, puis celui de Cassidy
qui a fini par retrouver l'amour après une longue traversée du
désert avec Jolène, une Crow. Et puis Denorah, justement, la Finals
Girl, promise à un avenir brillant et magnifique grâce à son don
inné pour le basket.
On y croise également Nathan, un jeune qui
pleure encore la mort de son grand-père, et une hutte de sudation
pour un rite de purification Indien traditionnel et fortement
signifiant. L'auteur, lui même blackfeet explore l'identité,
confronte l'abord de la condition Indienne selon la génération à
laquelle on s'adresse et finit par montrer qu'il n'existe pas une
identité unique mais une pluralité de chemins vers notre ère
moderne. C'est aussi le questionnement sur l'éternel opposition
entre tradition et modernité, entre l'importance de respecter les
anciens et de construire de nouveaux avenirs, de trouver des modèles
et dépasser les clichés pour être qui l'on veut vraiment.
Comme
dans Galeux, Graham ne parle pas tant de l'injustice vécue par son
peuple aux États-Unis que de ce que sont devenus les Natifs à dans
l'Amérique d'aujourd'hui. du roman d'horreur, on glisse vers le
roman social. Mais ce n'est pas tout.
Car au fond, si ce roman
parle de quelque chose, c'est avant tout de famille, d'amitié,
d'amour et des liens qui unissent les personnages entre eux. C'est du
respect des générations et de ses racines, de la violence qui
habite l'Amérique et hante ses peuples.
Au centre de ce roman de
chasse, la fameuse Femme-à-tête-de-Caribou, change forme vengeresse
qui symbolise la faute, l'injustice et la rédemption tout à la fois
et qui appelle, finalement, à s'interroger sur la façon de mettre
fin au cercle de la violence et de la rancœur. En combattant, en
n'abandonnant jamais, mais aussi en acceptant de reconnaître ses
fautes et les façons de faire la paix avec soi-même.
Si l'on
osait, un pourrait presque dire que c'est le livre sur la
réconciliation avec soi, avec un passé où le sang a coulé de
façon aveugle et injuste au mépris des règles et des
traditions.
Si l'on osait, on pourrait voir un grand roman d'amour
dans ce récit où l'on arrache des têtes et où l'on étripe des
caribous.
Et si l'on osait, surtout, on pourrait dire qu'encore
une fois, l'auteur nous livre un roman passionnant et dense où
l'horreur ne masque jamais l'humanité de ses personnages faillibles
et torturés. Roman horrifique singulier et récit social sur la
réalité de l'identité Indienne, ce livre surprend par sa façon de
déjouer les attentes et par trouver les bons mots pour parler des
maux les plus profonds. Une réussite, encore, qui confirme tout le
bien que l'on pensait déjà de Graham : un auteur majeur de la
littérature américaine contemporaine, définitivement.
Extraits :
Le cocon de sacs de couchage et de couvertures de Harley était censé servir à isoler la hutte à sudation que Lewis avait construite derrière la maison, mais tant pis. Peut-être qu’ils serviront quand même. Peut-être que l’année prochaine, enveloppé de chaleur, d’obscurité et de vapeur, il puisera un peu d’eau dans le seau et en versera quelques gouttes pour Harley. En souvenir, et tout ça.
Vous pouvez le faire pour les chiens comme pour les gens, il en est certain. Et s’il se trompe, est-ce qu’un vieux chef va descendre du ciel pour lui donner une tape sur les doigts ? Lewis arrache une autre bande de masking tape, qu’il colle sur la moquette devant le canapé, puis le décolle et le recolle en essayant de bien suivre la courbe qui va du ventre à l’avant de la patte arrière. Le problème, c’est que ces morceaux de ruban adhésif à force d’être décollés et recollés rebiquent après quelques minutes, comme s’ils refusaient de faire partie de cette silhouette que veut leur imposer Lewis.Pour protéger ton petit, tu donnes des grands coups de sabots. C'est ce que ta mère a fait pour toi, là-haut dans les montagnes, lors de ton premier hiver. Son sabot noir qui jaillissait et venait frapper ces bouches grimaçantes était si rapide, si pur, insaisissable ; il laissait dans son sillage un arc parfait de gouttelettes rouges. Mais les sabots ne suffisent pas toujours. S'il le faut, tu peux l'ordre et déchirer avec tes dents. Et tu peux courir plus lentement que tu en es capable. Si rien de tout cela ne fonctionne, si les balles sont trop épaisses, tes oreilles trop pleines de bruit, ton nez trop plein de sang, s'ils ont déjà pris ton petit, tu peux encore faire une dernière chose.
C'est le genre de pensées erronées qu'ont les gens qui passent trop de temps seuls. Ils déballent d'immenses conneries sidérales de leurs papiers de chewing-gum, ils les mâchonnent, ils en font une bulle, qui les emporte dans un endroit encore plus débile.
Les caribous sont juste des caribous, c'est aussi simple que ça. Si les animaux revenaient hanter ceux qui les ont tués, les camps des anciens Blackfeet auraient été envahis de fantômes de bisons, au point de ne plus pouvoir aller et venir, sans doute.
"Oui, mais ils les tuaient à la loyale" entend Lewis...La mort ressemble à ça, n’est-ce pas ? Vous souffrez, vous souffrez, et puis vous ne souffrez plus. À la fin, tout s’apaise. Pas seulement la douleur, le monde aussi.
Afin de se blinder contre le genre de conneries que les équipes indiennes doivent subir quand le match est serré, Denorah essaie de s’inoculer toutes les saloperies que scandera la moitié du gymnase.
"C’est un jour idéal pour mourir.
Je ne me battrai plus éternellement.
Un bon Indien est un Indien mort.
Tuez l’Indien, sauvez l’homme.
Enterrez la hache de guerre.
Tous dans les réserves.
Rentrez chez vous.
Interdit aux Indiens et aux chiens."
Sa sœur a entendu tout ça à son époque, elle l’a lu sur des banderoles, illustrées généralement. Tracé au cirage sur les vitres des cars. Le slogan le plus courant était : "Massacrez les Indiens !"Elle s’appelle Denorah. Son père racontait qu’elle aurait dû s’appeler Deborah, car c’était le prénom d’une de ses tantes décédées, mais il n’avait jamais très bien su écrire, et il concluait son explication par ce sourire en coin qui avait sans doute fait des malheurs au lycée, il y avait de ça cent mille bières.
C’est ainsi qu’il se retrouve assis par terre, adossé au mur, replongé dans l’univers de ce roman. C’est la série sur cette guerre dont les elfes ne veulent pas, mais ils ne veulent pas non plus qu’on la découvre car elle peut détruire le monde entier. Alors ils la cachent dans une fontaine magique.
Je ne sais même pas pourquoi je viens ici », lâche Gabe en frôlant son père pour sortir par la porte à laquelle il s’était pendu une fois, après avoir bu trop de bières.
Mais ce n’est pas à cause de lui si elle est tordue. Celui qui a fait l’encadrement ne devait pas avoir d’équerre. Ou alors, c’est la faute du gars qui a coulé les fondations. Ou de celui qui a inventé l’idée de « portes ».Lewis nods, even more caught, his hands cupped over his mouth, his breath hot on his palms. Is he really about to tell her ? Does the hot girl from work get to know what his wife doesn't ? But she knew how to finish that elk on the floor, didn't she ? That has to mean something. And Lewis hates himself for saying it, thinking it, but there it is - she's Indian. More important she's asking. "It was the winter before I got married", he says. "Six, no, five days before Thanksgiving, yeah ? It was the saturday before Thanksgiving. We were hunting."
BIOGRAPHIE
Né à Midland, Texas ,
le 22/01/1972 , Stephen Graham Jones est un écrivain et
universitaire. Il est amérindien originaire de la tribu de Pikunis
(Blackfeet). Romancier et nouvelliste, ses fictions, qu’elles
s’inscrivent dans le genre SF, horreur, fictions criminelles, etc.,
sont toujours marquées par une recherche littéraire élaborée. Il
s’apparente au courant littéraire de la Renaissance amérindienne.
Il est lauréat de nombreux prix dont le Jesse H. Jones de
l’Institut des Lettres du Texas pour la meilleure œuvre de
fiction, et d’une bourse littéraire du fonds de dotation américain
pour les arts. Il a obtenu également le prix Bram Stoker de la
meilleure nouvelle longue 2017 pour "Mapping the Interior".
"The
Last Final Girl" (2012) a été sélectionné parmi les
meilleurs romans d’horreur selon le site Bloody Disgusting, en
2012. En 2016, il a publié "Galeux" ("Mongrels"),
nominé pour le prix Bram Stoker du meilleur roman.
Jones est
titulaire d'un BA d'anglais et de philosophie de l'Université Texas
Tech (1994), d'un MA d'anglais de l'Université de North Texas
(1996), et d'un doctorat (PhD) de l'Université d'État de Floride
(1998). Il est professeur d'anglais à l’Université de Colorado à
Boulder.
Voir ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Stephen_Graham_Jones
son site ici : https://www.simonandschuster.com/authors/Stephen-Graham-Jones/151691780

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.