L'histoire
Clara est une jeune fille sans histoire qui travaille pour un petit salon de coiffure peu fréquenté, malgré la verbe de sa patronne. Elle a un petit ami, JB, pompier et beau gosse qui ne s'intéresse qu'au hard-rock et aux sports. Le dimanche c'est poulet rôti chez ses parents puis balade aussi ennuyeuse que possible, tout comme sa relation avec JB. Mais un jour, un client inconnu du salon de coiffure - qui a une clientèle d'habitués - oublie un livre de poche : « Du coté de chez Swann » de Proust. La jeune fille le récupère, et après quelques mois d'attente, elle, qui ne lit pas, ouvre le livre, d'abord déconcertée puis fascinée par l’œuvre du grand écrivain dans lequel elle se reconnaît.
Mon avis
Voilà un livre charmant qui se lit très vite (192 pages) et qui nous confronte à 2 univers.
Il y a le petit salon de coiffure où l'on vit au rythme de la radio Nostalgie, des potins, le tout sous la direction de Madame Habib, ronchonneuse, trop maquillée, avec les coiffeurs. Nolwenn qui parle peu et commet quelques bourdes, Patrick, un fan de mangas qui est le meilleur coiffeur du salon mais qui ne travaille que le samedi et Clara discrète qui ne veut fâcher personne. Elle mène un petite vie qui se résume à ses trajets de bus pour aller au salon, une relation déclinante avec son bellâtre de copains qui ne s'intéresse qu'aux sports et au hard rock et les traditionnels déjeuners du dimanche midi avec le sempiternel poulet rôti, la petite balade et les discussions sans intérêts de ses parents. Bref une jeune femme comme il en existe des milliers.
Mais voilà, un client oublie un jour un livre de poche « Du coté de chez Swann » et Clara le récupère discrètement. Avant de l'ouvrir, il se passera un peu de temps. Car Clara ne lit pas beaucoup. Et Proust au début c'est quand même une écriture qui n'est pas facile. Mais, avec de la patience, l'aide d'un dictionnaire, Clara se retrouve dans les mots du célèbre auteur de « A la recherche du temps perdu ». Encouragée par une cliente-amie, Clara va lire les sept volumes, en se trouvant des affinités avec l'auteur, et cela va totalement bouleverser sa vie.
Roman initiatique, roman aussi sur le charme que la littérature peu avoir sur nous, ce livre est absolument charmant. De plus, avec humour, l'auteur distille quelques exercices de style, et cite quelques extraits de « la Recherche ».
Dans mon adolescence, j'avais passé un été à lire « A la recherche du temps perdu », les longues vacances estivales permettant de lire des « gros livres ». Si je ne me souviens plus très bien de tous les détails, mais j'avais aimé la finesse de son analyse psychologique, et l'observation méticuleuse de la société de son temps. Un bel hommage lui est ici rendu, alors que Proust, avec ses longues phrases, sa ponctuation indécise n'est pas le plus facile à lire des écrivains.
Mais reste le pouvoir magique des livres qui peuvent vous faire changer de vie, d'opinions, vous faire voyager, vous entraînez sur des chemins inattendus. Plein de tendresse, d'humour et d'une belle écriture, ce livre plaira aux amateurs de littérature.
Extraits
Marcel [Proust] n’a pas son pareil pour réconforter son lecteur esseulé. D’abord en le rendant plus intelligent, ce qui n’est pas rien, et aussi en lui faisant réaliser que l’amour n’existe pas, qu’il n’est qu’une fabrication de notre cerveau en réponse à notre frustration existentielle, à notre terreur de l’abandon, que la personne qu’on croit aimer n’a rien à voir avec qui elle est réellement, on la désire parce qu’elle nous échappe mais que, une fois qu’on l´a, on ne comprend même plus ce qui nous la faisait désirer, qu’on est de toute façon irrémissiblement seul, et qu’ainsi donc, en amour, on ne fait jamais que souffrir le martyre ou s’ennuyer comme un rat mort.
Plus on le lit, plus on l'aime, tu as remarqué ? - C'est vrai, dit Clara. C'est parce qu'on se fait à son rythme. Au début, on est là, Je comprends pas, cette phrase devrait s'arrêter et elle continue, mais c'est parce qu'on le lit trop vite, c'est une erreur. Il faut prendre son temps, faire des pauses. Maintenant, quand je le lis, j'ai l'impression de l'entendre me parler. - Une vraie proustienne...Et son humour, tu as remarqué comme il est drôle ? - Oui ! C'est très visuel, on est vraiment dans un film par moments. Quand il descend de son fiacre parce qu'il a vu une fille sur le trottoir et qu'il tombe sur la Verdurin qui croit que c'est pour elle qu'il a accouru.- C'est merveilleux ! Tu vas voir, c'est de plus en plus drôle. Tu as commencé Le côté de Guermantes ?- Oui, j'ai lu le début que j'ai adoré mais je me suis arrêtée pour relire Un amour de Swann. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie. - Ça arrive avec ce grand livre. On éprouve souvent le besoin de revenir en arrière. Sans doute pour être sûr qu'on n'a rien loupé.
À la lecture de ces pages, quelque chose d’un peu magique s’est passé qui, pour la première fois, lui a laissé penser que les livres pouvaient être meilleurs que la vie.
Marcel devenu adulte boit une gorgée de tisane au tilleul dans laquelle il vient de tremper une madeleine et quelque chose d'extraordinaire monte en lui, reprend vie. "Toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l'église et tout Combray et ses environs, tout cela prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. "
Elle n'est pas peu fière : elle lit A la recherche du temps perdu. Elle en est capable. Ce n'est pas rien. Anaïs ne pourrait pas lire A la recherche du temps perdu. Nolwenn, n'en parlons pas. Et le fait que c'est arrivé comme ça, par hasard et seulement par curiosité, contribue au sentiment de triomphe qui grandit en elle.
Et puis c’est une histoire édifiante. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui se réinventent. On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu’on nous présente en premier, on s’abstient de la questionner par manque d’audace, parce que c’est plus facile, plus confortable et, ce faisant, on vit la vie imparfaite et frustrante de quelqu’un qui ne nous ressemble que de loin.
Plus elle le lit, mieux elle le comprends. Il n’emploie pas de mots compliqués, c’est juste que ses phrases, souvent, vont voir ailleurs. Une fois qu’elle le sait, qu’elle a compris qu’il ne l’abandonne pas mais reviendra la chercher, ça va tout seul.
Se peut-il que tout ne soit chez l’homme que mensonge, hypocrisie, médiocrité ? Que la vie ne soit qu’une comédie des apparences à pleine plus plaisante qu’un reflux gastrique ? Que rien ne soit jamais à la hauteur du désir qui le précède ? Que le seul salut possible, la seule expérience envisageable de bonheur se trouve dans les œuvres d’art ?
Entendre sa voix de lectrice lui donne l'impression de retrouver une amie très chère. Une chaleur se diffuse en elle, une force, le sentiment que, quand elle lit aux autres, à haute voix, rien de grave ne peut lui arriver. Elle est faite pour ça, pour faire entendre la musique des mots, il ne faut plus qu'elle en doute.
Ce livre est si vaste, il aborde tellement de questions qu'il est quasiment impossible quand on lit de voir le monde autrement que par son prisme. La moindre chose devient proustienne. Une grappe de glycine, le violet de ses fleurs sur le vert de ses feuilles. La poussière en suspension dans une lame de lumière traversant une pièce sombre.
Proust, ce n’est pas difficile, c’est différent. Mais bon, il pourrait quand même aller à la ligne plus souvent.
A chaque fois , elle souligne la phrase ou dessine un petit cœur juste en face dans la marge.
Biographie
Né à Argenteuil, Val d'Oise , le 31/08/1971
Stéphane Carlier suit une hypokhâgne et une maîtrise d'Histoire à
Paris IV, il est pigiste dans diverses rédactions parisiennes
(France-Soir, Gala, L'Express). En 1996, il entre au ministère des
Affaires étrangères qui l'affecte aux Etats-Unis, où il passe dix
ans (New York, Los Angeles, Palm Springs) puis en Inde, à New Delhi.
A son retour, il passe deux ans et demi à Lisbonne avant de
s'installer en Bourgogne, où il réside aujourd'hui.
Afin que son
patronyme n'influence pas les éditeurs, il signe son premier roman
Antoine Jasper et l'envoie par la poste, depuis Los Angeles, où il
vit à l'époque. Sylvie Genevoix, alors éditrice à Albin Michel,
est la première à le contacter.
Son troisième roman, Les gens
sont les gens, paru en 2013, est sélectionné pour le Prix Orange du
Livre. Les droits sont optionnés pour le cinéma, tout comme ceux
des "Perles noires de Jackie O." et d'"Amuse-bouche".
Il
envoie "Le Chien de Madame Halberstadt" aux éditeurs par
la poste, sous le nom de Baptiste Roy. Quatre d'entre eux se montrent
intéressés, dont le Tripode, qui le publie en 2019 avec un certain
succès (17 000 exemplaires écoulés).
Son huitième roman,
"Clara lit Proust" (également envoyé par la poste) est
publié par Gallimard, dans la collection blanche, en septembre 2022.
Fin janvier 2023, plus de 30 000 exemplaires sont écoulés et sept
traductions en cours (Italie, Allemagne, Espagne, Brésil, Grèce,
Roumanie, Bulgarie).
En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Carlier
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