L'histoire
Une excellente biographie de l'une des grandes dames du Jazz, Billie Holiday, très documentée et précise.
Mon avis
Des biographies de Billie Holiday, il y en a plein. Elle même en a rédigé une «Lady sings the blues » avec le journaliste William Dufty qui est peu réaliste et où les faits ne sont pas tout à fait exact. Ce livre, que l'on trouve difficilement, je l'avais lu dans les années 90. Drôle, émouvant, mais un peu différent de sa vie réelle, c'est plus un ouvrage de promotion, même si la chanteuse avoue s'être prostituée, et avoir pris des drogues (qu'elle continuera à prendre jusqu'à sa mort).
Dans la réalité, celle qui est née Eléanora Flagan, son père, le guitariste jazz Clarence Holiday ne l'ayant jamais reconnue a vécu une vie de roman, tragique mais plein de vie aussi.
A 11 ans, elle est violée par un inconnu, viol qu'elle impute à sa mère Sadie. Les rapports entre la mère et la fille sont complexes. Sadie ne l'a pas vraiment élevée, la laissant au soin de sa famille ou dans des pensions évangéliques. A 13 ans, quand elle rejoint sa mère à New-York, elle vit dans un bordel. Très vite, son joli minois, et les quelques chansons qu'elle interprète lui valent une petite reconnaissance dans le milieu d'Harlem. Mais si Billie (le nom qu'elle décide de choisir) chantonne, elle n'a pas une grande culture musicale par contre elle a un sens inné du rythme et une oreille qui lui permet de retenir très vite les chansons. Très vite, dès 15 ans, elle écume les nombreux clubs de Harlem. La prohibition est alors en vigueur mais à Harlem, le ghetto noir, on trouve tout ce que l'on veut en whisky frelaté ou autres. Tard le soir, les musiciens se retrouvent pour des « jam sessions » et cette belle fille qu'est devenue Billie commence à chanter les airs de jazz que l'on entend, s'inspirant de la grande vedette de l'époque Bessie Smith ou de Louis Armstrong dont elle reprend les tubes. Elle gagne quelques dollars, qu'elle remet à sa mère, mais passe aussi les nuits à picoler et à fumer de la marijuana. Elle est finalement remarquée par un producteur John Hammond. Mais la dépression de 1929 arrive et fait des ravages, et les populations les plus pauvres et notamment noires vivent dans la misère. Billie décroche toute fois quelques petits cachets et à force d'obstination, elle finit par être embauchée par au Pods & Jerry, un cabaret sur la 133ème rue où elle joue avec le pianiste Bobby Henderson qui leur signe un contrat. Avec sa voix unique, ses modulations de rythme, elle remporte un franc succès. Elle ne gagne pas beaucoup, et avec Bobby ils écument les petits clubs d'Harlem. John Hammond, découvreur de talent pour la maison de disques Columbia la redécouvre et à 17 ans elle signe enfin son premier contrat et tourne dans des cabarets plus connus comme l'Appolo. Elle enregistre son premier disque à 20 ans et se fait des amis dans le monde sélectif du jazz. Le saxophoniste Lester Young, puis les plus grands musiciens vont l'accompagner tout au long de sa carrière. Jamais Billie ne restera sans engagements, malgré une année de prison pour détention de drogue et des compagnons violents. A croire que Billie ne peut trouver un plaisir qu'auprès d'hommes forts, bagarreurs, mais qui la frappent et la tabassent. Jimmy Monroe, un petit voyou qui se fait passer pour imprésario commence à l'initier à l'héroïne. Avant d'entrer sur scène, Billie est morte de trac et l’héroïne calme ses angoisses. Monroe l’escroque aussi joyeusement tout comme le fera un autre voyou Joe Guy qui la vole et la manipule. Puis son mari Louis Mc Kay, qui entretient deux autres femmes (ou qui est proxénète) la maintient sous sa coupe. Il tente de la sevrer d'héroïne mais Billie sait toujours où en trouver. Elle boit de plus en plus. Si elle suit des cures de désintoxications, elle arrive toujours à planquer une bouteille de cognac ou même de l’héroïne. Ses frasques alimentent la presse à scandales. Mais la Lady se relève toujours miraculeusement, enchaîne les clubs dans toute l'Amérique et aussi une tournée européenne où elle est accueillie en star. Elle est même considérée comme la meilleure chanteuse de jazz.
Billie n'a jamais pu avoir d'enfants. Il est possible que lors de séjours hospitaliers dans son adolescence, on lui ai retiré les ovaires, une pratique hélas malheureusement de mise pour les femmes noires, sous les lois Jim Crow et la ségrégation. A ce sujet, lors d'une tournée avec Count Basie et son orchestre, elle fera un esclandre et une belle bagarre générale s'en suivra. De même, elle chante « Strange Fruit » un poème de Lewis Allan mis en musique par Daniel Mendelsohn. Ce titre qui dénonce le lynchage des noirs et les exactions du Ku Klux Kan dans le sud deviendra sa chanson fétiche qu'elle chantera à chaque fin de concert avec force et conviction.
On a prêté à Lady Day beaucoup d'aventures aussi bien masculines que féminines. Vrai ou faux, en tout cas il est certain qu'elle a eu une liaison avec l'actrice Tallulah Bankead qui de par ses relations politiques évitera des ennuis judiciaires à Billie. Pourquoi ne pas avoir choisi cette voie là, puisque ses laissons féminines sont amicales et sans violence. Mais il semble que toute sa vie Billie ait voulu se punir via son corps, piqûres d'héroïne qu'elle camoufle sous des longs gants, coups de ses compagnons. Comme si ce corps, pourtant magnifique (elle et grande, sait bien s'habiller, se maquiller, avec toujours des gardénias dans les cheveux) était une erreur, un non-sens. Finalement ce n'est que sur scène que Billie est heureuse. De plus, elle compose aussi des chansons ce qui est assez rare pour une femme artiste (Lover man, Lady Sings the blues).
Si Billie Holiday n'a pas la puissance vocale d'Ella Fitzgerald ou de Sarah Vaughan (3 octaves et demi chacune), elle n'a pas non plus été formée comme ses deux consœurs à la musique, au gospel notamment. Même si elle a rempli les plus grandes salles américaines, c'est en misant sur son phrasé, sa façon d'allonger ou de modifier les tempos qu'elle conquiert son public. Et même si les dernière années de sa vie, où elle boit plusieurs litres de cognac ou de gin par jour, la rendant bouffie et amenuisant ses capacités vocales, elle reste encore auprès du public américain et de la critique musicale une très grande artiste.
Elle mourra le 17 juillet des suites d'une infection des reins et d'une congestion pulmonaire. Elle ne pesait plus que 25 kilos. Son enterrement a lieu le 21 juillet suivi par plus de 3600 personnes.
Elle aura influencé toute une jeune génération de chanteuse, comme Nina Simone, Diana Ross, Peggy Lee, Anita O'Day et un certain Franck Sinatra.
Cette biographie est extrêmement facile à lire et particulièrement documentée, l'autrice cite une partie de ses sources mais on sait qu'elle a fait un énorme travail de recherches et de consultations d'articles. Évidemment il restera toujours des zones d'ombres dans la vie à facette de cette femme qui avec un grand cœur, qui malgré les épreuves a toujours réussi à se relever, se renouveler aussi. Billie Holiday c'est la musique de l'intime, de l'âme dont on ne se lassera jamais.
Extraits
Si elle ne toucha pas le grand public de la même façon qu'a pu le faire Ella Fitzgerald, Billie eut toujours des aficionados dont le cercle s'agrandit encore aujourd'hui. Ceux qui écoutent Billie pour la première fois ne sont pas forcément séduits de prime abord. Sa voix ne frappe pas immédiatement par ses qualités extérieures. Son art est plus complexe, plus difficile à aborder, parce que plus ambigu. Tel le poète Paul Eluard qui "donnait à voir", la densité émotionnelle de Billie donne à ressentir. Ce n'est pas tant sa voix qu'il faut écouter que son coeur.
Ce qu'elle avait à partager était d'un domaine plus sombre et plus secret que ses consoeurs. Ses chansons reflètent ses bonheurs et ses désillusions, sa quête de l'amour, mais à fleur de peau. Et si elles touchent si profondément, c'est parce qu'elles expriment, d'une façon sous-jacente, la force de la sexualité qui lie une femme à un homme, la folie et la fragilité d'une relation amoureuse. Dans chaque chanson, il y a un mélange subtil de différents états d'âme. Billie n'est jamais entièrement joyeuse ou totalement amoureuse ou délaissée. Sa vérité est bien plus complexe. "Il paraît que personne ne chante comme moi le mot faim ou le mot amour, dit-elle. C'est sans doute parce que je sais ce que recouvrent ces mots." Elle a véritablement faim d'amour.
Combien de fois faut-il s'écraser avant d'oser dire ce qu'on pense ? Il faut être noire et pauvre pour le savoir, affirme Billie. Dans sa vie professionnelle, elle ne cherchait pas l'affrontement. Elle était arrangeante et décontractée. Il lui est arrivé plus d'une fois de se faire rouler par des patrons de clubs. Mais les insultes, l'injustice et la mauvaise foi la rendaient bagarreuse. Elle refusait qu'on lui marche sur les pieds.
La liberté d'improvisation autour d'un thème, l'indépendance des musiciens sont un exemple déterminant pour Billie. On avait le droit de chanter comme on voulait, du moment qu'on était bon. Le jazz était tout sauf un carcan, c'était, comme l'écrivait le critique Whitney Balliet, le son de la surprise.
Souvent Billie sèche l'école et court les rues avec les garçons. Les enfants insolents, bagarreurs, livrés à eux-mêmes sont les rois des petites combines et du vol à l'étalage. Mais ils se cantonnent à leur quartier. Depuis les lois Jim Crow, la ségrégation des Noirs est drastique. Interdiction de vivre dans les mêmes quartiers que les Blancs, de fréquenter les mêmes églises, hôtels, restaurants ou théâtres, de s'assoir à l'avant d'un bus ou de monter dans le même compartiment de train. Interdiction d'avoir un chien. On ne sert pas les Noirs dans la plupart des magasins.
Le jazz sert à oublier la pauvreté, la ségrégation, le malheur.
Rejetée par sa famille, délaissée par son père et sa mère, Billie est habitée par un besoin lancinant d'être acceptée.
Dans les grandes plantations de coton du sud des USA, on "incitait" les femmes noires à accoucher d'un enfant chaque année, afin d'assurer la future main-d’œuvre...
En 1923, le fastueux Cotton Club ouvre ses portes. Un cabaret au luxe exotique qui exploite la formule des grandes revues noires de Broadway : " Blanc dans la salle, Noir sur scène." Ségrégation strictement appliquée.
Elle a quinze ans et elle s'appellera dorénavant Billie Holiday. Elle refuse de porter, comme les esclaves et comme sa mère, le nom du maître de la plantation. Billie récuse l'humilité de Sadie, elle ne sera pas une Fagan. En s'appropriant le patronyme de son père, elle affiche sa filiation et proclame qu'elle veut être, comme lui, une musicienne.
Le déshonneur comme fatalité. Profil bas les filles. Eleanora a entendu ça toute son enfance. Mais elle a un tout autre caractère. La rage et le verbe haut. Et envie de chanter sans arrêt. Quand elle est gaie mais surtout quand elle se sent triste. Elle perçoit le mépris dont on l'entoure. Alors, pour se venger, elle fait enrager Tante Eva en chantant des chansons. "Mon homme ceci, mon homme cela", du blues bien trop vulgaire pour l'estimable tante.
Biographie
Sylvia Fol (soeur de deux musiciens français qui connurent un succès certain après la dernière guerre jusqu'aux années 70, le pianiste Raymond Fol et le saxophoniste Hubert Fol) passe son enfance à Tanger. Elle réalise un court-métrage et écrit pour le cinéma. Elle devient par la suite écrivain et publie trois romans aux éditions Robert Laffont.

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