vendredi 14 juin 2024

Madeleine BENJAMIN – Les enfants du Blizzard – Albin Michel 2023 -

 

 

L'histoire

Les deux sœurs Gerda et Raina, 16 et 17 ans sont employées comme institutrices avec comme mission d'apprendre l'anglais à la vague de migrants venus de Suède, Norvège, Allemagne, attirés par les annonces du gouvernement américain. Nous en en 1888, et ce que les USA nomment le Dakota où vit aussi une réserve Cheyenne. Mais sur ces terres, gelées en hiver et chaudes en été, difficile de cultiver ou de faire de l'élevage. Surtout que le temps est capricieux. Le 12 janvier 1888 la matinée est quasi estivale, mais un blizzard et un ouragan terribles s’abattent sur les écoles où enseignent les jeunes filles. Comment protéger ces enfants, peu vêtus du froid glacial qui s' engouffre partout ?



Mon avis

Madeleine Benjamin romance un sujet historique dont même les américains ne se souviennent plus. Le terrible blizzard de l'hiver 1888 qui a fait officiellement 260 morts chez les enfants, bien plus, car ne sont pas comptés les enfants amérindiens ou pas déclarés par leurs familles.

En 1887, le gouvernement des États-Unis avait lancé une grande campagne dans les pays d'Europe du Nord pour y faire venir des colons. Les grandes plaines de l'ouest, du Nebraska et du Dakota restaient peu peuplées, et les amérindiens parqués dans des réserves surveillées par l'Armée. Alors ils sont venus les colons auxquels on donnait des hectares de terre, parce que chez eux, l'emploi se faisait rare, les paysans ne gagnaient pas grand chose. C'est ainsi que les deux sœurs Olsen, filles d'intellectuels poussés par le changement et parlant anglais sont recrutées dans des écoles à une classe. Des bâtiments mal conçus avec des enfants de 5 à 15 ans issus des familles de colons.

Mais voilà que ce terrible blizzard arrive, alors que le matin même le temps était doux et que les enfants n'avaient pas leurs lourdes pelisses. Pour Raina, consciente que le petit bois de chauffage pour l'unique poêle ne suffira pas, décide de sauver tous les enfants, à commencer par Annette, une petite fille placée dans une famille où elle n'est pas la bienvenue et à qui la jalouse et stupide propriétaire n'a pas un mot aimable. Elle n'ignore pas non plus que son mari Gunner est intéressé par la jolie et fraîche Raina, une jeune fille prudente qui ne croit pas aux belles promesses.

La première partie du roman est formidablement étouffante , on souffre , on a froid , on espère , on prie mais on ne peut pas se sortir de ce marasme glacial .
Par la suite , viendra le temps de ..., vous savez , ce temps désespéré qui succède à toute catastrophe. Tellement bien relaté avec , il faut bien le dire, même si l'autrice grossit un peu les traits pour mieux faire passer le message, mais sans jamais tomber dans le misérabilisme et la mièvrerie. Deux sœurs, deux choix différents,
Derrière ce qu'on pourrait considérer comme un grave accident climatique se cachent bien des aspects de cette immigration. Les fausses promesses relayées par la presse pour " attirer " les volontaires, leur installation dans des plaines " désertiques " à la terre incultivable, la misère des colons, le retour au pays de la plupart , le racisme , le " système " éducatif qui n'en est pas un. Et puis il y a les profiteurs, les journalistes corrompus pour enjoliver la réalité, la compagnie de chemin de fer qui peut s'étendre, avec des tarifs élevés et des guerres internes entre les mairies, car là où le train passe, c'est une activité économique qui s'installe aussi.
Bien écrit, fluide, les chapitres alternent entre les récits et les choix des deux sœurs que désormais tout oppose. Avec une fin « ouverte » où l'on espère que Raina qui passe des diplômes universitaires mais reste hélas seule effectivement trouvera son bonheur.

Une lecture d'autant plus salutaires qu'en cette année 2024, les ouragans se sont déchaînés dans le middle-west américain, tout comme les chutes de neige, les inondations, des blessés et les morts. Pour l'écrire, l'autrice a fait des recherches pendant 1 an, en consultant les archives de presse, en regroupant des témoignages des enfants des survivants, dont certains sont devenus des personnages de ce livre.



Extraits

  •  Raina avait grandi, ce matin-là. Elle avait grandi, était sortie de l'enfance, des incertitudes, des idées fantasques, de ce romantisme idiot. Elle sentait qu'elle se tenait plus droite, que ses muscles s'étaient endurcis, qu'elle avait un goût amer dans la bouche. La vie dans toute sa beauté et sa tragédie c'était à cela qu'elle venait de goûter. Elle connaîtrait peut-être un jour l'amour à nouveau, la douceur, l'espoir, le bonheur. Mais elle ne connaîtrait plus jamais un monde où maman et papa avaient le pouvoir de tout arranger.  doit feindre ses orgasmes !

  • Anette est perdue dans la plaine en voulant partir vers la ferme où elle vit.
    « Elle resta un moment le bras en l'air, prête à frapper. Elle aurait aimé avoir quelque chose, quelqu'un à bourrer de coups. Elle hurla à pleins poumons, un long cri perçant qui se termina en geignement enroué. Elle haleta, c'était trop dur de respirer dans ce froid polaire, et pourtant de nouveau elle laissa libre cours à sa rage, une rage qui vint se heurter contre celle du ciel, sans le moindre effet. Elle était trop petite, trop insignifiante. Personne ne l'entendait. Personne ne s'en souciait. Tombant à genoux, elle pleura à gros sanglots. Et trembla, se consuma de colère, se ratatina de peur, et elle sut qu'elle allait mourir là et que personne ne s'en inquiétait.Prendrait-on la peine d'avertir sa mère ? Viendrait-elle chercher son corps ?  »

  • Là-bas, ils ne manquaient de rien ; il y avait toujours à manger sur la table, et les habits passaient de cousin en cousin. Ils n’étaient pas riches, c’est sûr – pas riches des choses qui ont de la valeur pour les hommes. Mais Raina savait que sa mère était plus heureuse, car elle était riche des choses qui ont de la valeur pour les femmes : la compassion, la conversation, la proximité. Malheureusement, une femme mariée ne choisissait pas. Son avenir était celui de son mari.

  • il est mort si petit, si vite, qu’il m’arrive d’oublier. Evidemment, je n’oublierai jamais complètement, mais les journées sont bien chargées, et je vous ai toutes les deux alors il m’arrive de ne pas penser à lui pendant quelques heures. Peter, c’est comme ça qu’on l’avait baptisé. Je ne reverrai jamais sa tombe et j’en ai pleuré, c’est vrai, quand on est partis.

  • Raina veut guider les enfants vers un refuge .« Elle marcha, et derrière cela suivit. Encore un pas, encore un. Quelqu'un tomba au milieu, il y eut des cris confus, puis il ou elle se releva tant bien que mal et la chaîne humaine reprit sa progression, en avant, en avant, toujours en avant. Pour combien de temps ? Combien de temps encore allait-il le supporter ? »

  • Il refusait que ses enfants soient instruits par pitié. Non, merci. Ils méritaient d’apprendre avec quelqu’un qui leur ressemblait et qui pensait comme eux. Ils méritaient d’être traités comme des êtres humains, pas comme de simples barreaux sur l’échelle du paradis. 

  • Mais ceux qui avaient vécu le blizzard ne l'oublieraient jamais. Ils transmettraient leurs histoires de génération en génération, sans les embellir, car ce n'était pas nécessaire. Et ce n'était pas leur genre. La vie continuait. Pour autant, bien des existences avaient irrémédiablement changé. Certaines, en mieux. La majorité, en pire.

  • Mais là c'était différent, et Anette n'arrivait pas à saisir en quoi ; elle savait juste que le nuage gigantesque qui cachait le soleil et secouait la petite école à en faire vibrer les vitres et les murs en planches semblait avoir recouvert son cœur aussi. Il lui donnait envie de hurler de terreur.

  • Aussi loin que l'œil pouvait voir, il n'y avait que ceci : un tapis mouvant de nuances de blanc aussi pures que la robe d'un ange; un soleil jaune cireux qui diffusait une méchante lumière crue et transformait la neige en dangereux tessons de verre visant pile les yeux.


Biographie

Néé Indianapolis, le 24/11/1962, Mélanie Benjamin est le nom de plume de l'écrivaine américaine Mélanie Hauser (née Miller).
Elle publie "Confessions of Super Mom" puis "Super Mom sauve le monde".
Son troisième roman, "Alice I Have Been", a été inspiré par la vie d'Alice Liddell Hargreaves.
"L'Autobiographie de Mme Tom Thumb" se concentre sur la vie de Lavinia Warren Bump. "Les Cygnes de la Cinquième Avenue", publié aux éditions Albin Michel, a été un best-seller international.

Son instagram : https://www.instagram.com/madeleine.benjamin.9803/


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