L'histoire
Nathalie Piegay nous raconte en 3 parties l'histoire et la vie fascinante des ces trois femmes qui ont révolutionné l'art moderne pour le faire passer dans l'art contemporain. Qu'ont-elles en commun ? Se connaissaient elles ? Pourquoi chacune à sa manière a utilisé les arts mineurs ou artisanat (couture, tricot, collage) puis les matériaux de récupération, puis les nouveaux médiums comme la résine, le polystyrène, l'acier pour des œuvres provocantes, féministes et engagées ?
Mon avis
Si vous êtes amateurs d'art ou simplement curieux ou surtout ceux qui ne comprennent pas l'art contemporain et les installations, ce livre est pour vous.
Il retrace le parcours de trois femmes devenues célèbres de leur vivant grâce à leurs sculptures. Ou leurs installations gigantesques.
Elles ne se connaissaient pas intimement dans la vie, avaient sûrement vu le travail des autres, mais ne sont pas copiées, mais ont créés des univers biens à elles, loin des convenances, loin du travail au masculin, sans rejeter les hommes de leurs vies d'ailleurs. Elles ont donné à réfléchir au rôle de la femme artiste, et de la femme tout court dans nos sociétés. Elles n'ont pas signés de pétitions mais ont brisés des tabous de façon magnifique, mais dont la plupart des gens n'ont pas les codes pour comprendre.
Il y tout d'abord le vécu : viols par son père dans l'enfance pour Niki. Pour Louise c'est traumatisme de voir sa mère humiliée par le père qui la trompe ouvertement avec Sadie, la gouvernante. Et pour Annette, qui reste d'une discrétion absolue sur sa vie privée, peut-être la vision des infirmes et blessés de guerre de Berk-sur-Plage, sa ville de naissance, où avant de devenir une belle plage touristique, était un port de pêche, avec les marins réparant leurs filets, criant d'un bateau à l'autre.
Et ces femmes qui hors de conventions, après des unions célèbres (Niki et Jean Tinguely, Louise et un riche marchand d'art, Annette femme de Boltanski) ont osé finir leur vie ou avoir des périodes amoureuses avec des hommes bien plus jeunes qu'elles : Jeremy, un galeriste new-yorkais de 30 ans son cadet, un certain Constantin qui supervise les tableaux du Jardins des Tarots (en Toscane). Niki fera construire dans la monumentale impérative un studio où l'on accède par le vagin. Seule Annette dont la vie intime est un château-fort imprenable semble avoir été restée toute sa vie avec Boltanski mort en 2021.
Le monumentalisme : alors que le mot sculptrice n'existait même pas du temps de Niki ou de Louise, voilà des femmes qui ont produit des œuvres monumentales. Que ce soient les nanas de Niki, ou les araignées géantes de Louise, même si elles ont été aidées par des artisans, il fallait avoir un sacré sens du génie pour concevoir des œuvres géantes 9 mètres de haut pour Maman la 1ère araignée avec son ventre contenant 10 œufs en marbres, dans une ossature légère faite de bonze cannelé. 15 mètres de haut pour certaines des Nanas de Niki. 5 m pour Annette qui préfère plutôt le format horizontal. Quand on sait que la sculpture est un art de l'équilibre, de répartition des masses (pour que l’œuvre tienne debout), on ne peut qu'admirer la prouesse. Les énormes nanas de Niki tiennent sur un pied, les araignées de Louise tient sur 8 pattes très fines. Comment ont-elles fait ??
Les matériaux innovants ou peu nobles : toutes ont travaillé avec des chutes de tissus, des tricots ou crochets qu'elles ont réalisé, des broderies. Autrement dit, elles ont récupérer « les ouvrages pour dames » pour en faire des œuvres d'art. Mais aussi des matériaux de récupération, comme Tinguely qui allait dans les casses récupérer de quoi monter ses machines, Niki ou Annette ont fait des des collages avec des matériaux de rebut, des tableaux en relief. Mais aussi l'utilisation de l'acier, plus léger que le bronze et moins onéreux, et les résines, le polystyrène, des matériaux issus du pétrole et dont les émanations très toxiques ont provoqué pour Niki de graves problèmes respiratoires. Les fabricants de l'époque ne mettaient pas en garde sur les dangers potentiels. Et pourtant, elles y ont découvert des possibilités techniques pour alléger les sculptures, et malléables pour imaginer des formes folles, plus souple que le plâtre qui fige trop vite et ne se taille pas vraiment.
En le plus important : l'engagement. Voilà 3 femmes qui ont milité contre le patriarcat (les nanas géantes de Niki, « la mort du père » de Louise, installation rouge sang, le Pinocchio au nez démesurément long d'Annette) De toutes Annette Messager va le plus loin : avec les photos « les yeux crevés » d'enfants, elle défend le sort des enfants privés de droits, ou massacrés. En enlevant le rembourrage des peluches, elle dématérialise la société de consommation, tout comme elle démembre des poupées. Toutes les trois ont travaillé sur le corps féminin pour le détourner de la plastique imposée par les médias, toutes ont eux comme symbole l'araignée qui tisse pour piéger ses proies dont elle va nourrir ses œufs.
Ces rapprochements, écrit dans la langue simple et parfois poétique de Nathalie Piegay, sont une excellente source d'information (elle nous donne une bibliographie en fin de livre). Elle-même raconte ses émotions, imagine des rencontres possibles mais reste toujours fidèle à la réalité.
Un seul regret : le manque d'illustrations pour éclairer son propos. Mais peut-être faut-il aller chercher nous-même sur Google les iconographies pour nous faire notre propre idée. Un livre passionnant et inspirant .
Extraits
J'étais alors en Suisse où je travaillais, et j'ai eu envie d'aller visiter les lieux où elle a habité, pour découvrir à la fois son œuvre et ce pays que je ne connaissais pas bien encore. Je n'avais pas la première idée de ce que j'allais découvrir ni de la force des obsessions qui allaient m'assiéger puis me conduire à vouloir tout connaître de la vie de cette femme. Pendant plus d'un an, de gare en gare, j'ai suivi Niki en Engadine, à Bâle où il y a le musée Tinguely, à Lutry, au bord du Léman, et à Fribourg, petite ville le long de la pauvre Sarine où se trouve l'espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle. [...]. C'est en allant à Fribourg depuis Genève que j'ai pensé à ce récit pour la première fois : j'allais raconter l'histoire de Niki de Saint Phalle. Je ne savais pas alors qu'elle n'en serait pas la seule héroïne et que s'ouvrait devant moi un monde de folies, de violence et de révolte.
Un jour elle dit à Gunther qu’elle est tombée amoureuse du glacier de Morteratsch, qu’elle veut y aller, non pas pour escala- der les sommets de la Bernina mais pour l’épouser. L’épouser? Elle va s’y engloutir, oui s’y engloutir, s’y brûler, car elle le sait à présent, la neige et le froid brûlent comme le feu. L’hiver à New York peut être glacial mais c’est un froid d’une nature différente. Il n’a pas le feu des Grisons. Il coupe, il tranche, mais il ne brûle pas. Elle ira jusqu’à la station de Morteratsch, elle montera dans la moraine, elle marchera dans la direction du Piz Palü, elle écoutera craquer la glace, elle se perdra dans les hurlements de la terre qui s’ouvre, elle remontera le cours du temps, car le glacier est très ancien, plus vieux que la montagne elle-même, et à la fin le Morteratsch l’avalera. Dans une des fentes grises elle sera engloutie et elle sera brûlée comme dans un brasier d’avant le temps. La montagne la mangera sans faire plus de bruit que d’ordinaire. Elle rejoindra encore une fois le Grand Tout.
Biographie
Nathalie Piégay-Gros est
spécialiste de la littérature française du XXe siècle.
Ancienne
élève de l'École normale supérieure, elle enseigne la littérature
française moderne et contemporaine à l'Université de Genève
depuis 2015.
Elle a été professeur de littérature française à
l'Université Paris-VII-Denis-Diderot.
Nathalie Piégay est
spécialiste de Louis Aragon (1897-1982), de Claude Simon (1913-2005)
et de Robert Pinget (1919-1997), en l'honneur duquel elle a organisé
un colloque en 2009.
Elle a publié de nombreux articles et
ouvrages sur Aragon, notamment "L’Esthétique d’Aragon"
(Sedes, 1997), et a participé aux travaux du groupe Aragon de l’Item
(Institut des textes et manuscrits modernes).
Elle a établi
l’édition de "La Semaine sainte" pour la Bibliothèque
de la Pléiade (Gallimard, Œuvres romanesques complètes, tome 4,
2008).
Une femme invisible" (2018), un roman historique
consacré à Marguerite Toucas-Massillon, la mère de Louis Aragon,
est son premier récit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.