samedi 10 décembre 2022

KARSTEN DUSSE – Des meurtres qui font du bien – Éditions du Cherche Midi - 2022

 

L'histoire 

Björn la quarantaine est avocat pénaliste, marié et père d'une petite fille qu'il aime plus que tout. Mais sa relation de couple a du plomb dans l'aile. Débordé par son travail, il n'a plus le temps nécessaire pour s'occuper de sa femme et de sa fille pourtant adorée. Il décide donc de consulter, sans trop y croire, un coach spécialisé dans la méditation de pleine conscience et autres techniques qu'il pourra mettre à profit pour déstresser. Et cela marche, il trouve un accord avec sa femme dont il se sépare et prend un week-end par mois pour s'occuper uniquement de sa fille. Sous la menace de l'épouse car Björn a pour clients les pires voyous de Berlin, notamment un maffioso redoutable qui gère ses affaires plus à coups de battes que des conseils avisés de son avocat.

Et par un étrange hasard de circonstances, Björn se retrouve à commettre en meurtre. Qui va en appeler d’autres. Mais toujours sous le principe de la « pleine conscience »


Mon avis

Premier roman d'une série future « les meurtres zen », ce polar a été en tête des ventes pendant un an en Allemagne.

Rien que le titre, on se doute bien que l'on va rentrer dans un univers hilarant, et innovant dans le genre du polar : le suspens sous le signe du bien-être.

Le héros qui nous raconte son histoire est au départ un avocat médiocre, embauché mais pas associé (son grand regret) dans un cabinet d'avocat. E plus son principal client est le pire voyou de tous les temps. Drogues, prostitution, trafic tous genres et illégaux, Dragan s'est pourtant enrichit grâce aux conseils judicieux de son avocat spécialiste des optimisations fiscales, des sociétés fictives etc. Mais Dragan a le chic pour se mettre dans pétrin.

De son coté, la femme de Björn n'apprécie pas du tout ce type de clientèle dont elle pressent un danger pour elle et sa fille. Sur ses conseils, notre héros va consulter un coach spécialisé en méditation de pleine conscience adaptée aux cadres supérieurs. Les préceptes sont vite assimilés trop bien même ! Un meurtre par « inattention » puis quelques autres bien planifiés en toute zénitude, voilà qui devient de l'art.

A la fois désopilant et totalement irrévérencieux, vous vous amuserez bien avec cet ouvrage à l'écriture parfaite et bien rythmée.

Au passage soit vous tirerez profit des cours de méditation et autres conseils relaxants tirés du «Ralentir la voie du dépassement – Manuel de pleine conscience pour cadres dirigeants » écrit par un certain Joshua Breitner( en tête de chaque chapitre), soit vous appliquerez, ce que je vous conseille pas vraiment une utilisation plus radicale de la méthode, sauf si vous prévoyez de passer la fin de votre vie dans un endroit sympathique comme les Baumettes, ou Fleury-Mérogis.

Ici sous son humour décapant et sa galerie de personnages qui par une écriture très drôle ne sont pas trop clichés, Dusse porte un regard un peu amer sur les vagues « new-âge » qui défilent tous comme les super-aliments selon les modes, les enjeux du pouvoir à tout prix, et le sens de la justice et une certaine critique d’une société où la réussite est un devoir. Très « page turner » (addictif en bon français), ce livre vous changera des traditionnels polars, mais ce n'est pas un chef d’œuvre non-plus. Netflix doit adapter en série ou en film ce roman franchement réjouissant.



Extraits :

  • Par manque d'expérience, je n'avais aucune idée de l'endroit où sectionner un doigt pour pouvoir l'utiliser comme tampon.

  • Mais les téléphones sont comme les armes : ce n'est pas de l'objet lui-même que vient le danger, mais de celui qui l'utilise. Contrairement à un revolver, le smartphone nuit exclusivement à son propriétaire. OK, il est possible de braquer un pistolet sur sa propre tête. Sauf qu'on fait ça pour en finir avec une vie bousillée, pas pour se la bousiller d'abord.

  • Tandis que ses principales sources de revenus restaient la drogue, les armes et la prostitution, je faisais désormais passer les gains par différentes franchises, entreprises de transport, établissements commerciaux ou de bars-restaurants dont j’avais acquis des parts en son nom. Je lui montrai aussi comment empocher de l’argent en détournant des subventions européennes pour des plantations d’aubergines inexistantes en Bulgarie, et ponctionner le système d’échange de quotas d’émission en vendant des bons d’option, deux méthodes au moins aussi criminelles que le trafic de drogue, mais qui ne nécessitaient pas de broyer les os de quelqu’un. Et soutenues par l’État qui plus est.

  • Rétrospectivement, c'était clair comme de l'eau de roche : si la vie d'une personne représente un problème, sa mort est la solution. Mais sur le moment, la solution la plus évidente nous échappe en général.

  • Et je n'ai tué mon premier homme qu'à quarante deux ans . Ce qui dans mon milieu professionnel actuel, est plutôt tardif. Bon , il est vrai qu'une semaine après, j'en étais déjà à presque six meurtres.

  • La pleine conscience, ce n'est pas "vivre et laisser vivre". La pleine conscience dit : "Vivez !", et il peut arriver qu'un tel impératif affecte la vie dissipée d'autres gens.

  • Cet été, Emily serait en âge d'aller à l'école. Il faut savoir que les critères d'attribution de places en maternelle sont bien plus opaques que ceux des licences de débit de boissons pour les bordels.

  • C’était un excellent avocat de la défense. Employé dans un des cabinets d’affaires les plus renommés de la ville. Opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre.C’était stressant, c’est clair. Et difficilement conciliable avec la vie de famille. (...) Il faut dire qu’en contrepartie du stress, j’avais droit à pas mal de choses : une voiture de fonction, des costumes sur mesure, des montres de luxe. Avant ça, je n’avais jamais vraiment accordé beaucoup d’importance aux signes extérieurs de richesse. Mais quand vous représentez le crime organisé, vous vous devez d’en afficher. Ne serait-ce que parce que en tant qu’avocat, vous êtes le signe extérieur de richesse de votre client.

  • Me serais-je lancé dans cette aventure de la pleine conscience s’il n’avait été question que de nous deux, de ma femme et de moi ? Je ne sais pas. Mais nous avons une petite fille, Emily, et, pour elle, j’aurais accepté d’aller de Sodome à Gomorrhe s’il y avait eu dans une de ces villes une chance pour nous et notre famille.

  • Pour moi, la nourriture russe m’évoquait un Chinois qui aurait mangé chez un Italien avant de tout revomir sur une assiette de spécialités allemandes.

  • C’était quoi encore le truc avec la liberté ? Aujourd’hui, j’en avais enfin fait l’expérience : la liberté consistait à na pas faire ce qu’on ne veut pas.

  • Il existe deux types de douleur: celle de la plaie et celle du couteau qu'on remue dans la plaie. On ne peut pas effacer une plaie. Mais si on renonce à remettre sans cesse le couteau dans la plaie, elle guérira beaucoup plus vite.

  • Une journée n’a pas assez d’heures, je n’arrive pas à déconnecter, je suis irritable, stressé, ma femme m’énerve, je ne vois jamais mon enfant qui me manque. Quand je trouve du temps pour ma fille, je suis systématiquement ailleurs en pensée. Ma femme méprise mon boulot, mon boulot ne me mérite pas…


Bibliographie

Né en 1973 à Essen (Allemagne), Karsten Dusse est avocat." Des meurtres qui font du bien" est son premier roman. Sa série s'est déjà vendue à plus de deux millions d'exemplaires.


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la méditation de pleine conscience :

Play-list :

jeudi 8 décembre 2022

CRAIG JOHNSON – Western Star – Gallmeister 2021

 

L'histoire

Engagé comme adjoint du Shérif d'un comté du Wyoming, Walt Longmire la trentaine, est convié à l'annuel événement qui rassemble tous les shérifs de l'état : 2 jours de voyage dans le mythique train « Western Star ». Sollicité par le chef de l'association des shérifs pour mener une enquête, dans un milieu où l'omerta est aussi abondante que le whisky, le jeune Walt va devoir démasquer un inquiétant criminel. 40 ans plus tard (de nos jours), cette enquête le poursuit encore.


Mon avis

Amateur de suspens version western, voilà un polar qui joue sur les deux genres.Ce bien curieux convoi ferroviaire ressemble à un Orient Express façon Agatha Christie, le livre que justement le jeune Walt tente de lire pendant ce voyage.

Y a de la baston, mais aussi une enquête à mener où les amis ne le sont pas forcément.

Le récit vif, porté par un rythme de boogie-woogie, alterne le passé et le présent. Le passé c'est ce voyage improbable à travers le Wyoming, l'état le moins peuple des USA, entre grandes plaines et la chaîne des Rocheuses (le parc de Yellowstone s'y étale). De Cheyenne, la capitale régionale à Evanston, le mythique train avale les vallées et montagnes, alors que le crime sévir. Quarante ans plus tard, ce crime est toujours présent dans la vie de Walt mais je laisse le lecteur découvrir pourquoi.

On lira avec joie ce polar (le 9ème de la série des Walt Longmire), par son humour et par son jeu subtil des codes.

Mais tout bon polar ne le serait pas sans quelques interrogations : ici la justice entre les peines à perpétuité et la compassion, un débat qui a divisé l'Amérique, entre ceux qui son pour le maintien en prison de détenus dangereux mais très malades ou ceux qui sont pour une peine aménagée en soins.Et puis il y a la nature sauvage du Wyoming, ici près des montagnes sous le froid et la neige, qui aident à maintenir un climat de suspens.



Extraits :

  • C'est la première fois que je viens dans le Wyoming - il est connu pour quoi ?
    - Yellowstone National Park, Devils Tower Nationnal Monument... ( Elle n'eut pas l'air impressionnée, alors j'ajoutai : ) Nous sommes le premier Etat à avoir accordé le droit de vote aux femmes et le premier Etat à avoir eu une femme au poste de gouverneur. (...)- La classe.

  • Autrefois, on pouvait voyager en train avec classe, mais depuis qu'ils réduisent le budget, tout ça… Je ne sais pas combien de temps le chemin de fer va continuer à exister. Bientôt, on sera plus qu'un autobus sur des rails.

  • On a tout le temps de rếfléchir dans un train... C'est peut-être pour ça que les gens ne le prennent plus.

  • Comment se fait-il qu'en présence de ces gens des médias, j'ai toujours l'impression d'entendre une nuée de criquets en bruit de fond ?

  • Les arbres nous enseignent la patience, mais l'herbe nous apprend la ténacité.

  • Autrefois, on pouvait voyager en train avec classe, mais depuis qu'ils réduisent le budget, tout ça… Je ne sais pas combien de temps le chemin de fer va continuer à exister. Bientôt, on sera plus qu'un autobus sur des rails.

  • Et au cas où tu n'aurais pas remarqué non plus, John est mort, Bobby est mort et Martin est mort, et rien, absolument rien, n'a changé - les gens restent toujours dans leur tribu. On n'est pas autre chose que ça, une juxtaposition de tribus.

  • Dans les hautes plaines régnait la certitude que quel que soit le problème, le whiskey était le reméde - peu importait la distillerie d'origine.

  • Il paraissait beaucoup plus fragile que dans le souvenir que j’avais de notre dernière rencontre à Cheyenne, quatre ans auparavant, et je me demandai ce qui le maintenait en vie, lui qui aurait dû mourir il y avait bien longtemps. Bien entendu, quand on s’assoit enfin à la table, les jeux sont déjà faits. La banque décide, et elle ne perd jamais, à la fin. Jamais.

  • Je finis de remplir le réservoir et entrai dans la boutique - je fais rarement confiance aux machines, et encore moins à celles qui vous prennent votre argent. En plus, les machines ne répondent pas quand on leur pose une question.

  • Lorsqu’il est passé à côté de moi en remontant, il a dit qu’il allait probablement te refaire le portrait bientôt, et je lui ai dit qu’il ferait bien de venir accompagné parce que la probabilité la plus probable était que tu allais lui botter le cul tellement profond qu’il aurait l’haleine parfumée au cirage Kiwi.

  • En prenant le temps d’essuyer soigneusement l’extérieur du pistolet, je me surpris à contempler le feutre vert sapin, couvert de taches d’huile laissées par des milliers d’armes à feu qui avaient été démontées et remontées là. Je me demandai combien d’hommes en avaient profité pour démonter et remonter leur cerveau.

  • Je contemplai la couverture, essayant de me remettre du fait que le clochard venait d’utiliser le mot « combinatoire » - les choses avaient bien changé depuis que j’étais parti.


Bibliographie

Né en 1961 à Huntington, West Virginia, Craig Johnson est un écrivain américain, auteur d'une série de quinze romans policiers consacrés aux enquêtes du shérif Walt Longmire.
Craig Johnson est titulaire d'un doctorat d'études dramatiques. Il a exercé des métiers aussi divers qu'officier de police à New-York, chauffeur routier, professeur d'Université, cow-boy, charpentier et pêcheur professionnel.

Outre la série Walt Longmire, il a publié une dizaine de nouvelles isolées et recueils de nouvelles. Longmire a été adaptée à la télévision américaine sous le titre Longmire, avec l'acteur australien Robert Taylor dans le rôle-titre.
Il vit avec son épouse Judy, dans les contreforts des Bighorn Mountains, dans le Wyoming.
Craig Johnson est lauréat de nombreux prix littéraires, dont le Tony Hillerman Mystery Short Story Contest pour la nouvelle "Un vieux truc indien", le Prix NouvelObs/BibliObs du Roman noir étranger, 2010 pour "Little bird" ou encore le prix Critiques Libres 2013 dans la catégorie Policier - thriller pour "Le Camp des morts".

Voir aussi :


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur le Westen Star :


Sur le Wyoming


Play-list :

mercredi 7 décembre 2022

ROBERT BENCHLEY – Pourquoi je déteste Noël – Wombat - 2011

 

L'histoire 

A offrir à tous ceux et celles qui détestent les fêtes de Noël, 12 petites nouvelles qui oscillent entre humour décalé et absurde.


Mon avis

A ne surtout pas pendre au sérieux, 12 nouvelles parfois très drôles, parfois un peu mystérieuse. Le livre a été écrit dans les années 1950, le style est donc de cette époque.

Un vieil oncle qui raconte des histoires pas drôles, un Noël à l'ancienne dans la campagne américaine enneigée et gelée, l’historique de la carte de vœux, le gamin invité insupportable... Pour tous ceux qui détestent les fêtes de fin d'années, même si les nouvelles sont inégales, Le Noël à l'ancienne qui ouvre le livre est particulièrement savoureux. Sans fioritures, sans excès de mots, voilà un petit livre à glisser sous le sapin d'un ami qui a de l'humour. Vite lu, vite oublié.

Mais pour du plus sérieux vous avez quand même d'autres choix.



Extraits :

  • Le déjeuner est largement à la hauteur de ses promesses. Si un Noël à l’ancienne pouvait consister uniquement en un déjeuner, sans les chambres à coucher à l’ancienne, le broc d’eau à l’ancienne et les divertissements à l’ancienne , nous autres pessimistes professionnels n’aurions plus la moindre cuisse de dinde à ronger.

  • En montant l’escalier, vous pénétrez dans une zone d’air froid dont la qualité évoque la température bien régulée d’une bonne crypte. C’est la Zone des Chambres à coucher, là où le thermomètre ne franchit jamais la barre du zéro degré du 15 octobre à la mi-mai. Ces chambres, dans lesquelles personne ne dort, servent d’ordinaire à entreposer des légumes périssables – quelqu’un doit d’ailleurs venir frictionner les tomates et les poires de temps à autre, pour éviter qu’elles durcissent sous l’effet du gel et finissent par se craqueler.

  • Un simple coup d’œil au broc d’eau vous informe que les patineurs vont désormais pouvoir s’en donner à cœur joie.

  • De multiples possibilités s’offrent à vous : vous pouvez aller chercher du bois dans la remise, dégeler la pompe à eau, ou bien vous plonger dans les livres exposés dans la bibliothèque au-dessus du secrétaire. Parmi ces trois options, rapporter du bois serait probablement l’activité la plus plaisante, car vous risquez de vous brûler en tentant de dégeler la pompe ; quant à la liste des lectures à votre disposition, elle comprend ‘’Vie et Hauts Faits du général Grant’’, ‘’Notre premier siècle’’, ‘’Le Voyage d’Andy à Portland’’, des volumes reliés de ‘’La Gazette des éleveurs de vaches de Jersey’’ et ‘’Les Maladies du cheval’’. S’y trouvent aussi plusieurs vieux numéros des ‘’Lectures au coin du feu’’ datant des années 1850-1854 ainsi qu’une pile de planches en couleurs représentant les plans de la future Exposition universelle de 1893 à Chicago. Ainsi passe le temps, dans une farandole de moments de franche gaieté.

  • George est un petit garçon très bien, dites-vous à votre fils, tu devrais prendre exemple sur lui." […] Or, pendant ces dix jours, George entraîne votre fils dans des expériences sur l’électricité qui aboutissent à faire sauter tous les fusibles de la maison et à brûler l’allume-cigare qu’ils avaient chapardé dans la voiture. Il le pousse aussi à traiter la cuisinière d’espionne allemande rôtisseuse de bébés, à insulter plusieurs petites filles du voisinage jusqu’à ce qu’elles pleurent et le menacent de représailles parentales, ainsi qu’à refuser de manger des épinards. Or vous savez pertinemment que Bill n’aurait jamais trouvé ces idées tout seul – il n’a pas assez d’imagination.

  • Voici la méthode préconisée pour se déshabiller avant de se mettre au lit dans une des chambres à coucher de pépé : commencez au pied de l'escalier, là où il fait encore chaud, puis grimpez les marches quatre à quatre afin de faire circuler le sang aussi longtemps que possible. Ouvrez la porte de la chambre d'une main, décrochez les rideaux de la fenêtre avec l'autre, empoignez les tapis de sol et piquez l'étoffe qui recouvre le bureau. Empilez le tout sur le lit, recouvrez avec la porte la plus proche que vous aurez préalablement sortie de ses gonds, puis bondissez au plus vite là-dessous. Parfois, il n'est pas inutile d'enfiler en plus une paire de caoutchoucs sur vos chaussures.



Bibliographie

Né en 1889 dans le Massachusetts et mort en 1945 à New-York, Robert Charles Benchley était un humoriste, scénariste et acteur américain.
Il a écrit de nombreux essais et articles humoristiques pour Vanity Fair et The New Yorker.
Dès 1928, il sera l'un des premiers comiques du cinéma parlant et recevra un Oscar pour son film intitulé : Comment dormir ?
Maître de l'humour décalé et absurde, il est l'un des écrivains américains les plus drôles du XXe siècle. Son petit-fils l'écrivain Peter Benchley fut notamment l'auteur du roman Les Dents de la mer.

Voir aussi :


En savoir Plus : 

Sur le roman

Pour fêter Noël à l'américaine :


Play List insupportable


samedi 3 décembre 2022

TOMMY ORANGE – Ici n'est plus ici – Albin Michel - 2019

 

L'histoire 

A Oakland, dans la baie de San Francisco, les amérindiens vivent dans des quartiers plus que miséreux et bien souvent élevés à l'école de la rue : drogues, alcool, non-éducation. Ils sont douze femmes et hommes indiens conviés au grand pow-wow annuel qui est censé redonner un esprit communautaire à des peuples décimés par les anciennes guerres amérindiennes, la misère, la vie rude.

Mais tout ne va pas se passer comme prévu.



Mon avis 

Ce premier roman de Tommy Orange, lui même indien résonne comme un coup d'éclat magistral pour redonner à la culture indienne ses lettres de noblesse mais aussi sa violence et sa situation actuelle.

Ils sont 12 hommes et femmes dont les voix alternent par chapitre, chacun ayant son histoire, son vécu. Adopté par des blancs ici, métissé là, vivant chichement et considérés comme des exclus, ils vont nous raconter une part de leur histoire. Ce grand pow-wow permettra des retrouvailles entre membres d'une même famille qui ne se connaissaient pas. Dans la première partie du livre, nous assistons à une galerie de portraits des protagonistes, leurs histoires, leurs rattachement plus ou moins fort à leur identité oubliée et laminée par les blancs.

Dans la seconde partie, le pow-wow tant attendu dégénère, avec ses conséquences tragiques, comme un écho lointain au passé. C'est fort, puissant.

Curieusement, les guerres indiennes et les massacres des populations d'Amérique ne figurent pas à ce jour parmi les génocides officiellement recensés par l'Organisation des Nations Unies. La non-reconnaissance de la violence à des effets d'autant plus terribles qu'ils empêchent toute reconstruction et le pardon qui appaiserait la société américaine. On sait que la Covid 19 a fait trop de morts dans les populations amérindiennes en 2020 et 2021. Les Navajos ont du se battre pour organiser des campagnes de vaccinations. D'autant que ces peuples vivent dans des réserves, peu salubres et surpeuplées.
D'origine cheyenne, l'auteur sait de quoi il parle. Son discours dépasse toutefois largement la seule cause amérindienne : ce livre est un cri, un appel au droit d'exister, une incitation à oser enfin regarder la réalité en face de part et d'autre, à raconter le passé et les souffrances qui résultent encore aujourd'hui de toutes les colonisations, et qui font le lit actuel et futur d'explosions de violence incontrôlées et incontrôlables.

Finalement nous sommes tous concernés par l'histoire universelle de la colonisation quelqu'elle soit. Nous savons que la paix dans bien des régions du monde serait possible une fois nos préjugés dépassés. Dans chaque ethnie, nous aurons des belles personnes et des mauvaises, des minorités qui sèment le chaos (je pense aux combats des femmes en Iran, de la situation catastrophique en Afghanistan, aux menaces de famine dans certains pays.


Extraits :

  • Opale est solide comme la pierre, mais il y a de l’eau trouble qui vit en elle et menace par moments de déborder, de la noyer – de monter jusqu’à ses yeux. Parfois elle ne peut plus bouger. Parfois il lui semble impossible de faire quoi que ce soit. Mais ce n’est pas grave car elle est devenue très forte pour se perdre dans ce qu’elle fait. Plus d’une chose à la fois, de préférence. Comme faire sa tournée en écoutant un livre audio ou de la musique. Le secret, c’est de rester occupée, se distraire, puis se distraire de sa distraction. Être doublement détachée. Il suffit de procéder par couches. Il suffit de disparaître dans le bruit et l’action.

  • Les indiens urbains se sentent chez eux quand ils marchent à l'ombre d'un building. Nous sommes désormais plus habitués à la silhouette d'un gratte-ciel d'Oakland qu'à n'importe quelle chaîne de montagnes sacrées, aux sequoias des collines d'Oakland qu'à n'importe quelle forêt sauvage. Nous sommes plus habitués au bruit d'une voie express qu'à celui des rivières, au hurlement des trains dans le lointain qu'à celui des loups, nous sommes plus habitués à l'odeur de l'essence, de béton coulé de frais et de caoutchouc brûlé qu'à celle du cèdre, de la sauge, voire du frybread - ce pain frit qui n'a rien de traditionnel, comme les réserves n'ont rien de traditionnel, mais rien n'est original, tout vient d'une chose préexistante, qui elle-même fut précédée par le néant. Tout est nouveau et maudit. Nous voyageons en bus, en train et en voiture à travers, sur et sous des plaines de béton. Être indien en Amérique n'a jamais consisté à retrouver notre terre. Notre terre est partout ou nulle part.

  • Tu sais, tu te comportes encore comme si tu avais quatorze ans, comme si tu mourais d’envie de retourner à tes jeux vidéo. Je ne serai pas toujours là, Ed. Un jour tu te retourneras et je serai partie, et tu regretteras de ne pas avoir profité davantage de ces moments passés ensemble. - Non mais je rêve.- Je te le dis, c’est tout. Internet a beaucoup à offrir, mais jamais aucun site Web ne remplacera la compagnie de ta mère.

  • Ne permets jamais à personne de t’expliquer ce que signifie être indien. Nous sommes trop nombreux à avoir donné notre vie pour qu’une petite part d’entre nous soit là, en ce moment, dans cette cuisine. Toi, moi. Chaque élément de notre peuple qui l’a fait est précieux. Tu es indien, parce que tu es indien.

  • Il est important qu'il s'habille comme un Indien, danse comme un indien même s'il joue la comédie, même s'il a de bout en bout l'impression d'être un usurpateur, parce que la seule façon d'être indien en ce monde est d'avoir l'apparence d'un indien et d'agir comme un indien.

  • Ton père te racontait qu'il n'avait pas pu faire de basket à l'université en Oklahoma parce qu'il était indien. En 1963, il n'en fallait pas plus. Les terrains et les bars étaient interdits aux indiens et aux chiens, en dehors des réserves.

  • Tout ici se forme en lien avec toutes les autres choses, vivantes ou non, issues de la Terre. Tout ce à quoi nous sommes liés. Le processus amenant tout élément à sa forme actuelle; chimique, synthétique, technologique ou autres, ne fait pas de son produit autre chose qu'un produit de la Terre vivante. Édifices, autoroutes, voitures ne sont-ils pas issus de la Terre? Ont-ils été acheminés depuis Mars, la Lune? Est-ce parce qu'ils sont traités, manufacturés ou parce que nous les maîtrisons? Sommes-nous si différents? N'avons-nous pas été tout autre chose à un moment donné? Homo sapiens, organismes monocellulaires, poussières spatiales, théories quantiques non identifiables d'avant le Big Bang..

  • Être indien en Amérique n’a jamais consisté à retrouver notre terre. Notre terre est partout et nulle part.

  • Certains d’entre nous ont cette impression chevillée au corps, tout le temps, comme si on avait fait quelque chose de mal…. Alors on se cache. On boit parce que l’alcool nous donne l’impression que nous pouvons être nous-mêmes sans avoir peur.

  • Nous avons organisé des pow wow parce que nous avions besoin d'un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d'argent et qui nous donne un but, l'élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow wow parce qu'il n'y a pas tant de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.

  • Mais nous sommes le résultat de ce qu'ont fait nos ancêtres. De leur survie. Nous sommes l'ensemble des souvenirs que nous avons oubliés, qui vivent en nous, que nous sentons, qui nous font chanter et danser et prier comme nous le faisons, des sentiments tirés de souvenirs qui se réveillent ou éclosent sans crier gare dans nos vies, comme une tache de sang imbibe la couverture à cause d'une blessure faite par une balle qu'un homme nous tire dans le dos pour récupérer nos cheveux, notre tête, une prime, ou simplement se débarrasser de nous.



Bibliographie

Né en 1982 à Oakland, Tommy Orange appartient à la tribu des Cheyennes du Sud de l'Oklahoma, mais il né et a grandi à Oakland, en Californie.
Il est diplômé d'un MFA en écriture créative de l’Institute of American Indian Arts, où il a eu comme professeurs Sherman Alexie et Joseph Boyden.
Il a fait sensation sur la scène littéraire américaine avec son premier roman "Ici n'est plus ici" ("There There", 2018), lauréat du prix John Leonard 2018 de National Book Critics Circle.

Voir aussi :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur les guerres amérindiennes (USA)


Sur les réserves amérindiennes aux USA


Une play List

YOKO OGAWA – La formule préférée du professeur - Babel poche 2018

 

L'histoire

La narratrice est embauchée par un éminent professeur de mathématique qui a malheureusement perdu la mémoire. Celle ci ne fonctionne que 80 minutes par jour. A force d'attention et de gentillesse, des liens affectueux se tissent entre cette femme, son fils et le mathématicien qui lorsqu'il s'agit de calculs savants n'a jamais perdu la forme.



Mon avis

plein d'humour et de délicatesse, ce petit roman nous offre un conte merveilleux à travers les chiffres (vous comprendrez sans aucun problème et cela sera même pour vous l'occasion d'apprendre ou de réviser quelques notions de base).

Racontée avec la subtilité que l'on connaît aux grandes écrivaines nippones, vous rentrerez dans un univers poétique, car oui, les chiffres cela peut être magique et totalement original.

La douce relation qui se noue entre l'aide-ménagère (la narratrice), son fils de 10 ans, écolier un peu récalcitrant, mais passionné de base-ball, nous montre tous les possibles de la filiation et d'une famille recomposée. De plus plein de petits exercices bien expliqués pourraient bien vous faire passer pour un génie des maths !

C'est drôle, c'est tendre, c'est instructif. Une ode aussi à la solitude, la vieillesse et le handicap, ici formidablement accompagnée par la gentillesse d'une maman et de son fils. Et aussi une autre façon d'aborder les maths, matière souvent complexe qui rebute. Parce que nous n'avons pas un charmant professeur et la ténacité d'une jeune femme au cœur immense.

A offrir aux adolescents ou à s'offrir.


Extraits :

  • Les nombres existaient déjà avant l'apparition de l'homme, que dis-je, avant celle du monde. [...]- Aah, vraiment ? Je pensais que c'étaient les hommes qui avaient découvert les chiffres. - Non, c'est faux. Si c'étaient eux personne ne ferait autant d'efforts et on n'aurait pas besoin des mathématiciens. Personne n'a été témoin de leur processus d'apparition. Quand on les a remarqués, ils étaient déjà là.

  • On peut exprimer les nombres parfaits comme la somme d'une suite de nombres naturels.6=1+2+3 – 28=1+2+3+4+5+6+7 – 496=1+2+3+4+5+6+7+8+9+10+11+12+13+14+15+16+17+18+19+20+21+22+23+24+25+26+27+28+29+30+31. Il tendait son bras au maximum pour écrire la longue addition. La ligne s'étirait, simple et conforme aux règles. Il n'y avait aucun gaspillage, elle débordait d'un tension aiguisée et pure qui engourdissait. Les formules obscures de la conjecture d'Artin et l'addition qui suivait les diviseurs de 28, le tout fondu ensemble nous encerclait. Chaque chiffre formait un des points qui, reliés l'un à l'autre, constituaient la délicate dentelle qui nous entourait. Je n'osais pas bouger, de peur qu'un mouvement d'inattention de mes pieds n'effaçât un seul de ces chiffres.
    On aurait dit alors, que le secret de l'univers se révélait à nos yeux. Le carnet de Dieu était ouvert à nos pieds.

  • Une autre merveille de l’enseignement du professeur était l’utilisation généreuse qu’il faisait de l’expression ne pas savoir. Ne pas savoir n’était pas honteux car cela permettait d’aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. Et pour lui, enseigner la réalité qu’il y avait là des possibilités intactes était presque aussi important que d’enseigner des théorèmes déjà démontrés.

  • Si l’on additionnait 1 à e élevé à la puissance du produit de pi et i, cela faisait 0. J’ai regardé à nouveau la note du professeur. Un nombre qui jusqu’au bout reste périodique et un chiffre vague qui ne montrait jamais sa nature véritable arrivaient à un point après une trajectoire concise.

  • Comme les nombres sont infinis, ils doivent donner naissance à autant de nombres premiers qu'on veut...- C'est vrai... Mais avec les grands nombres... Il arrive qu'on se perde dans une zone désertique... On a beau avancer, on n'aperçoit pas l'ombre d'un nombre premier. C'est une mer de sable à perte de vue...On croit apercevoir un nombre premier, on se précipite mais ce n'était qu'un mirage...Jusqu'à ce qu'on aperçoive, au delà de l'horizon, remplie d'eau pure, l'oasis des nombres premiers.

  • Nous avions échangé la promesse, Root et moi que, même si le professeur nous posait plusieurs fois la même question, même si nous étions obligés de lui fournir plusieurs fois la même réponse, nous ne lui montrerions jamais notre lassitude.

  • Elle était combative, et détestait plus que tout que l'on me considère, moi sa fille, comme issue d'une famille pauvre où il n'y avait pas de père. Même si nous étions vraiment pauvres, elle faisait de son mieux pour que nous puissions être riches d'apparence et de cœur.

  • Quelle était la pureté de cette résolution à laquelle j'étais enfin parvenue après le chaos où je m'étais égaré? C'est comme si j'avais extrait un éclat de diamant au fond d'une caverne sur une lande déserte. Et personne ne pouvait nier l'existence de ce cristal, ni l'abîmer. Je m'adressais des louanges, riant discrètement, en proportion inverse des félicitations que le professeur ne m'avait pas adressées.

  • Les recherches sur les ellipses ont donné les orbites des planètes, la géométrie non euclidienne a produit les formes de l’univers selon Einstein. Les nombres premiers ont même participé à la guerre en servant de base aux codes secrets. C’est laid. Mais ce n’est pas le but des mathématiques. Le but des mathématiques est uniquement de faire apparaître la vérité.

  • Mais cette fois-ci, ses larmes étaient différentes de celles que j'avais connues jusqu'alors.J'avais beau tendre la main, elles coulaient dans un endroit où je ne pouvais pas les essuyer.

  • Le professeur resta seul , immobile au milieu du bac à sable . Incapable de lui venir en aide , je me contentai de regarder son dos . Les pétales des cerisiers tombaient en voltigeant , qui ajoutèrent de nouveaux motifs aux secrets de l'univers.

  • Dieu existe. Parce qu'il n'y a pas de contradiction dans les mathématiques. Et le diable existe également. Parce qu'on ne peut pas le démontrer.



Bibliographie

Née en 1963 a Okayma, Yōko Ogawa est une écrivaine japonaise.
Diplômée de la prestigieuse Université Waseda, elle est auteure de nombreux romans - courts jusqu'en 1996 - ainsi que de nouvelles et d'essais.
Elle a remporté le prestigieux Prix Akutagawa pour "La Grossesse" en 1991, et également le Prix Tanizaki 2006 pour "La Marche de Mina", le Prix Kyōka Izumi 2004, le Prix Yomiuri 2004 pour "La Formule préférée du professeur", et le Prix Kaien 1988 pour son premier court roman, "La désagrégation du papillon" ("Agehachō ga kowareru toki").

Ses romans sont caractérisés par une obsession du classement, de la volonté de garder la trace des souvenirs ou du passé ("L'Annulaire", 1994 ; "Le Musée du Silence", 2000 ; "Cristallisation Secrète", 1994), cette volonté conjuguée à l'analyse minutieuse de la narratrice (ou, moins fréquemment, du narrateur) de ses propres sentiments et motivations (qui viennent souvent de très loin) débouchant fréquemment sur des déviations et des perversions hors du commun, le tout écrit avec des mots simples qui accentuent la force du récit.D'autres thèmes sont abordés par l'auteure dans ses livres, comme la nostalgie, le deuil ou l'abandon, la folie ordinaire qui prend ses personnages pendant un instant.
Au Japon, "La Formule préférée du professeur" ("Hakase no aishita sūshiki") a été récompensé du Prix Yomiuri 2003 et y est également sorti en film (2005), en bande dessinée (2006) et en CD audio (2006).
Yōko Ogawa vit à Ashiya, Hyōgo, avec son mari et son fils.

Voir également :

En savoir Plus :

Sur le roman

Sur les mathématiques