lundi 26 décembre 2022

Arturo PEREZ-REVERTE – Le tableau du Maitre Flamand – Livre de poche - 1994

 

La partie d'échecs - tableau de Pieter Van Rhuys ( 1471


L'histoire

Julia est restauratrice d’œuvres d'art à Madrid. Quand elle doit restaurer et documenter un tableau du peintre flamand Pieter Van Huys peint en 1471 et qui représente une partie d'échecs, elle découvre une inscription masquée par le peintre lui-même « Qui a tué le cavalier ? ». En relation avec la partie d'échecs, c'est une énigme que doit décoder Julia, aidée par son ami de toujours César et un joueur d'échecs Munoz Mais la partie ne fait que commencer quand l'assassinat d'un ami de Julia fait voler en éclat les certitudes.


Mon avis

Dans le genre polar historique, pour ce 3ème roman, l'écrivain espagnol a fait très fort. Une double enquête qui mêle l'histoire d'un assassinat commis en 1469, deux ans avant que le tableau ne lui soit commandé et un jeu d'échecs.

Inutile d'être un joueur d'échecs pour comprendre le roman, des schémas explicatifs vous permettent de suivre la partie. Car une fois identifé l'assassin du Chevalier, la partie continue mais sur un autre terrain, 5 siècles plus tard et qui menace Julia, identifiée comme la Reine Blanche.

L'aide de ses amis César, un antiquaire homosexuel cultivé et qui joue le rôle de père et de mentor pou Julia et Munoz, un brillant joueur d'échecs recruté pour l’occasion un homme sans relief taciturne mais génie mathématiques.

Toute une galerie de personnages entourent les héros. De la galeriste volage mais largement intéressée par l'argent que peut lui rapporter ce tableau, au vendeur, un charmant monsieur érudit et grand amateur d'échec à des personnages plus louches, Perez-Reverte, sous l'apparence fausse des clichés, donne de l'épaisseur à tous ces personnages qu'il entraîne avec nous, dans une intrigue folle et bien pensée.

Au passage, nous en apprenons un peu plus sur le monde de l'art où l'argent est le but principal et sur la restauration de tableaux, la minutie exigée et la communion antre l'artiste et son restaurateur. Mais aussi entre l'artiste et son spectateur, nous, qui faisons aussi partie de l'enquête dont la fin brillante et le dernier chapitre poétique nous renvoie à la nostalgie du cercle de la vie, de la mort, du pardon ou de l'oubli.

J'ai maintes fois offert ce polar (qui a reçu un grand prix littéraire) notamment à des gens qui n'aiment pas trop lire. L'érudition dont fait preuve ici Perez-Reverte peut ouvrir des portes sur d'autres sujets d'intérêt : la peinture flamande du Quattrocento la musique de Bach, et une partie de l'histoire de France.Passionnant, ludique c'est devenu depuis un incontournable de la littérature policière. Avec les mots justes, en 346 pages (un petit roman), vous serez séduit.

Je vous conseille d’avoir la reproduction du tableau avec vous. Je vous la joins.


Extraits :

  • Il entend le claquement sourd de l'arbalète et se dit, en un éclair, qu'il doit s'écarter de la trajectoire du trait ; mais il sait qu'un carreau court plus vite qu'un homme. Et il sent que son âme laisse couler lentement une plainte amère tandis qu'il cherche dans sa mémoire un Dieu à qui confier son repentir. Et il découvre avec surprise qu'il ne se repent de rien, même si à dire vrai il n'est plus très clair qu'il y ait, en ce moment où la nuit tombe, un Dieu pour l'écouter. Alors il sent le coup. Il y en a eu d'autres auparavant, comme en témoignent ses cicatrices ; mais il sait que celui-ci n'en laissera pas. Il ne fait pas mal non plus ; à peine si l'âme semble s'échapper par la bouche. Alors tombe soudain la nuit irrémédiable et, avant de s'enfoncer en elle, il comprend que cette fois elle sera éternelle. Quand Roger d'Arras lance son cri, il n'est déjà plus capable d'entendre sa propre voix.

  • Plus encore que vous ne croyez, Bach, comme beaucoup d'artistes, aimait jouer de tours. Il recourait constamment à des stratagèmes pour tromper son auditoire : espiègleries avec des notes et des lettres, variations ingénieuses, fugues insolites et, par-dessus tout, un grand sens de l'humour... Par exemple, dans une de ses compositions à six voix, il introduit en catimini son propre nom, réparti entre deux des voix supérieures. Mais ces choses n'existaient pas seulement en musique : Lewis Caroll, qui était mathématicien et écrivain en plus d'être un grand amateur d'échecs, affectionnait les acrostiches... Il existe des manières fort habiles de cacher des choses dans une pièce de musique, dans un poème ou dans un tableau.

  • A le regarder marcher les mains dans les poches, à voir sa chemise élimée, ses grandes oreilles qui dépassaient au-dessus du col de sa vieille gabardine, il donnait l'impression d'être exactement ce qu'il était : un obscur employé de bureau qui ne fuyait la médiocrité qu'en se plongeant dans le monde des combinaisons, des problèmes et des solutions que les échecs pouvaient lui offrir. Le plus étrange en lui était ce regard qui s'éteignait lorsqu'il ne fixait plus l'échiquier ; cette manière de pencher la tête comme si quelque chose pesait trop lourd sur les vertèbres de son cou ; comme s'il voulait ainsi que le monde extérieur glisse de côté sans le frôler plus qu'il n'était nécessaire.

  • La vie est une aventure incertaine dans un paysage diffus aux limites en perpétuel mouvement, où les frontières sont toutes artificielles ; où tout peut s'achever et recommencer à chaque instant, ou prendre fin subitement, comme par un coup de hache, inattendu à tout jamais. Où la seule réalité absolue, compacte, indiscutable et définitive est la mort.

  • Dieu déplace le joueur, et celui-ci la pièce. Quel Dieu derrière Dieu commence donc la trame ?

  • Parce que le jeu d'échecs est en effet un succédané de la guerre ; mais aussi quelque chose de plus... Je veux parler du parricide - il leur jeta un regard gêné, comme s'il les suppliait de ne pas prendre au sérieux ce qu'il allait dire. Il s'agit de mettre en échec le roi, vous comprenez ?... De tuer le père. Je dirais que les échecs sont encore plus proches de l'art de l'assassinat que de l'art de la guerre.

  • A partir d'un certain âge, certaines saisons finissent par ressembler horriblement à une parodie de vous-même.

  • L’impression de réalisme était si intense qu’elle réussissait pleinement à produire l’effet recherché par les vieux maîtres flamands : intégrer le spectateur dans le complexe pictural, le persuader que l’espace d’où il contemple la peinture est le même que celui qu’elle renferme ; comme si le tableau était un fragment de la réalité, ou la réalité un fragment du tableau.

  • Dans cette relation spirituelle délicate et souvent malaisée qui s'établit entre tout restaurateur et son œuvre, dans l'âpre combat que se livrent conservation et rénovation, la jeune femme avait la qualité de ne jamais perdre de vue un principe fondamental : une œuvre d'art n'est jamais remise sans graves dommages en son état originel. Julia était d'avis que le vieillissement, la patine, et même certaines altérations des couleurs et vernis, certaines imperfections, retouches, reprises se transforment avec le passage du temps en un élément aussi important de l’œuvre d'art que l’œuvre proprement dite.

  • Nous avons l'impertinence de chercher la clé de secrets qui au fond ne sont pas autre chose que les énigmes de nos propres vies.

  • La Partie d'échecs dépassait de loi la commande du seigneur duc. Car tout était là : la vie, la beauté, l'amour, la mort, la trahison.

  • L'homme n'est pas né pour résoudre le problème du monde, mais pour découvrir la nature du problème.

  • devant la dame absorbée par sa lecture près de la fenêtre, les deux joueurs poursuivaient une partie d’échecs qui durait depuis cinq siècles, représentée par Pieter Van Huys avec tant de rigueur et de maîtrise que les pièces paraissaient sortir du panneau, prendre un relief propre, comme les autres objets du tableau.

  • Dans le noir - c'était une autre de ses leçons - les choses sont pareilles qu'en plein jour; la seule différence, c'est qu'on ne peut les voir.


Bibliographie

Né en 1951, Arturo Pérez-Reverte est un écrivain, scénariste espagnol et ancien correspondant de guerre.
Diplômé en sciences politiques et en journalisme, il est grand reporter et correspondant de guerre durant une vingtaine d'années (1973-1994), pour la presse, la radio et la télévision. Il a notamment couvert la guerre de Chypre, diverses phases de la guerre du Liban, la guerre d'Érythrée (pendant laquelle il disparaît pendant plusieurs mois et survit grâce à ses amis guerrilleros), la campagne de 1975 dans le Sahara, la guerre des Malouines, la guerre du Salvador, la guerre du Nicaragua, celle du Tchad, la crise de Libye, les guérillas au Soudan, la guerre du Mozambique, celle d'Angola, le coup d'État de Tunis. Parmi les derniers conflits qu'il a couverts, on compte la révolution roumaine (1989-1990), la crise et la première Guerre du Golfe (1990-1991), la guerre de Croatie (1991), et la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1994).

Il a commencé sa carrière de romancier en 1986 (Le Hussard"). Ses romans, "Le Maître d'escrime" (1988), "Le Tableau du maître flamand" (1990, Grand Prix de Littérature policière 1993), "La Peau du tambour" (1995, prix Jean Monnet 1997, récompensant le meilleur roman européen), les sept tomes des "Aventures du capitaine Alatriste" (1996-2011) ou encore "Le Cimetière des bateaux sans nom" (2000, Prix Méditerranée étranger 2001) sont tous des succès mondiaux traduits en 25 langues.
Depuis 1991, il tient une page d'opinion, dans le magazine "XLSemanal", devenue une des plus lues de la presse espagnole avec près de 4 millions et demi de lecteurs. Il est membre de l'Académie royale espagnole depuis le 12 juin 2003.
Il a aussi collaboré en tant que scénariste aux films "Territoire comanche" (1997) et "Gitano" (2000).

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Sur le roman

Sur la peinture flamande du Quattrocentro


Sur Van Eyck


Sur Geronimus Bosh


Sur Peter Brueghel l'ancien


Les autres peintres


Sur le coté historique


Play-list


Musiques du Quattrocento :

La musique du Quattrocento est essentiellement religieuse ou sous forme de motets (musique profane), ainsi que le luth

Enfin si vous avez lu cet article jusqu'au bout, cliquez sur quelques liens, vous aurez des questions à me poser. Et là vous verrez que Perez-REVERTE a fait encore plus fort que vous ne le pensiez. Alors vous avez trouvé ? Laissez moi un commentaire sur Facebook.  





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samedi 24 décembre 2022

LEE SEUNG-U – La vie rêvée des plantes – Zulma 2022 -

 


L'histoire

Kihyon, est de retour chez lui à Séoul (Corée du Sud) où il retrouve sa famille. Son frère aîné promis à un très brillant avenir est hélas devenu handicapé. Son père est mutique et vit dans son jardin. La femme dont il était amoureux est devenue bibliothécaire, plus ou moins en ménage. Un mystérieux client de sa petite agence de détective le charge de surveiller sa propre mère, une femme qui ne semble pas lui avoir témoigné beaucoup d'affection. Quels secrets va-t-il découvrir ?


Mon avis

Malgré le résumé, il ne s'agit pas du tout d'un polar mais d'un roman sur la rédemption.

Dans cette famille silencieuse où chacun semble vivre sa vie de son coté, il y a le cadet, Kihyon qui s'est enfuit de chez lui à 16 ans, a bourlingué puis est rentré 7 ans plus tard. Il a appris que son frère aîné Uhyon, brillant et promis à un bel avenir (alors que lui était mauvais élève) a été amputé des jambes après un accident lors d'une manœuvre militaire. Ce frère aîné tant jalousé est aussi sujet à de terribles crises que seuls la mère ou le père peuvent gérer.Indirectement le héros de ce petit livre est à l'origine du drame. Il était tombé fou amoureux de la petite amie de son aîné, la belle Summi.

Et puis ce mystérieux client qui lui demande de surveiller sa mère. Une chose qu'il refuse puis accepte par curiosité. Des vieux secrets remontent. Et Kihyon qui peut avoir des réactions violentes, se sent soudain investit de la mission de ressouder sa famille et de redonner à son frère le goût de vivre.

Les éditions Zulma ont demandé une nouvelle traduction de ce livre emblématique de l'écrivain Lee Seung-U, qui colle plus au style. Nous retrouvons ici la délicatesse de l' écriture asiatique, cet amour de la nature et des choses simples dans un drame psychologique où l'auteur s'empare aussi d'un sujet tabou : la sexualité des personnes handicapées. La figure magistrale du frère aîné, plein de rancœurs et la perte de son amour le rendent cruel, tout comme a été cruel le cadet. L'auteur aborde aussi les violences faites aux femmes coréennes,

Et le rôle presque onirique de la nature et des arbres en fait un livre qui paradoxalement à son histoire rude nous apaise. Un livre intense qui nous rappelle que la littérature asiatique (coréenne et japonaise) ont en commun la délicatesse, la poésie de la nature et l'errance des sentiments humains.


Extraits :

  • Le taxi s'est arrêté sur une hauteur d'où l'on avait une vue plongeante sur la mer. Une mer écailleuse, qui étincelait, métallique, mue d'une impulsion perpétuelle. Je croyais buter sur une montagne, mais c'est la mer que je trouvais. Je ne m'y attendais aucunement et j'ai poussé un cri lorsqu'elle s'est offerte. On eût dit une forêt sauvage écartant soudain les pans de son manteau pour laisser paraître l'immense étendue d'eau. Qu'une forêt sauvage enveloppe la mer dans les pans de son manteau est une image qui ne peut qu'appartenir à un mythe ou à un conte. Toute forêt n'est-elle pas sacrée ? Elle enserre en elle-même la genèse première. Elle est le temple premier des dieux et, dans ce temple, certains arbres sont devenus objets de culte car ils sont habités par les divinités.

  • Lui, il était supérieur, à moi, aux autres, de tous les points de vue. Dès son enfance, il avait fait la joie et la fierté de ma mère. Qu'un fils pareil fût réduit à cela devait être une souffrance intolérable pour elle. Les autres ne le voyaient peut-être pas, mais moi je m'en rendais parfaitement compte. Fallait-il pour autant qu'elle le porte sur son dos pour l'emmener voir les putes ? Son affection devait-elle aller jusqu'à s'occuper de ce genre de choses ? Était-ce sa façon de lui montrer qu'elle l'aimait sans limites ? Dans ce cas précis, pouvait-on parler encore de l'amour d'une mère pour son fils ? Là, j'avais du mal à comprendre.

  • Sous cet arbre qui plongeait et qui lançait ses palmes dans le ciel, elle s’était déshabillée sans aucune honte, telle Ève au jardin d’Éden, et elle s’était étendue sur le corps de l’homme. Nulle impudeur dans leur nudité. Par l’union de deux corps incomplets, ils avaient crée un seul corps. Cette scène curieuse avait tout d’un rituel. Oui, c’est bien la notion de rite qui rendait le mieux compte de cette scène, davantage en tout cas que les mots « hallucination », « mirage » ou « rêve ». Mais de quel rite s’agissait-il donc ?

  • Un arbre effectivement voluptueux, svelte et souple comme un corps de femme. Il enlaçait le pin dans une tendre étreinte. J'imagine que, sous terre, leurs racines s'entremêlaient dans une intimité encore plus scandaleuse.

  • la vie, ce n'était pas une chose si solennelle ni toujours bien composée, que c'était comme le temps, il fait beau, puis gris, il pleut, et puis, avec le retour du soleil, le beau temps revient.

  • Au fait, en regardant tes photos, je me disais qu'il y manquait quelque chose. Je ne savais pas quoi au juste, mais maintenant je sais. Il manquait les fleurs, les arbres, les nuages, la mer. J'aurais préféré que tes photos ne soient pas seulement des documents, qu'elles captent aussi la beauté. J'étais d'accord avec toi en général, mais j'aurais bien aimé que tu te places du point de vue des sens et de l'imagination, et pas seulement du point de vue de l'éthique. Je souhaitais, il me semble, que la vérité, tu ne la recherches pas uniquement dans l'histoire et la société, mais aussi dans la nature et les individus.

  • Dans la mythologie antique, les arbres sont des nymphes métamorphosées. Pour échapper au désir des dieux, les nymphes se transforment en arbres. C'est pourquoi en tout arbre se dissimule une histoire d'amour brisé.


Bibliographie

Né en 1959, Yi Seung-u est un écrivain sud-coréen.
Lee Seung-U passe son adolescence à Séoul. Tenté par la religion, il poursuit des études supérieures au Collège de théologie Yonsei de Séoul.
Il commence comme journaliste pour une revue protestante avant de devenir écrivain à plein temps. Depuis 2001, il enseigne la littérature coréenne et l'art d'écrire à l'Université de Chosun en Corée du Sud.

Il a publié sa première nouvelle, "Portrait d'Erysichton", inspirée de la tentative d'assassinat du pape Jean-Paul II, en 1981. Il reçut pour cet ouvrage le prix du Nouvel écrivain, décerné par la revue mensuelle Littérature coréenne.
Ses livres suivants se verront à leur tour récompensés par divers prix, comme le prix littéraire Daesan en 1993 pour son roman "L'envers de la vie" et le Prix littéraire Dong-in pour "Le Chant de la terre".

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Sur le roman

mercredi 21 décembre 2022

ELLEN G. SIMENSEN – La vérité du mensonge – Gallmeister 2021

 

L'histoire

Lars, policier à Honfoss (Norvège) doit enquêter sur l'assassinat d'un ami d'enfance puis sur celui présumé d'une petite fille Sofie qui est dans la même classe que sa fille Annie. Au même moment arrive une nouvelle institutrice Johanna, femme mystérieuse, craintive et dont le passé troublé va interférer avec l'enquête.



Mon avis

 Entre roman nostalgique et angoissant et polar, voici une expérience de lecture pas inintéressante.

Le livre s'ouvre sur une femme qui se suicide, on ne sait ni où ni quand. Et puis on entre dans le vif du sujet.Lars, policier se voit confier la responsabilité de commissaire, son supérieur voulant rester auprès de sa femme très malade. Ce qui lui vaut l’inimitié d'un collègue plus ancien ; De plus les relations avec son ex-femme sont difficiles et il ne voit pas souvent sa petite fille adorée Annie. Un meurtre est commis dans cette bourgade dans un hiver qui se prolonge, un univers blanc et gelé.

Et peu de temps après c'est une petite fille, dont les parents, tous deux enseignants vivent des moments difficiles. Sofie, 8 ans, se prend pour la reine de la classe et persécute Annie, la fille de Lars qui n'en sait rien. Quand Sofie est retrouvée morte dans un coin de forêt au bord d'un lac gelé, les questions se posent et l'enquète piétine.

Johanna arrive avec peu de bagages et son chien, pour un remplacement. Femme silencieuse et fragile, elle remarque le comportement de Sofie et se prend d'affection pour Annie qu'elle tente de protéger. Lars est sous le charme de cette femme, au comportement étrange. Par ailleurs un homme identifié comme « le conteur », attire des enfants pour leur raconter des histoires mortifères.

Deux enquêtes qui se rejoignent sur fond d'enfances brisées. La noyade en 1995 d'une autre petite fille (classée comme accidentelle mais l'es-t-elle vraiment), des figures surgies d'un passé dans un fjord près de Bergen, village d »éleveurs, des taiseux, de gens très pauvres qui ne se soucient pas plus que cela de leurs enfants et essayent de vivre avec le peu qu'ils on., le modèle norvégien éducatif a aussi ses failles.

Mais l'écriture particulière, qui nous rappelle sans cesse le froid glacial, l'isolement aussi bien physique que mentale nous plonge dans un univers étrange, assez inédit. Le rebondissement final nous donne un nouvel éclairage et nous permet de résoudre nous aussi cette enquête qui semble interminable et qui ne laisse que peu d'espoir pour les principaux protagonistes.Roman et polar d'atmosphère, qui cite ouvertement les contes d'Andersen, qui prend son temps de nous décrire une Norvège loin des idées que l'on peut s'en faire.



Extraits :

  • Ensemble nous nous allongeons et contemplons le ciel infini où passent des nuages cotonneux.
    — Tu vois l’éléphant ? dis-je.
    — Non, mais je vois un rhinocéros, répond-elle en pointant un doigt en l’air.
    — Maintenant, c’est un lapin, dis-je tout excitée.
    Il y a un véritable monde là-haut. Nous restons allongées en silence et observons les boules de coton qui changent de forme, passent de vaches à trolls, avant de devenir des palais magnifiques peuplés de princes et de princesses. Johanna rit aux éclats de toutes les créatures que j’invente.

  • J’ai juré de me taire, tu comprends ? C’est lui qui l’a exigé jusqu’à ce que je cède. Mais les promesses se trahissent, même si c’était une question de vie ou de mort. De toutes façons, il s’agit ici d’autre chose. Il y a plus qu’une promesse en jeu si tu apprends la vérité. L’un de nous doit gagner, ça ne peut pas se terminer en match nul.

  • chaque enfant devrait vivre avec quelqu’un qui prend soin de lui, même si ce quelqu’un n’est pas son « vrai » parent.


Bibliographie

Née en 1975, Ellen G. Simensen vit à Ringerike, près d’Olso. Elle est professeur et conseillère d’orientation professionnelle. Elle a intégré l’école d’écriture de fiction policière de Cappelen Damm et anime le podcast sur la criminalité Helt Kriminelt. Elle organise également des cours d’écriture créative pour les jeunes. La vertu du mensonge est son premier roman.


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur la Norvège


Sur Andersen (Danois mais connuu dans tout le monde nordique)


Sur les contes populaires norvégiens


Play List

Galerie Photos    

Honefoss, le barrage

Honefoss 

 
Honefoos, Statue 


Province du Rinkeringe

Oslo

Osen, fjord

Province du Nordgulen

Iles Lofoten

Fjord du coté de Bergen

Eivindvik, fjord

Eivindvik, fjord

Bergen

Statue du roi Olav V controversée



samedi 17 décembre 2022

MATEO ASKARIPOUR – Buck et moi – Editions Buchet Chastel – 2022

 

L'histoire

Darren, 22 ans vit dans le ghetto noir de Brooklyn et est barista dans un Starbucks de Manhattan. Il se fait remarquer et embaucher dans une start-up prometteuse, qui vend du bien-être par web interposé à ces clients. Après une formation expresse et difficile, Darren renommé Buck par l'entreprise devient un vendeur d'excellence, gravit l'échelle sociale mais en oublie ses valeurs, sa mère qu'il ne voit pas mourir, ses potes et sa petite amie. Mais le succès est parfois éphémère et le monde merveilleux des affaires n'est pas celui que l'on croit.



Mon avis

Élu meilleur roman de l'année par le New-York Times, et best-seller aux USA, le phénomène Mateo Askaripour arrive tout juste en France.

Avec une forme originale et amusante. Déjà l'auteur nous « admet » dans son monde et nous donne des conseils (écrits en gras) parmi les chapitres, nous prenant pour son ami, son client, son fidèle. L'humour est aussi présent que la violence qui habite Darren.

Ce jeune homme, intelligent et sorti major de sa promotion se la coulait douce, entre son travail certes peu rémunérateur mais à l'ambiance sympathique, ses potes et sa petite amie de son quartier « Bed Stuy » à Brooklyn, quartier réputé pauvre mais où tout le monde se connaît, s'entraide et vit dans cette communauté noire et arabe. Mais tout bascule quand Darren est repéré par un manager d'une start-up en vogue et se fait embaucher pour un salaire de rêve. La formation est difficile, il est le seul noir (métis en fait et très bel homme) dans cet univers. Malgré la difficulté du métier de vendeur d'un produit qui promet aux salariés des grandes entreprises d'avoir un coatch personnel joignable par internet à tout moment, Warren se fait sa place et devient même un excellent vendeur. Sumwun devient sa raison de vivre. Il croit que le boss fondateur est son ami, et il se voit vivre une vie de rêve : beaux costumes, appartement de luxe donnant sur l'Hudson, alcool (alors qu'il ne buvait jamais). Le voilà qui se met à mépriser son quartier. Il ne se rend pas compte que sa mère qu'il adore pourtant est malade (et hélas va mourir), il se fâche avec le père de sa fiancée, et même avec celle-ci, se bat avec son meilleur ami et vire l'homme qui cohabitait dans le petit immeuble qui appartenait à sa mère.

Bref il se met son quartier à dos. Lui qui avait été élevé dans le culte des Marthin Luther King, dans une certaine défiance des blancs ne se rend même pas compte qu'il est le « black » de service, que ses nouveaux amis de Manhattan n'en sont pas vraiment. Il perd ses valeurs, son âme même tant il se croit devenu quelqu'un de bien. Et Darren est violent. Il se retient en permanence de casser la tronche tout d'abord au manager débile qui lui inculque les règles de base d'un bon vendeur, puis envoie à l'hôpital son ami d'enfance, qui n'a pas réussi, vivant de petits deals, sans chercher à le comprendre. Bref il se conduit comme le parfait petit arriviste.

Mais à trop vouloir le succès et l'argent on finit par se brûler les ailes et oublier ce que l'on est vraiment.

Satire implacable des entreprises actuelles, dépendantes des actionnaires, où le mot travail est un mode de vie, avec pour compenser les soirées trop arrosées, la coke pour tenir, ce roman de 407 pages est vif, bourré d'humour mais aussi de violence. Celle du héros qui finit par ne supporter aucune critique de la part de ses amis, de sa mère. Le gentil mec cool de Starbucks qui vivait tranquille, sans grandes ambitions mais heureux se transforme sous nos yeux en monstre d'égoïsme, de monsieur-je-sais-tout. Jusqu'à la faille.

Et puis il y a aussi en très sous-jacent, la place des gens de couleurs dans les grandes entreprises américaines. Même en 2022, accéder à un haut poste est difficile pour les minorités américaines (où d'ailleurs). Il y a aussi cette méfiance chevillée au corps dans le quartier dont vient Darren envers les blancs. Triste constat après les mouvements Black Lives Matter. Mais au final, peu importe la couleur de peau, les amis, les vrais le resteront toujours. Et parfois se contenter de ce que l'on a est bien suffisant.



Extraits :

  • Alors soyons clairs sur ce que nous ne ferons pas. Nous ne vendrons pas des plaques en carton de merde comme si c’était du mobilier. On n’est pas chez IKEA, ici ! On ne vendra pas de la merde en bâton, pleine de graisse et mauvaise pour le cœur qui tue des milliards de personnes chaque jour. On n’est pas chez McDonald’s, ici ! Et on vendra encore moins dix fois son prix de la toile de jute de mauvaise qualité, assemblée en sacs dans des ateliers de misère à l’autre bout de la planète. On n’est pas chez American Eagle, Hollister, Aéropostale ou une de ces putains de marques à la con qui font du monde un endroit horrible.
    On est chez Sumwun, ici. Et ce que fait Sumwun, c’est contribuer à une vie meilleure pour chacun d’entre nous.

  • De mon temps, quand un Blanc vous donnait une chance, il y avait un prix à payer. On pouvait devenir son chauffeur, mais il fallait être tout le temps disponible, qu’on ait prévu d’aller quelque part avec sa famille ou pas. On avait le droit de vote, mais on nous cassait les jambes si on ne votait pas pour un certain candidat. En tout cas, une chance restait une chance et si on la saisissait et qu’on jouait le jeu, on pouvait réussir. 

  • Pas étonnant qu’elle ne se soit pas fait étriller pendant le jeu de rôle. Elle avait des relations. Les relations, comme les bons du Trésor, sont attribuées à tout riche blanc dès qu’il sort du ventre de sa mère. Chaque fois que l’un d’entre eux est défoncé et fracasse la bagnole de papa maman, chaque fois qu’il se fait pincer en train d’acheter de la coke par un flic sous couverture, chaque fois qu’il fricote avec de mauvaises fréquentations en vacances, il passe un coup de fil, envoie un texto, ou sort son AMEX.

  • Et c’est là, en sortant de son bureau sous le regard de centaines de vendeurs riant de la déchéance de leur courageux chef, que j’ai compris que c’était la liberté qui m’avait motivé depuis le tout début. Pas l’argent, pas le pouvoir, pas le besoin de me prouver des choses, ni même de rendre Maman fière de moi, mais la liberté de respirer où je veux, quand je veux, comme je veux, et avec qui je veux dans ma belle peau noire.

  • L’avantage d’être avec quelqu’un depuis plus de la moitié de sa vie, c’est qu‘elle nous connaît mieux qu’on ne se connaît soi-même. L’inconvénient, c’est qu’elle nous connaît mieux qu’on ne se connaît soi-même.

  • C’est marrant à quel point les riches finissent toujours par devenir encore plus riches.

  • Croire que l’on peut s’empêcher de changer est la plus sûre façon d’échouer. Dans la vie comme dans les affaire, rien ne reste jamais pareil.

  • Les pauvres et Dieu vont en général main dans la main parce qu’il est plus facile d’expliquer pourquoi certains ont tant et d’autres si peu quand il y a un grand dessein.

  • Uber est une société prédatrice qui profite des immigrés, néglige les règles de sécurité pour ses clients, surtout les femmes, et incarne tout ce qui ne tourne pas rond dans un monde dirigé par des hommes blancs étroits d’esprit et guidés par la seule recherche du profit.

  • u viens de Greenwich, une des villes les plus riches d’Amérique. J’ai grandi à Bed-Stuy, frérot, où la plupart des gens se battent, luttent et s’arrachent pour payer leur loyer en hausse parce que des morveux dans ton genre qui bossent pour des fonds d’investissement veulent se payer des appartements plus grands à moitié prix. Alors ne viens pas me dire que tu me connais, parce que c’est pas vrai.

  • Lecteur : Contrairement à la croyance populaire, la "justice" n'a pas sa place dans la vente. Ce n'est pas une méritocratie. Chaque vendeur participe au jeu avec des qualités et des défauts, et c'est en apprenant à optimiser ce qui nous rend unique qu'on réussit.

  • Il est du devoir de chaque homme et femme qui a réussi dans la vie de transmettre sa réussite, parce que, après notre mort, ce qui compte le plus n'est pas ce que l'on a accompli, mais ceux que nous avons aidés.

  • Lecteur : On trouve souvent deux catégories de vendeurs : ceux qui adorent gagner et ceux qui détestent perdre. Avant de rejoindre Sumwun, je faisais partie de ces derniers. Une fois qu'on connaît. Le goût de la victoire, qu'on gagne vraiment quelque chose d'important. - comme sa place au sein d'une équipe de rêve - , on fait tout pour la préserver. Prenez garde à la victoire, c'est une des choses les plus dangereuses qui puissent vous arriver.


Bibliographie

Mateo Askaripour est né aux Etats-Unis, d'un père jamaicain et d'une mère iranniene. Après avoir été directeur d'une start-up à l'âge de 24 ans, il s'est tourné vers l'écriture et œuvre aujourd'hui à l'intégration des minorités dans le monde de l'entreprise. Son premier roman, "Buck & moi" a reçu les éloges de la critique, entrant dés sa sortie sur la liste des best-sellers du New York Times. 

En savoir plus


En savoir Plus :

Sur le roman

Sur l'intégration des minorités à des postes de responsabilité aux USA


Sur New- York


Play-list  (suggérée par l'auteur)

Nota : ceux qui détestent le rap, le hip-hop et le r'&b peuvent toujours écouter la musique de leur choix ou le silence qui est toujours la plus belle des musiques.

 

Galerie photo New-York

Park avenue où est le siège de Sumwun


Park Avenue

 
West village, quartier paisible chic Manhattan

West Village

Brooklyn Quartier BED STUY  où vit Warren

Station du métro de Bed Stuy

Vue sur l'Hudson quartier chic de Manhattan

Quartier Bed Stuy

Quartier Bed Stuy

Quartier Bed Stuy