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| La partie d'échecs - tableau de Pieter Van Rhuys ( 1471 |
L'histoire
Julia est restauratrice d’œuvres d'art à Madrid. Quand elle doit restaurer et documenter un tableau du peintre flamand Pieter Van Huys peint en 1471 et qui représente une partie d'échecs, elle découvre une inscription masquée par le peintre lui-même « Qui a tué le cavalier ? ». En relation avec la partie d'échecs, c'est une énigme que doit décoder Julia, aidée par son ami de toujours César et un joueur d'échecs Munoz Mais la partie ne fait que commencer quand l'assassinat d'un ami de Julia fait voler en éclat les certitudes.
Mon avis
Dans le genre polar historique, pour ce 3ème roman, l'écrivain espagnol a fait très fort. Une double enquête qui mêle l'histoire d'un assassinat commis en 1469, deux ans avant que le tableau ne lui soit commandé et un jeu d'échecs.
Inutile d'être un joueur d'échecs pour comprendre le roman, des schémas explicatifs vous permettent de suivre la partie. Car une fois identifé l'assassin du Chevalier, la partie continue mais sur un autre terrain, 5 siècles plus tard et qui menace Julia, identifiée comme la Reine Blanche.
L'aide de ses amis César, un antiquaire homosexuel cultivé et qui joue le rôle de père et de mentor pou Julia et Munoz, un brillant joueur d'échecs recruté pour l’occasion un homme sans relief taciturne mais génie mathématiques.
Toute une galerie de personnages entourent les héros. De la galeriste volage mais largement intéressée par l'argent que peut lui rapporter ce tableau, au vendeur, un charmant monsieur érudit et grand amateur d'échec à des personnages plus louches, Perez-Reverte, sous l'apparence fausse des clichés, donne de l'épaisseur à tous ces personnages qu'il entraîne avec nous, dans une intrigue folle et bien pensée.
Au passage, nous en apprenons un peu plus sur le monde de l'art où l'argent est le but principal et sur la restauration de tableaux, la minutie exigée et la communion antre l'artiste et son restaurateur. Mais aussi entre l'artiste et son spectateur, nous, qui faisons aussi partie de l'enquête dont la fin brillante et le dernier chapitre poétique nous renvoie à la nostalgie du cercle de la vie, de la mort, du pardon ou de l'oubli.
J'ai maintes fois offert ce polar (qui a reçu un grand prix littéraire) notamment à des gens qui n'aiment pas trop lire. L'érudition dont fait preuve ici Perez-Reverte peut ouvrir des portes sur d'autres sujets d'intérêt : la peinture flamande du Quattrocento la musique de Bach, et une partie de l'histoire de France.Passionnant, ludique c'est devenu depuis un incontournable de la littérature policière. Avec les mots justes, en 346 pages (un petit roman), vous serez séduit.
Je vous conseille d’avoir la reproduction du tableau avec vous. Je vous la joins.
Extraits :
Il entend le claquement sourd de l'arbalète et se dit, en un éclair, qu'il doit s'écarter de la trajectoire du trait ; mais il sait qu'un carreau court plus vite qu'un homme. Et il sent que son âme laisse couler lentement une plainte amère tandis qu'il cherche dans sa mémoire un Dieu à qui confier son repentir. Et il découvre avec surprise qu'il ne se repent de rien, même si à dire vrai il n'est plus très clair qu'il y ait, en ce moment où la nuit tombe, un Dieu pour l'écouter. Alors il sent le coup. Il y en a eu d'autres auparavant, comme en témoignent ses cicatrices ; mais il sait que celui-ci n'en laissera pas. Il ne fait pas mal non plus ; à peine si l'âme semble s'échapper par la bouche. Alors tombe soudain la nuit irrémédiable et, avant de s'enfoncer en elle, il comprend que cette fois elle sera éternelle. Quand Roger d'Arras lance son cri, il n'est déjà plus capable d'entendre sa propre voix.
Plus encore que vous ne croyez, Bach, comme beaucoup d'artistes, aimait jouer de tours. Il recourait constamment à des stratagèmes pour tromper son auditoire : espiègleries avec des notes et des lettres, variations ingénieuses, fugues insolites et, par-dessus tout, un grand sens de l'humour... Par exemple, dans une de ses compositions à six voix, il introduit en catimini son propre nom, réparti entre deux des voix supérieures. Mais ces choses n'existaient pas seulement en musique : Lewis Caroll, qui était mathématicien et écrivain en plus d'être un grand amateur d'échecs, affectionnait les acrostiches... Il existe des manières fort habiles de cacher des choses dans une pièce de musique, dans un poème ou dans un tableau.
A le regarder marcher les mains dans les poches, à voir sa chemise élimée, ses grandes oreilles qui dépassaient au-dessus du col de sa vieille gabardine, il donnait l'impression d'être exactement ce qu'il était : un obscur employé de bureau qui ne fuyait la médiocrité qu'en se plongeant dans le monde des combinaisons, des problèmes et des solutions que les échecs pouvaient lui offrir. Le plus étrange en lui était ce regard qui s'éteignait lorsqu'il ne fixait plus l'échiquier ; cette manière de pencher la tête comme si quelque chose pesait trop lourd sur les vertèbres de son cou ; comme s'il voulait ainsi que le monde extérieur glisse de côté sans le frôler plus qu'il n'était nécessaire.
La vie est une aventure incertaine dans un paysage diffus aux limites en perpétuel mouvement, où les frontières sont toutes artificielles ; où tout peut s'achever et recommencer à chaque instant, ou prendre fin subitement, comme par un coup de hache, inattendu à tout jamais. Où la seule réalité absolue, compacte, indiscutable et définitive est la mort.
Dieu déplace le joueur, et celui-ci la pièce. Quel Dieu derrière Dieu commence donc la trame ?
Parce que le jeu d'échecs est en effet un succédané de la guerre ; mais aussi quelque chose de plus... Je veux parler du parricide - il leur jeta un regard gêné, comme s'il les suppliait de ne pas prendre au sérieux ce qu'il allait dire. Il s'agit de mettre en échec le roi, vous comprenez ?... De tuer le père. Je dirais que les échecs sont encore plus proches de l'art de l'assassinat que de l'art de la guerre.
A partir d'un certain âge, certaines saisons finissent par ressembler horriblement à une parodie de vous-même.
L’impression de réalisme était si intense qu’elle réussissait pleinement à produire l’effet recherché par les vieux maîtres flamands : intégrer le spectateur dans le complexe pictural, le persuader que l’espace d’où il contemple la peinture est le même que celui qu’elle renferme ; comme si le tableau était un fragment de la réalité, ou la réalité un fragment du tableau.
Dans cette relation spirituelle délicate et souvent malaisée qui s'établit entre tout restaurateur et son œuvre, dans l'âpre combat que se livrent conservation et rénovation, la jeune femme avait la qualité de ne jamais perdre de vue un principe fondamental : une œuvre d'art n'est jamais remise sans graves dommages en son état originel. Julia était d'avis que le vieillissement, la patine, et même certaines altérations des couleurs et vernis, certaines imperfections, retouches, reprises se transforment avec le passage du temps en un élément aussi important de l’œuvre d'art que l’œuvre proprement dite.
Nous avons l'impertinence de chercher la clé de secrets qui au fond ne sont pas autre chose que les énigmes de nos propres vies.
La Partie d'échecs dépassait de loi la commande du seigneur duc. Car tout était là : la vie, la beauté, l'amour, la mort, la trahison.
L'homme n'est pas né pour résoudre le problème du monde, mais pour découvrir la nature du problème.
devant la dame absorbée par sa lecture près de la fenêtre, les deux joueurs poursuivaient une partie d’échecs qui durait depuis cinq siècles, représentée par Pieter Van Huys avec tant de rigueur et de maîtrise que les pièces paraissaient sortir du panneau, prendre un relief propre, comme les autres objets du tableau.
Dans le noir - c'était une autre de ses leçons - les choses sont pareilles qu'en plein jour; la seule différence, c'est qu'on ne peut les voir.
Bibliographie
Né en 1951,
Arturo Pérez-Reverte est un écrivain, scénariste espagnol et
ancien correspondant de guerre.
Diplômé en sciences politiques
et en journalisme, il est grand reporter et correspondant de guerre
durant une vingtaine d'années (1973-1994), pour la presse, la radio
et la télévision. Il a notamment couvert la guerre de Chypre,
diverses phases de la guerre du Liban, la guerre d'Érythrée
(pendant laquelle il disparaît pendant plusieurs mois et survit
grâce à ses amis guerrilleros), la campagne de 1975 dans le Sahara,
la guerre des Malouines, la guerre du Salvador, la guerre du
Nicaragua, celle du Tchad, la crise de Libye, les guérillas au
Soudan, la guerre du Mozambique, celle d'Angola, le coup d'État de
Tunis. Parmi les derniers conflits qu'il a couverts, on compte la
révolution roumaine (1989-1990), la crise et la première Guerre du
Golfe (1990-1991), la guerre de Croatie (1991), et la guerre de
Bosnie-Herzégovine (1992-1994).
Il a commencé sa carrière
de romancier en 1986 (Le Hussard"). Ses romans, "Le Maître
d'escrime" (1988), "Le Tableau du maître flamand"
(1990, Grand Prix de Littérature policière 1993), "La Peau du
tambour" (1995, prix Jean Monnet 1997, récompensant le meilleur
roman européen), les sept tomes des "Aventures du capitaine
Alatriste" (1996-2011) ou encore "Le Cimetière des bateaux
sans nom" (2000, Prix Méditerranée étranger 2001) sont tous
des succès mondiaux traduits en 25 langues.
Depuis 1991, il tient
une page d'opinion, dans le magazine "XLSemanal", devenue
une des plus lues de la presse espagnole avec près de 4 millions et
demi de lecteurs. Il est membre de l'Académie royale espagnole
depuis le 12 juin 2003.
Il a aussi collaboré en tant que
scénariste aux films "Territoire comanche" (1997) et
"Gitano" (2000).
En savoir plus :
https://www.arte.tv/fr/videos/112651-001-A/a-carthagene-le-reve-d-aventures-d-arturo-perez-reverte/
https://www.etonnants-voyageurs.com/Coups-de-coeur-Telerama-Arturo-Perez-Reverte.html
son site : https://www.perezreverte.com/
En savoir Plus :
Sur le roman
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Tableau_du_ma%C3%AEtre_flamand
https://www.senscritique.com/livre/Le_Tableau_du_maitre_flamand/454410
-
Sur la peinture flamande du Quattrocentro
Sur Van Eyck
Sur Geronimus Bosh
Sur Peter Brueghel l'ancien
Les autres peintres
Sur le coté historique
https://www.mon-coin-de-bourgogne.fr/la-bourgogne/histoire-de-la-bourgogne/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_le_T%C3%A9m%C3%A9raire
Play-list
Miles Davis : https://www.youtube.com/watch?v=TLDflhhdPCg
Erik Satie : https://www.youtube.com/watch?v=wnacdOIoTBQ
Eric Satie : https://www.youtube.com/watch?v=y7kvGqiJC4g
Lester Bowie : https://www.youtube.com/watch?v=zHL50m_LfiI
Michael Hedges : https://www.youtube.com/watch?v=7PXZ8AFAiIE
Charlie Parker : https://www.youtube.com/watch?v=Q9IMBcZaEyY
Davis/Coltrane : https://www.youtube.com/watch?v=EHeOxVwFyOw
John Coltrane : https://www.youtube.com/watch?v=saN1BwlxJxA
Musiques du Quattrocento :
Tinctoris : https://www.youtube.com/watch?v=UBRdNCZ-nwI&list=OLAK5uy_kFc9QSaUYnXAmAPwuqWePpZ10YeGjiLWI
Octaviano Petrucci : https://www.youtube.com/watch?v=ClTMpVa7yio
Maddalena Casulana : https://www.youtube.com/watch?v=H2lrraO2YVs
Joannes Okemberg : https://www.youtube.com/watch?v=R9tcg1VfKPs
Josquin des Prés : https://www.youtube.com/watch?v=3GBwbt6hK6c
Palestrina : https://www.youtube.com/watch?v=MxJFMBv4Ibo
Antoine Busnois : https://www.youtube.com/watch?v=M4g1_QHaLXc
Antoine Busnois : https://www.youtube.com/watch?v=Bv46QsfUA1E
Antoine Brumel : https://www.youtube.com/watch?v=L49t1rLmOEY
John Dunstable : https://www.youtube.com/watch?v=NPYmHyv1KeE
La musique du Quattrocento est essentiellement religieuse ou sous forme de motets (musique profane), ainsi que le luth
Enfin si vous avez lu cet article jusqu'au bout, cliquez sur quelques liens, vous aurez des questions à me poser. Et là vous verrez que Perez-REVERTE a fait encore plus fort que vous ne le pensiez. Alors vous avez trouvé ? Laissez moi un commentaire sur Facebook.
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