L'histoire
En 1954, les
jumelles Désirée et Stella fuient Mallard en Louisiane. Un tout
petit village fondé et peuplé uniquement de noir à la peau blanche
qui peuvent facilement être confondus avec des personnes blanches.
Quatorze ans plus tard, Désirée revient avec sa fille Jude, 7 ans,
plus noire que le charbon, fruit d'un mariage toxique avec un homme
qu'elle fuit. Mais Désirée, mal accueillie dans son village natale
en raison de la couleur de peau trop noire de sa fille, a du mal à
se faire accepter. Elle n'a aucune nouvelle de sa jumelle don on dit
qu'elle aurait épousé un homme blanc, se faisant passer pour une
femme blanche. En 1978, Jude part faire des études supérieures à
UCLA en Californie et quelques temps plus tard, elle tombe par hasard
sur sa tante et la fille de celle-ci (raciste et blanche). Comment
cette famille étrange va-t-elle pouvoir se retrouver, à travers les
conditions sociales et raciales d'une Amérique qui sort tout juste
de la ségrégation ?
Mon avis
Un très joli roman, écrit dans une langue simple et
presque douce pour raconter une histoire incroyable. Sur 3
générations nous suivons la famille Vignes. La grand mère Adèle,
arrière petite fille du fondateur de Mallard, la ville qui n'existe
sur aucune carte postale élève seule les deux jumelles Désirée et
Stella, après la mort de son mari. Dans ce village tout se sait,
toutes les opinions sont tranchées : on aime pas les blancs qui
étaient esclavagistes, mais on aime pas non lus les noirs à la peau
trop sombre qui rappelle aussi les conditions de jadis et le peu de
révolte. Bref à Mallard on est unique et plus les bébés ont la
peau clair et les cheveux roux-blonds plus on est heureux. Mais on
s'ennuie terriblement aussi dans cette bourgade repliée sur
elle-même et ses traditions. Les deux jumelles ne veulent pas aller
faire des ménages dans les luxueuses propriétés des maisons des
anciens esclavagistes. Alors elles décident de fuir, et abandonner
leur mère, se promettant de lui envoyer de l’argent pour qu'elle
aussi ne s'épuise pas. Arrivée à la Nouvelle-Orléans, elles
trouvent des jobs miteux avant de chacune saisir leur chance. Stella
se faisant passer pour une femme blanche devient secrétaire et finit
par épouser son patron, un homme très riche, dont elle a une jolie
petite fille blonde aux yeux bleus nommée Kennedy. Désirée
travaille pour le FBI et rencontre son mari, un noir qui très vite
la tabasse. De cette union naît Jude, à la peau plus sombre que la nuit, habituée au
racisme quotidien fuit elle aussi Mallard pour étudier à Los
Angeles. Sans amis à la fac, elle se lie avec des drag queens (qui
ont de respectables métiers le jour) et rencontre l'amour de sa vie
avec Reesen en pleine mutation sexuelle, qui lui aussi a du fuir sa
famille, connaître la rue et sa misère.
Et puis Stella, la femme double. Celle qui s'assimile à une blanche, vivant dans le confort du mensonge mais angoissée par la peur qu'on devine ses origines. Stella qui a tout, le bon mari, la belles maison, le confort luxueux d'un palace dans le quartier le plus huppé de Los Angeles. Secrète, perpétuelle insatisfaite, elle rêve de devenir une grande mathématicienne.Sa fille Kennedy, élevée dans ce luxe cède à la paresse, arrête ses études au grand désespoir de ses parents pour finir actrice minable de série B. Avec Jude, elle entamera une amitié qui réunira peut-être une famille totalement éclatée.
Ici c'est non seulement l'héritage et la quête
d'identité sur ce qu'on est vraiment que le racisme ou les racismes,
des blancs envers le noirs et inversement qui est décortiqué au
sein d'une famille presque exclusivement féminine. Les hommes que
l'on croise, à part l'ex-mari de Désirée sont des faire-valoir,
des hommes gentils, qui aiment sans se poser de question de couleur
de peau.
Avec cette histoire totalement originale, pour son
deuxième roman, Brit Bennett porte un autre regard sur le racisme et
prône la tolérance. Elle y adjoint aussi la bienveillance à la
lutte LGBT, parce que les causes sont les mêmes, l'ignorance, les
clichés, le poids de l'histoire. On a comparé cette jeune autrice à
Toni Morrisson. UN roman captivant, qui sous une apparence
nonchalante porte des thèmes forts.
Extraits :
Il laissa
le silence s'installer, la dévisageant. Puis elle sentit sa main
sur sa nuque. Tendre, presque comme on consolerait un enfant en
pleurs. C'était tellement déstabilisant, tellement différent de
sa brusquerie habituelle, qu'elle resta sans voix. Soudain, il tira
sur son foulard. Les traces commençaient à s'estomper mais, même
dans la pénombre, l'hématome qui s'étalait sur son cou était
encore bien visible. Tous ces gens qui s'extasiaient sur la clarté
de son teint quand elle était enfant, aucun ne l'avait prévenue.
Personne ne lui avait dit que la colère d'un homme marquerait plus
facilement sa peau.
C’étaient
de braves gens, d’honnêtes citoyens qui donnaient aux bonnes
œuvres et grimaçaient devant les reportages où l’on voyait des
shérifs matraquant des étudiants noirs dans le Sud. Ils pensaient
que ce Martin Luther King était un orateur remarquable,
approuvaient peut-être certaines de ses idées. Jamais ils ne lui
auraient tiré une balle dans la tête, et peut-être même
avaient-ils pleuré à son enterrement – dire qu’il laissait des
enfants si jeunes –, mais de là accepter qu’il s’installe
dans le quartier, il y avait un monde.
Elle
n'était pas idiote au point de croire qu'un jour elle serait
claire, mais marron, pourquoi pas ? Tout, sauf ce noir infini. Elle
essaya donc de conjurer le sort. Elle avait vu une publicité pour
Nadinola dans 'Jet', une femme caramel (...) souriante, la bouche
écarlate, un homme lui parlant à l'oreille : 'La vie est plus
belle quand on a le teint frais, lumineux, clair-Nadinola !' Elle
avait arraché la publicité et l'avait pliée en quatre. Elle
l'avait gardée sur elle pendant des semaines, la dépliant si
souvent que les plis blancs fendaient les lèvres de la femme. Une
crème, c'était tout ce dont elle avait besoin. Elle s'en
tartinerait la peau et, à la rentrée, elle retournerait à l'école
métamorphosée.(Jude)
Mentir,
elle savait faire. La seule différence entre le mensonge et le
théâtre, c’était le public : dans un cas, il n’était pas au
courant, dans l’autre, si ; mais au bout du compte il s’agissait
toujours de jouer un rôle. (Stella)
Son père
était si clair de peau que, par certains matins glacials, elle
pouvait voir le bleu de ses veines quand elle retournait son bras.
Mais rien de tout cela n’avait fait de différence, le jour où
les Blancs étaient venus le chercher, alors qu’est-ce que ça
pouvait bien faire d’avoir le teint clair ?
Quand on a
une jumelle, on a parfois l’impression de vivre avec une autre
version de soi. Tout le monde a sans doute ce fantasme d’un soi
alternatif. Sauf que le sien était réel. Stella se réveillait le
matin face à elle-même. Certains jours, elle lui paraissait une
étrangère. Pourquoi est-ce que tu ne me ressembles pas plus ?
pensait-elle. Comment suis-je devenue moi et comment es-tu devenue
toi ?
Barry se
vantait de sa capacité à compartimenter sa vie. " J'obéis à
la Bible, lui avait-il dit une fois. Fais en sorte que ta main
droite ne sache pas ce que fait la gauche." Il était Bianca,
deux samedi par mois et, le reste du temps, elle n'existait pas.
(...) . Bianca avait sa place et Barry la sienne. On pouvait vivre
une vie coupée en deux . Tant qu'on savait qui était aux
commandes.
Sous les
applaudissements de ses camarades, alors que Stella s’effaçait,
avalée par l’obscurité du gymnase, elle s’était enfin sentie
une personne à part entière, pas une jumelle, pas la moitié
incomplète d’une paire.
Une femme
avec un cerveau, il n'y a rien de plus effrayant pour un homme.
Il était
né dans l'Ohio et ne s'était jamais aventuré au sud de la
Virginie. Sa mère l'avait poussé à aller étudier à Morehouse, à
Atlanta, mais non, il avait préféré l'université d'Etat de
l'Ohio. C'était avant la déségrégation des campus. Il avait
assisté à des cours où des professeurs blancs ignoraient ses
questions. (...) Il sortait avec des filles à la peau claire qui
refusaient de lui tenir la main en public. Le racisme du Nord, il
connaissait ; celui du Sud, non merci. Si sa famille était partie,
c'était pour une bonne raison et il n'allait pas remettre en cause
leur jugement. Ces ploucs ne le laisseraient sans doute même pas
rentrer chez lui, plaisantait-il. Il arriverait là-bas pour faire
du tourisme et se retrouverait à ramasser du coton.
Mais
Stella était devenue blanche depuis des années maintenant, presque
la moitié de sa vie. Quand on jouait un rôle aussi longtemps, ça
cessait peut-être d'être un rôle. À force de prétendre qu'on
était blanc, on le devenait.
Elle ne
comprenait pas très bien ce dont il parlait, mais elle était
heureuse de faire partie d'un nous. On croit qu'être unique, ça
fait de soi quelqu'un d'exceptionnel. Non, ça fait juste quelqu'un
de seul. Ce qui est exceptionnel, c'est d'être reconnu et accepté.
Après le
campus idyllique, ses immenses pelouses vertes, les vélos qui
sillonnaient les allées, et les bâtiments de brique où elle
pénétrait toujours avec une certaine révérence, baissant la voix
comme si elle était à l'église, West Hollywood lui faisait
l'effet d'un autre monde. A la résidence universitaire, elle
côtoyait une ambition acharnée ; lorsqu'elle rentrait chez elle,
elle croisait des gens dont les rêves de célébrité avaient déjà
été brisés. Des cinéastes qui travaillaient dans des magasins
Kodak, des scénaristes qui enseignaient l'anglais aux migrants, des
acteurs qui jouaient des spectacles burlesques dans des bars miteux.
Tous ceux qui ne réussissaient pas à percer faisaient partie
intégrante de la ville ; sans le savoir, partout on marchait sur
des étoiles à leur nom.
A la
Nouvelle-Orléans, Stella se divisa en deux. Elle ne le remarqua pas
tout de suite, parce qu'elle avait été double toute sa vie : elle
était elle-même et elle était Desiree. Belles et rares, on ne les
appelait jamais les filles, uniquement les jumelles, comme si
c'était un titre officiel. Elle s'était toujours définie ainsi
mais, à la Nouvelle-Orléans, la division s'opéra peu après son
renvoi de la blanchisserie. Ce jour-là, à Dixie Laundry, elle
rêvassait, songeant à la matinée où on l'avait prise pour une
blanche au musée. Ce qui lui avait plu, ce n'était pas tant d'être
blanche que d'être quelqu'un d'autre.
À
Socorro, il s'était enveloppé la poitrine de bandages blancs, et,
le temps d'arriver à Las Cruces, il avait réappris à marcher,
jambes écartées et épaules carrées. Il se disait que c'était
plus sur pour faire du stop. En réalité, il s'était toujours
senti Reese. À Tucson, c'était Thérèse qui lui faisait l'effet
d'un déguisement. Est-ce qu'une personne était authentique, si on
pouvait s'en dépouiller comme d'une vieille peau en mille cinq
cents kilomètres ?
Quand
j'étais petite, à quatre ou cinq ans, je croyais que c'était
juste la carte de notre côté du monde. Que l'autre face se
trouvait sur une carte différente. Mon père m'a dit que c'était
idiot." Son père l'avait emmenée dans une bibliothèque et,
quand il avait fait tourner le globe, elle avait bien vu qu'il avait
raison. Mais, alors que Reese passait son doigt sur la carte, elle
se rendit compte qu'une part d'elle espérait toujours que son père
s'était trompé, qu'une partie du monde restait à découvrir.
When you
married someone, you promised to love every person he would be. He
promised to love every person she had been. And here they were,
still trying, even though the past and the future were both
mysteries.
But what
had changed about her? Nothing, really. She hadn't adopted a
disguise or even a new name. She'd walked in a colored girl and left
a white one. She had become white only because everyone thought she
was.
There was
nothing to being white except boldness. You could convince anyone
you belonged somewhere if you acted like you did.
The world
worked differently than he'd ever imagined. People you loved could
leave and there was nothing you could do about it. Once he'd grasped
that, the inevitability of leaving, he became a little older in his
own eyes.
Bibliographie
Née en 199 en
Californie, Brit Bennett est essayiste et romancière
afro-américaine.
Elle est diplômée à l'Université Stanford et
titulaire d'un MFA à l'Université du Michigan. Elle y a également
remporté le prix Hopwood de la Nouvelle des étudiants ainsi que le
Prix Hurston/Wright des écrivains de faculté.
Ses travaux ont
été publiés dans les magazines The New Yorker, The New York Times,
The Paris Review et Jezebel.
"Le cœur battant de nos mères"
("The Mothers", 2016), son premier roman, a été sur la
liste des best-sellers du New York Times et finaliste de nombreux
prix littéraires. Il a été acheté par la Warner pour une
adaptation cinématographique.En 2016, elle fait partie des 5
lauréats de la National Book Foundation parmi 35 candidats
sélectionnés.
Brit Bennett vit à Los Angeles.
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