L'histoire
Kiara 17 ans vit à Oakland (Californie) et a bien des soucis. Comme le veut son éducation de jeune fille noire, elle a quitté l'école pour s'occuper de sa maison. Sa mère est en prison, son père est décédé et son frère aîné, Marcus, ne fait rien pour l'aider, il passe son temps à chanter du mauvais rap avec ses potes. Et Kiara a une urgence absolue : payer le loyer de l'appartement miteux qu'elle occupe au risque d'être expulsée. Petits boulots, quelques chapardages ne suffisent pas. Personne ne veut donner du travail à une jeune mineure noire. Alors Kaira va arpenter la nuit, se prostituer. Et un jour elle se fait arpenter par une bande de flics ripoux. La prostitution étant illégale, soit elle part en prison (et perd tout) soit elle devient, il faut bien le dire, leur esclave sexuelle. En échangent, ils la payent et la protègent de toute arrestation ou ennui. Mais voilà, un jour, pris de remords, l'un des policiers se suicide et laisse une lettre où il raconte tout et cite son nom. Malgré la peur, soutenue par une avocate et par l'amour, Kiara entrevoit la possibilité d'une nouvelle vie.Inspiré d'une histoire vraie.
Mon avis
Plus d'un million de vente aux USA pour cette nouvelle héroïne qui rejoint les Turtle (Gabriel Tallent – My Absolute Darling), Kya (là où chantent les écrivisses de Délie Owen, Nell et Eva (les deux sœurs Dans la Forêt de Jean Hegland) ou Duchess de Chris Whitaker. Et c'est Leila Mottley, 17 ans seulement qui a écrit ce livre, avec la maîtrise d'une future très grande autrice.
Pour raconter cette histoire, la jeune fille s'est intéressé à un fait divers à San Francisco (dans la baie en face d'Oakland) : une mineure noire prostituée par des policiers, et l'affaire n'a eu aucune suite judiciaire. Elles seraient ainsi plusieurs jeunes filles noires, souvent dans la plus grande précarité à être ainsi exploitée par ceux qui sont supposés les protéger, avec la complicité de l'une justice dévoyée.
Mais elle rend Kiara attachante et unique. Ce que les blancs ne comprennent pas c'est que les jeunes filles noires des quartiers populaires sont éduquées dans l'idée de devenir des bonnes épouses et bonnes mères et surtout tenir coûte que coûte le foyer.
Son père, un homme bon est mort des suites d'un cancer, sa mère est en prison pour infanticide (ce qu'elle nie), une femme égoïste qui passe son temps à se plaindre, ne se soucie pas des deux ados qu'elle a laissé et quand elle sera libérée ne reviendra jamais au foyer. Marcus est un bon à rien. Lui aussi à quitter l'école pour imiter un oncle qui a réussit dans le rap. Fini les promesses de protéger sa petites sœur, Marcus vit chez un pote et passe de temps en temps au foyer mais sans aider sa sœur dont il ignore ce qu'elle fait de ses nuits.
Et puis il y a Trevor, un petit môme de 7ans que Kiara prend sous son aile. La mère de Trev est une droguée, elle quitte son appartement et le petit est livré à lui-même. Et tout l'amour que Kiara n'a pas se déverse sur ce petit qui lui rend bien, en faisant comme elle peut, pour l'accompagner à l'école, le nourrir, le consoler. Lui, il lui apprend à nager dans la piscine délabrée de la résidence, un plaisir aquatique qui vaut mieux que toutes les douches de la salle de bains peu reluisante. Et il y a aussi Alé, la copine de toujours, qui travaille en famille dans un restaurant mexicain et qui dépanne de temps en temps Kiara mais n'approuve pas ses choix, sa propre sœur a disparu, elle aussi se prostituait.
De la prostitution, l'auteur reste pudique, mais nous laisse bien entendre que ce n'est pas une partie de plaisir. Pour s'anesthésier, Kiara boit, pour ne plus sentir ces hommes qui sont sur elles. Elle a aussi l'intelligence de ne pas se droguer, de ne pas devenir alcoolique ou de rentrer dans un réseau maffieux, où les filles sont shootées au crack.
Kiara raconte son histoire, ses peurs, ses espoirs tout simplement, sans pathos, mais avec cette envie de vivre plus que jamais accrochée dans ses tripes, et l'espoir d'un avenir meilleur.
C'est un roman de femmes. Hormis le petit Trevor, ce sont les femmes ici qui s'aident ou pas selon les circonstances. Alé, la meilleure amie, Shauna devenue mère trop jeune, Camila, la prostitué transgenre qui vit comme une reine semble-t-il et tente de prendre en main Kia, la policière qui veut démonter ce système et cette avocate blanche mais ferme qui remet Kiara dans le droit chemin.
A coup sur un livre fort, qui laisse en vous une voix indélébile, et qui dans le contexte actuel des problèmes raciaux aux USA prend toute sa force. Quand en plus on sait que ce roman a été écrit pas une jeune fille de 17 ans, à la maturité émotionnelle, romanesque et politique rares.
Extraits :
Le plus souvent je dis que je ne crois en rien, sauf que la façon dont la nuit met des couleurs sur tout me donne envie de croire. Pas à l'au-delà, ni au paradis, ni à aucune de ces conneries. Ça, c'est juste des trucs qui nous font nous sentir mieux par rapport à la mort et moi je n'ai aucune raison de craindre la mort. Je crois simplement que les étoiles pourraient s'aligner et atteindre un autre monde Pas la peine que ce soit un monde meilleur parce que ça, ça n'existe sûrement pas. Je pense que c'est autre chose, un quelque part où les gens marchent un peu différemment. Si ça se trouve, ils parlent en vibrations. Ou alors ils ont tous le même visage, ou pas de visage du tout. Quand j'ai le temps de fixer le ciel, je m'imagine avoir assez de chance pour apercevoir ce quelque chose. Mais je finis toujours par être ramenée sur cette planète.
Je crois que ce jour pourrait être celui que j’attendais. Le jour où mon frère va décider de redresser la tête et de réapprendre à tenir plus ou moins le coup dans cette vie. Le jour où il va poser sa tête sur mes genoux et me laisser le bercer. Il pourrait même me prendre la main ou me demander pourquoi j’ai des bleus en travers de la poitrine. Il y a des moments comme ça où j’ai l’impression d’être coincée entre la mère et l’enfant. Où j’ai l’impression d’être nulle part.
Camila m’a prise par la main en faisant attention à ne pas m’écorcher la peau avec ses faux ongles en acrylique. Elle nous a appelé une voiture et elle a dit qu’elle me déposerait en allant chez son client. Une fois à bord, elle m’a expliqué ce que je devais faire pour devenir comme elle, où aller, à quelle heure, comment m’habiller, et je me suis dit qu’après tout c’est peut-être là que finissent toutes les filles au bout du rouleau. C’est peut-être là que je trouverais mon fredonnement à moi, là où je pourrais faire résonner mon corps aussi fort que celui de maman.
Les jours d’enterrement, c’est l’apogée de nos anciens nous, l’occasion d’organiser nos propres commémorations pour ceux qu’on n’a pas enterrés comme il le fallait.
Je ne sais pas si j'ai déjà vu Alé pleurer comma ça et je ne peux pas m’empêcher de m'approcher et d'embrasser sa joue, de goûter son sel en faisant remonter mes lèvres jusqu’au coin de ses yeux. Alé, c'est le fond de l’océan, là où toute la magie reste cachée sous une multitude de couches de ténèbres, d'eau et de sel.
Il y a énormément de façons de marcher dans la rue et moi je suis juste une fille recouverte de chair.
J’ai un corps et une famille qui a besoin de moi, alors je me suis résignée à faire ce qu’il faut pour nous garder ensemble : je suis allée retrouver la rue et tout son bleu. Je tangue, à moitié marchant, à moitié chancelant. Le long d'International Boulevard. Sans musique et sans Tony. Rien que moi et de la tequila plein l'estomac.
Je lui raconte comment le trottoir nous a déchirées en deux et nous a retiré cette partie qui méritait le plus d'être conservée : l'enfant qu'on garde à l'intérieur. La mâchoire en O qui ne supporte même plus de hurler parce que ça aussi, ils nous l'ont pris. Ils nous prennent tout.
Maintenant que j'ai couché une fois, je peux le refaire, c'est rien qu'un corps, voilà ce que je me répète.
Et moi, je suis toujours là à attendre d'être saisie par un amour capable de mettre l'univers sur pause, un amour qui me retournera de l'intérieur et qui retirera toutes les parties qui sont en train de pourrir en moi. Ou au moins quelque chose qui rendra ma vie supportable et ne sera pas une énième personne qui finira comme les autres par m'abandonner.
J'ouvre juste assez la bouche pour que l'air infusé à l'odeur de marée puisse toucher ma langue. J'ai envie d'y goûter, de savoir que la baie existe au-delà de tout ça. Peu importe si tout le reste s'effondre demain, elle, elle sera toujours là et elle aura toujours le goût du sel, de la poussière et du bois des bateaux qui ont transporté trop de corps.
Je compose le numéro de téléphone que j'ai promis à Tailleur violet de composer parce qu'il n'y a pas d'alternative quand deux garçons brisés ont besoin de moi et que je n'ai pas assez de mon corps pour leur donner ce qu'il leur faut tout en continuant à respirer. Marsha Fields répond en gazouillant et je commence à parler; je n'ai plus rien d'autre à faire que de laisser les mots s'échapper.
Je sais pas, je réponds, même si je le sais. Même si ça semble trop évident, comme une longue route qui ne pouvait pas finir ailleurs qu'ici. Parfois faut faire ce qu'il faut pour les personnes qui ont besoin qu'on le fasse.
La différence entre les flics et les mecs de la rue, c'est que les flics aiment transformer ça en jeu. Il attendent avant de me baiser, ils préfèrent me regarder en salivant et chercher un moyen de me terroriser juste assez pour que la peur m'avale et leur laisse un corps digne d'être dominé, des mains qu'ils peuvent coincer derrière ma tête, la peur rien qu'à l'idée de détourner les yeux.
A la place, je pense à Marcus, à l'époque où il s'installait sur un bout de trottoir pour essayer de vendre les peintures que je faisais sur du carton. Ça nous rapportait à peine de quoi racheter des couleurs mais au moins on faisait ça ensemble, par choix. Je dois aller lui dire que je ne vais pas pouvoir m'occuper de tous les trucs difficiles à sa place si lui refuse de faire quoi que ce soit pour moi. Lui dire qu'il est temps de lâcher son micro et d'affronter la ville comme je le fais depuis six mois.
Tout continue à toucher, à entrer en collision, une salle en bois dans laquelle je me libère comme le ciel ce soir-là quand les étoiles se sont montrées au-dessus de la voie rapide, avant de rentrer dans un appartement qui ne sera plus jamais vraiment le mien. Je n’étais rien qu’une enfant.
Je ne prends pas de veste parce que je sais à quel point ça sera étouffant, peu importe la maison, la cabane ou l'entrepôt où aura lieu la fête, et le seul truc pire que le froid, c' est la transpiration causée par une chaleur à laquelle on ne peut pas échapper
Les gens ne croient pas en Dieu parce qu’ils ont des preuves, seulement parce qu’ils savent que rien ne peut prouver qu’ils se trompent.
Tout lui dire, ça aurait été comme admettre que ma vie se résume désormais à ça, ça aurait été comme m'engager vis-à-vis de la rue. Et se laisser attraper par la rue, ça revient à organiser son propre enterrement. Moi je voulais des lampadaires étincelants et quelques billets au réveil, pas les allées sombres, pas les sirènes. Mais voilà. On finit par se retrouver en plein jour, pile au moment où on s'y attend le moins. La nuit rampe jusqu'à moi quand le soleil est là.
Quand j'entends ça, je ne peux pas m'empêcher de m'illuminer, tout mon corps se répand dans un large sourire parce qu'on sait tous les deux (Trevor et Kia) que c'est beaucoup plus que ça, et qu'en même temps c'est aussi simple que ça. Parce qu'on a tous les deux grandi dans le rebond d'une balle, et que notre chute a commencé par un terrain de basket et une grosse raclée. Parce qu'on ne retrouvera jamais ce qu'on a perdu, mais que ce moment-là on peut le voler et le garder pour nous.
Bibliographie
Née en 2002 à
Oakland, Leila Mottley est une auteure et poète qui utilise son
écriture pour lutter en faveur du changement. Mottley aborde des
sujets difficiles dans sa poésie et dans son roman Nightcrawling
(Arpenter la nuit) , mettant en lumière les problèmes de violence
policière et d'inégalité raciale et sexiste dont elle a été
témoin dans sa ville natale. Formée à l'écriture par des
enseignants et suivant des ateliers d'écriture (une pratique très
répandue aux USA où l'on apprend à structurer, écrire un roman),
encouragée par ses professeurs, ses parents et ses amis, la jeune
autrice s'est énormément documentée, réussi à rencontrer des
travailleuses du sexe et
Finaliste du slam Youth Speaks, Leila
Mottley est également lauréate du Scholastic Art and Writing Award
et lauréate du prix Oakland Youth Poet Laureate 2018. Elle s'est
produite lors des réunions du dialogue culturel de la ville
d'Oakland, de la marche des femmes d'Oakland, et d'autres événements.
Ses écrits ont été publiés dans Oprah Daily et The New York Times
, entre autres publications. Son travail offre un regard perspicace
sur les changements qu'elle voit à Oakland et les luttes auxquelles
les personnes de couleur sont confrontées dans une ville qui
s'embourgeoise rapidement.
En savoir Plus :
Sur le roman
https://www.lesechos.fr/weekend/livres-expositions/arpenter-la-nuit-last-exit-to-oakland-1783528
https://www.telerama.fr/livres/arpenter-la-nuit-3-16873286.php
Sur Oakland (Californie)
Oakland se trouve dans la baie en face de San-Francisco. Elle abrite l »université de Berkeley. C'est aussi une des villes les plus peuplées des USA et réputée dangereusen même si la Mairie fait un gros travail de réhabilitation. 32% de la population est Afro-américaine, contre 35% de blancs : de 1920 à 1945, les industries automobiles, l'activité portuaire et la métallurgie ont attiré des noirs venus de Louisiane ou du sud américain pour pourvoir à la main d'oeuvre. Avec la délocalisation des industries, la chute de l'activité portuaire, beaucoup sont repartis mais ceux qui sont restés ont migré et aggrandi la ville au nord et au sud. C'est aussi la ville où fut fondée le BBP (Black Panthers Party).
Sur la criminalité à Oakland
Sur la prostitution des jeunes mineurs noires à Oakland :
https://www.rtbf.be/article/brigade-des-mineurs-doakland-la-prostitution-des-adolescentes-11016060
https://thepioneeronline.com/14962/features/a-life-of-prostitution-in-oakland/
le boulevard de la prostitution à Oakland : https://www.youtube.com/watch?v=AwYNyUTbmvU
https://en.wikipedia.org/wiki/International_Boulevard_(Oakland,_California)
https://television.telerama.fr/tele/documentaire/brigade-des-mineurs-d-oakland-1-195507995.php
sur le fait divers qui a inspiré le roman : https://www.20min.ch/fr/story/cette-prostituee-fait-suer-la-police-californienne-230481433308
https://www.telereplay.fr/emission/404260/Enqute_Exclusive.html
- https://www.tf1info.fr/international/video-etats-unis-police-sur-le-qui-vive-a-oakland-2163191.html
Sur les doits civiques à Oakland
Play List parce que Leila Mottley a été élevée au son du jazz et et son roman parle de musique (le père de son héroïne est un percussionniste).Il s'agit de funk and dance.
Sonny Rolling : https://www.youtube.com/watch?v=UA2XIWZxMKM
Billie Holiday : https://www.youtube.com/watch?v=bKNtP1zOVHw
Cassandra Wilson : https://www.youtube.com/watch?v=gLy9oW3Uzkc
Casandra Wilson : https://www.youtube.com/watch?v=nyZf4xxvkIg
Diana Reeves : https://www.youtube.com/watch?v=uEMsCI17KOA
Lisa Simone : https://www.youtube.com/watch?v=A2Mbvk25-pw
Nina Simone : https://www.youtube.com/watch?v=u4jBSc1uxx8
Nina Simone : https://www.youtube.com/watch?v=-sEP0-8VAow
Withney Houston : https://www.youtube.com/watch?v=ynkaGd_zGwE
Tina Turner : https://www.youtube.com/watch?v=Gcm-tOGiva0
Backstreet Boys : https://www.youtube.com/watch?v=kC6TnBx0HIU
Kool & the Gang : https://www.youtube.com/watch?v=sTJ1XwGDcA4
Funkadelic : https://www.youtube.com/watch?v=4Inr22ZBmdw
Herbie Handcock : https://www.youtube.com/watch?v=9RsZifvSVSI
Trouble Funk : https://www.youtube.com/watch?v=eMrkkUwpJAA
Sharon Reed :https://www.youtube.com/watch?v=ihXEJaOBJLE
Maceo Parker : https://www.youtube.com/watch?v=3_0alsFnxwI
Cory Henry : https://www.youtube.com/watch?v=6m0lk3M3_Ts
Jamiroquai : https://www.youtube.com/watch?v=oMk1wBPiUIo
Collector : https://www.youtube.com/watch?v=gHoaY_lbgzM
Un mix de tubes 1980 : https://www.youtube.com/watch?v=YQL-B3PNkeI&list=PLYeaw1S-kW0XNXTXS20GEn8VchAb5v_hy
Un mix R'b »b : https://www.youtube.com/watch?v=mex6wFv0_wM&list=PLDIoUOhQQPlVFjmZnM41bOzoowjfTS4wU
Photos
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Prostitution International Bd |
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Prostitution International Bd Oakland |
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Prostituée sur l'International Bd |
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Résidence North Eastland où vit Kaira |
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Quartier pauvre Oaland |
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Skarte Park East Oakland (Alé fait du Skate) |
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Lac Merrit à Oakland pour les sorites le week-end |
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Kaira graffe depuis ses 13ans. Elle aurait pu faire celui-ci. |
Funérarium. Des buffets et les affaires des défunts sont donnés gratuitement. Kaira y va pour se vétir et mange | r |
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Quartier chic |
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Main Street Oakland |
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Stockon, prison où est enfermée la mère de Kiara |