vendredi 5 mai 2023

LISA GARDNER – Le saut de l'Ange – Livre de Poche – 2018 et Une famille parfaite – livre de poche 2015

 


L'histoire du Saut de l'Ange

 Une jeune femme est retrouvée après un accident de voiture dans un ravin du haut New-Hampshire. Elle demande après sa fille «Véro », alors qu'elle est mariée sans enfants. Nicky a subi 3 commotions cérébrales en quelques mois et sa mémoire est défaillante. Elle a peur d'après tout, du noir, et pour l'équipe d'enquêteurs Tessa et Walt, les surprises seront grandes, quand peu à peu les souvenirs vont remonter douloureusement à la surface.


L'histoire d'Une famille parfaite

Un riche homme d'affaires est enlevé dans sa luxueuse demeure de Boston, ainsi que sa femme et sa fille adolescente de 15 ans. Pas de revendications, aucun témoins du drame, et aucune piste sérieuse pour la détective Léoni qui travaille dans un cabinet de détectives privés qui a en charge la sécurité de la famille, et pas mieux du coté des fédéraux. Quand enfin une demande de rançons de 11 millions de dollars est exigée, Justin le mari meut lors d'un échange de balles avec un des gardiens. Mais la machination est bien plus complexe que cela.


Mon avis

Lisa Gardner caracole dans les tops des ventes aux USA. Elle sort régulièrement un polar par an, en changeant son équipe de détective. C’est le 3ème et dernier polar de la série Léoni à ce jour. Un peu comme Joël Dicker dans son genre, Lisa Gardner a sa méthode : un chapitre consacrée à la victime, un à celui des enquêteurs puis tout se mêle jusqu'au dernier rebondissement. Parallèlement nous suivons la relation entre Tessa Léoni et sa fille Sophie, puis son amour avec Wyatt.

Dans le saut de l'Ange, c'est Nicky qui par au je (les enquêteurs parlent à la 3ème personne du singulier ou du pluriels. Nicky, femme traumatisée par un événement dont elle ne se souvient pas par tout le temps avec « Véro » une fillette de 10 ans. Mais est-elle Véro et qu'à-t-elle subi ou fait subir de si horrible que sa mémoire bloque. Mariée depuis 22 ans avec Franck, un homme énigmatique, ils ont déménagés presque tous les deux ans et ont changé d'identité à chaque fois. Ici ce sont les violences faites aux enfants (prostitution, mauvais traitements) qui sont mis en avant, d'autant qu'aucune disparition inquiétante n'a été signalée ou prise au sérieux par la police lors de la disparition de la petite Véro 10 ans. On peut regretter des redites et des longueurs et on a du mal à trouver une sincère empathie pour Nicky, trop perdue dans ses pensées.

Dans Un famille parfaite, la parole est donnée à la mère de famille, une femme issue d'un milieu modeste, mais qui a fait les Beaux-Arts et a épousé Justin, un magnat de la construction. Belle maison, magnifiquement meublée, dans le quartier le plus chic de Boston, une ado qui fait sa crise qui ne manque de rien. Mais Libby (qui parle au je), les inspecteurs au il/ils – elle/elles cache aussi des secrets : elle a découvert que son mari la trompait avec une jeunette, et en femme discrète et réticente au conflit, elle avale des pilules opiacées qui laisse dans un état comateux. Elle ne fait pas grand chose de ses journées alors qu'elle a des talents de bijoutière, et vit dans un luxe qu'elle n'aime pas, rêvant à une gentille famille heureuse. Les ravisseurs font subir à la famille des humiliations, coups de taser, coups divers mais ils sont aussitôt soignés. Étrange affaire qui cache ne fait une machination complexe. Ici, il s'agit plus des apparences à sauver que de faire parler ses désirs.

Les intrigues sont bien fichues, cela se lit sans problème comme cela s'oubliera très vite. Pas de messages de fond, pas de remise en questions de la société américaine fortes, c'est juste du polar psychologique bien fait, qu'on lira (autant l'emprunter dans une bibliothèque) sans efforts, il n'y a pas d'effets de styles ou une écriture particulière, c'est simple, bien rodé, même si l'autrice nous explique son processus de recherches avec ses remerciements. Une famille parfaite est quand même un peu plus intéressant pour une intrigue originale.


Extraits du Saut de l'Ange

  • L'Audi Q5 Premium avait dû être magnifique, à l'état neuf. Une carrosserie anthracite aux reflets métallisés. Un habitacle bicolore, avec de superbes sièges en cuir gris argent, des boiseries laquées noir rehaussées de baguettes chromées. Ce genre de break était assez vaste pour contenir les courses de la semaine, la moitié d'une équipe de foot et le chien de la famille, tout cela sans rien perdre de son cachet.

  • Je sens la tristesse tapie au fond de moi, dans un endroit dont j'ignorais l'existence jusqu'alors. Je suis en train de le perdre. Je l'ai compris voilà quelque temps déjà. C'est pour cela que je fais des réserves d'alcool. Parce que pendant vingt-deux ans, cet homme a été tout pour moi. Mon unique compagnon, mon meilleur ami, mon plus gros tracas, mon plus grand réconfort. Il était toute ma vie. Sauf qu'il y a quelque chose de malsain dans ce type de relation. Pour l'un comme pour l'autre.

  • Parce que vingt-deux ans plus tard, j'ignore toujours ce que vivre signifie. Je survis. J'existe. Je me suis même mariée et j'ai habité un peu partout dans ce pays. Mais ces choses-là ont-elles un rapport avec ce que les gens appellent la vie ou sont-elles juste une autre manière de fuir?

  • Comment peut-on se jurer fidélité pour la vie entière quatre semaines seulement après le premier rendez-vous? Vingt-deux ans plus tard, nous sommes toujours mariés. Doit-on considérer cela comme une réussite? Ou, cela veut-il dire qu'après toutes ces années, nous n'avions rien de mieux à nous mettre sous la dent? Que nous n'avions rien à espérer de mieux?

  • Ils se sont bien gardés de me dire qu'évoquer des souvenirs par la bande revient à marcher dans un couloir obscur peuplé de formes patibulaires. Mes souvenirs sont des ombres glacées. Ils ne veulent pas être dérangés, même par moi.

  • Les procureurs exigent plusieurs éléments de preuve et, si possible, un ou deux témoignages. Sinon, il subsiste toujours un doute. Et les procureurs préfèrent les certitudes, surtout quand il s'agit d'affaires sensibles susceptibles d'intéresser les médias. Plutôt que risquer l'erreur judiciaire, la plupart d'entre eux choisissent de classer sans suite.

  • Vero hoche la tête. Elle a peur du noir. Elle n’a pas envie de rester enfermée toute seule dans un placard étroit qui sent mauvais. Mais elle se rend bien compte qu’il y a des choses pires que les terreurs abstraites. Par exemple, pourquoi craindre le monstre qui se cache sous le lit quand un croquemitaine en chair et en os dort sur ce même lit ?

  • Je ne veux pas l’écouter. Je me tiens bien droite, mais je chancelle, ma poitrine se serre, j’ai du mal à respirer, j’ai un squelette dans la tête et des asticots sur les bras. Il ne le sait pas mais le rosier saigne toujours et je n’ai pas pu la sauver. J’ai échoué mille fois, je l’ai trahie de mille manières. Je reviens vers elle sans cesse. Mais à chaque fois, j’échoue. Impossible de la sauver.

Extraits dune famille parfaite

  • Ma fille n'est plus petite. A quinze ans, elle fait presque ma taille. Et pourtant son torse me semble encore bien frêle. Elle grandit comme un poulain, tout en bras et en jambes maigres. Vu la taille que fait Justin, elle me dépassera sans doute l'an prochain. C'est comme ça, je me dis. Elle sera toujours ma petite fille et pourtant elle ne le sera plus jamais.

  • J'ai lu quelque part que les femmes ne doivent jamais prendre un couteau pour se défendre. Notre agresseur nous maîtrise trop facilement et retourne ensuite l'arme contre nous. Mieux vaut s'emparer de la légendaire poêle à frire, qui ne demande pas d'adresse particulière à qui veut l'écraser sur la tête de son adversaire.

  • Ce qui était une vraie famille est aujourd'hui réduit à trois clichés : la femme qui se bourre de comprimés, le mari infidèle et l'adolescente enceinte.

  • Je ne sais pas. Franchement, je ne sais pas et l'idée de rentrer à la maison, de reprendre vies normales avec tous ces problèmes non résolus... ça me terrifie.
    Ici, au moins, nous connaissons notre ennemi. Tandis qu'une fois rentrés... 

  • Dans notre esprit, c'est une preuve supplémentaire que les auteurs de l'enlèvement sont des professionnels. Il ne s'agit pas d'une opération improvisée. De toute évidence, le scénario a été minutieusement pensé. Il y a fort à parier qu'ils ont tout aussi soigneusement réfléchi au meilleur endroit pour mettre leurs otages en lieu sûr et tenir la distance.

  • Mais peut-être que je suis une romantique. Je n'ai jamais voulu avoir cette grande maison, une adresse à Back Bay. Je voulais seulement mon mari.

  • Dernière particularité concernant les services du shérif : l'Etat tout entier est de leur ressort . Alors que même la police d'Etat doit demander des autorisations pour patrouiller dans les villes et sur les routes de comté , les shérifs en sont dispensés . Wyatt peut aller n'importe où dans le New Hampshire et faire régner l'ordre comme bon lui semble , tout en faisant étalage de sa maîtrise hors pair du jargon juridique . Bon , sa région à lui est essentiellement peuplée d'ours et d'orignaux qui s'en fichent comme de l'an quarante , mais ça fait quand même chaud au coeur de le savoir.

  • Les gens sont tous égaux devant la violence. Peu importe leur niveau de fortune, leur milieu social, leur métier. Un jour, elle vient simplement les chercher.


Biographie

Né en 1972 dans l'Oregon, Lisa Gardner est une auteure américaine de romans policiers.
Elle publie également sous le pseudonyme d’Alicia Scott.

Plusieurs de ses romans ont fait l’objet d'une adaptation au cinéma ou à la télévision.

Elle a reçu le Grand prix des lectrices du magazine Elle en 2011 dans la catégorie policier pour son roman "La Maison d'à côté". Lisa Gardner publie des one shots ainsi que des séries avec un ou plusieurs personnages récurrents (D.D. Warren, Tessa Leoni, Pierce Quincy).
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Je ne mets pas de critiques presses, d'autant qu'elles ne sont pas nombreuses en France. 

 

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jeudi 4 mai 2023

DAVID VANN – L'obscure clarté de l'air – Poche Totem – 2017

 

L'histoire

David Vann réinvente l'histoire de Médée, cette femme faiseuse de rois ou de morts dans la partie de sa vie qui va de la course d'Argos contre le bateau de son père. Amoureuse de Jason, parti à la recherche de la Toison d'Or que détiendrait le père de la jeune femme, elle l'aidera dans sa quête et l'aiderait à devenir roi. Mais trompée et bafouée, elle empoisonne la jeune fille de Créon que Jason veut épouser et s'enfuit.


Mon avis

David Vann, qui a lu tous les classiques gréco-romains et qui a navigué sur un navire égyptien reconstitué par des archéologues. Contrairement à Euripide, il site l'histoire de Médée 3 500 ans av JC, autrement dit à la fin de l'ère de bronze, et à ce que les grecs anciens considèrent comme le début de la civilisation. De cette femme qui peut se montrer aussi douce que cruelle, magicienne sans peur, il en fait une héroïne universelle, une femme qui refuse les diktats établis d'un patriarcat. Médée se rêve en pharaonne, comme le fut Hatshepsout. Demi-déesse, elle voit un culte à Nout, la déesse égyptienne du ciel, mère d'Isis et Osiris, et à Hécate la déesse de la mort et de la magie, qui serait sa mère selon les différentes époques mythologiques.

Médée possède des pouvoirs de magicienne mais elle connaît aussi le pouvoir des plantes et des poisons qu'elle peut en tirer.

Jason est le chef des Argonautes, des guerriers grecs partis pour conquérir la Toison d'Or, la peau du bélier ailé mythologique et protecteur. Mais Jason ici n'est pas le héros magnifique que décriront les auteurs grecs anciens. Il apparaît comme un homme rustre, lâche, infidèle, ce qui engendrera la terrible vengeance de Médée qui sans doute cherchait son alter ego, un homme fort capable de conquérir le monde.

Van se concentre uniquement sur la vie de Médée lors de sa fuite à bord de l'Argos jusqu'à sa rupture avec lui et la fin tragique qui referme l'épisode de Jason. Médée finira par épouser le roi Égée (d'autres versions sont proposées par les anciens textes).

Ici Médée est avant tout la femme révolutionnaire, celle qui a compris qu'une nouvelle ère commence. Insoumise, cruelle, elle déteste le pouvoir de ces rois mis en place par hérédité, que le peuple vénère sans se poser de questions. Finalement si ce n'est pas écrit dans le roman, Médée anticipe déjà la société grecque future, « démocratie », mais où le rôle des femmes sera confiné au Gynécée, hormis les prêtresses. Il faudra attendre Rome pour que les femmes aient un statut mais toujours sous le signe du patriarcat.

N'en reste un roman à la fois sombre et lumineux, qui rend hommage à la Méditerranée fortes de couleurs et de vibrations.


Extraits :

  • Ils voguent encore, et Médée s’inquiète qu’ils n’atteignent jamais Iolcos. Elle comprend à présent que ces hommes n’ont aucune envie de retourner à leur vie d’antan. Ils préféreraient emprunter des rivières vers des contrées plus froides, trouver le bout du monde, faire demi-tour et visiter l’Egypte, puis longer son rivage désertique. Ils affirmeraient avoir découvert tous les pays et tous les peuples, ils rétréciraient le monde à l’extrême et se l’approprieraient. Ils rapporteraient des récits de géants abattus et de montagnes sculptées, des rivières et de ruisseaux, les contours de la terre elle-même rappelant les lieux qu’ils avaient arpentés. Niant tous ceux qui avaient été avant eux, le long passé sombre, et s’appropriant aussi l’origine de tout. La fin devenue le commencement. Ce périple instaurerait les limites du monde.

  • Née sans mère, elle a donc peut-être été forgée. Dans un autre métal, plus léger que le cuivre et plus liquide que l'étain, plus profondément fusionné et encore en fusion, un élément curieux qui jamais ne refroidit, un cœur brûlant et des veines qui dessinent des formes et des motifs à partir de rien, sculptée dans l'obscurité, avec une intention qui ne peut être que dans la nature du matériau lui-même, inséparable et impossible à localiser, non moins élémentaire. Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et briser et recréer, née pour endurer et n'être jamais effacée.

  • Acaste se lève, un jeune homme frêle qui ne ressemble en rien à un roi, ses gestes silencieux comme pour compenser ceux de son père. Médée est une prêtresse, dit-il d’une voix faible. Prêtresse d’Hécate et de la déesse égyptienne Nout. Elle peut voler et se déplacer sous la mer. Sa voix peut provenir de toutes les directions et elle peut voir dans l’autre monde, et faire ployer le monde que nous connaissons. Elle est aidée d’un scorpion et d’une autre créature étrange que je ne saurais nommer, qui vient des profondeurs de la terre. Elle peut aussi faire naître le vent et lever les mers.

  • Hécate ! psalmodie-t-elle dans sa langue barbare. Hécate, la plus grande parmi les dieux, qu’il demeure ainsi séparé, qu’aucun morceau ne se scelle à moins que ses testicules déchiquetés ne deviennent ses yeux et qu’il n’arbore son squelette à l’extérieur, prisonnier de ses os. Sans bras ni jambes. Que sa gorge se recouvre de la toison du vieil animal et que sa bouche soit l’anus du bélier. Qu’il n’entende que le bruit de ses entrailles, ses oreilles enfoncées loin en profondeur. Et qu’il vive ainsi mille ans, qu’il grandisse lentement, qu’il s’emplisse de sang. Qu’il produise sans cesse du sang sans jamais pouvoir le relâcher.

  • Une terreur dans les yeux de tous car tous ont besoin d'être dominés. Il est impossible de vivre sans roi. Personne ne veut connaitre cet instant, le monde désordonné. Ils préféreraient placer une chèvre sur le trône plutôt que de le voir vide.

  • Ô toi la sombre, dit Médée à l'eau. Fais que tout ce qui lie puisse tomber enfin. Que tout ce qui est connu devienne confus. Que tout ce nous sommes meure. Fais que je devienne la plus haïe des femmes, et la plus authentique.

  • Qui a-t’il chez les hommes, qui les empêchent de regarder simplement un bateau passer? Pourquoi ce désir constant de tuer et de dominer? Même en elle, inassouvi, ce besoin de conquête. Elle les obligerait à se recroqueviller sur le sol devant elle, chaque homme, de chaque contrée.

  • C'est bien plus que l'amour qui l'a poussée à quitter la Colchide, elle s'en rend compte. Elle bâtirait son propre royaume. Ce qu'elle prenait pour de l'amour, une forme de folie, c'était aussi le frisson de sa liberté.

  • Quand on détient le pouvoir, on devient véritablement un dieu. Comme Hatshepsout et tous les pharaons avant elle. Massacrer son frère, détruire son père. Ce sont les actes d’un dieu, des actes qui inspirent la peur et qui forgent le mythe. Les dieux accomplissent ce qui ne peut être accompli. Et une femme peut aisément devenir un dieu puisqu’elle n’a rien le droit de faire. Elle peut devenir une source de terreur.

  • Ce qu'elle prenait pour de l'amour, une forme de folie, c'était aussi le frisson de sa liberté

  • Elle détruirait tout. Et elle se demande pourquoi il en est ainsi. La rage, mais d’autres éprouvent aussi de la rage. La différence chez elle, c’est que rien ne la retient. Elle accomplira ce qui est monstrueux, car le monstrueux n’est que l’absence de mensonge, le grand mensonge de ce que nous sommes les uns pour les autres, mari et femme, père et fille, frère et sœur, roi et sujet. En l’absence de mensonge, une liberté immense, n’importe quelle action possible.

  • Derrière eux, la silhouette des collines qui s’appesantissent, des collines qu’ils ne reverront jamais, chaque voyage l’éloignement constant de tout ce qui nous est familier, et c’est justement cela qui constitue la moitié du plaisir. La perspective de ce qui nous attend, mais aussi l’abandon de tout ce qui a été.

  • Les cimes des arbres dressées comme des flammes dans le vent, un rugissement proche de celui du feu. Une flamme invisible, qui ne dévore rien, simple indice de ce qui brûle dans un autre monde.


Biographie

Né en 1966 en Alaska, David Vann est un écrivain américain. Après avoir parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il travaille actuellement à la construction d’un catamaran avec lequel il s'apprête à effectuer un tour du monde à la voile en solitaire.
Les plus notables de ses écrits sont: "A Mile Down : The True Story of a Disastrous Career at Sea" (l'histoire du naufrage d'un bateau construit par l'auteur) et un recueil de nouvelles, "Legend of a Suicide" (inspiré par le suicide de son père).
Il publie également dans les magazines: The Atlantic Monthly, Esquire, Outside Magazine, Men's Journal et Writer's Digest. Certains de ses textes sont appréciés pour leur approche nouvelle de la masculinité.
"Sukkwan Island" est son premier roman traduit en français, pour lequel il reçoit le prix Médicis étranger en 2010, le prix des lecteurs de L'Express, le prix des Lecteurs de la Maison du Livre de Rodez et le prix du Marais en 2011. Porté par son succès français, David Vann est aujourd'hui traduit en dix-huit langues dans plus de soixante pays. Une adaptation cinématographique par une société de production française est en cours.
David Vann est également l'auteur de "Désolations", "Impurs", "Goat Mountain", "Dernier jour sur terre", "Aquarium", "L'obscure clarté de l'air", "Un poisson sur la lune". Il partage aujourd'hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l'Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.
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dimanche 23 avril 2023

DIATY DIALLO – Deux secondes d'air qui brûle – Éditions Seuil 2022

 

L'histoire

Tout aurait du être normal en ce soir du 16 juillet dans cette petite cité de banlieue vouée une destruction prochaine pour reconstruire des logements plus adaptés. Astor, 21 ans, étudiant en jardinerie et amoureux des plantes se rend à une fête improvisée sous « la pyramide », une statue posée sur la place sous laquelle se trouvent des parkings inutilisés. Mais une grenade lacrymogène est jetée par la porte d'entrée et dans la pagaille, les jeunes sortent par l'issue de secours et le matériel de sono est confisqué par la police. Au même moment, Chérif et ses amis qui tous travaillent se retrouvent sur un petit coin de la place pour faire un barbecue dans un vieux bidon, saucisses, merguez, pain et coca ou fanta, on discute entre potes de la semaine. Soudain contrôle de police. Chérif, que les policiers connaissent pourtant très bien, n'a pas ses papiers sur lui et est emmené en garde à vue, musclée comme souvent. Dans la pagaille générale, le petit frère de Shérif, un ado de 15 ans, ne comprenant pas ce qui s'est passé, quitte les lieux sur sa mobylette. Poursuivi par une voiture de police, il est abattu de 2 balles, sans sommation. L'enquête conclut à un triste concours de circonstances, le gamin roulait trop vite, le policier n'a jamais eu une intention mortelle, etc. Dans la cité à l'émotion et au désarroi de tous, ces gens venus d'Afrique Noire, qui travaillent en France, tentent d'élever au mieux les enfants, se connaissent tous et sont affligés et ne comprennent pas. Mais les jeunes eux savent : les contrôles au faciès, les insultes, les fouilles corporelles, alors qu'ils n'ont rien fait. Alors, le combat s'organise avec les jeunes et de façon collective et assez inattendue.


Mon avis

Elle même issue des banlieues, Diaty Diallo connaît son sujet. Elle s'inspire pour ce tout premier roman de faits connus dans les médias. Mais ce qui frappe avant tout c'est son écriture. Les dialogues sont vifs et le langage « djeuns » y est présent, mais on comprend facilement cet argot où on kiffe sa daronne et ou on s'exprime cash, mais toujours poliment avec les mères, qu'on respecte, tout comme les filles qu'on aimerait bien draguer mais on ose pas trop. Ici ce sont surtout des africains subsahariens qui vivent, dans des logements trop petits pour les familles, des immeubles pas entretenu.

Et à coté de la vivacité des dialogues, des jolies pages où la nature, celle du terrain vague à coté, enchante Astor qui connaît tous les noms botaniques des fleurs sauvages, des herbes pas si folles, leur floraison et imagine même le bouquet qu'il offrirait à la jeune fille dont il est amoureux. Mais ce minuscule coin de nature, où tous ont joué enfants, commence déjà à être envahi par les pelleteuses, puisque qu'une résidence de standing doit y être construite. La petite cité qui de loin aperçoit Paris, là où on va travailler, est elle aussi amenée à être détruite. La mairie a montré les plans des nouveaux lotissements où seront relogées les populations, avec même des équipements sportifs, une mjc, un espace de co-working. Les familles qui ne pourront pas être relogées iront plus loin dans la grande banlieue. Et cette écriture devient hypnotique quand pour rendre hommage au petit garçon mort, la DJ improvise des mélodies où se mêlent la soul, les percussions africaines, la musique urbaine.

Dans ce roman, on ne parle que de la différence due à la couleur de peau. La religion qu'elle qu'elle soit est ignorée, les filles sont totalement libres, on apprend même qu'Hawa, la DJ est en couple avec une fille sans que cela ne choque personne. Juste le racisme ordinaire, presque banal, et pourtant terrifiant.

Ici pas de politiquement correct, pas de compromis. Oui bien sur les gamins font un peu trop de rodéos à moto sur la place, et oui on fume un pétard ou on boit un peu trop de bières, mais que faire dans une cité où il n'y a rien. Plus de commerces, plus d'animations, plus de vie si ce n'est les petits plaisirs de faire un barbecue entre amis, de partager des repas entre voisins, ou d'aller danser sur des rythmes endiablés. Le peu d'argent gagné est fait pour aider la famille, les mères et les petits. Les pères sont quasiment absents (morts, revenus au bled) ou trop vieux. Un roman coup de poing, coup de gueule, mais avec un vrai don pour l'écriture.


Extraits :

  • C'est pas normal. Puis il me prend le bras et le serre comme un garrot. Je lui avais dit de pas aller mettre son nez sur la place, gros, je te jure sur ma vie, il me dit en me regardant droit dans les yeux et les siens pleurent. Je réponds que je sais bien, que même avec un scénario différent l’issue aurait été la même. Ça s’appelle le système. Qu’on sait bien. Que c’est de la faute à personne d’entre nous. Qu’on a pas mérité de perdre un petit. Qu’aucun petit mérite de perdre sa vie. Qu’y a bien que des enfoirés pour pas savoir ça. Nous on sait. On est pas des enfoirés. On sait bien.

  • Issa avait continué à hausser le ton en leur demandant pourquoi ils avaient jamais rien à faire d'autre, que c'était un truc de fou comme ils avaient rien à faire d'autre, que c'était chaud, que ça faisait pitié un peu de les voir avoir rien à faire, jamais rien à faire d'autre, comme là, comme aujourd'hui, qu'il y avait des femmes qui se faisaient violer dans le plus grand des calmes en ce moment même partout dans Paname mais que leur priorité c'était de les contrôler eux, les noirs et les arabes de cité.

  • Peine. Période qui ne possède pas d’instruments de mesure. Ni sablier ni clepsydre ni bougie ni horloge. Personne n’aura l’autorisation de venir s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il vit, ni de donner de noms à son épouvante, ni de formes à ses larmes. S’il veut en pleurer des froides, il pleurera des perles de glace, et s’il ne veut pas parler, il ne parlera pas.

  • Attiser des feux, se raconter des trucs pour passer les jours qui rallongent et même ceux qui raccourcissent en fait et puis danser parfois.

  • Dans le jour qui se lève, les merles, moineaux, mésanges, pigeons en gangs, en même temps qu'ils s'étirent les plumes, chantent comme des rappeurs leur appartenance au sol d'ici. Oublie jamais d'où tu viens, ils semblent se répéter.

  • C’est beau. Ça donne des dialogues sans mots, des lèvres qui remuent, muettes, des mains qui reproduisent la musique. On n’entend pas les rires ni ce qui les déclenche. Des gens s’embrassent doucement, le souffle saccadé, les paumes plaquées, les creux des corps emboîtés. Des lèvres ouvertes sur le fond d’une clavicule. Des cœurs arythmiques reliés par deux ou trois. Le langage indiscipliné de celles et ceux qui parlent la tendresse.

  • Le lacrymo, c'est vraiment un venin d'enfoiré de fils de pute. C'est à dire qu'un soldat ne pourrait pas en utiliser contre ses ennemis, sur un champ de bataille en temps de guerre, pas autorisé, mais pas contre nous, ils nous en arrosent dès qu'on fait un pas de travers. Et même dès qu'on a l'audace de sortir de chez nous, putain.

  • On abolirait l'uniforme, que la haine de nos peaux, classifiées malgré nous, et l'obsession des moments où on disparaît sous les coups lui survivraient. Ça s'appelle le système.

  • Hawa a posé un dernier disque sur sa platine puis est sortie de sa cabine et dans la foule a retrouvé son amoureuse. Dernières agitées, elles exécutent des pogos sensuels, se tiennent l'une contre l'autre, synchronisent leurs pulsations cardiaques, écoutent le chant du sang dans leurs veines. Elles font tourner autour d'elles l'hologramme d'un cerceau. Elles s'épuisent les corps.

  • Il y a quelque chose à calmer ce soir. Ensemble. Quelque chose de dur qu'il faut soulager à défaut de guérir. Ensemble. Quand une personne est arrachée trop tôt à sa vie, la souffrance déborde de son foyer pour atteindre la rue. C'est une communauté qui a mal.

  • De minuscules êtres humains dans de toutes petites salopettes piaillent comme des oisillons. Il y a des coutumes qu'on observe : les strapontins, les filles qui en tressent d'autres, le bissap en bouteilles de cristaline, les beignets stockés dans des glacières.

  • Hawa abat son génie, gifle ses platines et ses claviers, émet des textures chaudes et rassurantes, des gémissements d'abeilles exaltées, des frictions de bottes qui tabassent la neige d'un pays froid. Caisse claire. Une goutte d'eau semble tomber sur une braise géante. Elle partitionne, séquence, modèle,déforme, met bout à bout des bouts qui font symphonie. Elle détend. Des doigts, elle reproduit le bégaiement d'un marxophone, le ronflement d'une bougie qui s'épuise, les notes d'une orgue arrondies comme par le levier d'une stratocaster.


Biographie

Diaty Diallo a grandi entre les Yvelines et la Seine-Saint-Denis, où elle continue d’habiter aujourd’hui. Elle pratique depuis l’adolescence différentes formes d’écriture : de la tenue journalière d’un Skyblog à quinze ans à la rédaction d’un livre aujourd’hui, en passant par la création de fanzines et la composition de dizaines de chansons. Deux secondes d’air qui brûle est son premier roman.
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Presse


En fin de livre, Diaty donne une liste des morceaux joués lors des fêtes souterraines ou écoutées par les protagonistes. Elle cite également les auteurs, et tous ceux qui l'ont aidée à écrire ce premier roman dont on a beaucoop parlé à la rentrée littéraire 2022.

Notamment la famille de Gaye Camara : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/21/affaire-gaye-camara-le-non-lieu-pour-un-policier-confirme-en-appel_6067108_3224.html, ainsi que les livres lus dont elle dresse la liste en fin d'ouvrage.


RON RASH – Le monde à l'endroit – Point Seuil - 2012

 

L'histoire

Travis Shelton 17 ans, vit en Caroline du Nord, dans la zone montagneuse des Appalaches. Son père est un homme brutal qui élève son fils à la dure. Un jour, il va piquer des plants de cannabis chez un voisin Tommey pour les revendre à Léonard, figure locale, ancien professeur dit-on, qui vit dans un mobile-home déglingué. Hélas, malgré les avertissements de Léonard, il recommence 2 fois, dont une de trop. Le vieux Tommey et son fils ne sont pas des tendres et ils lui sectionnent le talon d’Achille entre 2 baffes. Rejeté par son père, Travis va trouver refuge chez Léonard, et se met à lire, lui qui quitté l'école pour aider son père aux chants de tabac.


Mon avis

Ron Rash est entre autre l'auteur de « Serena », film adapté à l'écran avec le duo cinématographique Bradley Cooper et l'excellente Jennifer Lawrence, film mal reçu par le public, alors que je l'ai trouvé assez bon pour la performance de Miss Lawrence, sortie de ces rôles de killeuses.

Si il a écrit d'autres romans depuis, Le monde à l'endroit est encore un roman qui se situe dans sa Caroline du Sud Natale, exactement au nord ouest de l’État, là où se finit la chaîne montagneuses des Appalaches.

Roman d’initiation, l'auteur ajoute aux relations qu'entretient Sheldon avec ses 3 hommes, son père, le cruel Toomey et le pacificateur Léonard, le massacre de Shelton Laurel en 1863 lors de la Guerre de Sécession. Épisode qui va passionner Travis qui est un Shelton. Dans cette époque trouble, le 18 décembre 1883, 13 personnes soupçonnées d'être des partisans des unionistes furent massacrés par un régiment de soldats confédérés, alors qu'aucune preuve sérieuse n'a jamais permis d'affirmer l'appartenance de la famille Shelton à l'armée des Unionistes. Pour rappel historique, la guerre de Sécession (1861-1865) a été déclarée par les États Confédérés du Sud contre le Nord. Le président Lincoln voulait faire interdire l'esclavage dans ces états. Cette guerre, finalement remportée par les Unionistes fit près de 800 000 morts soit bien plus que les autres guerres engagées par les USA. Si elle permit l'abolition de l'esclavage qui se fit difficilement avec la résistance des états sudistes et l'apparition du Ku Kux Klan. Même si l'auteur a modifié quelques noms et lieux, la révélation de ce massacre plonge le jeune Travis dans une enquête personnelle sur ses origines. Travis, toujours sur le fil rouge entre le bien et le mal, reste un personnage attachant. Mais le roman vaut aussi par des très belles pages de poésie pure sur ce territoire de la Caroline du Nord, cette zone montagneuse, à la fois dangereuse et belle.

Le récit intercale la suite logique des événements avec ce qui semble être le journal de bord d'un médecin, tenu de 1850 à 1863, un homme qui cherche déjà des méthodes de soins auprès des plantes et refuse la médecine archaïque. On saura à la fin du roman qui était cet homme et le rôle qu'il a tenu en son temps.

C'est aussi la vie fruste des paysans, qui cultivent le tabac essentiellement, une plante qu'il faut entretenir, et dont les prix permettent à peine de survivre. Ici on se contente d'une partie de pêche, les petits ou gros trafics (drogues) permettent aux uns de s'enrichir et autres de rêver l'espace d'un instant ou tout le temps à l'exemple de Dena, la compagne de Léonard dont on devine un passé sombre. D'ailleurs les femmes sont absentes ou inexistantes dans ce livre. Soumises à leur mari, comme la mère de Travis, inaccessible comme Lori dont Travis est amoureux mais il n'est pas de la même classe sociale, ce sont juste des passagères dans un roman où la violence des hommes côtoient la beauté de la nature, sans être un roman de « nature writing », mais Ron Rash est aussi un poète. Un roman âpre et beau à la fois, sur les hommes qui choisissent le mauvais destin, et l'univers très particulier de cette région un peu oubliée de la Caroline du Nord.


Extraits :

  • Tu sais qu'un lieu est hanté quand il te paraît plus réel que toi. Dès que Leonard eut prononcé ces mots, Travis sut que c'était ce qu'il éprouvait, pas seulement à l'instant, mais pendant toutes ces années quand en labourant il déterrait des pointes de flèches. Lorsqu'il frottait les couches de terre pour les faire tomber, il avait toujours eu l'impression désagréable que les pointes de flèches étaient vivantes, comme les trichoptères dans leur épais fourreau. Il avait tenté de comprendre l'idée que le temps passait moins vite qu'il ne se déposait sur les choses en couches successives, comme si sous la surface du monde le passé continuait à se dérouler. Travis n'avait jamais parlé de cette impression parce qu'on ne pouvait pas l'expliquer ni la montrer, comme la manière de faire un nœud de pêche ou de vérifier si le tabac a la pourriture noire. Mais ce n'était pas parce que c'était au fond de soi que ce n'était pas réel. Et maintenant il le ressentait ici, encore bien davantage que lorsqu'il avait tenu les pointes de flèches dans la main. - Vous croyez aux fantômes demanda-t-il ? - Quand je suis dans ce pré, je n'en suis pas loin, avoua Leonard

  • Travis roula vers le sud en direction de Marshall, et quelques instants plus tard dépassa l'embranchement de Harbin Road menant à la ferme de ses parents. Il longea un champ de tabac moissonné où ne restait plus que du chaume. Il y avait des gens qui pouvaient passer en voiture à côté de ce champ et ne pas avoir la moindre idée de tout le travail qui avait été accompli, Travis le savait et se rappela que son père et lui avaient semé les graines en février avant d'installer des bandes de plastique noir retenues par des pierres du ruisseau. En avril, ils avaient retiré les pierres et soulevé en douceur les bandes de plastique, comme ils auraient ôté un pansement recouvrant une plaie. Son père et lui s'étaient mis à genoux devant les plants et avaient délicatement sorti de terre la tige et les racines, puis déposé les plants sur un sac en toile de jute avant de les repiquer avec des plantoirs à tabac. Et ce n'était que le début, l'arrosage, la chasse aux vers, l'écimage et le pincement restaient à venir. Et finalement, la coupe, le travail agricole où on suait le plus. Maintenant ces plants, d'un ton adouci d'or séché et poudreux, étaient suspendus aux chevrons de la grange, une odeur de vieux cuir chargeant l'air de de son musc.

  • Travis s'enfonça un peu plus dans son siège et ferma les yeux. Pense à quelque chose d'agréable, se dit-il, et il fixa son esprit sur le poisson qu'il avait pris, pas la grosse arc-en-ciel mais la truite mouchetée. Assez grosse pour qu'on la mange, mais Travis était content de l'avoir relâchée. Il songea aux nageoires pectorales orange déployées comme de petits éventails éclatants quand la truite se cachait sous la berge, à l'abri des loutres et des martins-pêcheurs, ou de tout ce qui risquait de l'arracher au ruisseau. La truite mouchetée aurait la gueule abîmée et se méfierait de l'hameçon, mais elle ne tarderait pas à sortir du renfoncement sous la rive et à recommencer à se nourrir d'écrevisses ou de nymphes, peut-être d'une sauterelle ayant survécu à la première gelée.

  • Quand il était petit, la mère de Léonard s'était souvent assise dehors sur les marches de leur ferme, restant parfois une demie heure les yeux fixés sur les montagnes qui s'élevaient au-delà de leur pré. C'est si joli que ça m'emporte loin de moi, lui avait-elle expliqué un jour d'une voix douce, avec l'air de lui confier un secret. Une bible ou la messe ne lui suffisait pas toujours, lui avait-elle avoué. Voilà pourquoi avant tout, il faut un monde, avait-elle ajouté. Dans les jours qui avaient suivit le départ d'Emilie et de Kéra, Léonard avait tenté de voir le monde comme l'avait vu sa mère. Il avait pris sa voiture pour aller au bord de la Calumet River, l'unique endroit où il y avait assez d'arbres pour dissimuler un paysage semblant avoir été aplani par un rouleau à pâtisserie géant. Il s'était assis sur la berge et avait scruté les peupliers et les bouleaux, les aulnes noirs et les hamamélis blottis sous les arbres plus grands, l'eau lente et brune, en s'efforçant de trouver la même paix intérieure que sa mère, des années auparavant, sur les marches de la galerie.

  • J’ai acheté un nouveau parfum. » Elle leva la main et la laissa sur la joue de Travis. « Sens », dit-elle, en pressant le dos de son poignet contre son nez.
    Travis respira l’odeur suave du parfum, qui lui procura la même agréable sensation paisible qu’une seconde bière.

  • Une page blanche, c’était peut-être tout ce que se révélait être l’histoire, au bout du compte, songea-t-il, quelque chose qui dépassait ce que l’on pouvait écrire, exprimer clairement.

  • Dans peu de temps il y aurait des journées froides, après la neige, quand le ciel bas virait au bleu, un bleu tellement sombre qu'au crépuscule il suinterait comme de l'encre, colorerait aussi de bleu foncé le sol tout blanc.

  • Travis regardait. La neige s'étendait propre et plane sur le pré. Une page blanche, c'était peut-être tout ce que révélait être l'histoire, au bout du compte, songea-t-il, quelque chose qui dépassait ce que l'on pouvait écrire, exprimer clairement.

  • Des mots écrits pendant la guerre de Sécession lui revinrent, non pas ceux de son ancêtre, mais ceux d'un soldat de l'Union, le matin de la bataille de Cold Harbor. Le texte tenait en une ligne : 3 juin, Cold Harbor. On m'a tué. Le soldat était effectivement mort ce jour-là, son journal maculé de sang trouvé dans sa poche après la bataille. Atroce de savoir que vous alliez mourir, mais une forme de liberté aussi, pensait Leonard, parce que vous le décidiez avant que quiconque ou quoi que ce soit ne puisse le faire pour vous. Votre vie devenait davantage qu'une simple vie, une sorte de langue incarnée sans temps.

  • Travis pensait que Lori était simplement autoritaire, mais Leonard savait qu'il y avait autre chose parce qu'il avait été au lycée avec des filles qui venaient du même genre de foyers, et s'habillaient avec le même genre de vêtements déjà portés par d'autres. Comme Lori, elles avaient appris très tôt que tout espoir de vivre une vie agréable tenait dans une série d'étapes soigneusement planifiées, sans marge d'erreur. Elles faisaient toujours leurs devoirs et évitaient les banquettes arrière quand elles sortaient, conscientes que dans le cas contraire elles finiraient par avoir des vies aussi dures et désespérées que leurs mères.

  • La reliure grinça comme une charnière rouillée, les pages s'ouvrirent à la date à laquelle, au fil des ans, Léonard était allé le plus souvent. Les mots étaient inscrits en majuscule, d'une écriture soignée comme si l'auteur avait anticipé un moment tel que celui-ci où le passage serait lu par d'autres yeux.

  • Céruléen, répéta-t-il, en prenant plaisir à la façon dont les sonorités butaient contre les dents de devant serrées puis montaient et descendaient dans sa bouche avant de finir dans la gorge, comme si le mot avait été mordu, mâché et avalé.

  • Elle désapprouvait son éducation pentecôtiste, mais Leonard soupçonnait que ces croyances venaient tout autant des montagnes, de leur présence menaçante et de leur obscurité tenace. Les ombres, c’était toujours ainsi que son grand-père Shuler avait appelé les fantômes, comme s’ils étaient créés par ces crêtes et ces vallons privés de lumière.

  • Bêtise et ignorance, cela n’a rien à voir. On ne peut pas guérir quelqu’un de sa bêtise. Quelqu’un comme toi, qui est simplement ignorant, il se pourrait qu’il y ait de l’espoir.


Biographie

Né en 1953 en Caroline du Sud, Ron Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans policiers.
Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de littérature anglaise.
Il est titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles.
Sa carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998. Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Il publie "Un pied au paradis" ("One Foot in Eden"), son premier roman policier, en 2002. "Le chant de la Tamassee" ("Saints at the River", 2004) est son deuxième roman. Suivront "Le monde à l'endroit" ("The World Made Straight", 2006), ou encore "Une terre d'ombre" ("The Cove", 2012) qui obtient le Grand prix de littérature policière 2014.
Ron Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.

En savoir plus :

Sur le roman

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Presse

Dans l'univers du roman

Sur le film Serena

Sur les Appalches de Caroline du Nord

Sur le massacre de Shelton Laurel


mercredi 19 avril 2023

JONATHAN COE – Billy Wilder et moi – Éditions Gallimard 2020 ou poche Folio

 

L'histoire

 En 1976, Calista 21 ans, jeune étudiante grecque quitte Athènes pour un séjour de 3 mois aux USA. A travers d'amicales rencontres, elle se retrouve à dîner à la table du cinéaste Billy Wilder en compagnie de son scénariste Iz Diamond et de leurs épouses respectives. La jeune fille n'a jamais entendu parler du cinéaste, elle s'intéresse à la musique et la Grèce vit sous la dictature des colonels. Un an plus tard, elle est contactée par la production de l'avant dernier film de Wilder « Fedora » pour servir d'interprète, certaines scènes du film se situent dans les îles grecques. Elle se lie d'amitié avec le scénariste qui appréciant cette jeune fille discrète et aimable l'embauche comme secrétaire pour le reste de la production du film en Europe (Munch et Paris). Entre temps, elle s'est familiarisée avec le cinéma.

Alors qu'à son tour ses deux filles quittent le foyer, elle se remémore cette période si particulière de sa vie et ses échanges avec le célèbre réalisateur, dont la carrière est pourtant derrière lui.


Mon avis

Ce roman très agréable à lire comblera les cinéphiles ou encouragera ceux qui ne connaissent pas les films de l'âge d'or Hollywoodien à découvrir un cinéma d'excellence. Si Coe écrit une fiction, il s'est documenté très soigneusement et ce qu'il rapporte au sujet de Monsieur Wilder est totalement exact.

Avec Lubtisch, Franck Capra, J.L. Manckiewictz, J. Huston, A. Hitchcock, Otto Preminger et quelques autres, nous avons le meilleur du cinéma américain, fait par des européens réfugiés aux USA en raison de la guerre 39/45. Autrichien pour Wilder et Preminger, allemand pour Lubitsch et Manckiewicz, anglais pour Hitchcock, ou italien pour Capra. Ils ont produits des chefs d’œuvres encore analysés et admirés aujourd'hui, mais ici nous nous centrons sur le cas de Samuel Wilder dit Billy : 7 ans de réflexion et Certains l'aiment chaud avec Marilyn Monroe, Boulevard du Crépuscule, La garçonnière, il est aussi bien le roi de la comédie rythmée que des tragédies. Scénariste pour Lubitsch, Howard Hawks, John Huston et Richard Zimmerman, Wilder cumule les oscars, pour lui ou pour les vedettes qu'il dirige, et les récompenses internationales. Il reste fidèle à son scénariste IZ Diamond, et à certains acteurs fétiches comme Jack Lemmon, Marilyn Monroe, et William Holden pour des registres plus tragiques.

Mais voilà, à l'aube des années 1980, le cinéma change. Arrive la nouvelle génération, celles des Spielberg, Scorcese, Coppola avec des films où se mêlent des actions violentes, les effets spéciaux se développent et les anciens réalisateurs ne font plus recettes. Les derniers films de Wilder ont été des échecs commerciaux (même si maintenant on les reconnaît comme des grands films. Wilder ne s'est pas habitué à l'évolution du cinéma, il trouve ces films sans subtilités et au jeu d'acteur trop virils, lui qui ne jure que par son maître et ami le grand Lubitsch, qui tout comme Chaplin avec « Le Dictateur » (encore un anglais émigré) avait sorti son succès le plus connu « To be or not to be » contre le nazisme, 2 films aussi drôles que profonds. Pourtant Wilder sait qu'il ne fait pas un bon film. Il ne s'entend pas avec son actrice principale, la jeune Marthe Keller, il ne laisse pas les comédiens la moindre possibilité d'improvisation ou d'adaptation de leurs textes, il peut se montrer aussi odieux que gentil et généreux. Par exemple, c'est l'un des rares réalisateurs qui a su s'y prendre avec Marilyn Monroe, lors du tournage de « Certains l'aime chaud ». L'actrice, sous l'emprise des médicaments ne retenait pas son texte, Tony Curtis habitué aux prises rapides n'en pouvait plus de supporter la star. Wilder allait lui chuchoter on ne sait quoi à l'oreille et obtenait le meilleur de ce que l'actrice avait à donner, avec une patience infinie.Seul le scénariste et meilleur ami de Wilder, Monsieur Diamond, sent que le film tourne à la catastrophe, d'autant qu'au montage, Wilder remplace la voix des 2 actrices féminines par une même voix neutre. En fait il sait très bien qu'avec Fédora et son histoire, sorte de Boulevard du Crépuscule inversé, il signe son testament, ses adieux à son cinéma, tout en reconnaissant en privé que «La Liste de Schindler » que lui-même aurait voulu réaliser est un des meilleurs films qu'il a vu.

En parallèle, dans le roman, il exprime son horreur du nazisme, et noue une petite amitié avec Calista, à laquelle il confie quelques secrets.De son coté Calista, mariée à un anglais et vivant dans une tranquille banlieue londonienne a écrit quelques musiques de films de renom. Mais depuis quelque temps, elle piétine dans sa vie professionnelle, car elle aussi n'arrive pas à se renouveler. Son mariage sombrer doucement dans un gentil quotidien où l'on a plus grand chose à se dire, mais on restera ensemble parce que finalement on est en sécurité. De même, son coté mère-poule l'éloigne de ses filles, l'une va vivre en Australie et la cadette enceinte alors qu'elle est trop jeune hésite à se confier à sa mère.

Si l'accent est mis sur le tournage d'un film qui vire au cauchemar à l'insu ou pas d'ailleurs de son réalisateur, le thème global est la difficulté de compréhension intergénérationnelle dans le domaine artistique notamment.Un livre qui se lit facilement et qui regorge d’anecdotes sur l'un des réalisateurs les plus oscarisés de tous les temps et qui brille par les remarques pleine d'humour de Monsieur Billy.


Extraits :

  • Ah, ce fromage. Ce fromage – et je n’exagère rien – était tout simplement la chose la plus délicieuse que j’aie jamais goûtée de toute ma vie. Les arômes vous parvenaient, l’un après l’autre, chacun plus complexe et plus subtil que le précédent. Je fermai les yeux de façon à les savourer plus intensément. C’est bon, hein ? dit Billy, après un petit moment passé à manger tous les deux en silence ?- Oh oui. - J’ai un petit goût de noisette, un petit goût de champignons. C’est presque comme si, tu vois … comme si on pouvait sentir le goût de la terre, pareil qu’un bon scotch.

  • À Hollywood, la guerre avait paru si loin. Bien sûr, j’avais suivi l’actualité, et je savais ce qui s’était passé. Suffisamment pour comprendre que j’avais pris la bonne décision en quittant l’Europe au moment où je l’avais fait. Certains me traitaient de pessimiste à l’époque. Eh bien, je leur dirais plus tard, ce sont les pessimistes qui ont atterri à Bervely Hills avec une piscine dans leur jardin, et ce sont les optimistes qui ont fini en camp de concentration. Alors oui, j’avais sauvé ma peau. Mais qu’en est-il du reste de ma famille ? C’était ça qui m’empêchait de dormir depuis quelques années — ou me donnait des cauchemars quand je parvenais à dormir.

  • Billy avait rendez-vous, un jour, avec un producteur. Et il lui a dit qu'il voulait faire un film sur Nijinsky. Alors il a raconté toute l'histoire de la vie de Nijinsky au producteur, et ce type l'a regardé, horrifié, en disant: "Vous êtes sérieux ? Vous voulez faire un film sur un danseur classique ukrainien qui finit par devenir fou et passe trente ans en hôpital psychiatrique, convaincu d'être un cheval ?" Et Billy répond: "Ah, mais dans notre version de l'histoire, ça se termine bien. Il finit par gagner le Kentucky Derby."

  • Avec l'âge, les espoirs rapetissent et les regrets grandissent. Le défi, c'est de lutter contre ça. D'empêcher les regrets de prendre le dessus.

  • Monsieur Wilder nous a raconté une anecdote amusante sur les bidets au dîner l'autre soir. Apparemment, la dernière fois qu'il faisait un film à Paris, sa femme lui a demandé d'acheter un bidet et de le lui faire expédier aux Etats-Unis. A la place, il lui a envoyé un télégramme qui disait: "Pas pu trouver de bidet - te suggère de faire le poirier sous la douche."

  • Taxi Driver, j'ai trouvé que c'était un excellent film, par bien des aspects. Mais qui va trop loin. Trop violent - à mon goût. Trop déprimant. Mais c'est la tendance ces temps-ci. Pour prétendre au film sérieux, il faut que tes spectateurs sortent du cinéma avec l'envie de se suicider.

  • J'étais déchirée entre deux émotions contradictoires : la joie de me dire que j'avais partagé cette incroyable expérience, et une immense tristesse à l'idée que c'était presque fini. Ces émotions étaient en train de se bagarrer pour savoir laquelle prendrait le dessus précisément au moment où monsieur Diamond vint me parler. - Je voudrais juste vous dire merci, dit-il, élevant la voix pour dominer le bruit de la musique. C'était formidable de vous voir. Une petite oasis de bon sens au milieu de toute cette folie.

  • Elle s’appelle Marthe. Marthe Keller. Une jeune femme suisse. C’est curieux, non ? Il n’y a pas beaucoup de Suisses ici à Hollywood. Il n’y a pas beaucoup d’actrices suisses tout court. Je n’en vois pas d’autres. C’est un pays qui produit davantage de pendules à coucou que d’acteurs.

  • Je veux dire, répond Billy, qu’avec ce film [tourné en Allemagne] je ne peux vraiment pas perdre. Si c’est un franc succès, c’est une revanche sur Hollywood. Si c’est un flop, c’est ma revanche pour Auschwitz.

  • Je sais que ce film, celui que je suis en train de réaliser, est un de mes plus sérieux, bien sûr - je veux qu'il soit sérieux, je veux qu'il soit triste - , mais ça ne signifie pas, quand les spectateurs quitteront la salle, qu'ils auront l'impression qu'on leur a maintenu la tête dans la cuvette des WC pendant deux heures, tu vois ? Il faut leur offrir autre chose, un peu d'élégance, un peu de beauté. La vie est moche. On le sait tous. Pas besoin d'aller au cinéma pour savoir que la vie est moche. Les gens y vont parce que ces deux heures apportent à leur existence une petite étincelle, qu'il s'agisse de comédie et de rires ou simplement... Je ne sais pas, de belles robes et d'acteurs séduisants, ou n'importe quoi d'autre - une étincelle qui n'était pas là auparavant. Un soupçon de joie, peut-être.

  • Le type qui jouait le docteur Watson dans notre film sur Sherlock Holmes – il y avait une scène où il fallait qu'il danse . Il était dans cette grande scène de danse avec toute une troupe de danseurs de ballet, et il fallait qu'il suive le rythme, mais en même temps il devait continuer à jouer, vous voyez ? Il se passait quelque chose d'important dans cette scène, une émotion qu'il fallait parvenir à rendre. Alors Billy lui dit : «  Colin, dans cette scène, je veux que tu joues comme Laughton et que tu danses comme Nijinsky. » On a fait une prise et ensuite Colin a accouru pour lui demander : « C'était comment ? Comment je m'en suis sorti ? » Et Billy a répondu : « Eh bien, tu n'étais pas loin - tu as joué comme Nijinsky et dansé comme Laughton » Et ça a marché, vous voyez, parce qu'il a tourné ça à la plaisanterie, alors Colin l'a bien pris et tout s'est bien passé.

  • Mon Dieu, ce film avec le requin. Quand est-ce que les gens arrêteront de parler de ce film avec le requin ? Maintenant, tous les crétins de producteurs que compte la ville veulent plus de films avec des requins. Voilà comment ils réfléchissent, ces gens-là. On a gagné cent millions de dollars avec ce requin, il nous faut un autre requin. Il nous faut plus de requins, il nous faut des requins plus gros, il nous faut des requins plus dangereux. Mon idée, c'était un film qui s'intitulerait "Les Dents de la mer à Venise". Vous voyez, vous avez toutes ces gondoles qui sillonnent le Grand Canal, tous les touristes japonais, et puis voilà une centaine de requins qui remontent le canal et se mettent à les attaquer. J'ai soumis l'idée à un type de chez Universal, pour la blague. Il a cru que j'étais sérieux. Il a adoré.

  • Ce fut ma première image, et ma première impression, de M. Wilder. Il portait également des lunettes à verres épais, et malgré son air abattu, ses yeux ne purent s’empêcher de s’illuminer derrière ces lunettes et de pétiller d’amusement en nous voyant approcher de la table, Gill et moi, avec nos tee-shirts minables et nos shorts en jean effilochés. Cet amusement était franc, non dissimulé et assez mortifiant, mais je n’y décelai nulle méchanceté. Il voyait cela comme une situation comique, et la savourait comme telle.

  • D'accord, c'est bien construit et tout, mais plus personne ne s'intéresse à ce genre de choses aujourd'hui. C'est tellement suranné, tellement... vieillot. Et puis tout ce qu'on raconte sur lui, sa manière de forcer les acteurs à prononcer chaque réplique exactement comme elle est écrite, de ne pas les laisser improviser, de ne pas les laisser habiter leur personnage. Pas étonnant qu'ils le détestent tous.

  • Qu'est-ce que je vais devenir, Geoff ? ai-je demandé en lui agrippant les mains. J'ai deux talents. Deux choses qui me donnent une raison de continuer à vivre. Je suis une bonne compositrice, et je suis une bonne mère. Ecrire de la musique, et élever des enfants. C'est ce que je sais faire. Et maintenant voilà qu'en gros, on me dit qu'on n'a plus besoin de ces deux compétences. Sur les deux fronts, je suis finie. Kaput. Et je n'ai que cinquante-sept ans ! Cinquante-sept ans, c'est tout !".J'ai attrapé son verre de whisky et j'en ai pris une lampée. Grossière erreur. Le whisky et le brie ne font pas du tout bon ménage.


Biographie

Né en 1961 à Birmingam, onathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick.
Il s'intéresse à la littérature ainsi qu'à la musique et fait partie d'un groupe musical, expérience qu'il utilisera dans son troisième roman "les nains de la mort".
Il doit sa notoriété à l'étranger à son quatrième roman "Testament à l'anglaise". Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public.
Jonathan Coe a reçu le Prix Médicis étranger en 1998 pour "La Maison du sommeil". En 2001 et 2004, le diptyque "Bienvenue au Club" (The Rotters' Club) suivi par "Le Cercle fermé" (The Closed Circle) suit les aventures d'un même groupe de personnages pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 70 et début des années 2000, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subi la société entre ces deux dates, avec les réformes de Margaret Thatcher et de Tony Blair. Il le fait avec tendresse pour ses personnages et un regard acéré sur cette évolution annonçant l'avènement de la mondialisation.
"La pluie, avant qu'elle tombe" (2007) est l'expression d'une veine très différente, privilégiant la sphère intimiste en abordant les destins brisés de trois femmes. Il publie en 2012 un recueil de nouvelles "Désaccords imparfaits" chez Gallimard. Avec "la vie privée de Mr Sims" (2010) et "Expo 58" (2013) il retrouve le sens de la satire, qui constitue en général sa marque de fabrique. Il a été l'un des membres du jury de la Mostra de Venise 1999.

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Sur le roman

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Dans l'univers du roman

Je vous laisse le soin d'aller fouiner sur le web pour en savoir plus sur les cinéastes cités, et je vous recommande d'emprunter dans une bonne médiathèque les films suivants :