lundi 8 mai 2023

CAMILLA GREBE – le jour de ma disparition – Livre de poche 2019


 

L'histoire

A Ormberg, village de suède déserté par les entreprises, un corps de fillette a été découvert 8 ans auparavant sans jamais avoir été identifié. En 2017, la police suédoise décide de rouvrir les affaires non résolues, les fameux cold-case, Malin qui a fait partie de la bande de jeunes qui ont découvert le cadavre est devenue policière et travaille près de Stockholm. Mais comme elle est native d'Ormberg, elle est affectée à l'enquête avec les policiers chevronnés dont Hanne et Peter. Mais l'enquête devient complexe quand l'un des policier est porté disparu et qu'un autre cadavre est retrouvé. Malin va alors découvrir des secrets familiaux bien enfouis.


Mon avis

Camilla Grebe fait partie des autrices de polars suédois à la mode depuis la parution de son premier livre, et caracole au top des ventes dans son pays et en Europe.

Ce deuxième roman salué par la critique est un gros pavé de 425 pages dont l'intrigue se situe dans le village fictif d'Ormberg est situé en sudermanie, au sud-est de Stockholm. C'est une région couverte de forêts et en ce novembre glacial, la nuit tombe à 17h et il neige déjà.

Ormberg est un hameau, où vivent encore quelques familles. Les florissantes industries métallurgiques et textiles ont fermé, beaucoup d'habitants sont partis, sauf les natifs qui restent attachés à leur ville où il n'y a rien à faire. Parmi ceux qui restent, la mère de Malin, quelques familles qui vivent de petits boulots, et les quelques adolescents sont scolarisés à 60 km de là, dans la ville la plus proche. C'est le cas de Jake Olsson, un gringalet d'à peine 15 ans qui cache un terrible secret : il ne se sent pas heureux dans son corps de garçons, et quand il n'y a personne chez lui il se maquille, porte les habits de mère défunte et va se promener dans les bois. C'est comme cela qu'il sauve Hanne, l'une des enquêtrices, réputée la meilleure profileuse de la police, mais Hanne, la soixantaine, est atteinte de troubles de mémoires de plus en plus fréquent. Jake récupère le carnet où Hanne note tout, pour ne pas oublier et découvre la vie de cette femme, en froid avec son mari qui veut la placer en maison spécialisée, ce qu'elle redoute le plus. Avant de comprendre que le carnet est relié à l'enquête, Jake le garde et le lit dès qu'il peut en secret.

Malin de son coté déteste ce village où elle est née. Elle doit se marier avec un jeune homme ayant une bonne situation à Stockholm au grand dam de sa mère qui aimerait la garder près d'elle. Elle n'aime pas non plus sa tante Margareta, femme à poigne qui se mêle un peu trop de la vie des autres. De plus, sans se prétendre raciste, Malin explique aux enquêteurs dubitatifs que la police n'est pas la bienvenue et qu'un climat de méfiance règne dans ce hameau. Depuis une quinzaine d'année, un centre de réfugiés pour émigrés a été ouvert. Un centre propre, bien entretenu, où les bénéficiaire reçoivent une petite somme d'argent, de l'instruction pour apprendre le suédois et un métier alors que les locaux n'ont le droit à rien et doivent se battre ne serait-ce que pour le déneigement des principales routes. Ainsi Camilla Grebe fait la démonstration d'une des sources du racisme de base, le racisme social. Un refrain que l'on entend partout, que cela soit en Suède ou ailleurs. Les migrants ont droit à des aides et pas nous et d'ailleurs l'autrice explique qu'elle a écrit le roman dans ce sens, pour une prise de conscience. Comme rétorque Andréas, un autre policier à Malin « cela pourrait être toi, celle qui a fui la guerre et la famine ». D'autant que l'enquête démontre que la fillette morte puis sa mère étaient des femmes bosniaques qui avaient fui les massacres en Bosnie. Seule la tante âgée de la mère est restée vivre en Suède et n'ayant pas eu de nouvelles de sa sœur, elle a pensé qu'elle était retournée en Bosnie ou décédée.

Alternativement nous suivons Jake qui se prend de sympathie pour Hanne et qui finalement va résoudre l'enquête, tout en se posant toujours des questions sur ce qu'il est, certainement pas comme les hommes de la région qui se soûlent, battent leurs femmes, ne cherchent pas à se cultiver ou chercher une formation.

Si la démonstration de la montée du racisme est le point principal du roman, il est quand même un peu noyé sous une enquête un peu longue, la retranscription du journal d'Hanne en intégralité (autre thème abordé, celui de la mémoire qui part) et sur les questionnements de Jake à savoir le transgenre dont le mot n'est jamais prononcé ni approfondi. Ces trois thèmes se mélangent et finalement brouillent un peu le message initial de Camille Grebe.

C'est dommage tout comme les redites (d'un autre coté, il ne faut pas perdre le lecteur avec pas de personnages qui se greffent au fil de l'intrigue. Quant à la fin, elle respecte le thème initial mais je n'en dit pas plus. Il semble surtout que l'autrice est joué sur la mémoire individuelle qui s'en va et sur la mémoire collective qui reste (la nostalgie du passé florissant de la ville, la défiance et même la haine de ces étrangers venus d'un pays lointain dont les habitants ignorent absolument l'histoire.

Bref cela se lit facilement, on retient aussi l'ambiance de noirceur qui hante le village, le noir de la nuit, la neige qui semble noire dans l'obscurité des forêts, le froid qui s'infiltre partout et en cela le travail d'écriture est bien fait.


Extraits 

  • N’est ce pas le propre des idées noires ? Elles ne se voient pas de l’extérieur, elles n’existent qu’en nous, dans ce cagibi obscur, fermé par une lourde porte, qui peut contenir à la fois des pulsions suicidaires et le mal qui me ronge. Ce doit être là que mon père a rangé le souvenir de ma mère.

  • La première fois que Max est venu à Ormberg, j’ai eu honte – et honte d’avoir honte. L’agacement que j’éprouve parfois vis-à-vis de ma mère ne m’empêche pas de l’aimer, et ni Ormberg ni mon enfance ne devraient susciter chez moi pareil embarras. Pourtant, mon village représente tout ce que je rejette : campagne, chômage, vieillissement ; bâtiments en ruine, jardins souillés de carcasses de voitures et de baignoires rouillées qui servaient jadis d’abreuvoirs aux vaches ; et par-dessus tout, ces gens qui s’accrochent désespérément au passé. J’ai tellement plus d’ambition.

  • Oui, mais ici, ça fait des générations que ça dure ! Avant la crise du textile et la faillite de Brogren, il y avait une scierie et une usine métallurgique. Maintenant, il n’y a rien. Rien du tout. Les gens se sentent abandonnés. Normal que ça les agace de voir les demandeurs d’asile arriver et se faire tout servir sur un plateau d’argent : du personnel arabophone au centre de soin de Vingåker, des créneaux horaires spéciaux pour les femmes à la piscine.

  • Elle possède une beauté naturelle, à l’instar de beaucoup de jeunes filles. Une grâce dont elles n’ont même pas conscience. Avant que la vie et les années ne les rattrapent.

  • Je ne crains pas la mort, je crains de me perdre. C’est pourquoi ce journal revêt une telle importance. Pour retracer ma vie, mais aussi pour me rappeler qui je suis. J’existe. Pour quelque temps du moins.

  • Premièrement : je suis allée aux toilettes et je n'ai pas reconnu mon propre reflet. Prise de panique, il m'a fallu plusieurs minutes avant de me calmer. Je sais que ma maladie affecte ma mémoire des physionomies. J'ai du mal à reconnaître les gens. Mais MOI-MÊME ?

  • Huit mille hommes et garçons ont été assassinés au cours du massacre de Srebrenica. Ils ont été séparés de leur famille, embarqués et exécutés comme du bétail. Et le monde n’a pas levé le petit doigt. Huit mille ! Les hommes sont malades. Et ça ne prend jamais fin. Le mal nourrit le mal.

  • je prends conscience que plus aucun fantôme ou zombie au monde ne peut m'effrayer. Tout ce qui me glaçait le sang a perdu son pouvoir sur moi : les cadavres gluants, les démons, les morts-vivants carnassiers. Les tueurs armés de hache ou de tronçonneuse, les extraterrestres prêts à conquérir le monde qui engloutissent des cervelles humaines comme du pop-corn. La réalité est bien plus sordide.

  • Ici toute douilletterie est bannie. Vous n'avez pas le droit de vous plaindre du village ou de suggérer que vous aimeriez vivre ailleurs, par exemple à Stockholm, surtout pas à Stockholm. Si cette pensée a le malheur de vous traverser, gardez-la pour vous à moins que vous ne vouliez vous retrouver exclu de la communauté aussi vite et inexorablement que les estivants qui disparaissent au mois d'août.

  • La fillette n’a jamais été identifiée, bien qu’on ait relevé son ADN au niveau du fémur et que les journaux et la télévision aient relayé l’information. Les médias l’avaient baptisée la « fille d’Ormberg ». Le fait qu’un enfant disparaisse sans manquer à personne me fend le cœur.

  • Quasiment toute ma famille a péri pendant la guerre et je suis allée reconnaître presque tous les corps. J'ai étreint la dépouille de mon mari à Tuzla, j'ai enterré mon frère à Srebrenica, je me suis rendue aux charniers de Kamenica, au stade de Nova Kasaba où un millier d'hommes et de jeunes garçons étaient enfermés avant leur exécution. On doit savoir, c'est comme ça que ça marche. Quand on a été dépossédé de tout le reste, la connaissance est la seule chose qui nous aide à aller de l'avant. Vous comprenez ?

  • Retourner chez ma mère était vraiment une piètre idée – quand on est adulte, on ne doit pas vivre chez ses parents. Je ne comprends pas comment Margareta et Magnus se supportent. Mon cousin aurait dû quitter le nid il y a vingt-cinq ans. Mais Margareta n’a personne d’autre. Magnus non plus. La solitude est manifestement un ciment plus fort que l’amour.

  • J'ai beau éprouver de la mélancolie, je sais que c'est la bonne décision : je dois mettre les voiles – je l'ai toujours su, je crois. Non que mon enfance fût malheureuse – j'avais une foultitude d'amis et des parents qui n'étaient ni meilleurs ni moins bons que d'autres. Or, il y a quelque chose dans ce village que je ne supporte pas. Comme si l'air était poisseux, irrespirable ; comme si les forêts m'observaient ; comme si tous les misérables individus incapables de s'extirper d'ici s'évertuaient à me retenir.

  • Des générations d'Inuits y ont vécu sans laisser de traces, à la différence de nous, les hommes modernes, qui ne laissons dans notre sillage que dévastation.

  • J'adore me balader seul dans la forêt-et plus encore quand je porte les vêtements de ma mère. Je m'imagine à Katerineholm, en chemin vers un bar ou un restaurant. Un vœux pieux, bien sûr.

  • Dans la Bible , il est écrit qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, ce qui signife qu'on n'a pas le droit de blesser ou de tuer un autre être humain - c'est ce que nous a expliqué notre professeur . Or, d'après Saga, les chrétiens auraient massacré plus de personnes au nom de Dieu que les musulmans.Pour elle, ce sont les religions qui sont dangereuses .Il ne faut jamais se soumettre à une foi - elle fait de nous son esclave .

  • Ça aurait pu être toi... Tu aurais pu être celle qui fuit la guerre et la famine.



Biographie

Née en 1968 à Älvsjö , Camilla Grebe est une romancière suédoise. Titulaire d'un master en administration des affaires (MBA) de Handelshögskolan i Stockholm, une école de commerce, elle fonde la maison d'éditions Storyside, spécialisée dans le livre audio. Elle y cumule les fonctions de directrice du marketing et de directrice générale, puis dirige une société de conseil.

En 2009, elle écrit, en collaboration avec sa sœur Åsa Träff (1970), psychiatre spécialisée dans les troubles neuropsychiatriques et de l'anxiété, "Ça aurait pu être le paradis" ("Någon sorts frid"), un roman policier qui se déroule dans le milieu des cliniques psychiatriques. Avec ce roman elles sont saluées comme les nouvelles voix du polar scandinave.


En 2015, elle a publié "Un cri sous la glace" ("Älskaren från huvudkontoret"), son premier roman en solo. Elle enchaînera avec "Le Journal de ma disparition" ("Husdjuret", 2017), "L'Ombre de la baleine" ("Dvalan", 2018) puis "L'Archipel des larmes" ("Skuggjägaren", 2019). Elle a obtenu deux fois le Prix du meilleur roman policier suédois, remis annuellement par la "Svenska Deckarakademin" (Académie suédoise du roman policier) depuis 1982 : en 2017 pour "Le Journal de ma disparition" et en 2019 pour "L'Archipel des larmes" !
Elle a écrit cinq polars avec sa sœur (2009-2015) et trois autres (2013-2016) avec l'un de ses amis, le financier Paul Leander-Engström (1966), dont "Dirigenten från Sankt Petersburg" (2013), adapté en série télévisée en 2018. Camilla Grebe vit à Stockholm.


Sur le roman

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Presse


Dans l'univers du roman

Sur les massacres en Bosnie

Politique migratoire en Suède


Sur l'accueil des migrants

samedi 6 mai 2023

Colson Whitehead – Nickel Boys – Albin Michel - 2020

 

L'histoire

Le jeune Elwood, 17 ans, est un brillant élève qui est admis dans une université. Nous sommes en 1960, et les lois Jim Crow renforcent la ségrégation raciale. Ce jeune homme sérieux qui prend très à cœur les discours de Martin Luther King, part en stop pour rejoindre l'université. Mais le conducteur est un homme recherché par la police, et malgré ses justifications, parce qu'il est noir, est envoyé dans un centre d ' éducation, la Nickel Académie en Floride qui accueille aussi bien des jeunes délinquants blancs que noirs. Mais les 2 ethnies sont bien isolées dans des bâtiments séparés. Mais l'éducation se limite à des vagues cours pour maternelle, par contre le travail est obligatoire, dans les champs ou dans des ateliers. Et les sanctions sont des plus cruelles. Ainsi Elwood, naïf, tente de séparer 2 adolescents qui se bagarrent, tout le monde est punie dans la terrible « maison blanches » ou chacun reçoit 70 coups de fouets, ce qui va obliger Elwood à rester à l'infirmerie plus de 3 semaine, avec une soignante mal aimable, et de l'aspirine. Mais il y a plus terrible encore, un endroit qu'on appelle le mont aux morts, car les jeunes noirs qui y passent ne reviennent jamais.

Inspiré d'un histoire vraie, Colson Whitehead a reçut un deuxième prix pullitzer pour ce roman bouleversant.



Mon avis

Âmes sensibles s'abstenir ou pas. Vous voulez savoir comment cela se passait aux USA dans les années 1960 pour les populations noires ? Avec minutie et un ton sobre, presque journalistique, Colson Whitehead s'emploie à reconstituer l'univers effrayant de la Nickel Academy, présentée comme une école où l'on forme de bons citoyens américains. Il n'en est rien. La ségrégation bat son plein et les châtiments corporels sont de mises, jusqu'à la mort douloureuse, épouvantable pour des gamins qui n'ont pas commis de délits graves mais peut-être regardé une femme blanche, accusés à tort d'une entrave aux horribles loi dites Jim Crow.

C'est Turner, le meilleur ami d'Elwood qui raconte l'histoire, Turner devenu un vieil homme vivant chichement dans une banlieue de New-York.

Ce que nous raconte l'auteur est en fait inspiré d'une histoire vraie. En 2012, un chantier de promoteurs immobiliers met à jour le cimetière clandestin de la Dozier School for foys de Marianna ( Floride),fermée un an auparavant : plus de 80 corps de pensionnaires sont trouvés , une enquête diligentée, d'anciens élèves survivant témoignent des brutalités nocturnes dont ils ont été victimes dans la pièce surnommée la Maison-Blanche où tournait un ventilateur industriel étouffant les cris des suppliciés et éclaboussant de sang les murs. Le relais est alors pris par des associations et des archéologues pour identifier les corps, les rendre à leur famille ou du moins les enterrer dignement.

Si l'auteur change le nom et le lieu, c'est pour donner une force inouïe et violente dans ce livre coup de poing. Elwood, ce candide adolescent, bercé par les idéaux de paix, de santé fragile mais très intellectuel se retrouve piégé dans cet enfer sur terre. Elwood si empathique, élevé avec dignité par sa grand-mère est soutenu par son ami Turner, un jeune noir qui a déjà fait un séjour à la Nickel Academy et qui tente de le protéger le plus possible. Contre les autres élèves violents, surtout face à un jeune timoré, mais surtout des terribles surveillants qui font régner la terreur. Elwood pense qu'en étant effacé, en faisant ce qu'on lui dit, il pourra sortir et reprendre le cours de sa vie. Mais hélas il n'en sera pas ainsi. L'auteur nous parle du quotidien dans ce centre, des petites joies qu'on peut y trouver, et des abus de l'administration du centre. Les denrées alimentaires servant de nourriture aux noirs sont revendues sous le manteau à des commerçants peu scrupuleux, des notables de la ville font repeindre gratuitement leur maison par les jeunes qui n'en tirent aucun bénéfice, à part un verre de limonade. Les manuels scolaires qui ont appartenu au « campus » blanc sont recouverts d'inscriptions racistes. Bref tout ce qui relève de la ségrégation ordinaires dans ces années-là, écrit sans pathos, sans sentimentalisme non plus. Cela vous prend aux tripes, on se demande si on est dans un cauchemar qui n'en finira jamais. On se remémore les tueries et le Black Matter lives, qui continuent hélas d'alimenter l'actualité.

Ce roman absolument parfait dans son écriture économe, dans la richesse des émotions malgré un univers horrible est un vibrant hommage à ces enfants privés de destin et un témoignage essentiel, dans cette Amérique qui n'arrive pas à se débarrasser d'un passé/présent encore trop ancré.


Extraits 

  • Les pensionnaires étaient appelés élèves, et non détenus, pour les distinguer des criminels violents qui peuplaient les prisons. Ici, se dit Elwood, les criminels violents étaient du côté du personnel.

  • C'était Elwood : il valait autant que n'importe qui. À quatre cents kilomètres au sud d'Atlanta, à Tallahassee. Il voyait parfois des publicités pour Fun Town lorsqu'il se rendait chez ses cousins en Géorgie. Manèges spectaculaires et musique entraînante, enfants blancs tout sourire qui faisaient la queue pour les montagnes russes ou le mini-golf. Qui se harnachaient dans la Fusée atomique avant de s'envoler vers la Lune. À en croire la réclame, un bulletin de notes parfait, dûment tamponné par le professeur, donnait droit à une entrée gratuite. Elwood avait des A dans toutes les matières et conservait sa liasse de preuves pour le jour où Fun Town serait accessible à tous les enfants de Dieu, comme l'avait promis le révérend King. «J'ai de quoi y aller gratuitement pendant un mois, facile», disait-il à sa grand-mère, couché à plat ventre sur le tapis du salon, en suivant avec son pouce le contour d'une zone élimée.

  • C’était l’année 2014 et elle habitait à New York. Elle se rappelait mal combien la vie avait été difficile – les fontaines à eau réservées aux Noirs quand elle rendait visite à sa famille en Virginie, l’immense effort déployé par les Blancs pour les broyer –, et soudain tout lui revint, à la lumière de choses minuscules, comme héler en vain un taxi au coin d’une rue, des humiliations ordinaires qu’elle oubliait cinq minutes plus tard sous peine de devenir folle, et à la lumière aussi de choses flagrantes, la traversée en voiture d’un quartier délabré, anéanti par ce même effort gigantesque, ou un adolescent abattu par un policier, un de plus : ils nous traitent comme des sous-hommes dans notre propre pays. Ça ne change pas. Ça ne changera peut-être jamais.

  • La majorité des garçons qui connaissaient l'existence des anneaux dans les troncs sont morts aujourd'hui. Le fer, lui, est toujours là. Rouillé. Profond dans la pulpe des arbres. Il parle à qui veut l'écouter.

  • Fuir était une folie, ne pas fuir aussi. En regardant ce qui s'étendait à l'extérieur de l'école, en voyant ce monde libre et vivant, comment ne pas songer à courir vers la liberté ? À écrire soi-même son histoire, pour changer. S'interdire de penser à la fuite, ne serait-ce que pour un instant volatil, c'était assassiner sa propre humanité.

  • Les garçons auraient pu devenir tant de choses si cette école ne les avait pas anéantis. Tous ces génies gâchés. Naturellement, tous n'étaient pas des génies-Chickie Pete par exemple n'avait pas découvert la relativité restreinte-, mais ils avaient été privés du simple plaisir d'être ordinaires. Entravés et handicapés avant même le départ de la course, ils n'avaient jamais réussi à être normaux.

  • Le problème était que, même en filant droit, on n'était pas à l'abri des ennuis. Un autre élève pouvait repérer une faiblesse et commencer quelque chose, un surveillant pouvait prendre ombrage d'un sourire et décidait de vous l'effacer. Vous pouviez basculer dans un roncier de malchance semblable à celui qui vous avait expédié ici.

  • Le cimetière clandestin se trouvait dans la partie nord du campus de Nickel, sur un demi-hectare de mauvaises herbes entre l’ancienne grange et la déchetterie de l’école. Ce champ avait servi de pâture à l’époque où l’établissement exploitait une laiterie et en vendait las production dans la région – une des combines de l’État de Floride pour décharger les contribuables du fardeau que représentait l’entretien des garçons.

  • Il pensa au discours de Martin Luther King devant des lycéens de Washington, dans lequel il parlait des humiliations infligées par les lois de Jim Crow, qu'il était impératif de convertir en action. "Rien ne pourra autant enrichir votre esprit. Vous en retirerez un sentiment de noblesse rare qui ne peut germer que de l'amour et de l'altruisme envers votre prochain. Faites de l'humanité votre profession. Faites-en un élément central de votre vie.

  • Il y a dans ce monde de grandes forces, les lois Jim Crow notamment, qui visent à rabaisser les Noirs, et de plus petites forces, les autres personnes, par exemple, qui cherchent à vous rabaisser, et face à toutes ces choses, les grandes comme les petites, il faut garder la tête haute et ne jamais perdre de vue qui l’on est. Les pages de l’encyclopédie sont vierges. Des gens vous piègent et vous dupent avec le sourire, pendant que d’autres vous dépouillent de votre amour-propre. N’oubliez jamais qui vous êtes.

  • En sortant de Nickel ils avaient réussi à se bricoler une vie ou n'avaient jamais pu s'intégrer aux gens normaux.

  • Ils éclatèrent de rire car ils savaient que l'épicerie ne servait pas les clients noirs, et parfois le rire réussissait à faire tomber quelques briques du mur de la ségrégation, si haut et si large.

  • La peau des garçons blancs ne marquait pas comme celle des garçons noirs et c'est pourquoi ils appelaient l'endroit le Marchand de glaces, parce qu'on en sortait avec des hématomes de toutes les couleurs.

  • A Nickel, les élèves avaient de la glace à la vanille une fois par mois et leurs cris de joie, des couinements stupides de porcelets dans un enclos, donnaient envie à Turner de distribuer des beignes à la ronde.

  • Turner n'avait jamais rencontré personne comme Elwood. Solide était l'adjectif auquel il revenait sans cesse, malgré l'apparente douceur du garçon de Tallahassee, à qui on aurait donné le bon Dieu sans confession et qui pouvait se révéler agaçant avec son penchant moralisateur. Malgré aussi ses lunettes qu'on avait envie d'écraser sous son pied comme un papillon. Quand il parlait on croyait entendre un étudiant blanc, il lisait des livres même quand personne ne l'y obligeait et en extrayait de l'uranium pour sa bombe A personnelle. Malgré tout cela, il était solide.

  • Leurs pères leur avaient appris à mettre un esclave au pas, leur avaient transmis cet héritage de brutalité. Arrachez-le à sa famille., fouettez-le jusqu'à ce qu'il oublie tout sauf le fouet, enchaînez-le pour qu'il ne connaisse plus rien d'autre que les chaînes. Un séjour dans une cage à sueur en acier, avec le soleil qui brûle le cerveau, c'est excellent pour mater un mâle noir, de même qu'une cellule sans lumière, une chambre au milieu de l'obscurité, hors du temps.



Biographie

Né à New-York en 1969, Colson Whitehead, né Arch Colson Chipp Whitehead, est un romancier. Il fait ses études à la Trinity School de New York, puis obtient son diplôme au Harvard College en 1991.
Il devient alors chroniqueur au "The Village Voice", où il écrit sur la télévision et la musique. Journaliste, ses travaux paraissent dans de nombreuses publications, dont "The New York Times".
"L'Intuitionniste" ("The Intuitionist", 1999), son premier roman, est finaliste pour Hemingway Foundation/PEN Award. "Zone 1" ("Zone One", 2011) est sur la liste des best-sellers du New York Times.

Colson Whithehead a remporté le National Book Award 2016 et le prix Pulitzer 2017 avec son roman "Underground Railroad" ("The Underground Railroad", 2016), qui raconte l’odyssée d’une jeune esclave en fuite dans l’Amérique d’avant la guerre de Sécession.
Les droits audiovisuels du roman ont été acquis par le réalisateur Barry Jenkins. Il est adapté en série télévisée diffusée sur Amazon Prime Video en 2021.
En 2020, Colson Whitehead remporte une nouvelle fois le prix Pulitzer de la fiction pour "Nickel Boys".
Auteur de nombreux ouvrages de non-fiction, il a enseigné dans plusieurs universités et a été écrivain en résidence au Vassar College. vit avec sa femme et ses enfants à Brooklyn.

En savoir plus ici : https://nathbiblio.blogspot.com/2023/02/colson-whithead-harlem-shuffle-albin.html


Sur le roman

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Presse

Dans l'univers du roman

Sur les lois Jim Crow


Sur Dozier School

vendredi 5 mai 2023

LISA GARDNER – Le saut de l'Ange – Livre de Poche – 2018 et Une famille parfaite – livre de poche 2015

 


L'histoire du Saut de l'Ange

 Une jeune femme est retrouvée après un accident de voiture dans un ravin du haut New-Hampshire. Elle demande après sa fille «Véro », alors qu'elle est mariée sans enfants. Nicky a subi 3 commotions cérébrales en quelques mois et sa mémoire est défaillante. Elle a peur d'après tout, du noir, et pour l'équipe d'enquêteurs Tessa et Walt, les surprises seront grandes, quand peu à peu les souvenirs vont remonter douloureusement à la surface.


L'histoire d'Une famille parfaite

Un riche homme d'affaires est enlevé dans sa luxueuse demeure de Boston, ainsi que sa femme et sa fille adolescente de 15 ans. Pas de revendications, aucun témoins du drame, et aucune piste sérieuse pour la détective Léoni qui travaille dans un cabinet de détectives privés qui a en charge la sécurité de la famille, et pas mieux du coté des fédéraux. Quand enfin une demande de rançons de 11 millions de dollars est exigée, Justin le mari meut lors d'un échange de balles avec un des gardiens. Mais la machination est bien plus complexe que cela.


Mon avis

Lisa Gardner caracole dans les tops des ventes aux USA. Elle sort régulièrement un polar par an, en changeant son équipe de détective. C’est le 3ème et dernier polar de la série Léoni à ce jour. Un peu comme Joël Dicker dans son genre, Lisa Gardner a sa méthode : un chapitre consacrée à la victime, un à celui des enquêteurs puis tout se mêle jusqu'au dernier rebondissement. Parallèlement nous suivons la relation entre Tessa Léoni et sa fille Sophie, puis son amour avec Wyatt.

Dans le saut de l'Ange, c'est Nicky qui par au je (les enquêteurs parlent à la 3ème personne du singulier ou du pluriels. Nicky, femme traumatisée par un événement dont elle ne se souvient pas par tout le temps avec « Véro » une fillette de 10 ans. Mais est-elle Véro et qu'à-t-elle subi ou fait subir de si horrible que sa mémoire bloque. Mariée depuis 22 ans avec Franck, un homme énigmatique, ils ont déménagés presque tous les deux ans et ont changé d'identité à chaque fois. Ici ce sont les violences faites aux enfants (prostitution, mauvais traitements) qui sont mis en avant, d'autant qu'aucune disparition inquiétante n'a été signalée ou prise au sérieux par la police lors de la disparition de la petite Véro 10 ans. On peut regretter des redites et des longueurs et on a du mal à trouver une sincère empathie pour Nicky, trop perdue dans ses pensées.

Dans Un famille parfaite, la parole est donnée à la mère de famille, une femme issue d'un milieu modeste, mais qui a fait les Beaux-Arts et a épousé Justin, un magnat de la construction. Belle maison, magnifiquement meublée, dans le quartier le plus chic de Boston, une ado qui fait sa crise qui ne manque de rien. Mais Libby (qui parle au je), les inspecteurs au il/ils – elle/elles cache aussi des secrets : elle a découvert que son mari la trompait avec une jeunette, et en femme discrète et réticente au conflit, elle avale des pilules opiacées qui laisse dans un état comateux. Elle ne fait pas grand chose de ses journées alors qu'elle a des talents de bijoutière, et vit dans un luxe qu'elle n'aime pas, rêvant à une gentille famille heureuse. Les ravisseurs font subir à la famille des humiliations, coups de taser, coups divers mais ils sont aussitôt soignés. Étrange affaire qui cache ne fait une machination complexe. Ici, il s'agit plus des apparences à sauver que de faire parler ses désirs.

Les intrigues sont bien fichues, cela se lit sans problème comme cela s'oubliera très vite. Pas de messages de fond, pas de remise en questions de la société américaine fortes, c'est juste du polar psychologique bien fait, qu'on lira (autant l'emprunter dans une bibliothèque) sans efforts, il n'y a pas d'effets de styles ou une écriture particulière, c'est simple, bien rodé, même si l'autrice nous explique son processus de recherches avec ses remerciements. Une famille parfaite est quand même un peu plus intéressant pour une intrigue originale.


Extraits du Saut de l'Ange

  • L'Audi Q5 Premium avait dû être magnifique, à l'état neuf. Une carrosserie anthracite aux reflets métallisés. Un habitacle bicolore, avec de superbes sièges en cuir gris argent, des boiseries laquées noir rehaussées de baguettes chromées. Ce genre de break était assez vaste pour contenir les courses de la semaine, la moitié d'une équipe de foot et le chien de la famille, tout cela sans rien perdre de son cachet.

  • Je sens la tristesse tapie au fond de moi, dans un endroit dont j'ignorais l'existence jusqu'alors. Je suis en train de le perdre. Je l'ai compris voilà quelque temps déjà. C'est pour cela que je fais des réserves d'alcool. Parce que pendant vingt-deux ans, cet homme a été tout pour moi. Mon unique compagnon, mon meilleur ami, mon plus gros tracas, mon plus grand réconfort. Il était toute ma vie. Sauf qu'il y a quelque chose de malsain dans ce type de relation. Pour l'un comme pour l'autre.

  • Parce que vingt-deux ans plus tard, j'ignore toujours ce que vivre signifie. Je survis. J'existe. Je me suis même mariée et j'ai habité un peu partout dans ce pays. Mais ces choses-là ont-elles un rapport avec ce que les gens appellent la vie ou sont-elles juste une autre manière de fuir?

  • Comment peut-on se jurer fidélité pour la vie entière quatre semaines seulement après le premier rendez-vous? Vingt-deux ans plus tard, nous sommes toujours mariés. Doit-on considérer cela comme une réussite? Ou, cela veut-il dire qu'après toutes ces années, nous n'avions rien de mieux à nous mettre sous la dent? Que nous n'avions rien à espérer de mieux?

  • Ils se sont bien gardés de me dire qu'évoquer des souvenirs par la bande revient à marcher dans un couloir obscur peuplé de formes patibulaires. Mes souvenirs sont des ombres glacées. Ils ne veulent pas être dérangés, même par moi.

  • Les procureurs exigent plusieurs éléments de preuve et, si possible, un ou deux témoignages. Sinon, il subsiste toujours un doute. Et les procureurs préfèrent les certitudes, surtout quand il s'agit d'affaires sensibles susceptibles d'intéresser les médias. Plutôt que risquer l'erreur judiciaire, la plupart d'entre eux choisissent de classer sans suite.

  • Vero hoche la tête. Elle a peur du noir. Elle n’a pas envie de rester enfermée toute seule dans un placard étroit qui sent mauvais. Mais elle se rend bien compte qu’il y a des choses pires que les terreurs abstraites. Par exemple, pourquoi craindre le monstre qui se cache sous le lit quand un croquemitaine en chair et en os dort sur ce même lit ?

  • Je ne veux pas l’écouter. Je me tiens bien droite, mais je chancelle, ma poitrine se serre, j’ai du mal à respirer, j’ai un squelette dans la tête et des asticots sur les bras. Il ne le sait pas mais le rosier saigne toujours et je n’ai pas pu la sauver. J’ai échoué mille fois, je l’ai trahie de mille manières. Je reviens vers elle sans cesse. Mais à chaque fois, j’échoue. Impossible de la sauver.

Extraits dune famille parfaite

  • Ma fille n'est plus petite. A quinze ans, elle fait presque ma taille. Et pourtant son torse me semble encore bien frêle. Elle grandit comme un poulain, tout en bras et en jambes maigres. Vu la taille que fait Justin, elle me dépassera sans doute l'an prochain. C'est comme ça, je me dis. Elle sera toujours ma petite fille et pourtant elle ne le sera plus jamais.

  • J'ai lu quelque part que les femmes ne doivent jamais prendre un couteau pour se défendre. Notre agresseur nous maîtrise trop facilement et retourne ensuite l'arme contre nous. Mieux vaut s'emparer de la légendaire poêle à frire, qui ne demande pas d'adresse particulière à qui veut l'écraser sur la tête de son adversaire.

  • Ce qui était une vraie famille est aujourd'hui réduit à trois clichés : la femme qui se bourre de comprimés, le mari infidèle et l'adolescente enceinte.

  • Je ne sais pas. Franchement, je ne sais pas et l'idée de rentrer à la maison, de reprendre vies normales avec tous ces problèmes non résolus... ça me terrifie.
    Ici, au moins, nous connaissons notre ennemi. Tandis qu'une fois rentrés... 

  • Dans notre esprit, c'est une preuve supplémentaire que les auteurs de l'enlèvement sont des professionnels. Il ne s'agit pas d'une opération improvisée. De toute évidence, le scénario a été minutieusement pensé. Il y a fort à parier qu'ils ont tout aussi soigneusement réfléchi au meilleur endroit pour mettre leurs otages en lieu sûr et tenir la distance.

  • Mais peut-être que je suis une romantique. Je n'ai jamais voulu avoir cette grande maison, une adresse à Back Bay. Je voulais seulement mon mari.

  • Dernière particularité concernant les services du shérif : l'Etat tout entier est de leur ressort . Alors que même la police d'Etat doit demander des autorisations pour patrouiller dans les villes et sur les routes de comté , les shérifs en sont dispensés . Wyatt peut aller n'importe où dans le New Hampshire et faire régner l'ordre comme bon lui semble , tout en faisant étalage de sa maîtrise hors pair du jargon juridique . Bon , sa région à lui est essentiellement peuplée d'ours et d'orignaux qui s'en fichent comme de l'an quarante , mais ça fait quand même chaud au coeur de le savoir.

  • Les gens sont tous égaux devant la violence. Peu importe leur niveau de fortune, leur milieu social, leur métier. Un jour, elle vient simplement les chercher.


Biographie

Né en 1972 dans l'Oregon, Lisa Gardner est une auteure américaine de romans policiers.
Elle publie également sous le pseudonyme d’Alicia Scott.

Plusieurs de ses romans ont fait l’objet d'une adaptation au cinéma ou à la télévision.

Elle a reçu le Grand prix des lectrices du magazine Elle en 2011 dans la catégorie policier pour son roman "La Maison d'à côté". Lisa Gardner publie des one shots ainsi que des séries avec un ou plusieurs personnages récurrents (D.D. Warren, Tessa Leoni, Pierce Quincy).
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Presse

Je ne mets pas de critiques presses, d'autant qu'elles ne sont pas nombreuses en France. 

 

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jeudi 4 mai 2023

DAVID VANN – L'obscure clarté de l'air – Poche Totem – 2017

 

L'histoire

David Vann réinvente l'histoire de Médée, cette femme faiseuse de rois ou de morts dans la partie de sa vie qui va de la course d'Argos contre le bateau de son père. Amoureuse de Jason, parti à la recherche de la Toison d'Or que détiendrait le père de la jeune femme, elle l'aidera dans sa quête et l'aiderait à devenir roi. Mais trompée et bafouée, elle empoisonne la jeune fille de Créon que Jason veut épouser et s'enfuit.


Mon avis

David Vann, qui a lu tous les classiques gréco-romains et qui a navigué sur un navire égyptien reconstitué par des archéologues. Contrairement à Euripide, il site l'histoire de Médée 3 500 ans av JC, autrement dit à la fin de l'ère de bronze, et à ce que les grecs anciens considèrent comme le début de la civilisation. De cette femme qui peut se montrer aussi douce que cruelle, magicienne sans peur, il en fait une héroïne universelle, une femme qui refuse les diktats établis d'un patriarcat. Médée se rêve en pharaonne, comme le fut Hatshepsout. Demi-déesse, elle voit un culte à Nout, la déesse égyptienne du ciel, mère d'Isis et Osiris, et à Hécate la déesse de la mort et de la magie, qui serait sa mère selon les différentes époques mythologiques.

Médée possède des pouvoirs de magicienne mais elle connaît aussi le pouvoir des plantes et des poisons qu'elle peut en tirer.

Jason est le chef des Argonautes, des guerriers grecs partis pour conquérir la Toison d'Or, la peau du bélier ailé mythologique et protecteur. Mais Jason ici n'est pas le héros magnifique que décriront les auteurs grecs anciens. Il apparaît comme un homme rustre, lâche, infidèle, ce qui engendrera la terrible vengeance de Médée qui sans doute cherchait son alter ego, un homme fort capable de conquérir le monde.

Van se concentre uniquement sur la vie de Médée lors de sa fuite à bord de l'Argos jusqu'à sa rupture avec lui et la fin tragique qui referme l'épisode de Jason. Médée finira par épouser le roi Égée (d'autres versions sont proposées par les anciens textes).

Ici Médée est avant tout la femme révolutionnaire, celle qui a compris qu'une nouvelle ère commence. Insoumise, cruelle, elle déteste le pouvoir de ces rois mis en place par hérédité, que le peuple vénère sans se poser de questions. Finalement si ce n'est pas écrit dans le roman, Médée anticipe déjà la société grecque future, « démocratie », mais où le rôle des femmes sera confiné au Gynécée, hormis les prêtresses. Il faudra attendre Rome pour que les femmes aient un statut mais toujours sous le signe du patriarcat.

N'en reste un roman à la fois sombre et lumineux, qui rend hommage à la Méditerranée fortes de couleurs et de vibrations.


Extraits :

  • Ils voguent encore, et Médée s’inquiète qu’ils n’atteignent jamais Iolcos. Elle comprend à présent que ces hommes n’ont aucune envie de retourner à leur vie d’antan. Ils préféreraient emprunter des rivières vers des contrées plus froides, trouver le bout du monde, faire demi-tour et visiter l’Egypte, puis longer son rivage désertique. Ils affirmeraient avoir découvert tous les pays et tous les peuples, ils rétréciraient le monde à l’extrême et se l’approprieraient. Ils rapporteraient des récits de géants abattus et de montagnes sculptées, des rivières et de ruisseaux, les contours de la terre elle-même rappelant les lieux qu’ils avaient arpentés. Niant tous ceux qui avaient été avant eux, le long passé sombre, et s’appropriant aussi l’origine de tout. La fin devenue le commencement. Ce périple instaurerait les limites du monde.

  • Née sans mère, elle a donc peut-être été forgée. Dans un autre métal, plus léger que le cuivre et plus liquide que l'étain, plus profondément fusionné et encore en fusion, un élément curieux qui jamais ne refroidit, un cœur brûlant et des veines qui dessinent des formes et des motifs à partir de rien, sculptée dans l'obscurité, avec une intention qui ne peut être que dans la nature du matériau lui-même, inséparable et impossible à localiser, non moins élémentaire. Née pour détruire les rois, née pour remodeler le monde, née pour horrifier et briser et recréer, née pour endurer et n'être jamais effacée.

  • Acaste se lève, un jeune homme frêle qui ne ressemble en rien à un roi, ses gestes silencieux comme pour compenser ceux de son père. Médée est une prêtresse, dit-il d’une voix faible. Prêtresse d’Hécate et de la déesse égyptienne Nout. Elle peut voler et se déplacer sous la mer. Sa voix peut provenir de toutes les directions et elle peut voir dans l’autre monde, et faire ployer le monde que nous connaissons. Elle est aidée d’un scorpion et d’une autre créature étrange que je ne saurais nommer, qui vient des profondeurs de la terre. Elle peut aussi faire naître le vent et lever les mers.

  • Hécate ! psalmodie-t-elle dans sa langue barbare. Hécate, la plus grande parmi les dieux, qu’il demeure ainsi séparé, qu’aucun morceau ne se scelle à moins que ses testicules déchiquetés ne deviennent ses yeux et qu’il n’arbore son squelette à l’extérieur, prisonnier de ses os. Sans bras ni jambes. Que sa gorge se recouvre de la toison du vieil animal et que sa bouche soit l’anus du bélier. Qu’il n’entende que le bruit de ses entrailles, ses oreilles enfoncées loin en profondeur. Et qu’il vive ainsi mille ans, qu’il grandisse lentement, qu’il s’emplisse de sang. Qu’il produise sans cesse du sang sans jamais pouvoir le relâcher.

  • Une terreur dans les yeux de tous car tous ont besoin d'être dominés. Il est impossible de vivre sans roi. Personne ne veut connaitre cet instant, le monde désordonné. Ils préféreraient placer une chèvre sur le trône plutôt que de le voir vide.

  • Ô toi la sombre, dit Médée à l'eau. Fais que tout ce qui lie puisse tomber enfin. Que tout ce qui est connu devienne confus. Que tout ce nous sommes meure. Fais que je devienne la plus haïe des femmes, et la plus authentique.

  • Qui a-t’il chez les hommes, qui les empêchent de regarder simplement un bateau passer? Pourquoi ce désir constant de tuer et de dominer? Même en elle, inassouvi, ce besoin de conquête. Elle les obligerait à se recroqueviller sur le sol devant elle, chaque homme, de chaque contrée.

  • C'est bien plus que l'amour qui l'a poussée à quitter la Colchide, elle s'en rend compte. Elle bâtirait son propre royaume. Ce qu'elle prenait pour de l'amour, une forme de folie, c'était aussi le frisson de sa liberté.

  • Quand on détient le pouvoir, on devient véritablement un dieu. Comme Hatshepsout et tous les pharaons avant elle. Massacrer son frère, détruire son père. Ce sont les actes d’un dieu, des actes qui inspirent la peur et qui forgent le mythe. Les dieux accomplissent ce qui ne peut être accompli. Et une femme peut aisément devenir un dieu puisqu’elle n’a rien le droit de faire. Elle peut devenir une source de terreur.

  • Ce qu'elle prenait pour de l'amour, une forme de folie, c'était aussi le frisson de sa liberté

  • Elle détruirait tout. Et elle se demande pourquoi il en est ainsi. La rage, mais d’autres éprouvent aussi de la rage. La différence chez elle, c’est que rien ne la retient. Elle accomplira ce qui est monstrueux, car le monstrueux n’est que l’absence de mensonge, le grand mensonge de ce que nous sommes les uns pour les autres, mari et femme, père et fille, frère et sœur, roi et sujet. En l’absence de mensonge, une liberté immense, n’importe quelle action possible.

  • Derrière eux, la silhouette des collines qui s’appesantissent, des collines qu’ils ne reverront jamais, chaque voyage l’éloignement constant de tout ce qui nous est familier, et c’est justement cela qui constitue la moitié du plaisir. La perspective de ce qui nous attend, mais aussi l’abandon de tout ce qui a été.

  • Les cimes des arbres dressées comme des flammes dans le vent, un rugissement proche de celui du feu. Une flamme invisible, qui ne dévore rien, simple indice de ce qui brûle dans un autre monde.


Biographie

Né en 1966 en Alaska, David Vann est un écrivain américain. Après avoir parcouru plus de 40 000 milles sur les océans, il travaille actuellement à la construction d’un catamaran avec lequel il s'apprête à effectuer un tour du monde à la voile en solitaire.
Les plus notables de ses écrits sont: "A Mile Down : The True Story of a Disastrous Career at Sea" (l'histoire du naufrage d'un bateau construit par l'auteur) et un recueil de nouvelles, "Legend of a Suicide" (inspiré par le suicide de son père).
Il publie également dans les magazines: The Atlantic Monthly, Esquire, Outside Magazine, Men's Journal et Writer's Digest. Certains de ses textes sont appréciés pour leur approche nouvelle de la masculinité.
"Sukkwan Island" est son premier roman traduit en français, pour lequel il reçoit le prix Médicis étranger en 2010, le prix des lecteurs de L'Express, le prix des Lecteurs de la Maison du Livre de Rodez et le prix du Marais en 2011. Porté par son succès français, David Vann est aujourd'hui traduit en dix-huit langues dans plus de soixante pays. Une adaptation cinématographique par une société de production française est en cours.
David Vann est également l'auteur de "Désolations", "Impurs", "Goat Mountain", "Dernier jour sur terre", "Aquarium", "L'obscure clarté de l'air", "Un poisson sur la lune". Il partage aujourd'hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l'Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.
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dimanche 23 avril 2023

DIATY DIALLO – Deux secondes d'air qui brûle – Éditions Seuil 2022

 

L'histoire

Tout aurait du être normal en ce soir du 16 juillet dans cette petite cité de banlieue vouée une destruction prochaine pour reconstruire des logements plus adaptés. Astor, 21 ans, étudiant en jardinerie et amoureux des plantes se rend à une fête improvisée sous « la pyramide », une statue posée sur la place sous laquelle se trouvent des parkings inutilisés. Mais une grenade lacrymogène est jetée par la porte d'entrée et dans la pagaille, les jeunes sortent par l'issue de secours et le matériel de sono est confisqué par la police. Au même moment, Chérif et ses amis qui tous travaillent se retrouvent sur un petit coin de la place pour faire un barbecue dans un vieux bidon, saucisses, merguez, pain et coca ou fanta, on discute entre potes de la semaine. Soudain contrôle de police. Chérif, que les policiers connaissent pourtant très bien, n'a pas ses papiers sur lui et est emmené en garde à vue, musclée comme souvent. Dans la pagaille générale, le petit frère de Shérif, un ado de 15 ans, ne comprenant pas ce qui s'est passé, quitte les lieux sur sa mobylette. Poursuivi par une voiture de police, il est abattu de 2 balles, sans sommation. L'enquête conclut à un triste concours de circonstances, le gamin roulait trop vite, le policier n'a jamais eu une intention mortelle, etc. Dans la cité à l'émotion et au désarroi de tous, ces gens venus d'Afrique Noire, qui travaillent en France, tentent d'élever au mieux les enfants, se connaissent tous et sont affligés et ne comprennent pas. Mais les jeunes eux savent : les contrôles au faciès, les insultes, les fouilles corporelles, alors qu'ils n'ont rien fait. Alors, le combat s'organise avec les jeunes et de façon collective et assez inattendue.


Mon avis

Elle même issue des banlieues, Diaty Diallo connaît son sujet. Elle s'inspire pour ce tout premier roman de faits connus dans les médias. Mais ce qui frappe avant tout c'est son écriture. Les dialogues sont vifs et le langage « djeuns » y est présent, mais on comprend facilement cet argot où on kiffe sa daronne et ou on s'exprime cash, mais toujours poliment avec les mères, qu'on respecte, tout comme les filles qu'on aimerait bien draguer mais on ose pas trop. Ici ce sont surtout des africains subsahariens qui vivent, dans des logements trop petits pour les familles, des immeubles pas entretenu.

Et à coté de la vivacité des dialogues, des jolies pages où la nature, celle du terrain vague à coté, enchante Astor qui connaît tous les noms botaniques des fleurs sauvages, des herbes pas si folles, leur floraison et imagine même le bouquet qu'il offrirait à la jeune fille dont il est amoureux. Mais ce minuscule coin de nature, où tous ont joué enfants, commence déjà à être envahi par les pelleteuses, puisque qu'une résidence de standing doit y être construite. La petite cité qui de loin aperçoit Paris, là où on va travailler, est elle aussi amenée à être détruite. La mairie a montré les plans des nouveaux lotissements où seront relogées les populations, avec même des équipements sportifs, une mjc, un espace de co-working. Les familles qui ne pourront pas être relogées iront plus loin dans la grande banlieue. Et cette écriture devient hypnotique quand pour rendre hommage au petit garçon mort, la DJ improvise des mélodies où se mêlent la soul, les percussions africaines, la musique urbaine.

Dans ce roman, on ne parle que de la différence due à la couleur de peau. La religion qu'elle qu'elle soit est ignorée, les filles sont totalement libres, on apprend même qu'Hawa, la DJ est en couple avec une fille sans que cela ne choque personne. Juste le racisme ordinaire, presque banal, et pourtant terrifiant.

Ici pas de politiquement correct, pas de compromis. Oui bien sur les gamins font un peu trop de rodéos à moto sur la place, et oui on fume un pétard ou on boit un peu trop de bières, mais que faire dans une cité où il n'y a rien. Plus de commerces, plus d'animations, plus de vie si ce n'est les petits plaisirs de faire un barbecue entre amis, de partager des repas entre voisins, ou d'aller danser sur des rythmes endiablés. Le peu d'argent gagné est fait pour aider la famille, les mères et les petits. Les pères sont quasiment absents (morts, revenus au bled) ou trop vieux. Un roman coup de poing, coup de gueule, mais avec un vrai don pour l'écriture.


Extraits :

  • C'est pas normal. Puis il me prend le bras et le serre comme un garrot. Je lui avais dit de pas aller mettre son nez sur la place, gros, je te jure sur ma vie, il me dit en me regardant droit dans les yeux et les siens pleurent. Je réponds que je sais bien, que même avec un scénario différent l’issue aurait été la même. Ça s’appelle le système. Qu’on sait bien. Que c’est de la faute à personne d’entre nous. Qu’on a pas mérité de perdre un petit. Qu’aucun petit mérite de perdre sa vie. Qu’y a bien que des enfoirés pour pas savoir ça. Nous on sait. On est pas des enfoirés. On sait bien.

  • Issa avait continué à hausser le ton en leur demandant pourquoi ils avaient jamais rien à faire d'autre, que c'était un truc de fou comme ils avaient rien à faire d'autre, que c'était chaud, que ça faisait pitié un peu de les voir avoir rien à faire, jamais rien à faire d'autre, comme là, comme aujourd'hui, qu'il y avait des femmes qui se faisaient violer dans le plus grand des calmes en ce moment même partout dans Paname mais que leur priorité c'était de les contrôler eux, les noirs et les arabes de cité.

  • Peine. Période qui ne possède pas d’instruments de mesure. Ni sablier ni clepsydre ni bougie ni horloge. Personne n’aura l’autorisation de venir s’asseoir et de lui expliquer ce qu’il vit, ni de donner de noms à son épouvante, ni de formes à ses larmes. S’il veut en pleurer des froides, il pleurera des perles de glace, et s’il ne veut pas parler, il ne parlera pas.

  • Attiser des feux, se raconter des trucs pour passer les jours qui rallongent et même ceux qui raccourcissent en fait et puis danser parfois.

  • Dans le jour qui se lève, les merles, moineaux, mésanges, pigeons en gangs, en même temps qu'ils s'étirent les plumes, chantent comme des rappeurs leur appartenance au sol d'ici. Oublie jamais d'où tu viens, ils semblent se répéter.

  • C’est beau. Ça donne des dialogues sans mots, des lèvres qui remuent, muettes, des mains qui reproduisent la musique. On n’entend pas les rires ni ce qui les déclenche. Des gens s’embrassent doucement, le souffle saccadé, les paumes plaquées, les creux des corps emboîtés. Des lèvres ouvertes sur le fond d’une clavicule. Des cœurs arythmiques reliés par deux ou trois. Le langage indiscipliné de celles et ceux qui parlent la tendresse.

  • Le lacrymo, c'est vraiment un venin d'enfoiré de fils de pute. C'est à dire qu'un soldat ne pourrait pas en utiliser contre ses ennemis, sur un champ de bataille en temps de guerre, pas autorisé, mais pas contre nous, ils nous en arrosent dès qu'on fait un pas de travers. Et même dès qu'on a l'audace de sortir de chez nous, putain.

  • On abolirait l'uniforme, que la haine de nos peaux, classifiées malgré nous, et l'obsession des moments où on disparaît sous les coups lui survivraient. Ça s'appelle le système.

  • Hawa a posé un dernier disque sur sa platine puis est sortie de sa cabine et dans la foule a retrouvé son amoureuse. Dernières agitées, elles exécutent des pogos sensuels, se tiennent l'une contre l'autre, synchronisent leurs pulsations cardiaques, écoutent le chant du sang dans leurs veines. Elles font tourner autour d'elles l'hologramme d'un cerceau. Elles s'épuisent les corps.

  • Il y a quelque chose à calmer ce soir. Ensemble. Quelque chose de dur qu'il faut soulager à défaut de guérir. Ensemble. Quand une personne est arrachée trop tôt à sa vie, la souffrance déborde de son foyer pour atteindre la rue. C'est une communauté qui a mal.

  • De minuscules êtres humains dans de toutes petites salopettes piaillent comme des oisillons. Il y a des coutumes qu'on observe : les strapontins, les filles qui en tressent d'autres, le bissap en bouteilles de cristaline, les beignets stockés dans des glacières.

  • Hawa abat son génie, gifle ses platines et ses claviers, émet des textures chaudes et rassurantes, des gémissements d'abeilles exaltées, des frictions de bottes qui tabassent la neige d'un pays froid. Caisse claire. Une goutte d'eau semble tomber sur une braise géante. Elle partitionne, séquence, modèle,déforme, met bout à bout des bouts qui font symphonie. Elle détend. Des doigts, elle reproduit le bégaiement d'un marxophone, le ronflement d'une bougie qui s'épuise, les notes d'une orgue arrondies comme par le levier d'une stratocaster.


Biographie

Diaty Diallo a grandi entre les Yvelines et la Seine-Saint-Denis, où elle continue d’habiter aujourd’hui. Elle pratique depuis l’adolescence différentes formes d’écriture : de la tenue journalière d’un Skyblog à quinze ans à la rédaction d’un livre aujourd’hui, en passant par la création de fanzines et la composition de dizaines de chansons. Deux secondes d’air qui brûle est son premier roman.
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En fin de livre, Diaty donne une liste des morceaux joués lors des fêtes souterraines ou écoutées par les protagonistes. Elle cite également les auteurs, et tous ceux qui l'ont aidée à écrire ce premier roman dont on a beaucoop parlé à la rentrée littéraire 2022.

Notamment la famille de Gaye Camara : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/21/affaire-gaye-camara-le-non-lieu-pour-un-policier-confirme-en-appel_6067108_3224.html, ainsi que les livres lus dont elle dresse la liste en fin d'ouvrage.