dimanche 2 juillet 2023

SUART NADLER – Un été à Bluepoint – Albin Michel ou Livre de poche -2016

 

L'histoire

Hilton Wise est le fils unique de l'avocat devenu milliardaire Artur Wise, spécialisé dans les dommages et intérêts en cas de catastrophe ferroviaire, d'avion ou autres. Homme imbu de lui- même, méprisant son entourage, il se fait construire une incroyable maison du coté de Cape Cod, dans le Massachusetts. Il hérite aussi d'un « boy », un jeune homme noir qu'il méprise ouvertement en raison de son origine ethnique. Nous sommes en 1952, la ségrégation raciale bat son plein mais il est admis que celle-ci est moins difficile à supporter dans les états du Nord comme Le New-Jersey et le Massachusetts. Hillie est méprisé par son père qui le croit incapable et fainéant. Mais il nous des liens d'amitié polie avec Lem, le boy qui lui présente sa jeune nièce Savannah une très jolie jeune fille de 16 ans qui vit dans la précarité. Il tombé immédiatement amoureux de cette fille pas comme les autres et tente de l'aider maladroitement. Quand le père est sur le point d'apprendre ce flirt, Hillie pour protéger la jeune fille raconte qu'il a vu Lem, le boy, lire des documents qui sont dans la mallette qu'échangent régulièrement Artur et son associé Robert, ce qui est vrai. Lem est aussitôt arrêté et envoyé en prison où il est assassiné par un autre prisonnier, ce que l'on attribue à un règlement de comptes.

Les années passent. Même si il hérite d'un compte en banque bien fourni par son père, Hillie préfère travailler comme journaliste s'intéressant aux cas de violences faites aux noirs. C'est surtout un prétexte pour voyager et tenter de retrouver Savannah, de se faire pardonner d'elle. Il la retrouve en effet, mais Savannah est mariée, vit dans l'Iowa, simplement, ne pardonne pas et repousse Hillie.

Alors Hille accepte l'argent du père pour le distribuer à des associations d'aide, épouse sa fiancée Jenny qui lui donne quatre filles. Alors qu'il approche de la vieillesse, il revoit Savannah, elle aussi malade d'un cancer, qui lui remet une petite boite ayant appartenu à son oncle Lem. Un lourd secret familial est alors levé.


Mon avis

N'est pas Ron Rash ou Colson Withead qui veut. Cela aurait pu être une très belle histoire d'amour et de problèmes raciaux, mais des pages en trop qui concerne l'auteur, le fameux Hillie, sur les 3 périodes marquantes de sa vie. Sa jeunesse à Bluepoint, dans une maison sans charme, agrandie et embellie par sa mère, ventée et à la plage peut praticable car envahie par le rochers, la mer souvent déchaînée. Hillie est seul, il n' arrive pas à se faire des amis dans ce coin isolé, il est refoulé de l'école qui l'ennuie, ne s'intéresse qu'au base-ball. L'amitié qu'il noue avec Lem, le boy noir est superficielle. Lem est sous-payé, maltraité par le père tout puissant, il n'a que le dimanche pour se reposer, et encore. C'est lors d'un de ces jours de congés qu'il emmène Hillie rencontrer son frère Charles, un homme peu commode, alcoolique qui vit dans un cabanon sans confort avec sa fille, la jolie Savannah. Dont il tombe follement amoureux. Il sait très bien que cet amour-là, si il veut le vivre et épouser Savannah ne sera pas un chemin de tout repos. Au pire, il devra s'exiler. Il tente de l'aider, mais la jeune fille refuse la charité et pourtant on sent aussi qu'il y a une attirance réciproque. Bravant le danger, Savannah vient le voir à Bluepoint, et ils passent la nuit ensemble, plus à se tenir la main et à discuter qu'autre chose. Lors d'une soirée trop alcoolisée, Artur et Robert en viennent à se bagarrer. Le lendemain, Artur demande à son fils pourquoi celui-ci à sa mallette de travail et insinue qu'il est au courant pour son amourette avec une fille noire. Acculé, voulant protéger Savannah, Hillie raconte ce qui s'est passé la veille, il avait surpris le boy en train de lire des documents dans la mallette, les avait remis ainsi que la mallette. Sans lire les documents.

Lem est immédiatement arrêté pour vol même si on ne trouve rien chez lui, et envoyé en prison. Quelques mois plus tard, il sera tué par un autre détenu.

Il faut ensuite deux gros chapitres pour nous décrire la vie d'Hillie, ses retrouvailles houleuses avec Savannah, 20 ans plus tard, une Savannah qui tient un commerce, même si son mari combat au Vietnam. Parce qu'il ne reste pas affirmé dans ses choix, parce qu'il ne sait pas obtenir le pardon de la femme qu'il a toujours aimé, et aussi parce que sa petite amie blanche se prétend enceinte, il renonce. Et enfin la troisième partie où il revoie pour la dernière fois Savannah, qu'il avait presque finit par oublier, c'est pour recevoir une lettre contenue dans un coffret ayant appartenu à Lem, qui aurait pu provoquer un scandale monstrueux, mais que par cet amour infini qu'on ne sait pas dire, Savannah n'a jamais révélé, même si elle aurait pu obtenir justice pour son oncle.

420 pages pour raconter une histoire, avec beaucoup trop de nombrilisme sur la petite personne d'Hillie, ses mauvais choix, sa haine du père que par devoir il accepte la vieillesse pénible, la richesse à ne plus savoir qu'en faire au détriment des sentiments et du courage, voilà tout ce qui manque pour faire de ce livre une histoire forte, porteuse de sens. Hillie aussi cède aux pouvoirs de l'argent, lui qui ne voulait rien de son père. Les thèmes abordés : racisme, rêve américain, argent, homosexualité, relations au pouvoir sont effleurés, pas creusés, pas mis en abîme comme d'autre romanciers le font. On pense par exemple à la Couleur de L'eau de James Mc Bride qui nous montre le mariage réussi entre une blanche têtue et volontaire et un homme noir, empli de bonté. Ici la femme têtue mais au cœur en or est bien cette magnifique Savannah, qui finalement ne fait que passer entre la vie de ce héros sans relief. Peut-être était-ce un choix de l'auteur ?

Ce choix là ne me convient pas, moi qui aime les histoires fortes, les émotions intenses que peuvent procurer un livre, de l'humour à la tristesse, de la réflexion sur notre passé commun et notre présent.


Extraits :

  • La génération actuelle tient la sentimentalité pour une faiblesse,elle croit que l'amour manifesté sans une pointe d'ironie n'est que guimauve. Comme ils se trompent ces jeunes ! Ils ont associé les sentiments à l'émotion factice que leur communiquent les séries télévisées et le cinéma , et ils en sont venus à refuser d'exprimer ce qu'ils ressentent en public ou même en privé, par crainte de manquer de lucidité, par conviction que la spontanéité sur le terrain est forcement feinte.

  • - Tu veux cet argent, c'est ça ? C'est pour ça que tu en parles ? - Et alors, c'est si mal de le vouloir ? On ne devient pas forcément mauvais parce qu'on a de l'argent !Non. Mais avoir autant d'argent amplifie ce qu'il y a de mauvais chez n'importe qui. - Et la pauvreté, hein ? Ça amplifie quoi, la pauvreté ?

  • J'ignorais tout en revanche de Savannah -avait-elle même gardé son nom ?-, mais elle restait gravée dans ma mémoire. Elle et elle seule.

  • Tu aimes toujours ce que tu as devant toi? Personne ne me reconnaît dans ce que je suis devenue, mais toi, si?

  • Et puis ce désir impossible avait perdu de son attrait. C'est l'un des effets que le temps a sur nous:il efface la magie, il remplace l'infinité de l'espoir et de l'attente par une lucidité nécessaire et chèrement acquise.

  • Un espace public plongé dans l'obscurité a toujours tendance à vous ramener à l'enfance, cette période où tout semble encore neuf et inattendu, où le catalogue des expériences reste d'une réjouissante brièveté.

  • Passer le reste de la nuit dans la Packard avait été son idée. Je lui ai pourtant dit que c'était risqué, non seulement parce que mon père nous tuerait s'il nous découvrait, moi le premier et Savannah ensuite, mais aussi parce qu'il allait
    forcément remarquer mon absence le lendemain matin. Malgré l'état dans lequel Robert l'avait mis, il serait aussi vigilant et exigeant qu'à son habitude, j'en était sür. Elle n'a pas voulu en démordre : il était près de deux heures, elle était épuisée, moi aussi, et la pespective d'un trajet jusqu'à Emerson Oaks n'était guère tentante. Une fillenoire conduisant sans permis au beau milieu de la nuit avait peu de chances d'éviter un contrôle policier. Quand je lui ai proposé d'entrer chez nous en cachette, ou même chez Robert, elle a soutenu qu'il était plus sûr de garer la voiture sous un arbre et de se reposer jusqu'au lever du jour, après quoi elle rentrerait toute seule.

  • In September 1949,driving south from Wisconsin to Alabama,or from Wisconsin to Missisipi,or from Wisconsin to Georgia....,he'd have been carrying The Green Book with him.The Negro Motorist Green Book.This would have told him where he could stay on the road,who'd serve him,where there were toilets to use...


Biographie

Diplômé de l'Université de l'Iowa, Stuart Nadler a été distingué par la National Book Foundation comme l'une des cinq révélations 2012 aux Etats Unis.
Il enseigne la littérature dans le Wisconsin.

En savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Stuart_Nadler et site : http://stuartnadler.net/



RON RASH – Une terre d'ombre – Éditions Seuil 2014 ou poche Points 2015.

 

L'histoire

1917-18. La guerre fait rage en Europe et peu à peu les soldats blessés retournent chez eux. Comme Hank qui a perdu une main sur un éclat d'obus et revient à la ferme familiale, en Caroline du Nord, sans la région des Appalaches. Sa sœur Leslie a enterré leur père, et a survécu chichement, d'autant qu'elle est détestée à Mars Hill la bourgade la plus proche en raison d'une tâche de naissance qui la fait passer pour une sorcière.Quand Leslie qui vit dans ce vallon désolé, dans une vieille ferme sans confort découvre Walter, un homme égaré muet mais qui joue divinement de la flûte traversière. Sans chercher à savoir qui est cet homme, qui rend bien des services à la ferme, qui est discret, l'amour donne à Laurel l'espoir d'une vie meilleure. Walter vient de New-york où il est musicien et le jeune couple pense s'y installer, loin des clichés et la mentalité étriquée du village. Mais tout ne se passera pas comme prévu.


Mon avis

Ron Rash fait partie de mes auteurs préférés et chaque nouveau livre me montre l'étendue de son talent. Pourtant Rash ne parle que son pays, finalement une « petite » région en Caroline du Nord, les Smokey Hills. Ici il se pose à quelques miles de Mars Hill, connue pour son Université, dans un vallon sombre, sous un promontoire rocheux, où pousse un peu de maïs, des haricots, quelques vaches et un poulailler, une rivière caillouteuse. C'est ici que vivent les enfants Shelton depuis la mort de leur parents.

Revenu de la guerre de 14-18 qui se termine et amputé d'une main, Hank, aidé de Slidell, un vieil homme qui est une sorte de grand-père adoptif, tentent de remettre la ferme en état, en remontant une clôture pour ne pas éparpiller les bêtes et surtout creuser un puits plus proche de la veille ferme en rondins bâtie par leurs grand-parents. Leslie s'occupe du jardinage, de la cuisine, de la maison, de la couture et de la lessive à la rivière. Elle évite surtout de mettre les pieds en ville où les gens détournent leurs regards quand ce ne sont pas des insultes ouvertes. Une tâche de naissance à partir du cou entache sa beauté. Et pourtant Laurel est une chic fille. Ainsi quand elle tombe sur un homme errant, qui joue des airs magnifiques de flûte, elle n'hésite pas lui venir en aide. L'homme semble perdu un papier dans sa poche indique qu'il s'appelle Walter, qu'il est muet et qu'il veut rentrer à New-York. Malade, elle le soigne et malgré les réticences de son frère, Walter qui n'est pas un voleur ou un brigand devient une aide précieuse pour aider à la ferme. Et aussi l'amoureux de Laurel. Ce qui réjouit Hank qui doit se marier avec la fille d'un riche fermier et surtout aller vivre sur les terres de son beau-père.

Dans leur intimité, Laurel et Walter se découvrent. Walter parle, c'était un prisonnier allemand, non pas un militaire mais juste un membre d'un orchestre d'un paquebot allemand échoué à New-York et récupéré par les USA qui sont rentrés dans le conflit. Pris dans une rafle, Walter est d'abord emprisonné à New-York puis conduit dans une prison de Caroline du Nord d'où il s'évade. Les conditions de rétention sont inhumaines envers les « boches » et lui ne comprend pas son arrestation, il n'est qu'un musicien, en fait très talentueux pour avoir vu se proposer un contrat dans un orchestre célèbre américain. Mais c'était avant la guerre. Laurel partage son secret et comme lui rêve d'aller à New-York. Dans la région on sait qu'un prisonnier s'est enfui, mais on l'a vu prendre le train et donc ce n'est pas la préoccupation des autorités.

Mais à Mars Hill, sous la férule du Sergent Chauncey, la haine des boches s’accroît à chaque fois qu'un jeune homme revient blessé, et il compare les mérites de chacun. Ceux qui ne sont pas partis, les pires trouillards, ceux qui a son goût n'en ont pas tué assez. Il veut même purger la bibliothèque universitaire des livres allemands, même si il trouve une opposition féroce en la personne de la bibliothécaire. Et pourtant lui, il n'a jamais combattu en Europe, trop âgé pour le recrutement. Imbu de sa personne, pensant savoir tout mieux que tout le monde, il prépare une cérémonie pour le retour dans le village d'un vrai héros à ses yeux, un jeune qui a combattu et tué pas mal sur le front mais est devenu aveugle.

Et c'est là que Ron Rash nous livre un de ces livres les plus noirs. Par hasard, une ancienne affichette du prisonnier évadé tombe sous les yeux de Chauncey et il est reconnu par 2 fermiers du coin qui ont passé une soirée à la ferme des Shelton. Vengeance, colère, emballement, enfin se taper un « boche ». Hélas, à la ferme il n'y a que Hank, sa sœur et Walter le recherché étant partis pique-niquer dans un recoin du vallon que Laurel connaît comme sa poche. Alors que Walter s'attarde, Laurel revient et est abattue par mégarde par le sergent. Ne trouvant pas son prisonnier, alors que Hank est attaché, il le tue de plusieurs balles comme traître. Lui même sera abattu à son tour pas le vieux Slidell. Ironie du sort, la guerre est finie, Walter est libre et peut prendre son train, le drame récent ayant plongé le village dans l'effroi et la stupeur de cet accès de violence.

Ce cinquième roman de Ron Rash est tiré d'un vieux fait divers et une fois encore la nature hostile ou amie se déploie le long du roman. Promontoires ensoleillés, crachin et brume dans le vallon, ciels étoilés, plantes sauvages nourricières ou médicinales dont Laurel connaît tous les secrets, dans le tragique Rash sait particulièrement introduire des moments de poésie. Et de confronter la bêtise et les préjugés des hommes, dans une vie pas facile, peu de fermes sont électrifiées, le travail est dur. Mais les légendes que cela soit pour une tâche de naissance qui vous fait passer pour une sorcière maléfique, alors que Laurel est la bonté même, ou pour un étranger qui n'a tué personne, et dont la flûte enchante ceux qui ont peu l'entendre. Une fois de plus Rash se plonge dans le passé trouble de ce petit bout du monde, comme il en existe partout dans le monde.

La qualification de polar me semble exagérée. Tout est aujourd'hui un polar, alors que ce n'est qu'un enchaînement néfaste dans un roman, toujours court et si bien écrit que la plume de l'auteur soit tendre où amère. Vraiment un auteur que j'aime de plus en plus.


Extraits :

  • Quand on se fréquente, c’est tout miel et pissenlits, lui avait expliqué Marcie, mais quand on se retrouve tous les jours auprès de quelqu’un, des choses qu’on n’avait pas trop remarquées auparavant, la façon qu’il a d’avaler sa soupe à grand bruit ou de ne pas quitter ses chaussures crottées, ou même le plus infime détail, un air qu’il ne cesse de siffloter ou sa manière de disposer le petit bois dans la cheminée, vous asticotent comme une dent gâtée.

  • Quelles que soient l’heure du jour ou la saison, quel que soit le nombre de lampes allumées, c’était toujours un lieu sombre qui, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, avait toujours senti la souffrance. Mais ici, en haut, la large saillie de granit captait les rayons du soleil et les retenait, l’enveloppait de clarté. La lumière était comme du miel chaud. Des gouttes de rosée sur une toile d’araignée renfermaient des arcs-en-ciel entiers, et la queue d’un lézard des palissades brillait du même bleu que du verre indigo. L’eau étincelait de particules de mica.

  • Sur cette hauteur, les fleurs de rhododendrons n'étaient pas encore tout à fait fanées. Leur parfum capiteux et l'odeur de vanille de la clématite donnèrent le tournis à Laurel tandis que passaient les minutes et qu'un air se mêlait au suivant. Le soleil s'inclina à l'ouest et le peu de lumière qui filtrait par la percée entre les arbres se dissipa. L'argent scintillant de la flûte s'atténua, vira au gris, mais la musique conserva sa brillance vaporeuse.

  • Il contempla les montagnes et songea combien une vie humaine est petite et fugace. Quarante ou cinquante ans, un instant pour ces montagnes, et il ne resterait aucun souvenir de ce qui était arrivé ici.

  • Si vous ne pouviez pas croire que deux ou trois bonnes choses peuvent vous arriver dans la vie, alors comment continuer ?

  • Peut-être que parler du joug du mariage n’est pas la plus jolie manière de dire qu’on forme un couple, mais c’est la vérité pour moi et c’est vrai d’une bonne façon parce qu’on travaille ensemble, on compte l’un sur l’autre, et on partage le poids de la charge.

  • Rien que d'entendre de la musique, même le plus triste des airs, ça vous permet de savoir que vous êtes pas tout ce qu'y a de plus seul au monde, que quelqu'un d'autre, comme vous, a connu quelque chose de semblable.

  • Des chênes et des tulipiers obscurcissaient le soleil et des bouquets de rhododendrons venaient se presser contre les rives.
    De l'autre côté du fourré, un rayon de soleil filtrait par une percée dans la voûte des arbres, l'éclat d'une flamme argentée la renvoya en toute hâte dans le taillis, la brillance palpitant derrière ses paupières

  • Elle se campa devant lui et lui tendit ses mains."Veux-tu bien me serrer contre toi un instant ? Pour m'aider à me souvenir que tu étais vrai, parce qu'une fois que tu seras parti, ce sera trop facile de croire le contraire".

  • Les superstitions ne sont qu'une affaire de coïncidences ou d'ignorance.

  • La falaise la dominait de toute sa hauteur, et elle avait beau avoir les yeux baissés, elle sentait sa présence. Même dans la maison elle la sentait, comme si son ombre était tellement dense qu’elle s’infiltrait dans le bois. Une terre d’ombre et rien d’autre, lui avait dit sa mère, qui soutenait qu’il n’y avait pas d’endroit plus lugubre dans toute la chaine des Blue Ridge. Un lieu maudit, aussi, pensait la plupart des habitants du comté, maudit bien avant que le père de Laurel n’achète ces terres.

  • Quand ils parvinrent devant le bâtiment abritant la bibliothèque, Chauncey s'arrêta pour examiner les lettres ciselées au-dessus des grosses portes en chêne. Du latin ou du grec, il le savait, et il songea que, même pendant une guerre, l'anglais n'était pas assez bien pour l'université.

  • A huit ans, les sarcasmes étaient devenus si méchants qu'elle avait frotté la tâche de naissance au savon à lessive jusqu'à ce que la peau cloque et saigne.

  • Dans un cas comme dans l'autre, les gens l'évitaient, traversaient la rue, partaient dans un autre coin de la grange. N'était-ce pas cela un fantôme : un être isolé des vivants ?

  • En dépit de toutes les méchancetés que Laurel y avait endurées de la part des autres élèves, Mlle Calicut avait fait de l'école le plus bel endroit qu'elle ait jamais connu.

  • Ce qui rendait la musique d'autant plus triste, car elle ne racontait pas l'histoire d'un amour perdu, d'un enfant ou d'un parent disparus. On aurait dit qu'elle racontait tous le deuils qui avaient jamais existé

  • Elle était habituée à ne pas parler, ce qu'elle supportait plutôt bien. C'était de ne pas avoir quelqu'un avec qui partager le silence, comme l'hiver précédent, qui était affreux.

  • Si solitaire qu'ait pu être la vie que j'ai menée ici, je n'en voudrais pas d'autre, dit Laurel, parce que autrement je ne t'aurais pas rencontré. Ta vie, elle n'a pas été toute rose non plus.

  • Walter raised the the flute to his lips. At first Laurel thought he was just practicing, because the same few notes he started with kept repeating with just the smalleest changes. Then it became clear that it was a song, the loneliest sort of song because the notes changed so little, like one bird calling and waiting for another to answer. Il was as lonely a sound as she'd ever heard.


Biographie

Ron Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans policiers né en 1953 en Caroline du Sud.
Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de littérature anglaise. Il est titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles.

Sa carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires.
Il publie "Un pied au paradis" ("One Foot in Eden"), son premier roman policier, en 2002. "Le chant de la Tamassee" ("Saints at the River", 2004) est son deuxième roman.
Suivront "Le monde à l'endroit" ("The World Made Straight", 2006), ou encore "Une terre d'ombre" ("The Cove", 2012) qui obtient le Grand prix de littérature policière 2014.
Son roman "Serena", sorti en 2008, a été transposé au cinéma par Sasanne Bier en 2014, avec dans les rôles titres Bradley Cooper et Jennifer Lawrence, puis en bande dessinée par Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Ron Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.

Critiques presse

dimanche 25 juin 2023

ABIR MUKHERJEE – L'attaque du Calcutta-Darjeling – Folio 2016

 

L'histoire

1919. Le capitaine Wyndham arrive à Calcutta où il doit prendre ses fonctions d'enquêteur de sa très sérénissime majesté (le Roi Georges V). E déjà une affaire l'attend, le meurtre d'un haut fonctionnaire de l’État Anglais, proche du Vice-Gouverneur. Si il semble que le meurtre soit imputable à des terroristes et notamment un homme très recherché par les services secrets, celui-ci, vite arrêté n'avoue pas le meurtre. D'ailleurs Wyndham, aidé du loyal sergent Banerjee va devoir faire la lumière non seulement sur cette affaire, mais aussi sur l'attaque d'un train supposé transporter des fonds. Et si les deux affaires n'étaient pas liées ?


Mon avis

Voici le tout premier volet de la série des Wyndham qui comporte à ce jour 4 titres. Un très gros succès commercial Outre Manche, et l'entrée en scène de célèbre Capitaine (ancien de Scotland Yard). Le voici débarqué à Calcutta, ville déjà tentaculaire, avec ses beaux quartiers construits dans le style néo-colonial des anglais, et ses quartiers louches où l'on trouve des bars, bordels et autres fumeries d'opium, habités par les castes les plus pauvres. Qu'allait donc faire dans ces quartiers peu surs pour les européens le haut fonctionnaire assassiné, un homme dépeint tour à tour comme exigeant puis alcoolique et finalement très pieux ? La piste terroriste si elle conduit comme par hasard à l'arrestation d'un homme très recherché des services secrets ne convainc pas du tout le Capitaine qui met à jour une machination soignée.

Nous découvrons l'univers qui pouvait régner en Inde à la fin de la seconde guerre mondiale. Un double ressentiment. Les Anglais bien installés qui s’occupent de commerce ou travaillent dans l'Administration n'ont aucune considération pour les indigènes, et ceux-ci ne les aiment pas plus comme colonisateurs. Et puis il y a le regard et la façon de parler de Wyndham, unique dans son genre. C'est assez hilarant, pas vraiment toujours convenable mais un style est né, et on s'amuse beaucoup à lire ce polar, rien que pour les remarques ironiques, acerbes ou très drôles du fameux capitaine. Avec ce premier livre, un héros est né, genre anti-héros qui ne dit jamais non à une pinte de bière, ni à quelques verres de whisky et va fréquenter de temps en temps les fumeries d'opium.


Extraits :

  • 'Empire, c'était vraiment une entreprise de la classe moyenne, s'appuyant sur des écoles comme Haderley. Des institutions qui produisaient à la chaîne les diligents jeunes hommes au teint frais servant de lubrifiant à ses rouages; ils devenaient ses fonctionnaires, ses ecclésiastiques et ses percepteurs. Ils se mariaient à leur tour et avaient des enfants qu'ils renvoyaient en Angleterre recevoir la même éducation qu'eux. Dans les mêmes écoles, où ils étaient modelés pour devenir la prochaine génération d'administrateurs coloniaux. La boucle était bouclée.

  • Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire : Bengal club, fondé en 1827.
    A côté d'elle un panneau en bois annonce en lettres blanches : ENTREE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS. Banerjee remarque ma désapprobation. - Ne vous inquiétez pas, Monsieur, dit-il, nous savons où est notre place. En outre , les britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n'a pas atteintes en plus de quatre mille ans.- Absolument renchérit Digby. Je demande des exemples. Banerjee a un mince sourire.- Et bien nous n'avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens.

  • Ainsi , dis-je, vous ne croyez pas à la supériorité de l'homme blanc ? - En plus de quinze ans ici, j'attends encore d'en avoir une preuve. Je suis irlandais , capitaine. Si je n'accepte pas qu'à Londres tant d'Anglais soient prêts à me traiter de stupide paddy , qu'est-ce qui me donne le droit de me dire supérieur à une autre race ?

  • Le soleil se lève à cinq heures en déclenchant une cacophonie de chiens, de corbeaux et de coqs, et au moment où les animaux se fatiguent, les muezzins démarrent, de chaque minaret de la ville. Avec tout ce bruit, les seuls Européens à ne pas être déjà éveillés sont ceux qui sont ensevelis au cimetière de Park Street.

  • La cage d'escalier a une odeur de respectabilité. En réalité elle sent le désinfectant, mais à Calcutta c'est à peu près la même chose.

  • Vous êtes vraiment un sale type méfiant, n'est-ce pas ? J'imagine que vous ne faites confiance à personne ? - C'est vrai. Parfois, même pas à moi.

  • Sa colocataire, la fille maigre au visage sévère, est dans le couloir les bras croisés et les lèvres serrées, telle une jeune Mme Tebbit en formation. Un de ses bigoudis s'est détaché. Il essayait probablement de s'enfuir. Je ne peux pas le lui reprocher.

  • La voiture avance dans une longue allée de gravier entre les pelouses immaculées. Plusieurs jardiniers indigènes sont occupés à tailler le gazon déjà parfait. Comme des barbiers au service d'un homme chauve.

  • L'idée m'a paru d'autant meilleure que je n'en avais pas d'autre.

  • Très peu de choses sont strictement illégales pour un Anglais en Inde. Aller dans une fumerie d'opium ne l'est certainement pas. Quant aux Chinois, eh bien nous pourrions difficilement le leur interdire, attendu que nous avons mené deux guerres contre leurs empereurs pour avoir le droit de répandre ce maudit truc dans leur pays. Au point que nous avons réussi à faire des drogués d'un quart de la population mâle. Si on y réfléchit, cela fait de la reine Victoria le plus grand trafiquant de drogue de l'Histoire.

  • La discipline est essentielle.
    C'est comme traverser une rivière sur le dos d'un crocodile : certains pourraient juger l'entreprise téméraire, mais si vous savez ce que vous faites, elle vous mènera ou vous le souhaitez.
    Le principe, évidemment, est de ne pas se faire dévorer, et c'est pourquoi vous devez être maître de la situation.


Biographie

Né en 1974 à Londres, Abir Mukherjee a grandi dans l’ouest de l’Écosse dans une famille d’immigrés indiens. Fan de romans policiers depuis l’adolescence, il a décidé́ de situer son premier roman à une période cruciale de l’histoire anglo-indienne, celle de l’entre-deux-guerres.
Premier d’une série qui compte déjà̀ quatre titres, "A Rising Man" (L’attaque du Calcutta-Darjeeling) a été́ traduit dans neuf pays.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Abir_Mukherjee


Critiques presse

lundi 19 juin 2023

Antoine CHAINAS – Bois-aux-Renards – Gallimard Nrf 2023

 

L'histoire

Au début il y eu Chloé, bébé miraculeusement rescapé d'un accident de voiture qui a emporté toute sa famille (1951).

1986, Yves et Bernadette qui ont perdu leurs films unique Romain, se sont transformés en un couple de tueurs en séries. Leurs vacances en camping-car n'est qu'un prétexte à enlever des filles dans des endroits isolés, puis de les étrangler lentement et de les enterrer. Ce petit rituel dure depuis quelques années, mais cet été là sera différents. Alors qu'ils ont enlevé une prostituée, Anna, une fillette de douze ans, analphabète et handicapée mentale les surprend en plein acte de torture. Yves part à sa recherche sans succès. Anna sait se faufiler partout, et est sauvée par une renarde douce qui fait partie de Bois-aux-Renards, une forêt où a pris racine un curieux clan, mené par Hermione, une vieille femme boiteuse. Ici on vit au plus prêt de la nature, dans son respect et avec l'amitié des animaux. Mais tout bascule quand Yves et Bernadette entrent dans cette forêt aux étranges pouvoirs.


Mon avis

Qui aurait pu penser que le merveilleux rejoigne le polar, que les contes se heurteraient à la macabre réalité, que la magie combattrait la noirceur des âmes? Plus qu'un roman c'est une très belle expérience littéraire à laquelle nous convie Chainas, et son écriture d'une grande beauté.

Au centre du roman, parfaitement structuré, on trouve ce fameux « bois-aux Renards » une forêt enchantée où la nature s’entremêle, généreuses avec ceux qui la respecte et sont des âmes pures, dure et cruelle comme un piège qui se referme sur les âmes noires. Notamment celle de ce couple étrange formé par Yves et Bernadette, en apparence si classiques. Elle est instinctive, sans réflexion et sa sexualité ne peut s'épanouir que dans le meurtre, d'abord de son propre enfant, puis de jeunes femmes inconnues, des sdf, des prostituées, qui ne manqueront à personne. Yves lui se sent investit d'une mission : outre celui de satisfaire les désirs morbides sa femme, il s'auto-justifie en se comparant à un Dieu, en exprimant par sa haine de la société de consommation, car dans la vie ce ne sont qu'une caissière et un magasinier, soumis aux aléas du patronat et de la mode et en filigrane de son impuissance à satisfaire sa femme sexuellement

Cet été 1986 tout bascule. Le premier meurtre, celui d'une prostituée est hélas observé par Anna, une enfant de 12 ans, analphabète et simple d'esprit, ballottée de campings en campings par une mère irresponsable qui l'abandonne pendant des jours entiers. Anna n'a pas l'intelligence requise mais comprend qu'elle est en danger. Alors qu'elle se sait poursuivie, elle arrive à échapper à Yves en rentrant à son insu dans Bois-Renards. Elle est alors hébergée par Chloé, seule rescapée d'un accident de voiture et qui a été sauvée par Hermione, la maîtresse d'un clan de chasseurs-cueilleurs qui vit là depuis des siècles et qui ont créé tout une mythologie autour du lieu, y vivent le plus simplement possible.

La deuxième erreur du couple maudit est de tenter de capturer une adolescente mais celle-ci a une force surhumaine et arrive à s'échapper. Perdus alors qu'ils doivent absolument quitter la région en suivant la voie des cols, le couple pénètre dans un village miteux du bois légendaire. Les masques tombent, et une fois encore cette magnifique forêt, cachée de tous, continue sa vie, entourée de la nature généreuse, des mythes qui s'ajoutent et d'une harmonie retrouvée.

Un ouvrage magistral qui vous tient en haleine, il est structuré en alternant les point de vue d'Yves le tueur, d'Anna l'enfant devenue la protégée de Chloé, revenue vivre dans cette forêt pour prendre soin des renards, de Marjolaine a la triste fin, et de la communauté menée par Hermione la guérisseuse et son mari le conteur Admète aussi chef de clan. Admète connaît toutes les mythologies du monde, il fait référence aussi bien à Artémis, qu'aux guerres perses, a lu Eschyle et autres philosophes mais est implacable face à la dissimulation.

Vous serez étonnés comme Anna qui découvre sa nature profonde et qui n'est plus considérée comme une arriérée, vous serez bercés par les contes et les histoires qu'on raconte à la veillée où les hommes, les renards, les arbres et la terre ne font plus qu'un.

Un des meilleurs romans que j'ai lu depuis quelques temps, et surtout l'écriture érudite et ce français si bien écrit, juste un langage poétique et simple, ce qui est rare de nos jours où les effets de style, de mise en pages ou de ponctuation sont quelques peu dédaignés. Les amoureux de la langue française y découvriront des mots peu utilisés mais prégnants, des phrases sans trop ni moins, le parfait équilibre entre la rédaction et l'histoire.


Extraits :

  • La voûte étoilée, lande scintillante éclairée par des feux lointains que l’on savait morts depuis des siècles, des millénaires peut-être, ouvrait entre les nuages les lacets de son corsage , dénouait les fils lascifs des ténèbres et défrayait les imaginations fiévreuses trop promptes aux extases ou à l’effroi.

  • Le plus grand péché de l’être humain, c’était de laisser passer la première faute. Ensuite, plus moyen de s’arrêter. Une fois l’élan donné, l’erreur descendait la pente sans rien à quoi se raccrocher.

  • Ces lieux te montreront ce que tu as besoin d'obtenir, de retrouver. Ils te dévoileront les choses oubliées, celles dont  il faut se souvenir pour apprendre. Les réminiscences t'aideront à renouer avec l'unité, à reconnaître ton propre destin. Je sais que tu ne comprends pas ce que je dis, enfin pas tout à fait, mais tu devines que quelque chose t'a attirée ici, et que tu ne dois pas repartir avant d'y avoir accéder. Bois-aux-Renards t'indiquera la marche à suivre. Il te suffira de suivre la nature, de l'imiter

  • L’obligation des précautions sordides, les gestes fixés à l’avance pour apaiser l’esprit ou détourner l’attention augmentaient le plaisir.
    Le quadragénaire omit à dessein de préciser que leur excursion en boîte de nuit s’était soldée par du rouge dans une ruelle. Du rouge fumant sur une gorge froide.

  • Peut-être que cette nausée avait toujours existé, se dit-il. Peut-être qu'elle avait toujours attendu, précédant son arrivée au monde, et qu'aujourd'hui il la rencontrait enfin, il l'identifiait, il la reconnaissait, il l'épousait, il y succombait.


Biographie

Né en 1971 à NiceAntoine Chaînas est un écrivain français de romans policiers. Il s'est imposé, à partir de 2007, comme l'un des auteurs phare de la collection "Série noire" dirigée par Aurélien Masson chez Gallimard. Son roman "Pur" est paru en 2014 à la Série noire de chez Gallimard. Ce livre a été récompensé du Grand Prix de la Littérature Policière la même année. Son sixième roman "Empire des Chimères" paraît à la rentrée littéraire de septembre 2018, toujours dans la même collection. Bois-aux-Renards est son dernier roman.


Critiques presse


dimanche 18 juin 2023

SUSAN CHOI – Exercice de confiance – Actes Sud - 2021

 

L'histoire

Années 1980, ACA, prestigieuse académie anglaise (Académie des Arts et du Spectale).

David et Sarah s'y sont inscrits avec le rêve de devenir sinon de grands acteurs, du moins décrocher des jobs dans le domaine artistique.

Amoureux, durant un été, ils sont remis en cause comme tous les étudiants par le professeur Mac Kinsey quia connu une très brillante carrière au théâtre. Mais ce professeur a des méthodes d'enseignements particulières. Ne s'inspirant d'aucune école connue, il reprend des idées de l'actor's studio qu'il déploie pour casser la personnalité des élèves, pour la reconstruire. Il applique au théâtre une méthode psychanalytique, sans faire de travail sur le texte, ni donner de véritables cours d'interprétation.

Il aime plonger ses élèves dans le noir et les faire se toucher, ou les mettre dans des situations difficiles où le corps est bien plus présent que l'esprit.

Sarah, profondément altérée à son insu par ces enseignements particuliers se confie à ce professeur qui résonne comme une icône ou plutôt un gourou. Ainsi, elle rompt avec David. 12 ans plutard, Sarah remet en question l'enseignement qui l'a marquée et en livre sa propre version.


Mon avis

On aurait pu penser à une version du film culte Fame, et sur la liberté de création. Il n'en est rien et c'est plus un roman un peu décousu, en trois parties qui se veut de disséquer les liens entre l'auteur et son public mais qui n'y arrive pas.

La première partie est axée sur l'enseignement en lui-même et sur les ressentis assez nombrilistes des élèves. Ils suivent aveuglement un enseignant qui a eu son heure de gloire, mais qui les pousse dans des exercices qu'ils ne peuvent pas assumer, trop jeunes et trop immatures pour en saisir la portée symbolique. Et certainement pour un plaisir un peu sadique de ce prof vénéré.

Sarah et David formaient le petit couple amoureux parfait et complémentaire. Mais leurs amours ne dureront qu'un été, brisé par les regards de l'enseignant, des supposées vérités qu'ils croient inscitent en eux. Cette première partie fait un peu penser à un roman d'ados où au lieu de s'ouvrir au monde, chacun se retranche derrrière la personnalité qu'il croit avoir. Ici on ne parle pas d'analyse de textes, d'une pièce à monter, de l'art du jeu ou de la technique comme la diction, les longues répétitions. Bref on n'est pas à la Comédie Française.

La deuxième partie se veut l'analyse de ces années d'études par Sarah qui, le temps ayant passé. Elle croit poser un regard critique sur l'enseignement reçu, mais accumule les clichés de psychologie de comptoir et c'est encore un autre échec. De plus, les personnages changent de noms ce qui brouille le récit et semble justifier son manque d'action par la supposée supériorité de la pensée.

La dernière partie nous montre une Sarah devenue actrice de sa propre vie, sans plus de recul, et toujours dans l'ambiguité.

Bref un roman indigeste à souhait, si ce n'est une certaine solidarité féminine et des allusions à au mouvement me-too mais cela ne suffit par pour moi de quoi en faire un livre qui se perd dans les méandres de la fausse psychologie, de la perversité effleurée mais jamais abordée, de la manipulation où l'on aime trop jouer les fausses victimes.

Bref un roman de 360 pages qui ne nous apprend rien, ne nous entraine ni vers la poésie, ni vers l'envie de faire du théâtre même en loisirs et qui ne nous ouvre aucunement sur d'autres mondes.



Extraits :

  • À l’Aca, les élèves en première année d’Art Dramatique apprenaient la Mise en Scène, Shakespeare, le Solfège, et se livraient en cours de théâtre à des Exercices de Confiance, termes qui tous devaient s’écrire avec une majuscule, comme il convenait à leur relation à l’Art avec un grand A.

  • Cherchant peut-être à faire comme si elle avait mal entendu, comme les gens le font parfois pour gagner du temps, quand ils pensent que ce qui compte est la façon dont ils réagissent et non la chose qui a été dite.

  • Dans leur ville, seuls les plus pauvres des pauvres, ou les personnes venant de se faire agresser, marchaient.


Biographie

Susan Choi, née en 1969 à South Bend dans l'Indiana, est une romancière américaine lauréate du National Book Award en 2019.
Choi est née d'un père coréen et d'une mère juive, ses parents ont divorcé lorsqu'elle avait neuf ans. Elle est diplômée en littérature de l'Université Yale et de l'Université Cornell.
Son premier roman "Exercice de confiance" a été traduit en français chez Actes Sud.

Pas beaucoup de critiques presse pour ce livre qui n'a pas semblé non plus captiver les journalistes spécialisés.

samedi 17 juin 2023

RON RASH – Par le vent pleuré – Seuil 2021

 

L'histoire

Été 1969, Silva, petit village à l’ombre des Appalaches en Caroline du Nord.

Tous les dimanches Bill 21 ans et son frère 16 ans vont pécher la truite dans un coin de la rivière isolé. Ils rencontrent une adolescente Ligeia, placée chez son oncle pour divers problèmes dont des addictions à la drogue. Peu farouche, elle couche avec les deux frères et accroche surtout avec Eugène, plus fragile, qui va voler des médicaments (opiacés, valium et autres) dans la pharmacie de son grand-père. Il lui apporte aussi de l'alcool, bières, vins, whisky. Puis un jour l'adolescente, déjà connue pour des fugues disparaît, ce qui n'étonne personne, la gamine était connue pour fugues, et delits mineurs.

Mais 40 ans plus tard, des ossements sont retrouvés lors d'un glissement de terrain. Il s'agit bien de Ligeia, et l'autopsie révèle qu'elle a été égorgée. Eugène se pose des questions.


Mon avis

Ron Rash connu pour ses romans et poèmes écrit sur sa Caroline du Nord, notamment dans les zones montagneuses où se terminent la chaîne des Appalaches. Un excellent roman, court et qui nous replonge dans les années du flower power aux USA.

A Silva, on écoute encore de la country et le mouvement hippie est inconnu. C'est ce que va apporter Ligeia, qui entraîne avec elle, le cadet de la famille Matney. Cette famille dysfonctionnelle est menée à la baguette par le grand-père, le seul médecin généraliste de la ville, homme respecté et craint qui mène la vie dure à ses deux petits fils, le père étant mort et la mère effacée. Il décide de tout, notamment de ses petits fils. Le brillant et raisonnable Bill sera chirurgien, et le cadet plus rêveur fera au mieux un bon enseignant, au pire un instituteur. Pour leur argent de poche, les deux frères si différents doivent nettoyer le cabinet de soin et n'ont que le dimanche, après la messe et le repas pour se distraire.

Dans le petit bras de rivière un peu isolé où ils aiment pêcher, il rencontrent la sensuelle Ligeia, qui vient de Floride. Elle amène un vent de fraîcheur et de liberté dans les existences bien chronométrées des deux garçons. Elle connaît les musiques qui sont à la mode, se vante d'avoir vécu dans une communauté hippie, et séduit surtout Eugène, totalement fascinée par cette « sirène «  si libre, aimant faire l'amour, mais exigeant toujours un peu plus de cadeaux. Si Bill qui est fiancé comprend que cette histoire ne peut pas durer et que cette fille cache plus de problèmes qu'un joli minois, Eugène lui satisfait tout ses caprices : de la bière ou du vin, on passe au whisky et parce qu'elle est supposée rester scolarisée à Sylva, elle retrouve des amis dealers et initie aussi le petit à fumer de l'herbe. Elle parle tout le temps de partir en Floride ou à San Franscico, et un jour, après un « incident » qui semble vite réglé elle disparaît.

En 40 ans, les choses ont bien changé à Silva. Bill a épousé sa fiancée et est devenu un brillant chirurgien reconnu comme l'un des meilleurs. Eugène qui se rêvait romancier est resté alcoolique. Après un accident où il a mis en danger les jours de sa propre fille, alors qu'il avait trop bu, sa femme le quitte et sa fille sauvée de justesse ne veut plus le voir. Il erre dans la maison familiale, continue à boire, ne fait rien de ses journées. Quand le chérif vient lui poser quelques questions sur Ligeia, il s'inquiète et pense que son frère n'est peut-être pas étranger au meurtre. Il veut savoir la vérité. Finalement Bill lui raconte ce qui s'est vraiment passé, ce qu'il a vu, et qui lui aussi le hante. On mesure alors tout l'amour qui lie l’aîné à son cadet, un amour dont Eugène, trop perturbé n'a pas conscience.

Pour cette histoire, Rash se serait inspiré d'un fait divers. Il raconte avec simplicité et poésie cette étrange histoire, celle qui inspire tous ses livres, celle de l'Amérique très rurale, et des destins brisés.



Extraits :

  • J’avais prévu de rédiger mon mémoire sur [Thomas] Wolfe. Ma directrice de maîtrise m’en a dissuadé. « Wolfe est quasiment oublié de nos jours », a-t-elle objecté, ce qui me semblait une raison de plus pour le faire, afin qu’il ne soit pas oublié, ou seulement, comme l’avait écrit Wolfe lui-même, « par le vent pleuré ». 

  • Nos salaires étaient équivalents à ceux que nous aurions touchés pour des emplois plus pénibles si nous avions bossé dans une équipe municipale d’entretien des espaces verts ou à la scierie locale. Que Grand-père nous ait engagés, Bill et moi, semblait une façon de réaffirmer ce qu’il avait déclaré à notre mère quand l’accident de chasse l’avait laissée veuve – qu’il prendrait soin d’elle et de nous deux. Grand-père était propriétaire de la maison où nous vivions, qu’il nous autorisait à habiter sans acquitter de loyer, toutes taxes et charges payées.

  • - Allez, Eugene, a-t-il repris avec un petit rire. Ne me dis pas que tu n'as jamais bu quelques bières en cachette. - Non, jamais. - Même pas une ? - Non. - Mais alors, qu'est-ce que tu fous toute la journée ? s'est-il enquis, incrédule. Tu ne peux pas passer ton temps à lire et à écrire ! Tu ne joues pas au base-ball, tu ne sors pas avec des filles, et tu ne vas pas au ciné. Au moins, je me disais que tu devais picoler. A-t-on jamais vu un écrivain qui ne picole pas ?

  • Chaque printemps les fortes pluies arrivent, et la rivière monte, et son cours s'accélère, et la berge se désagrège toujours davantage, brunissant l'onde de son limon, mettant au jour une nouvelle couche de terre sombre.

  • Il y a certains choix que l'on fait et dont on a connaissance, pour toujours, jusqu'à son dernier soupir – il ne s'agit là, évidemment, que des mauvais choix.

  • Maintenant l'hiver est là. La terre autour de Panther Creek est enfouie sous trente centimètres de neige, la rivière vitrée par le gel. Il ne reste plus de feuilles pour donner une voix au vent.

  • Je me souviens de longues soirées d'été, heures de méditation et de contemplation, seul sur la plage, comme une chose échouée, quelque part entre Mingan et Longue-Pointe-de-Mingan. J'écoutais la tranquillité du monde, assis sur le sable fin.

  • Ma petite amie, voilà comment je pensais à elle. Parfois, devant la glace, je le disais tout haut, et quand j'écoutais la radio les chansons d'amour me laissaient penser que j'étais peut-être amoureux. "C'est gentil" disait-elle chaque fois, mais à part le collier elle n'a jamais rien porté de ce que je lui ai offert. Elle disait qu'elle cachait mes petits présents dans sa valise pour que son oncle et sa tante ne se demandent pas d'où ils venaient.

  • Á San Francisco, le Summer of Love, l’été de l’amour, a eu lieu en 1967, mais il a fallu deux ans pour qu’il atteigne le petit monde provincial des Appalaches. Sur l’autoroute en février, on a aperçu un hippie au volant d’un minibus bariolé, un évènement dument signalé dans le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture était quelque chose qu’on ne voyait qu’à la télévision, tout aussi exotique qu’un pingouin ou un palmier nain.

  • Il n'y a pas de photo de mon grand-père sur la cheminée, et il n'y en a jamais eu - une des rares occasions données à ma mère de tenir sa présence à l'écart de notre existence .

  • Et donne-moi une fin heureuse, a ajouté Ligeia, dont le sourire s'est évanoui, parce que dans la vraie vie ça ne risque pas d'arriver.

  • Votre moitié vous croit meilleur que vous ne l'êtes, et pendant un moment, à vrai dire, vous partagez cette opinion. Mais un beau jour vous cessez d'y croire, et bientôt votre épouse aussi, c'est alors que vous lui rappellerez où elle vous a rencontré, et le verre de whiskey qui était posé entre vous sur le comptoir, et elle dira : "Oui, je t'ai rencontré dans un bar. J'ignorais simplement que ta vie se déroulerait comme si tu n'en étais jamais sorti."

  • Je me suis mis à genoux derrière elle. En nouant les cordons verts, j’ai pensé : Je sais maintenant de quoi parlent toutes ces chansons, ce dont elles parlent je l’ai fait. Ligeia s’était rallongée et elle a fermé les yeux. Je l’ai imitée, mais moi j’ai gardé les miens ouverts ; la bière et le sexe, la chaleur de l’après-midi et le murmure de la rivière avaient provoqué en moi un sentiment de satiété rêveuse. Je n’étais plus celui que j’avais été, et cette personne-là, ce garçon-là, je ne le serais plus jamais.

  • C'est là que les romans se trompent si souvent, se trompent sciemment, a-t-elle remarqué lorsqu'elle a rouvert les yeux. On fait certains choix et l'on s'éteint sans avoir jamais pu vérifier s'ils étaient bons ou mauvais.


Biographie

Né en 1943 en Caroline du Nord, Ron Rash est un écrivain, poète et nouvelliste, auteur de romans policiers. Il étudie à l'Université Gardner-Webb et à l'Université de Clemson, où il obtient respectivement un B.A. et un M.A. en littérature anglaise. Il devient ensuite professeur de littérature anglaise.
Il est titulaire de la chaire John Parris d’Appalachian Studies à la West Carolina University (WCU). Il enseigne l’écriture de nouvelles. Sa carrière d'écrivain s'amorce en 1994 avec la publication d'un premier recueil de nouvelles, puis d'un recueil de poésie en 1998.
Il a écrit des recueils de poèmes, des recueils de nouvelles, et des romans, dont un pour enfants, tous lauréats de plusieurs prix littéraires. Ron Rash vit actuellement à Asheville en Caroline du Nord. Il est particulièrement engagé dans la défense de l'environnement et la protection de l'eau, prend des positions et publie régulièrement des tribunes sur ces sujets.

 

Le Film Serena

Au lieu de vous mettre des liens, je vous propose ma critique du très beau film tiré du livre Serena de Ron Rash, mis en scène par Suzanne Bier avec Bradley Cooper et Jennifer Lawrence dans le rôle titre.

Georges Pemberton épouse sur un coup de tête la somptueuse et mystérieuse Serena rencontrée à Boston et l'emmène en Caroline du Nord, où il exploite du bois. Nous sommes en 1930, la Grande dépression frappe et la main d’œuvre bon marché afflue pour l’abatage des arbres. Serena s'y connaît aussi en exploitation forestière. Elle fait venir un vautour dressé pour chasser les serpents venimeux et sauve la vie à un des hommes de main de Georges qui lui témoignera une admiration et une soumission totales. Car on meurt beaucoup dans le travail difficile de l'abattage des arbres. De plus, pour limiter l'exploitation, le gouvernement veut instaurer une réserve naturelle et protégée. Pour maintenir ses intérêts, lors d'une partie de chasse Georges abat un représentant de l’état mais ne sera pas inquiété malgré les soupçons du shérif, ses hommes témoignant pour lui.

Serena, admirée et respectée perd l'enfant qu'elle portait et apprend qu'elle ne peut plus en avoir. Elle découvre que Georges a eu un fils illégitime avec une cuisinière de la petite communauté et cherche par tous les moyens à le faire supprimer, entrant de plus en plus dans la folie. Georges s'en rend compte et réussit à mettre à l'abri la femme et l'enfant.

Mais Georges est impliqué aussi dans une double comptabilité, et sait que la police va l'arrêter. Il remet ses livres comptables au shérif et lui promet de venir se rendre le lendemain. Le temps de réaliser son rêve : abattre un puma. Mais c'est le puma sauvage qui le tue. Comprenant qu'elle est ruinée, que son mari ne l'aime plus, Serena se donne la mort en mettant le feu à la maison.

Le film est hélas sorti au mauvais moment, de gros films étant à l'affiche. Mais je ne remettrais pas en cause l'interprétation sublime de J. Lawrence, qui s'empare de ce personnage, et laisse monter la folie qui la mènera à la catastrophe. Pour le film, Bier a fait reconstruire un vrai petit village en Caroline du Nord, avec sa voie ferrée, son église, ses forêts, et la maison des Pemberton tout au bout de main-street, grande mais sans tape à l’œil ostentatoire. Elle a décidé aussi d'y tourner les scènes d'intérieures. Sa palette de couleurs sourdes, des bruns, des gris, des verts passés contrastent avec l'élégance de Serena qui seule porte des couleurs chatoyantes et luxueuses, signe de richesse autorisé. Bradley Cooper qui peut rentrer dans plein de registres facilement et qui avait déjà tourné avec Lawrence dans Happiness Thérapy, se fond dans ce personnage finalement fade de petit seigneur local. Il marche avec un temps de retard par rapport à son ambitieuse femme, il ne sait pas la consoler de la perte de l'enfant tant désiré, sinon en lui offrant bijoux et robes. Les rôles secondaires sont aussi parfait et les décors grandioses. Dommage que ce drame ayant eu des problèmes de financement et n'ayant pu concourir aux Oscars ait été un peu oublié. C'est un vrai film d'autrice, sans temps mort et toujours en tension.


 

 

mardi 13 juin 2023

AKI SHIMAZAKI – Hôsuki, l'ombre du charbon – Babel Poche 2021

 

L'histoire

Mitsuko tient une librairie spécialisée en livre rare. Elle vit avec son fils de 7 ans Taro, sourd-muet et sa mère. Un jour une cliente femme de diplomate lui achète pour une fortune de livres. Cette femme dont la petite fille s'est prise d'amitié pour Taro fera tout pour revoir Mitsouko.


Mon avis

Les petits livres d'Aki Shimazaki, qui écrit en français font le succès des librairies. Appréciés pour leur histoires assez courtes, poétiques, ou drôles, tout le monde devrait avoir un petit livre de cette autrice dans son sac.

En résidence littéraire à Montréal où elle vit depuis 1991, elle apprend le français et écrit des cours romans en cycles de cinq, tous inhérents à la nature humaine.Le premier cycle s'appelle le poids des secrets, le second Au cœur du Yamato, le 3ème l'Ombre du charbon dont tous les titres ont des noms de fleurs, et pour le moment le dernier cycle qui n'a pas trouvé son nom.

Dans Hôzuki (nom d'une jolie fleur japonaise rouge qui fleurit l'hiver), ce sont les coïncidences qui n'en sont pas qui sont à l'honneur. Mitsuko tient une librairie d'ouvrages d' philosophie, c'est une grande lectrice. Aidée par sa mère qui a adopté pour l’église catholique, Mitsuko n'a pas de conviction religieuses, alors que son fils Taro très curieux s'intéresse au bouddhisme tout comme l'étrange cliente qui cherche tant à nouer une amitié avec Mitsuko. Sans le savoir, elles ont une histoire commune.

L'occasion de s'interroger sur le hasard, les coïncidences ou la synchronicité. Et servi par l'écriture épurée de l'autrice qui laisse traîner son regard sur les petites joies du quotidien nous emmenant dans son monde ici enchanté.

On peut tout a fait lire les histoires indépendamment les unes des autres, tant elles sont variées et dans des registres différents.



Extraits :

  • Je me demande toujours qui j'étais dans mes vies antérieures et qui je serai dans mes vies futures. À chaque vie, je ne suis pas la même personne, mais l'âme demeure la même en changeant de corps éternellement. C'est comme un collier de perles sans fin. Lorsqu'une perle en croise une autre, - c'est le moment où on rencontre quelqu'un, comme nous -, ce sont les deux âmes qui se croisent.

  • Mitsuko, sais-tu quel est le but des religions ? C'est de libérer de la douleur de la vie et de la mort. Le bouddhisme ne fait pas exception. Ce en quoi il est différent des autres religions, c'est que les bouddhistes tentent par eux-mêmes d'atteindre l'éveil, alors que les monothéistes comptent sur leur dieu pour arriver au paradis. - Alors, quel est le but de la philosophie ? - C'est de se demander comment vivre jusqu'à la mort, pourquoi on est né dans ce monde, surtout de comprendre ce que signifie le monde.

  • Je me rappelle la phrase que Shôji m’a lancée une fois : « La pensée est une prérogative de l’humain. » Je ne savais pas de qui il tenait ce cliché, mais je n’y trouvais que de l’arrogance. Je lui avais dit : « Les animaux aussi parlent, observent, réfléchissent, se souviennent, ont peur, se battent, se cachent… Ils ne vivent pas seulement par instinct, ils pourraient avoir une pensée possiblement plus sage que celle des hommes. »

  • Devant les clapiers à lapins du zoo où elle a emmené son fils Taro pour fêter ses sept ans, Mitsuko se rappelle son secret, l'adoption de Taro, adorable métis qui s'est révélé handicapé, sourd et muet.

  • Chacun a une vie unique et des problèmes qui pourraient être incroyable. Comme on dit:" La réalité dépasse souvent la fiction." Mais après tout, la vie d'autrui ne regarde personne.

  • Si madame Sato avait connu la vérité sur ma vie et sur ma mère, elle aurait sans doute immédiatement cessé de me voir. Peu importe. Je me serais fichée de ce qu’elle aurait pensé de nous. J’ironise dans ma tête : « Se ficher de tout, cela implique-t-il être « sereine » ?

  • Vous me semblez mener une vie sereine », m'a dit madame Sato, qui a reçu une bonne éducation et de l'instruction. Mariée à un diplomate, elle vit dans l'aisance. « Sereine», je ne sais pas vraiment ce qu'elle veut dire. Je vis à n'en pas douter dans un monde totalement différent du sien. On ne choisirait pas le mien spontanément, sauf pour le métier de bouquiniste.

  • Par contre , ce dont madame Sato parle ,c'est de l'ésotérisme.Un monde spirituel qu'on ne voit pas. Je nourris des doutes quant à l'état mental des gens qui, comme elle, se préoccupent de choses pareilles. En fait , elle est complètement perdue.

  • Pourtant, notre relation a pris fin : Shôji m'a demandé de l'épouser et j'ai refusé. L'idée de fonder une famille avec lui, ou avec qui que ce soit, ne me tentait pas, surtout pas celle d'élever des enfants. Je voulais être libre d'obligations domestiques.


Biographie

Née au Japon en 1954, Aki Shimazaki est une romancière québécoise. Elle est née au Japon dans une famille dont le père est agriculteur. Durant sa jeunesse, elle développe une passion pour la littérature. Cependant, elle travaille pendant cinq ans comme enseignante d'une école maternelle et a également donné des leçons de grammaire anglaise dans une école du soir.
En 1981, elle émigre au Canada, où elle passe ses cinq premières années à Vancouver, travaillant pour une société d'informatique. Après cela, elle part vivre pendant cinq ans à Toronto. À partir de 1991, elle s'installe à Montréal où, en plus de son activité littéraire, elle enseigne le japonais. En 1995, à l'âge de 40 ans, elle commence à apprendre le français tant par elle-même que dans une école de langue. Puis, elle commence à écrire en français de courts romans. Tous les titres de ces livres portent un mot japonais.
Pour son premier roman "Tsubaki" (1999), elle a obtenu le Prix de la Société des écrivains canadiens et a été finaliste du Prix Littéraire de la Ville de Montréal 1999 et du Grand Prix des lectrices Elle Québec 2000. Pour "Hamaguri" (2000), elle s'est méritée le prix Ringuet 2001 et a été finaliste pour le Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2001.
Ses premiers romans sont publiés dans la collection "Un endroit où aller" chez Leméac/Actes Sud. Il s'agit d'une série de cinq titres, un premier cycle intitulé "Le poids des secrets" (1999-2004), qui racontent la même tragédie, mais chaque fois sous angle différent puisque le narrateur change d'un roman à l'autre. Elle a remporté le Prix littéraire Canada-Japon du Conseil des Arts du Canada 2004 pour "Wasurenagusa" (2003) et le Prix du Gouverneur général du Canada 2005 pour "Hotaru" (2004).
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