L'Histoire
La vie de Yamina, femme pauvre née en Algérie en 1949, qui avec sa famille devra s'exiler au Maroc pendant la guerre d’Algérie. Mariée sur le tard, elle part vivre en France avec son mari, ouvrier, et élève ses quatre enfants dans la tolérance et la bonté.
Mon avis
Un très beau portrait d'une femme discrète. Yamina a deux vies. La première en Algérie, minée par la guerre. Âgée de 8 ans, elle doit quitter son village pour se réfugier au Maroc et éviter la guerre. Puis elle revient dans son village, miné par la pauvreté, la famine. Aînée de 7 enfants, elle n'ira pas à l'école, son grand regret, car elle doit aider sa mère à la maison, s'occuper des petits derniers, garder les chèvres et de son temps libre, elle coud non seulement pour la famille mais aussi pour des autres personnes. A trente ans, son père décidé de la marier à un homme plus vieux qu'elle de 10 ans. Un homme qui veut aller vivre en France où il est sur d'obtenir un poste d'ouvrier. Yamina arrive donc dans un pays étranger, vit d'abord dans un appartement humide et toujours sale, puis dans un HLM à Aubervilliers, où elle peut élever ses 4 enfants, trois filles et un garçon. Dans la tolérance. Yamina « ignore » le racisme qui se développe, elle est bonté et amabilité, auprès d'un mari qui la respecte et l'aime de tout son cœur et qui ont élevé leurs enfants dans la dignité. C'est difficile pour ses enfants de trouver un bon emploi. Malika travaille dans l'administration, Imane a son studio à Paris où elle est vendeuse et Hannah, la rebelle, cumule des petits boulots. Omar, le petit dernier est chauffeur Uber et a bien du mal à séduire des jeunes filles, sauf quand il rencontre Nadia, déterminée et joyeuse.
Le récit mêle le passé de Yamina en Algérie, les difficultés de vivre dans la pauvreté puis un peu moins lors que des petits bouts de terre sont attribués aux habitants des villages. Mais Yamina ne sait pas lire et écrire. En tant que fille aînée, elle devient une mère de substitution en élevant ses autres frères et sœurs et en s'occupant de la maison.
Finalement à 30 ans, elle est mariée à un homme qui va partir pour la France, là où il est sur de trouver un emploi. Yamina le rejoint, pleine de tristesse de quitter ce qui est familier, mais son mari est un homme bon, qui lui offre toujours des roses à la Saint-Valentin ou tout ce qu'elle désire. Yamina a 70 ans, et elle aime avoir ses enfants autour d'elle. Elle ne se plaint jamais Yamina, elle laisse filer le racisme dont elle est victime car cela n'a pas d'importance selon ses valeurs. Ses filles par contre ont un sacré caractère. Elles la sentent et la subissent la discrimination, et refusent de ses marier, pour ne pas perdre leur fragile indépendance. Omar, le petit dernier, est poli, timide. Il rêve d'un amour sincère avec une femme, ce qu'il finira par trouver.
La discrétion nous offre un très beau portrait de 2 générations de femmes. Car si se taire pour Yamina est aussi une façon de se révolter, elle tire sa fierté du magnifique jardin ouvrier qu'on lui a alloué, le plus beau de tous, de sa droiture en tout. Elle pratique sa religion de façon discrète, elle n'a rien à voir avec les extrémistes, a élevé ses enfants dans le respect mais ne leur impose pas de religion, elles choisiront leurs vies et leurs destins, sachant qu'il y a toujours une assiette de bonne nourriture qui les attend à la maison, du réconfort et aussi des rires.
Car si il y a bien une chose que se refuse l'autrice, c'est de tomber dans le pathos. On rit devant les réflexions des filles, on est empli de la poésie douce et Yamina, sa bonté nous donne envie d'être meilleur, même dans l'adversité, et de surtout tolérer chacun comme il est et ce qu'il est, du moment qu'il porte aussi en lui quelque chose de bon et doux.
Un ouvrage que je conseille à tous ceux qui auraient encore des clichés sur les personnes venues du Maghreb, et qui vous éclairera sur la vie et les choix de vie à mener.
Extraits :
Il leur sera demandé très officiellement de descendre dans la rue, mais dans un cortège à part, celui des musulmans d'apparence, pour dire : "Ne vous inquiétez pas, nous ne sommes pas comme eux".
Il n'y a pas de Mode d'emploi à l'usage des musulmans pacifiques, pas de Manuel de désolidarisation en cas d'attentat terroriste sur le site de la FNAC.
Pour les Taleb, et les autres, il n'y a pas de règlement. Si être simplement affecté en tant qu'être humain et que citoyen ne suffit pas à convaincre, que doivent-ils faire ?
S'assimiler ? Revendiquer davantage leur identité française ? Chanter plus fort la Marseillaise ? Changer de prénom ? Adhérer à un parti d'extrême-droite pour gagner une légitimité indiscutable ? Quand bien même, seraient-ils au-dessus de tout soupçon ? N'est-ce pas là une démarche encore plus suspecte ?C'est toujours Hannah qui tranche : "C'est une question de bon sens, quand on est légitimement français, on n'a pas besoin de le prouver, encore et encore !
Et s'ils savent qu'il faut montrer patte blanche, c'est qu'on leur demande. Cette injonction stupide leur est faite immédiatement, en pleine émotion : "Désolidarisez-vous !". Des hommes politiques, des philosophes, des journalistes demandent aux musulmans de sortir du rang.Les Taleb, comme tant d'autres, ne partagent pas les croyances des terroristes. Eux, ça leur paraît évident. Ils n'ont rien en commun avec ces monstres, si ce n'est leur nom "à consonance", et leurs gueules de métèques, qui, elles, contrairement à leur histoire, ne s'effacent pas. Un peuple uni ne se divise pas pour pleurer ses morts. C'est même à ça qu'on devrait le reconnaîtreIl peut enfin aimer une femme, se montrer lui-même et se laisser aimer en retour. Ce n’est pas une histoire de timing, ni d’expérience, ni de chance, c’est juste qu’il fallait attendre de la trouver elle.
L’idée de vieillir n’effraie pas Yamina. Depuis quelques années, elle ressent même une certaine quiétude. On dirait qu’elle n’est pas embarrassée par les petits tracas de l’âge. De toute façon, Yamina ne se plaint jamais. C’est comme si cette option lui avait été retirée à la naissance.
Yamina croit apaiser sa fille en lui répondant : C’est comme ça benti, on doit accepter, on est comme leurs invités, on est chez eux. Ça fout Hannah à bout, ce genre de discours : Non, on n’est pas chez eux maman ! On n’est pas des « invités » ! T’as reçu un carton d’invitation, toi ? Moi non ! Ça suffit, ça fait trente-cinq ans que j’entends ça ! Nous, on est chez nous ! On est nés ici ! Et si on est arrivés là, c’est pas par pure coïncidence !
Cela fait exactement cinquante-sept ans que Yamina a été obligée d'arrêter l'école pour aider ses parents à la ferme et élever ses frères et sœurs. Sur ses six frères cinq sont devenus professeurs, et un assureur. Quant à Yamina, à soixante-dix ans, elle se rêve encore avec un cartable sur le dos.
Hannah déteste par dessus tout les gens qui se détestent. Les garçons arabes dans ce genre là, elle les reconnait tout de suite, et elle a parfois envie de leur dire: "Vous êtes cons, vous nous faites perdre notre temps. Vous êtes le pire obstacle à nos luttes."
C'est normal, cette violence fait partie de votre histoire, vous portez en vous la violence et les humiliations vécues avant vous, d'une certaine façon, vous en héritez. C'est normal que vous soyez en colère, cette colère qui a été longtemps réprimée, tout ça, c'est très injuste, et l'injustice, de fait, ça met profondément en colère.
Mais vous ne pouvez pas porter seule tout ce poids. Vous ne pouvez pas réparer seule l'offense.Yamina dit calmement à ses gosses auxquels on essaie d'enlever toute légitimité : "Je ne sais pas pourquoi vous vous énervez comme ça. Moi, je m'en fiche, même s'ils veulent m'arracher mon foulard, ils n'arriveront jamais à arracher mon cœur, et dommage pour eux, ma foi est dedans!".
Il faut dire que c'est sacrément beau, la France, c'est quand même bouleversant de traverser ses villes et ses villages, ses grandes et ses petites places, c'est émouvant de comprendre son histoire et de se dire qu'on en fait partie aussi, d'une manière ou d'une autre, qu'ils le veuillent ou non, cette histoire, on en est le fruit, il faudra bien se l'avouer un jour, et ce sert plus clair pour tout le monde.
Les sentiments, c'est grand, ça demande de l'espace pour s'exprimer, et le problème, avec la guerre et la misère, c'est qu'elles prennent toute la place.
Imane en vient à une triste conclusion. Elle se croit trop particulière pour trouver quelqu'un qui lui correspond. Elle finira avec une douzaine de chats aux noms ridicules qui l'aideront à surmonter sa solitude et laisseront des poils sur ses cols roulés noirs. Trop indépendante pour certains. Pas assez pour les autres.
Elle soutient la liberté d'expression mais n'est pas Charlie pour autant. Elle est musulmane et féministe. Elle est française et algérienne. Elle n'a ni les cheveux lisses ni bouclés. Elle est vegan quand ce n'est pas halal. Elle est moderne et réactionnaire. Elle est tout et son contraire. Imane vit dans un monde qui n'est pas prêt à accueillir sa complexité.Déballer son intimité, se raconter et mettre à poil son histoire est un aveu de lâcheté à ses yeux, la preuve qu'elle est incapable de faire face, alors que son pauvre baluchon d'ennuis ne représente pas un dixième du fardeau de sa mère, qui, elle, a gardé le silence, ne s'est jamais plainte. A surmonté une vie d'épreuves avec courage.
Elle donnerait tout pour avoir la chance d’aller à l’école à nouveau. Yamina donnerait tout pour s’asseoir dans une classe un jour de plus, pour entendre la craie crisser sur le tableau noir, pour réciter de la poésie, c’est ce qu’elle préférait, elle donnerait tout pour écrire encore à la plume et s’étourdir en reniflant l’encrier.
Brahim a encouragé ses enfants, n’a jamais levé la main sur eux, les a poussés à étudier. La seule chose qu’ils peuvent lui reprocher est d’avoir été pauvre, et épuisé par le travail.
Biographie
Née
en 1985 à Bobigny, Fazia Guène est une autrice et scénariste
française. Elle a publié 5 romans dont le dernier est la
discrétion. Française d'origine
algérienne, elle est la cadette d'une famille de trois enfants. Elle
a grandi et vit dans la cité des Courtillières à Pantin.
Au
collège, elle participe aux ateliers de lecture et doit réaliser
pour le journal de l'établissement un reportage sur l'association "
Les engraineurs " qui propose aux jeunes du quartier un atelier
d'écriture cinématographique. Faïza Guène n'a jamais quitté
l'association depuis ce reportage. Grâce à l'association, elle
réalise en 2002, son premier court-métrage, RTT qui raconte
l'histoire de Zohra, mère célibataire joué par Mme Guène. Le film
remporte trois prix dans les festivals. Cinq courts-métrages
suivront et un documentaire sur le 17 octobre 1961.
Son premier
roman, "Kiffe kiffe demain", a été l'une des meilleures
ventes de l'année 2004. Elle publie en 2006 "Du rêve pour les
oufs", puis, en 2008, "Les gens du Balto", aux
éditions Hachette Littératures. En 2014, "Un homme, ça ne
pleure pas" chez Fayard est lauréat du Prix littéraire des
lycéens et apprentis de Bourgogne en 2015.
Faïza Guène est
réalisatrice de plusieurs courts-métrages. Parmi ceux-ci, on notera
: "La Zonzonnière" en 1999, "RTT et Rumeurs" en
2002 et "Rien que des mots" en 2004.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fa%C3%AFza_Gu%C3%A8ne






