L'histoire
Varsovie, de nos jours. Un véhicule qui roule beaucoup trop vite bascule d'un pont. A son bord la victime est un animateur télé pour enfants très populaire dans le pays, Buczek. La nouvelle arrive avant tout le monde au journal Meganews diffusé uniquement par le web. Le journal n'a rien de glorieux, il se contente de faire des révélations sur les stars, les derniers potins, sorte de Voici que tout le monde regarde dans le pays. La direction confie la rédaction à Julita, une jeune journaliste qui aurait rêvé mieux que ce travail dans ce journal qui a les yeux fixés sur les clics, qui ne paye pas très bien. En examinant les photos de près, Julita se rend compte d'un détail qui ne colle pas. Les mains du conducteurs sont ensanglantées, et rongées alors que l'animateur avait toujours les mains manucurées. Cela l'intrigue et elle décide d'enquêter, elle est persuadée, tout comme l'un des témoins de l'accident qu'elle réussit à contacter que cet accident est plutôt un meurtre. Julita publie aussitôt un article à ce sujet avec les éléments qu'elle a. Mais à peine l'article en ligne, elle reçoit un mail lui demandant de supprimer l'article illico. Ce qu'elle ne fait pas. Aussitôt le site Méganews est piraté et des vieilles photos de nus de Julita apparaissent sur tous les écrans et smartphone. Aussitôt licenciée, insultée par tout le monde, Julita décide malgré tout de laver son honneur et de continuer l'enquête. Elle fait alors la connaissance d'un mystérieux Jan, qui est un expert en cyber criminalité et qui va l'aider en sécurisant son pc et son smart phone et en l'initiant au dark web.
Mon avis
« Tu sais qui » est le premier polar traduit en français de Jacub Szamalek sur une trilogie de 3. Le premier polar 2.0 aussi.
D'emblée de jeu, l'auteur nous affirme qu'il ne s'agit pas d'un écrit de science-fiction et note qu'il s'est fait aider de spécialistes en cyber criminalité.
Sa journaliste-détective Julita rêvait d'être une journaliste d'investigation, mais le métier est difficile, les embauches ne sont pas facilement. Elle va donc devoir passer par la case apprentissage, alors qu'elle a tout perdu. Son travail, puis son logement (elle est hébergée par sa sœur qui voit d'un très mauvais œil le travail de sa sœur), elle frôle la mort dans un accident de voiture.
Mais Julita a aussi des alliés : elle peut compter sur un ancien collègue Piotr pour l'héberger, et surtout sur Jan, un spécialiste de la cybersécurité. Néophyte totale, Julita va apprendre à sécuriser ses pc, à se connecter via un VPN, à utiliser Tor, un navigateur qui permet d'avoir accès au dark net, mais aussi à envoyer à son tour des malwares (logiciels malveillants qui permettent de prendre le contrôle de votre pc à votre insu a des degrés divers), à sécuriser son téléphone. Ici l'auteur glisse une critique féroce sur le web et ce que nous en faisons. Car rien ne se perd sur le net. Des vieilles photos de 10 ans sont toujours présentes quelques part. Les programmes sont pour la plupart incomplets, les éditeurs les améliorent alors qu'ils ont déjà été utilisés depuis 1 an ou deux par des millions de personnes. Les anti-virus sont de la rigolade par rapport à ce qu'un hacker peut faire. On peut pirater une voiture électrique ou munie d'un mini-ordinateur de bord (celui qui vous donne le GPS, la caméra de recul, la musique etc) à l'aide d'un boîtier que l'on peut bricoler ou qu'on achète sur le dark web et un téléphone portable.
Quant à l'enquête, elle est bien fichu. Les ignares en informatique auront quelques notions et notamment celle de ne pas trop exploser leur vie privée. Les pros remarqueront ou pas si l'auteur a commis des erreurs.
Bien évidement l'enquête est une réussite pour Julita, et Jan. Mais le roman anticipe déjà le prochain, car si les coupables sont identifiés, il reste un mystère à éclaircir et on imaginera que ce sera pour les prochains tomes.
Un polar assez original, mené tambour battant écrit tout de même par un homme (une vedette dans son pays) qui a travaillé sur des jeux vidéos. Ici pas d'effets de style, ni de poésie, l'humour juste ce qu'il faut pour ne pas noyer le lecteur, des informations claires. Parfait pour l'été. Et on a très envie de lire les autres tomes déjà parus.
Extraits :
Quoi qu’il en soit, le texte sur la mort de Buczek générait une tonne de clics, un vrai démarrage en trombe. Le sujet avait été repris par des sites concurrents, tous ces Gala, Viva ! , Potin et Talons aiguilles, mais aussi par Super Express et Fakt, jusqu’à des titres sérieux comme Gazeta Wyborcza, Newsweek ou Polityka. Et même si on précisait rarement ou cette information était apparue pour la première fois, sans parler de mentionner le nom de l’auteure, la conscience que c’était elle, Julita Katarzyna Wojcicka de Zukowo, qui avait mis toute cette machine médiatique en branle la remplissait de fierté. Malgré tout.
Dans le temps, on pouvait discuter avec les passagers. Parfois de choses sérieuses, parfois de broutilles, il fallait bien l’admettre, mais au moins il y avait un contact humain, un lien. Et maintenant rien, ils fixaient leurs satanés téléphones comme s’il n’était pas là, comme si le taxi se conduisait tout seul. Ce client-ci ne dérogeait pas à la règle et ne lui avait pas adressé un mot, pour quoi faire ? Il restait là et cajolait son portable comme s’il voulait percer un trou dans l’écran. Pourtant, il avait l’air de ne pas avoir fermé l’œil de la semaine.
Julita se demandait quoi écrire. Elle avait déjà découvert que ce qui se cliquait le mieux, c’était des articles qui appartenaient à l’une des trois catégories suivantes : “viser, bâcher, détruire”, “incroyable et choquant” ou “deviner et compléter”. Le plus facile, c’était d’écrire des textes de la première catégorie. Il suffisait de prendre un commentaire sulfureux, amusant ou au moins grossier, par exemple d’un politicien sur un autre politicien ou d’un people sur un autre people. Puis on affublait la citation choisie d’une formule toute faite : “X a bâché Y dans son style habituel. Sans pitié !”, “Vous devez lire ça ! X a détruit Y !
On lui a volé ses photos NUES. Qu’est-ce qu’elle en dit ? Vous n’allez pas le croire !!!”, “Un maître chanteur l’a menacée de DÉTRUIRE SA VIE ! En faisant quoi ? Elle ne s’attendait pas à ça…”, “Ceux d’entre vous qui sont venus sur cette page dans l’espoir de voir d’autres photos de nu… Julita Wójcicka, la SEXBOMBE, répond aux amateurs de ses charmes !” Le choix des illustrations ne l’étonna pas non plus : bien entendu, le portrait officiel qui ornait son blog n’apparaissait nulle part – chemise à rayures, collier et boucles d’oreilles en fausses perles –, mais à la place il y avait partout ses clichés nus floutés.
Je suis là pour présenter à mes lecteurs des faits à partir desquels ils se forgeront leur propre opinion. Je suis là pour que vous soyez informés de façon fiable… parce que, même s’il est difficile de le remarquer dans la cohue du quotidien, dans l’agitation de la politique querelleuse… nous nous trouvons à un moment clé de l’Histoire. Les nouvelles technologies permettent non seulement la discrétion et l’anonymat, mais aussi une surveillance totale à côté de laquelle 1984 apparaît comme un scénario optimiste.
Ne joue pas à Monsieur Parfait, répliquait-elle, toi aussi, tu m’as bernée, et plus d’une fois. Oui, mais à l’époque, personne n’en est mort. Puis le bip, bip, bip d’une communication interrompue. Depuis ce jour-là, il ne décrochait plus son téléphone, ne répondait ni aux mails ni aux SMS. Bien entendu, elle avait suivi son parcours. Rétabli dans ses fonctions. Promu. Interviewé.
Et c’est exactement en cela que consiste le spear phishing. Ce n’est pas une pêche au gros où tu jettes tes filets à la mer au hasard dans l’espoir d’attraper quelque chose, mais au contraire où tu dardes ton harpon avec précision. D’où le mot spear, lance. Quelqu’un a rédigé ce mail précisément pour toi, de façon à t’intriguer assez pour que tu cliques sur la pièce jointe.
Écrire avec sa propre langue, avec des mots de plus de trois syllabes, sans points d’exclamation, sans titres stupides ni le reste de ces accroches dont elle usait d’ordinaire pour appâter les lecteurs.
Je dois vivre avec les conséquences de mon choix : soit me cacher la tête dans le sable ou me terrer la queue entre les jambes, soit faire ce que j’ai à faire.
D’une manière ou d’une autre, il avait pris le contrôle de son ordinateur, il avait épié ce qu’elle faisait, il la voyait et l’entendait. En plus, il avait dû entrer par effraction dans sa messagerie privée et en déterrer jusqu’à ses photos compromettantes. Que pouvait-il y avoir trouvé d’autre ? Les lettres qu’elle envoyait ou recevait ces dernières années, les historiques de ses chats en ligne, ses factures, ses résultats d’analyses médicales… En un mot : tout.
Elle aurait aussi voulu demander : puisque le journalisme de caniveau vous indigne tant, comment en êtes-vous venue à visiter notre site ? Par hasard ? Ou parce que vous aimez quand même lire des potins de temps à autre ? À moins que vous ayez justement voulu vous indigner ? En fin de compte, elle ne répondit pas. Un peu parce que les arguments qu’elle avançait pour sa défense ne la convainquaient pas elle-même.
Elle n’avait pas envie de le boire : elle se sentait toujours nauséeuse, sa gorge était crispée. Elle l’avait acheté parce qu’elle avait besoin d’un laissez-passer pour ce monde de canapés moelleux, de murs beiges et de pâtisseries saupoudrées de sucre glace. Ici, dans ce simulacre peu convainquant de salon américain, elle pouvait plonger dans les conversations et les rires d’autrui, ce qui lui procurait l’illusion f'une compagnie.
Dire qu’elle avait les meilleurs résultats. Qu’elle passait parfois ses nuits au bureau. Que lorsqu’il le fallait, elle travaillait les week-ends. Que tout le monde disait parfois un truc stupide, mais que ça ne se reproduirait plus. Qu’ils n’avaient pas à la reconduire manu militari, comme une vulgaire criminelle. Qu’après toutes ces années, elle méritait peut-être un meilleur traitement.
Elle avait conscience que son article en soi n’était qu’un condensé de formules toutes faites et d’adjectifs dramatiques. À la fac, on aurait raillé un tel texte… Pire, même sa prof de polonais de l’école primaire, paix à son âme, lui aurait donné un zéro pointé avec un point d’exclamation, voire avec trois… Enfin bref, comme le disait sa rédac-chef Ula Mackowicz, le devoir d’un journaliste, c’est d’écrire des articles que les gens lisent et pas que les gens devraient lire.
Une autre solution subsistait encore : l’avortement. Un mot qui, en Pologne, n’était prononcé qu’à voix basse, à la maison, sans se regarder dans les yeux et en tournant le dos au crucifix accroché au mur. Hier encore, Radek était un fervent opposant à cette pratique.
Ceci générait davantage de flux non seulement sur la page qui avait publié l’article en premier, mais aussi sur les sites intermédiaires. Gagnant-gagnant, une symbiose parfaite. Dans le cas des sujets les plus porteurs, cela déclenchait une réaction en chaîne : Pudelek.pl citait Pomponik.pl qui se fondait sur Talons aiguilles qui se basait sur Potins qui postait un lien vers Fakt.pl.
Je m’efforce de regarder vers l’avenir, de ne jamais me tourner vers le passé. Ce qui est fait est fait. Il faut savoir se réconcilier avec soi-même, avec le monde. Il faut apprendre à pardonner. Si jamais j’ai des ennemis, je ne sais rien à leur propos. Et je leur pardonne parce que je ne porte pas de sentiments négatifs en moi. C’est toxique.
Biographie
Né
à Varsovie en 1986, Jakub Szamałek est
un archéologue et écrivain polonais, scénariste de jeux vidéo.
Il a fait des études d'archéologie de l'Université d'Oxford
avant d'obtenir un doctorat d'archéologie méditerranéenne à celle
de Cambridge.
Son premier roman "Kiedy Atena odwraca wzrok"
(Quand Athéna détourne le regard), polar antique à Athènes, a
reçu le Prix Grand Calibre des lecteurs en 2011. Pour "Czytanie
z kości" (La Lecture des ossements), polar antique entre
l'Étrurie des Étrusques et l'Italie contemporaine, il a reçu le
Prix Grand Calibre pour le meilleur roman policier polonais publié
en 2015.
De 2012 à 2021, il est associé au studio CD Projekt. Il
prend part notamment à l'écriture du scénario des jeux "The
Witcher 3: Wild Hunt" et "Cyberpunk 2077". Il rejoint
ensuite l'équipe de Incredible Dream Studios.Il est également
l'auteur d'une trilogie de thriller contemporain dans le monde
cybernétique du web profond au XXIe siècle dont "Tu sais qui"
("Cokolwiek wybierzesz", 2019) est le premier tome.
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