vendredi 6 mai 2022

Délia OWENS – Là où chantent les écrevisses – Poche Point - 2021

 

Kya a 6 ans quand sa mère quitte le foyer, une cabane dans la zone marécageuse de Caroline du Nord (USA). A cause d'un père violent et alcoolique qui tyrannise sa femme et ses ses 5 enfants, les aînés partent à leur tour e l'héroïne se trouve bien seule. Et puis un jour son père disparaît aussi.

A 10 ans, elle ne sait ni lire ni écrire et échappe aux services sociaux. Elle survit en vendant des moules à son ami noir Jumping qui tient une épicerie et sa femme l'habille et l'aide. Mais la ségrégation est encore de mise dans les années 50 et « la fille du marais » a mauvaise réputation.

Grâce à un ami de son frère, Tite, un jeune homme brillant et respectueux, Kay va apprendre à lire, et s'intéresser à la faune et la flore du marais. Elle publiera des livres qu'elle illustre elle-même et de poèmes. Mais la vie de Kya est pleine de surprise.

Le livre aux 4 millions d’exemplaires vendus aux USA est devenu un phénomène littéraire. D'une part parce que l'on y trouve une intrigue à l'issue incertaine mais Délia Owens fait revivre la vie des années 1950/1970 et cette vie sauvage dans les marais où se réfugient des évadés de prisons, des noirs fuyant la ségrégation. On y vit de la pêche et notamment de la pèche aux crevettes. Les plus aisés vivent dans des jolies maisons mais les plus pauvres dans des cabanes bricolées dans les bois.

Solitude et Multitude

Kya est une jeune fille farouche, qui a peur du monde mais qui redoute encore plus la solitude, ce qui l'amènera a une l'histoire entremêlée dont je ne vais rien vous dire.

Mais Kya est aussi envahie par la multitude, celle de la nature de ces marais. Elle est amie avec les oiseaux qu'elle va nourrir, connaît chaque coquillage, chaque herbe, chaque recoin de son aire bien à elle. Toute la flore et la faune sont étudiées par la jeune femme, qui possède un savoir incomparable, et finit par devenir une spécialiste de cette région.

Elle est aussi seule contre tous, victimes des préjugés, et à part la famille noire et Tate

celui qu'elle aime et celui sur lequel elle pense pouvoir compter. L'amour pour Kya relève de méfiance et sentiment d’abandons qu'elle ressent dans sa chair.

L'écriture poétique

Delia Owens n'a pas son pareil pour décrire cette nature spécifique sans jamais lasser le lecteur. Elle y incorpore des poèmes (Emily Dickinson par exemple) et aussi ceux que compose Kya sous un pseudonyme qui reflètent ses états d'âme. Même si ce n'est pas un génie de la poésie(ce qui est voulu par l'auteure), cela apporte un certain charme au roman comme des petites pauses dans ce tourbillon de plumes, de coquillages, d'herbes, de marécages.

Un roman engagé

J'ai lu des critiques qui reprochaient le coté « passif » de Kya et le coté pygmalion de Tate ? Il n'en est rien. Kya sait assurer sa sécurité, même si ce personnage si sensible a des rancœurs tenaces. Face à elle, les autres femmes que l'on croise dans le roman ne sont que des exemples des femmes de la société de l'époque. Puritaines, racistes, incapables de tolérer la moindre différence. Le soutien sans faille de Jumping puis de Jacob, personnes de couleurs préfigurent la lutte pour l'égalité des noirs, et Kya ne se pose pas la question. Ce sont des amis, ceux qui l'aident vraiment quand tout le visage médit sur celle qui va devenir une très belle femme. Par son autonomie, sa liberté de jugement, sa vie active à une époque où les braves dames ne travaillent pas, c'est révolutionnaire. N'oublions pas que le roman se situe en Caroline du Nord état sécessionniste où le drapeau trône encore à la mairie. C'est aussi une critique sociale : les pauvres, les riches sans aucune solidarité, ceux qui ont et prennent et ceux qui n'ont rien et tombent dans le banditisme ou les petits trafics même si l'auteure ne s'attardent pas sur ces faits. C'est d'emblée de jeu au premier chapitre.

Extraits :

  • Pour Kya, il était suffisant de faire partie de cette suite naturelle d’événements, rythmée par la même régularité que les marées. Elle se sentait attachée à sa planète d’une façon que peu de gens connaissent. Elle était enracinée dans la terre. Elle lui devait la vie.

  • Au point le plus vulnérable de sa vie, elle se tournait vers le seul gilet de sauvetage qu'elle connaissait : elle-même.

  • Les visages changent avec les épreuves de la vie, mais les yeux demeurent une fenêtre ouverte sur le passé.

  • C'est exactement ce que personne ne comprend à mon sujet.
    D'une voix de plus en plus forte, elle poursuivit :
    Moi, je n'ai jamais détesté les gens. c'est eux qui m'ont haïe. Eux qui se sont moqués de moi. eux qui m'ont quittée. Qui m'ont harcelée. Eux qui m'ont agressée. C'est vrai, j'ai appris à vivre sans eux. Sans toi. Sans Ma! Sans personne!

  • Ô lune qui décrois,
    Éclaire et suis mes pas
    Dissipe de ta lumière
    Les ombres de la Terre
    Viens éveiller mes sens
    Pénétrés de silence
    Tu sais comme le temps
    Étire les moments
    Jusqu'à l'autre rivage
    Quand nul ne les partage
    Le ciel n'est qu'un soupir
    Quand le temps se retire...
    Sur le sable mouvant.

  • Un marais n’est pas un marécage. Le marais, c’est un espace de lumière, où l’herbe pousse dans l’eau, et l’eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu’à la mer, et des échassiers s’en envolent avec une grâce inattendue – comme s’ils n’étaient pas faits pour rejoindre les airs – dans le vacarme d’un millier d’oies des neiges.
    Puis, à l’intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans les tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu’elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l’eau des marécages est sombre et stagnante. Même l’activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c’est au cœur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus : une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie.

  • Les feuilles d'automne ne tombent pas, elles volent. Elles prennent leur temps, errent un moment, car c'est leur seule chance de jamais s'élever dans les airs. Reflétant la lumière du soleil, elles tourbillonnèrent, voguèrent et voletèrent dans les courants.


Bibliographie

Née en 1949, Delia Owens est une écrivaine et une zoologiste américaine.

Diplômée en zoologie et biologie de l'Université de Géorgie, elle est titulaire d'un doctorat en comportement animal de l'Université de Californie à Davis. En 1971, elle rencontre Mark Owens, chercheur et biologiste comme elle. Ils se marient en 1972 et déménagent dans l'Oregon.
Elle part s’installer avec son mari au Botswana en 1974. Ensemble, ils étudient les différentes espèces de mammifères de la région. De 1986 à 1997, Delia et son mari vivent au parc national de Luangwa Nord en Zambie où ils étudient les éléphants.
Grâce à cette incroyable expérience au Kalahari puis en Zambie, ils publient trois livres de non-fiction, tous bestsellers aux USA : "Le cri du Kalahari" ("Cry of Kalahary", 1984), qui obtient la Médaille John Burroughs 1985, "The Eye of the Elephant" (1992) et "Secrets of the Savanna" (2006).
Delia Owens publie également de nombreux articles scientifiques dans Nature, Natural History, Animal Behavior, Journal of Mammalogy, en menant ses recherches sur les espèces animales en danger et elle monte des projets de sauvegarde de grande ampleur. Elle a vécu pendant 23 ans en Afrique.
"Là où chantent les écrevisses" ("Where the Crawdads Sing", 2018) est son premier roman. Il a été adapté au cinéma.

En savoir plus :

    Son site : son site : https://www.deliaowens.com

     https://www.youtube.com/watch?v=tjPEL-A5RYQ


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